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Préface

souvenirs de l'Inde : en hommage à Mâ Anandamayî et à Swami Vijayânanda ; Préface de Jacques VIgne
Nantes : Éd. du Petit véhicule, 2012

PREFACE

Mahâjyotî a reçu son nom de mon maître Vijayânanda vers les années 2003. Celui-ci, médecin français à l’origine, était arrivé en Inde en 1951 et devenu disciple de la femme sage bien connue du XXe siècle, Mâ Anandamayî. Après presque soixante ans dans les ashrams de Mâ, il a quitté son corps en avril 2010 à Kankhal (Hardwar) où il avait vécu trente-cinq ans, sur les bords du Gange et près de la tombe de Mâ Anandamayî. Nous pouvons témoigner qu’il était animé jusqu’à la fin d’une sérénité joyeuse. Mahâjyoti signifie non seulement « grande lumière », mais aussi « lumière aînée ». Mahâ est un titre de respect pour ce type de personnes qui ont su combiner l’avancée dans la vie avec le progrès en sagesse, et c’était Vijayânanda qui avait recommandé ce préfixe pour Geneviève, par un soir d’hiver dans le bureau de l’ashram de Kankhal où nous nous réunissions tous les soirs, dans la simplicité, comme une petite famille, pour nous protéger d’un vent plutôt frisquet.

Mahâjyoti vit depuis une douzaine d’années à Nice, mais elle a voyagé de par le vaste monde, depuis une première tournée en Suisse comme jeune actrice qui jouait le répertoire du théâtre classique avec Georges Adet de la Comédie française, en passant par sa longue résidence à Rome où elle travaillait dans le cinéma, puis comme journaliste correspondante de journaux français et ensuite comme « public-relations » représentante d’un bureau de presse aux États- Unis, où elle a séjourné également. Elle a eu une vie riche et créative et elle l’a toujours aujourd’hui, seulement d’une façon désormais plus intériorisée.

Dans la région de Nice, elle a aussi suivi un enseignant spirituel pendant une dizaine d’années, en fait jusqu’à la mort de celui- ci. Elle a beaucoup reçu de lui. Toutes ces expériences variées d’approfondissement l’ont amenée à être plus directement réceptive à l’enseignement de cette grande femme sage du XXe siècle qu’était Mâ Anandamayî. Le contact de Mahâjyoti avec son message s’est effectué rapidement, facilement, on peut même dire naturellement. Elle était prête. Elle a mis ses compétences en communication dans trois langages, l’italien et l’anglais en plus du français, au service de cet enseignement avec discrétion et efficacité. L’amour du travail bien fait est une partie intégrante de sa spiritualité, tout comme son sens du contact humain. Ainsi, elle a traduit le livre de Vijayânanda Un Français dans l’Himalaya (1) en italien. Elle n’avait jamais traduit de livres dans cette langue, qu’elle a pourtant pratiquée pendant trente ans de vie professionnelle à Rome, mais elle s’est, en fait, fort bien tirée de ce défi d’après l’avis des amis italiens qui ont lu l’ouvrage. Elle a aussi traduit de l’anglais en français, avec ma collaboration, le livre de Bithikâ Mukerjî, En compagnie de Mâ Anandamayî, aux Éditions Agamât. Les activités de Mahâjyoti sur ces fronts assez différents ont été soutenues et nourries depuis longtemps par une vraie discipline de vie.

Ses quelques voyages en Inde l’ont amenée non seulement à Kankhal auprès de notre vieux maître, mais aussi à Dhaulchina dans l’Himalaya où il avait passé huit ans, et où je réside moi-même toute une partie de l’année. Son poème La Chambre où il pleut dedans est un témoignage frais et direct d’une de ses nombreuses expériences là-haut. Par ailleurs, je me souviens comme d’un bel épisode, de la première fois où nous sommes allés dans un congrès en Italie – une réunion interreligieuse tout près d’Assise – avec Mahâjyoti comme interprète. Plus que le simple langage, elle m’a beaucoup aidé à saisir plus profondément l’âme de cette nation-soeur où elle a vécu des années longues et fécondes.

Dans son aisance même à enjamber les frontières linguistiques et religieuses, Mahâjyoti témoigne d’un itinéraire de vie éminemment moderne. Dans ce sens, son humour aussi l’a bien aidée, et continue à l’aider pour vivre une spiritualité authentique loin de toute bigoterie. L’umorismo, comme disent les italiens, est une preuve d’humanisme et un trait spirituel dans le double sens du terme. Cela me fait penser à ce verset de la Bhagavâd-Gîtâ que Swami Vijayânanda aimait citer (2, 65) :  

« Dans la joie sereine (prasâdam), toutes les souffrances sont détruites.
Celui qui maintient son esprit joyeux et serein voit rapidement son intuition spirituelle (buddhi) s’enraciner ».

Tout en restant à Nice et en demeurant active dans le milieu français des chercheurs de vérité, Mahâjyoti a su faire son miel des fleurs spirituelles de l’Inde, en particulier avec ce « lotus au centre du lac » qu’était Mâ Anandamayî. Le XXe siècle a été la période d’une prise d’autonomie plus grande par la femme en général, non seulement au niveau politique, professionnel, affectif et religieux, mais aussi sur le plan spirituel. Mâ a représenté une lumière dans ce sens, dont le rayonnement a dépassé de loin les limites de l’Inde géographique et Geneviève-Mahâjyoti, toute préparée qu’elle était par son itinéraire de vie et son travail spirituel, a été touchée directement par un rayon de ce soleil. La vie de celle dont le nom est déjà « Grande Lumière » continue de s’écouler tranquillement, comme une rivière, vers l’océan de la Grande Lumière.

Jacques Vigne

1. Vijayânanda, Un Français dans l’Himalaya, disponible au complet sur www.anandamayi.org et publié en italien en 2008 par MC Editrice à Milan, www.mdeditrice.it