Extrait
chapitre
numéro
1

Préface

Paris : Ed. du Cerf, 1981

A Baldoon…

Baldoon Dhingra


C’est dans une région incitant à la méditation et à la réflexion, l’été 1978, que le professeur Baldoon Dhingra et moi-même, nous commençâmes ce livre… mais Dieu avait décidé que je devrais le terminer seule. Etais-je bien seule ? Non, intérieurement je sentais la présence, à mes côtés, de celui qui fut mon mari, mon ami et l’adorable père de notre fille Asha.

Pendant toutes ces années passées auprès de lui, je fus son étudiante et sa collaboratrice. Il sut m’enseigner toutes ces connaissances, ses expériences ainsi que les traditions, les richesses de la culture et de la civilisation de son pays. Il avait acquis une remarquable connaissance de notre culture, de nos traditions et du monde occidental. Il était un homme de grande érudition, doté d’un prodigieux intellect. Chercheur, penseur, éducateur, homme de théâtre, écrivain, poète, homme de dialogue, il l’était, mais avant tout il était un homme profondément spirituel possédant de grandes qualités humaines.

Il m’a donné la connaissance de son pays au plus profond de lui-même, pays que j’ai appris à aimer et auquel je reste très attachée. Il vivait à la fois dans les deux mondes — l’Orient et l’Occident. Comme il aimait la France ! Il avait deux patries : l’Inde et la France. Une personnalité française m’écrivait : « Nous n’oublions pas monsieur B. Dhingra. Ce grand penseur qu’il était. » Un autre écrivain philosophe français lui écrivait : « Cette rencontre entre l’Inde et la France n’est pas aisée. Ce n’est pas seulement la langue, les formes religieuses qui nous distinguent. C’est une différence de mentalité. C’est cette différence parfois radicale que vous faites si bien sentir. Comme vous aimez votre pays ! Et comme vous aimez le nôtre ! Au fond vous et moi, d’autres aussi, nous avons deux patries, l’Inde et la France… Si le mot trop fameux de « culture » à un sens, c’est bien avec vous. Vous connaissez le Ramayana et Montaigne, les Upanishads et les Evangiles, Anatole France, Aragon et les auteurs indiens contemporains. »

Ta disparition physique me pèse terriblement malgré toute la sagesse que je pensais avoir acquise. Ai-je vraiment accepté ton voyage dans l’au-delà ? Non, parfois je sens encore monter en moi une révolte. Car pour moi, tu étais un être qui devait être éternel sur cette terre. « Il faut vivre dans le présent », me disais-tu. Mais le chemin sur cette terre, sans ta présence physique, est bien difficile à parcourir. Tu m’avais dit : « La mort physique ne nous séparera pas, au contraire. » Oui, tu avais pressenti la réalité, elle ne nous sépare pas, elle nous rapproche davantage. Merci pour cette vie de Couple Vrai que nous avons vécue ensemble et pour la Vraie Richesse que tu m’as donnée dans ce monde temporel. Tu es éternel.

Merci aussi à tous ceux qui m’ont montré leur amitié, leur affection, après ton départ physique.



Bharati Dhingra





PREFACE


« Car ma mère m’a engendré mais ma véritable Mère m’a donné la vie. »
Saint Thomas LUS. 101


En réponse à une lettre que je lui avais adressée au sujet de l’Inde, André Malraux, qui venait d’être nommé ministre des Affaires culturelles, me répondit en disant notamment : « De meme que la Renaissance a cru retrouver l’Antiquité alors qu’elle pressentait le monde moderne, de même je crois que nous trouverons dans les oeuvres de l’Inde, non ce que fut l’Inde, mais un irremplaçable ferment. » En plaçant le sous-continent indien sous le signe du ferment, il décelait d’emblée sa caractéristique profonde, celle qui situait hors du temps l’essence même de cette civilisation de l’âme, en lui conférant une aura d’éternité.

