Avant-propos
La sainteté est la perfection de la personne.
Elle consiste à "retrouver le contact avec un petit morceau d'éternité" (1) ou un grand, qu'il y ait un dieu ou qu'il n'y en ait pas, qu'il y en ait plusieurs ou seulement l'Un planant par-dessus toute déité passée, présente et à venir.
Elle est la participation à l'Absolu dont l'homme est capable par le moyen d'une transmutation de son être, effectuant un changement radical dans sa conscience en provoquant un irréversible arrachement à la sphère de la vanité.
Qu'on y voie une nouvelle création (kainè ktisis, dit Saint Paul aux Galates 6:15) ou un dévoilement de l'ultime profondeur, là où, suivant le védânta, on n'a père, ni mère, ni naissance (pitâ naiva me naiva maîta na janma) (2), le saint est de la vérité et est la vérité, d'une manière ou d'une autre, ce qui justifie son rayonnement et explique qu'il finisse par percer les voiles du péché et de l'ignorance dont il est recouvert.
Les trois Saintes qui font l'objet du présent essai ne remplissent pas des missions à elles confiées et ne s'alignent pas davantage sur l'exigence commune. Leur réaction à l'immortelle sentence de Léon Bloy, en fin de la Femme Pauvre : "Il n'y a qu'une tristesse, c'est de n'être pas des saints", serait : navrant est le saint sans excédence. Les sobres hardiesses de Râbi'a Al-'Adawiyya dépassent la mesure impartie aux fidèles. La témérité de Marie des Vallées la fait servir son Seigneur en enfer et dans le néant. Par la voie du sublime les audaces de Mâ Ananda Moyî culminent dans la déification. C'est assez souligner leur excellence du fait que même si elles ont quelque chose de commun avec le mal, leur mystique, enveloppant un Oui sur base de Nons, est élévation de la spiritualité à la puissance supérieure, voire suprême. Elles auraient trouvé grâce auprès de Julien Green préférant les saints de feu à ceux de glace tenus à l'abris de la tentation. L'excès mystique est une pierre philosophale qui transforme en or le vil métal de la médiocrité.
La nécessité de méditer la sentence de l'Etoile de la Rédemption de Franz Rosenzweig se fait de plus en plus pressante : "La vérité divine se dérobe à celui qui voudrait ne la saisir que d'une main".(3)
1. Etty. Hillesum, Une vie bouleversée, tr. Ph. Noble, Paris, Seuil, 1995, P.58.
2. Nirvânashatakam, 5.
3. Der Stern der Erlôsung, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1988, p. 329.