La jeunesse inspirée

Le 30 avril 1896 à Khéora au Bengale (actuel Bengladesh) naît Nirmala Sundari Devi, la déesse brillante immaculée, deux ans après la mort de sa soeur aînée. Elle fait partie d'une famille de brahmanes vishnouites, dévots de Krishna, qui pratique l'abandon à la volonté divine (jo ho haye).

Elle n'est allée à l'école que deux ans et elle n'a jamais su ni lire ni écrire. Elle signait en faisant un point.
C'était une petite fille étonnante, une sage, une sainte. Elle chante es mantra sans jamais les avoir appris. Elle tient des postures de yoga sans apprentissage et elle entre en extase, le regard vague. Plongée dans le silence de son immensité intérieure, les yeux grands ouverts sur l'éternité, elle s'immerge dans l'incommensurable béatitude du samadhi.

A douze ans et dix mois, elle s'est mariée à un voisin brahmane, Bholanath, qui s'occupe des parcs et jardins. Quand elle a dix-huit ans, il veut consommer le mariage et reçoit une décharge électrique avec des flux de lumière. Quelques semaines plus tard, il essaie une seconde fois, prudemment, et tombe foudroyé. Il ne recommencera donc jamais. Considérant sa femme comme une sainte, il deviendra son disciple et refusera même que ses parents lui donnent une autre épouse pour avoir une descendance.

Sept ans d'ascèse spirituelle

La sadhana, le temps de son ascèse spirituelle, va durer sept ans, de vingt-six à trente-trois ans. Elle a des extases (samadhi) debout sur la pointe des pieds, arquée en arrière, ses cheveux touchant le sol, immobile sans cligner des paupières pendant des heures ou des jours. Parfois en récitant des mantra, ses bras pouvaient entrer dans la terre jusqu'à l'épaule.
"Elle m'a regardé et j'ai senti sous son regard qu'elle savait tout ce qui me concernait et m'aimait si profondément que je ne pouvais plus désirer rien d'autre."

Le 3 août 1922 elle entre dans l'amour divin et gardera un silence total pendant trois ans. Elle n'a plus besoin de manger ni de dormir. Elle tombe à neuf grains de riz par jour, puis pendant quatre ans elle ne mange plus que trois grains de riz tous les deux jours. Et il faut la nourrir, d'elle-même elle ne le fait pas. Elle se statufie pendant dix à douze heures et son corps devient dur et froid.

Elle irradie une telle lumière que spontanément les gens se prosternent devant elle. Et s'ils la touchent, eux aussi entrent en samadhi, paralysés pendant deux ou trois jours. Par la suite quand cela lui arrivait, elle s'enveloppera de couches de vêtements et restait seule dans une pièce. Puis cela ne se produisait que le jour de son anniversaire. Elle considère avoir reçu une initiation divine directe, sans gourou.

Elle a des confrontations avec les pandits savants et peut répondre à leurs questions théologiques les plus compliquées. Elle les stupéfie par sa science spirituelle infuse : sans avoir jamais rien appris, elle parle d'expérience.

L'ascèse itinérante

En 1929, à trente-trois ans, arrivent ses premiers disciples (Didi et Bhaiji) qui font un ashram pour elle à Dacca et la nomment "Mère emplie de Félicité", Mâ Ananda Moyî. Elle va de ville en ville et partout se fondent des ashrams pour la recevoir. Son attrait magnétique rassemble des milliers de disciples. Et pendant cinquante-trois ans, elle ne reste pas plus de deux ou trois jours dans chaque ville, selon les prescriptions traditionnelles pour les ascètes hindous qu'elle suit exactement. Elle n'est jamais sortie de l'Inde et suit les prescriptions traditionnelles (le santana dharma). Elle devient une autorité et elle est consultée par Gandhi, Nehru, Indira Gandhi, des industriels comme Birla, des musiciens, danseurs, professeurs, pandits, etc.

En 1938, son mari devenu son disciple décède. En 1951, arrive Adolphe Weintrob, un médecin français originaire de Lorraine, devenu Vijayananda, il ne la quittera plus et sera le maître de Jacques Vignes, devenu Vigyanananda.

Le 27 août 1982, elle meurt à Harwar à quatre-vingt-six ans.

La Rencontre

J'ai pu la rencontrer trois ans avant sa mort en août 1979. Dès que j'ai su que j'allais la voir, j'ai senti que ce n'était pas indispensable, car la Joie, je venais de la recevoir et avec plénitude.

Le darshan (adoration) s'est fait dans la cour d'une maison hindoue où elle est apparue au balcon du premier étage. Et au bout d'un moment un fait prodigieux s'est produit : elle m'est apparue soudain telle qu'elle était dans sa jeunesse. Puis alternativement je la voyais à trente ans, cinquante ans et à quatre-vingt-trois ans, comme si elle voulait me dire qu'elle n'avait pas d'âge et qu'elle était toujours la même. Mais dans tous les cas, elle était irradiante de lumière.

Le don de la Joie

Ses dons étaient fort nombreux et elle donnait sans cesse autour d'elle.

