AVANT-PROPOS
Ce témoignage sur quatre des ashrams de l’Inde les plus connus a été écrit en 1961. Depuis, j’ai continué à passer à peu près la moitié de mon temps auprès des Maîtres hindous, tibétains ou musulmans mais je pas cru devoir modifier ce que j’écrivais il y a huit ans. J’ai seulement allégé certaines considérations théoriques afin de faire surtout de ce livre une description et un témoignages sur des sages auprès de qui j’ai séjourné et des lieux sacrés où j’ai vécu. En juillet 1963 Swami Sivananda et Swami Ramdas ont abandonné leur corps mortel. Je les avais tous les deux revus quelques semaines auparavant.
En face de Swami Sivananda, deux certitudes frappaient tout de suite : qu’il était très malade, et qu’il était en même temps au-delà de la maladie, sa conscience située sur un plan absolument libre des épreuves du corps physique et, pourtant, se manifestant à travers ce corps qui suivait sa propre loi de déchéance. Je sais très bien tout ce qui, dans l’oeuvre et les méthodes de Sivananda, a dérouté ou choqué les observateurs et les jugements sévères qui ont été portés sur lui. Je parle ici d’une expérience « que rien ni personne ne peut m’enlever » et qui aurait dissipé tous mes doutes, si j’en avais conservé, sur les droits de Swami à être vénéré comme un Maître spirituel exceptionnel. Gravement atteint, allongé sur son lit ou marchant difficilement soutenu par deux disciples, il était devenu d’une immense beauté. En même temps qu’irradiaient de lui un amour et une compassion par lesquels chacun se sentait directement et personnellement concerné, plus même : appelé. Et, malgré sa faiblesse physique, il donnait toujours la même impression de force. Sa mémoire était demeurée prodigieuse. Lui, que des centaines de visiteurs venaient visiter chaque mois et que je n’avais pas revu depuis 1959, se souvint immédiatement de moi et de certains détails qui me concernaient, se rappelant même lesquels de ses disciples je connaissais et me demandant si j’avais eu l’occasion de les rencontrer. Il est une certaine sorte de regard, surhumain, suprapersonnel et qui fait du visage même des très grands sages un témoignage plus convaincant que tous les livres. Quelques semaines avant de nous quitter, Swami Sivananda avait ce regard.
De Swami Ramdas, « our beloved Papa », nous savions aussi qu’il n’était plus parmi nous pour très longtemps. Mais ni l’âge, ni la maladie n’avaient diminué son rayonnement, sa joie, son humour, la percutante précision de ses réponses. A quatre-vingt-deux ans, il paraissait, avant tout, jeune, hors du temps. Il nous avait tous fait rire, d’ailleurs, un jour, en nous racontant pourquoi il avait refusé de laisser mettre sa photo sur un calendrier mural. Parlant de lui, comme toujours, à la troisième personne, il nous avait dit : « Ramdas business being to take people beyond time, he does not think that it is such a good idea to print his face on a calendar. » — « Le « business » de Ramdas étant de faire passer les autres au-delà du temps, il ne pense pas que ce soit une si bonne idée d’imprimer sa photo sur un calendrier. » Non seulement sa joie demeurerait, mais il manifestait parfois une force et une puissance proprement stupéfiante dans un corps si fragile, une force de lion que son sourire perpétuel avait caché, peut-être, à bien des visiteurs. Son pouvoir de transpercer la carapace des égoïsmes, d’aller jusqu’au centre de ceux qui l’approchaient, quelle que puisse être l’apparente fermeture de leur coeur et le refus de leur intellect, était plus manifeste que jamais. Ceux qui étaient près de lui ces derniers mois savent bien à quoi et à qui je fais allusion.
Il est difficile d’accepter l’idée qu’il ne sera plus là sous la forme visible, que notre regard ne croisera plus le sien. Mais depuis quelque temps, « Papa » insistait tant sur l’aspect impersonnel, informel de Dieu, que nous trahirions son dernier message en nous attachant à son image et en oubliant de chercher sa vérité au-dedans de nous.
Mataji Krishnabaï demeure à Kanhangad et Anandashram continuera à accomplir sa mission « d’amour universel et de service universel. »