Terre sainte, l’Inde traditionnelle l’a toujours été. Les saints et les saintes de toutes castes et sectes qui jalonnent de leur exemple constant l’histoire de ce pays font aisément reculer les luttes politiques à l’arrière-plan, aux cimetières du temps chronologique, pour ne laisser place qu’à une immense ascèse collective sous-tendant de sa psychologie uniciste le style de vie hindou. Il s’agit là d’une vocation persistante, même si elle reste enfouie dans l’inconscient d’environ 400 millions d’êtres, pour l’accession sinon le partage, hic et nunc, de cet « Océan incirconscrit d’Être et de Conscience, cette Lumière qui ne dépend de rien ». Le Père Le Taux pense qu’il s’agit là de l’intuition fondamentale de la tradition de l’Inde.

Les exemples abondent — et point n’est besoin de rappeler ceux qui sont universellement connus — encore tout récemment de Ramakrishna, de Vivekananda, de Mira Baï, de Gandhi, de Vinoba Bhave, d’Aurobindo et du Maharishi de Tiruvannamalai. Aujourd’hui même, tant d’autres comme Muktananda continuent d’illustrer la grande tradition. Mais, toujours en vie, Ma Anandamayi est peut-être aujourd’hui l’exemple le plus pur et le plus fidèle de la tradition bhakti. Ma Anandamayi va se déplaçant constamment, dans un style qui pourrait être dit à la fois « de mouvement et de repos », entre ses ashrams de Bénarès, de Dehra Dun, de Delhi Kalka, etc. Ma Anandamayi don’t la spiritualité vivante continue à étancher la soif spirituelle des millions d’êtres qui l’approchent.

Les chemins de la sainteté sont encombrés et l’on se bouscule un peu pour recueillir son Darshan, cependant pour une âme bien née rien n’est apparemment plus facile, comme le montre l’histoire suivante.

Dans mon bureau de chargé d’affaires à New Delhi, entra un jour un français de Marseille qui venait me voir pour que je l’aide à arranger auprès des autorités indiennes son statut d’étranger vivant à Bénarès dans l’ashram de Ma Anandamayi. Etant moi-même arrivé en Inde de fraîche date, je lui posai quelques questions auxquelles il répondit de bonne grâce et me précisa même qu’il avait abandonné toute son activité médicale pour se consacrer entièrement à la vie religieuse. Il me parla de la grande sainte auprès de laquelle il vivait, avec tant de ferveur et d’admiration que je pensai un instant qu’il était venu à Delhi avec elle et lui demandai étourdiment de bien vouloir me la faire connaître. Il se leva et me dit : « Eh bien, allons. »

Lorsque je vis qu’il sortait de l’ambassade, le lui demandai où elle vivait. « A Bénarès », dit-il. Pas une seconde il n’avait émis un doute sur la manière dont nous allions nous y prendre pour franchir dans l’heure les quelques 400 miles nous séparant de la ville sainte. C’est peut-être au cours des minutes suivantes que je mesurai pour la première fois la nature de ce qui, d’une ellipse soudaine, venait d’annuler un obstacle classique, celui des montagnes. Je n’avais ni le temps ni, à vrai dire, la maturité suffisante pour suivre mon compatriote, devenu depuis lors le bras droit de Ma Anandamayi, le Swami Vijayananda. Mais le chemin qu’il a ouvert en moi ce jour-là est resté celui qui, d’un seul coup, m’a rendu citoyen de l’Inde profonde.

C’est peut-être aussi, la main dans la main, un autre jour, avec mon ami Baldoon Dhingra que j’aurais pu faire ce pèlerinage, mais cet ami vient de nous être subitement ravi et c’est Nicole (Bharati est son prénom hindou, donné par Swami Muktananda.), sa femme, qui m’a prié de rédiger ces quelques mots en guise de préface.

Voilà qui est fait, cher Baldoon, et si j’ai bien conscience de n’avoir rien dit ici de particulièrement intéressant, je l’ai cependant dit en me souvenant du visage transfiguré qui fut le vôtre un soir qu’ayant terminé une conférence sur l’Être et la Conscience, vous reveniez vers nous, tout entier empreint de la grâce de ceux qui ont vaincu la mort.



Christian Belle

Ministre plénipotentiaire en retraite.
Ancien chargé d’affaires en Inde.