Elle était l'incarnation de la Joie divine. Elle était la joie. Elle irradiait la joie. Dès qu'on la voyait ou qu'on s'approchait d'elle, on ressentait cette joie, comme une vague de bonheur qui vous soulève. Sa simple vision donnait des flashs de bonheur, une euphorie complète. On avait l'impression de flotter, de marcher dans l'air.

En présence de Mâ un sentiment de douceur et de joie envahit tous les coeurs.

"Soyez toujours heureux,
la tristesse est votre ennemie.
Réalisez donc cet état de félicité divine
qui est au fond de nous.
Cherchez toujours à vivre dans la joie,
à exprimer la joie dans vos pensées et vos actes.
L'Être suprême est joie incarnée.
Sentez sa présence joyeuse dans tout ce que vous voyez ou entendez.
La tristesse est fatale à l'homme.
Apprenez à jouer d'une manière très belle le jeu de la Joie (Lila).
Essayez d'être attentif à tout ce qui est une vraie joie,
elle vous rapprochera de Dieu.
Apprenez à vous immerger dans la joie divine."

Ma était d'une beauté à vous couper le souffle. Pas seulement d'une beauté physique, elle était éblouissante de lumière intérieure. Elle était multiple. Elle pouvait être un rêve d'enfant et soudain passer au visage dur et terrible de Kali, reflétant toute la souffrance du monde. Tantôt elle semblait avoir soixante ans, puis vingt-cinq ans, pour revenir à quatre-vingts ans avec toujours la même beauté.

- Mâ, qui êtes-vous ?

A cette question elle répond :

"Je suis tout ce que vous croyez que je suis.
Je suis tout ce que vous pouvez penser,
dire ou imaginer de moi.
Je suis ce que j'étais et ce que je serai.
Ce que je suis, je l'ai toujours été,
dès mon enfance."

En parlant d'elle, elle disait "ce corps" ou "cette petite fille". "Ce corps n'apparient pas au Bengale, ni aux brahmanes, mais à l'humanité tout entière. Rien ne lui appartient en propre et l'univers tout entier est à lui." "Ce corps n'est pas né pour consommer le karma d'une vie antérieure. Vous l'avez désiré et appelé, c'est pourquoi vous l'avez obtenu."

Et enfin elle termine par cet aveu fondamental :

"Vous l'avez tellement demandé,
que la Joie divine est venue dans ce corps
pour votre édification."

Nous ne devrions jamais l'oublier.

Mâ avait l'omniscience divine. Elle connaissait tous les livres sans les avoir lus. Elle comprenait et expliquait de l'intérieur les textes sacrés du Veda et des Ecritures.

De même elle voyait tout dans son corps jusqu'au fonctionnement de chaque cellule. Elle est dans l'état de pure conscience originelle immaculée (nirmala) pour montrer à l'humanité que cela est possible.

Elle n'a jamais appris à méditer et n'avait pas eu de gourou et tout lui arrivait sans effort car elle acceptait tout ce qui lui arrivait.

Elle entrait soudain en samadhi sans que rien ne le laisse prévoir, et cela durait des heures ou des jours. Au début c'était assez fréquent, puis cela n'arrivait plus qu'à son anniversaire. Elle devenait si brillante que tout était clair autour d'elle, et qu'elle était obligée de s'enrouler dans une pièce de tissu. Le sol sous ses pas restait brûlant.

Elle est mataji, la Mère universelle, qui donne la paix du coeur. Elle rayonne, sans aucune trace d'égoïsme. Dénuée de tout ego etde tout désir personnel, elle est vouée au service des autres. Elle ne reçoit rien et ne possède rien (juste trois saris). Elle ne garde rien, tout ce qu'on lui offre, elle le redonne au visiteur suivant (prasad).
Elle pratique Kheyâla, l'inspiration et l'ordre divin. Donc elle ne faisait aucun plan et ne prenait aucun engagement. Nul ne pouvait prévoir ce qu'elle ferait dans l'heure suivante, les choses arrivaient de façon inattendue. Et elle devait rester disponible à tout instant pour pouvoir obéir à l'ordre divin.

La guidance

Elle ne se vit pas en gourou, ne donne pas d'initiation ni de mantra.

Elle a un regard qui transforme et provoque des réactions profondes instantanées.

Les entretiens particuliers sont un prétexte pour un échange profond et un renouvellement de la joie.

Elle ne demande rien et confirme le positif.

Elle laisse faire librement son choix, simplement elle confirme quand on a fait le bon choix.

Elle s'occupe des gens autour d'elle, très attentionnée avec ceux qui ont des difficultés ou des crises, elle laisse ceux qui vont bien trouver la suite par eux-mêmes. Certains se sont sentis abandonnés et en ont écrit des livres.

C'est ce qui est arrivé à Daniel Roumanoff qui a écrit en 1990 Candide au pays des gourous. Ce livre joue le même rôle que celui d'Irina Tweedie pour Lilian Silburn. Il détaille quantité de miracles, d'autant plus convaincants qu'ils sont présentés avec des reproches par quelqu'un qui est venu à elle, puis l'a rejetée et abandonnée. Elle l'a reçu en entretiens privés en 1959 et il a vécu cela comme avec sa mère-Dieu, "les questions n'ont pas d'importance, pas plus que les réponses. Ce qui compte est le renouvellement et le redoublement de cette joie à chaque seconde de l'entretien." Puis elle lui a donné ses exercices de yoga (sâdhana) et elle a dû s'occuper de nouveaux arrivants. "Je me sens rejeté, misérable, mal-aimé." Il a réclamé toujours plus d'entretiens particuliers quotidiens. Et après une crise spirituelle de colère et ressentiment, il l'a abandonné et il est parti à la recherche d'autres gourous. Il formule sur eux des jugements définitifs et acérés. Et il a fini par tomber sur swami Prajnanpand avec lequel il pouvait discuter sans fin de ses problèmes de moi-je sous couvert de philosophie.

L'enseignement

Elle n'enseigne pas et ne fait pas de discours. Elle répond à des questions (parfois), mais ce n'est valable que pour cette personne.

Souvent elle élude les questions posées (purement intellectuelles) et répond soudain de façon percutante à des questions simplement pensées.

Chacun reçoit une réponse d'elle selon la sincérité et l'intensité de sa dévotion. Une multitude a eu une conversion instantanée auprès d'elle, alors que des pandits très savants s'en retournaient aussi imbus d'eux-mêmes. "Chacun obtient ce qu'il mérite." Mâ excelle à utiliser tous les incidents de la vie quotidienne comme un profond enseignement.

"Sans cesse pensez à Dieu.
Ne vous arrêtez pas à une étape.
Ne vous occupez pas des imperfections des autres.
Ne critiquez jamais : si vous voyez le mal, c'est qu'il est en vous.
Le monde paraît bon à celui qui est bon.
Ne chérissez que ce qui a trait à la Quête suprême.
L'ego ne doit pas être détruit mais absorbé dans le Soi."

Sa seule indication de méditation fut : "Fixez votre attention sur un point lumineux à 15 centimètres de votre front, jusqu'à ce que vous voyez une lumière bleue."

L'autre dimension

Elle vit vraiment sur une autre dimension.

Elle sonde les coeurs et connaît la vie et les besoins de ceux qui viennent la consulter.

Mais parfois il faut répéter deux ou trois fois la question pour capter son attention et la sortir de son extase.

Elle sent des étrangers restés derrière le mur d'enceinte, car il y avait trop de monde, les envoie chercher et les installe à côté d'elle.

Elle sent les appels purs de ceux qu l'aiment et elle leur apparaît en disant : "Tu m'as appelé et je suis venue."

"Quand je vous vois j'ai une image très nette de vos vies précédentes. La réincarnation est un fait."
"La grâce d'un être réalisé peut annuler une partie de votre mauvais karma."

Elle ne mangeait plus rien, mais elle a eu toujours un grand plaisir à recevoir, à faire la cuisine et à servir à manger. Un jour, alors que l'on prépare de la nourriture pour 300 personnes, en arrivent 600 : "Servez-les et laissez-moi seule." Il en reste pour 200.

Pour un nouveau temple on a apporté des braises d'un temple sacré, mais les prêtres ne parviennent pas à les rallumer. Mâ étend la main et d'immenses flammes jaillissent.

D'un seul regard elle pouvait arrêter une dispute ou une averse.

Elle vivait dans un brouillard d'amour. Soudain en émergeaient les personnes qui pensaient à elle, qui l'aimaient ou qui avaient une demande intense.

Les guérisons

Elle guérit en donnant l'objet qu'elle a à la main.

Parfois elle guérit en prenant la souffrance : pour avoir guéri une personne du venin du cobra, elle a vécu quatre jours de fièvre.

Parfois elle sait que la dernière heure d'un visiteur est venue et elle se borne à le consoler.

A un alcoolique irrécupérable, elle fait simplement promettre de ne plus boire en sa présence, mais chaque fois qu'il va boire, elle lui apparaît !

Elle va de communauté (ashram) en communauté, il y en a une trentaine dans l'Inde qui l'invitent. Elle se considère comme l'invitée de ces communautés qui comprennent des dévots, des religieux dévoués, des athées, des malades enfantins, étroits, lugubres, sombres, mesquins comme des tiques attachées à un chien.

Mais, disait-elle, tant que le combustible n'a pas été brûlé le feu ne peut pas s'éteindre.

Elle n'a jamais consulté un médecin et se soignait en jeûnant.

"Même malade, j'entendais une symphonie dans un sentiment de délices."

C'était une bénédiction de la rencontrer, mais aussi simplement d'en parler, d'écrire cela ou de le lire avec amour. A qui sera donnée cette joie ? Il suffit de l'aimer.

Que peut nous apprendre Mâ ? Que nous devenions ce que nous contemplons, rien n'est plus important dans la vie que de rencontrer des gens réalisés, sans ego.