Extrait
chapitre
numéro
2

Préface

trad. de l'anglais par Geneviève Koevoets et Jacques Vigne
Saint-Raphaël : Ed. Âgamât, DL 2007

Preface

Par Richard Lannoy (6)

La fonction d’une préface est de dire brièvement certaines choses sur un livre que l’auteur ne peut exprimer elle-même avec modestie. Ceci est particulièrement vrai ici, Bithikhâ Mukerjî, qui est docteur en philosophie est si modeste qu’il s’en est fallu de peu que le livre ne voit pas la lumière du jour. Heureusement, des encouragements persistants, un support moral et même quelques remontrances effectuées de bon coeur ont eu raison d’elle. Bithikâ Mukerjî est déjà auteur d’une biographie de qualité et qui fait autorité sur Shrî Mâ, « Un oiseau sur la branche ; Vie et enseignement de Shrî Mâ Anandamayî »(7), elle s’est laissée convaincre de revenir à son sujet, mais en introduisant une nouvelle dimension à ces comptes rendus nombreux déjà publiés, en l’occurrence son point de vue personnel, et ceci est crucial. Pour quelqu’un comme elle, disposé d’une façon surnaturelle à s’effacer et à se cacher au fond des salles de réunions où se tenait Mâ, présenter un point de vue personnel semi-autobiographique au sujet d’une figure qu’elle considère comme au-delà des limites de l’expérience humaine, c’est un choix qui semblait non seulement un défi, mais (j’espère que je ne révèle pas un secret !) aussi une présomption. Bien sûr ce n’était pas du tout présomptueux ; c’était une garantie d’authenticité. Grâce à Dieu, elle a eu le courage d’achever son histoire, car c’est dans une subjectivité admise de bon coeur qu’est enracinée la vie immédiate et véritable d’un récit…


(6) Richard Lannoy, photographe et écrivain, l’auteur d’un des meilleurs ouvrages de synthèse sur la culture indienne en anglais The Speaking Tree Oxford University Press où il consacrait déjà sa dernière partie à une réflexion sur Mâ Anandamayî. En 1996, il a fait paraître un grand livre de photos et textes sur elle (cf. bibliographie à la fin du livre).

(7) En anglais à Sadgourou Publications, Delhi ; cf. aussi ce qui en a été publié traduit en français sur le site internet de Mâ Anandamayî : voir les détails dans la dernière partie : Pour aller plus loin.


Nous en venons à une leçon qui est très simple, mais qui, comme toutes les choses les meilleures, est difficile à mettre en mots. Quelle que soit l’inclination qu’on puisse avoir à mettre en valeur, louer, et même porter aux nues Shrî Mâ comme l’exemple suprême de la perfection, c’est seulement à travers la description de sa relation aux autres se manifestant sous des aspects multiples que sa pleine dimension, sa capacité à tout englober peut être pleinement révélée. Elle dit elle-même que ce mot de « autre » est une contradiction dans les termes lorsqu’on considère son être unifié. Dans les arts visuels, nous parlons de la silhouette et du champ comme des patries inséparables d’une même unité de l’image. Bithikâ Mukerjî, dans son livre, nous livre à la fois la silhouette et le champ.

L’agilité de la compassion de Mâ, la précision délicate avec laquelle elle pouvait réconforter les victimes des chagrins humains, et tout particulièrement sa réponse sensible et rapide aux décès dans l’ashram, tout cela touche notre corde sensible. Plus que tous les discours sages et un peu longs (dont il y a des exemples publiés ailleurs), la conscience profonde que Shrî Mâ a du coeur humain est communiquée dans ses actions d’un façon encore plus mémorable. Bithikâ est aussi sensible dans ses comptes rendus à ces moments où Shrî Mâ se retire en elle-même à l’occasion de la mort de ceux qui sont proches d’elle. Bithikâ met ici en valeur un point qui est tout à fait particulier : elle a clairement adopté le style de la douce compassion de Shrî Mâ et son livre en est imprégné à chaque page.

Il y a des prises de conscience nouvelles qu’on peut trouver dans ses mémoires en dépit de toute la richesse du matériel qui a déjà été écrit sur Shrî Mâ. C’est en tant que membre du cercle intérieur que Bithikâ peut nous dire ce que représente le fait de connaître avec une certitude absolue que le khéyâla spécifique de Shrî Mâ est de veiller à tout dans la vie de certains individus particuliers. Car l’auteur elle-même, ainsi que les autres membres de sa famille, ont eu la joie d’être les bénéficiaires directs de la grâce et de la protection de Shrî Mâ. Une autre perspective s’ouvre quand nous observons le génie de Shrî Mâ pour conférer aux individus une liberté complète de mouvement dans laquelle ils peuvent se développer et respirer. Une « intrigue secondaire » particulièrement délicieuse ici est l’historique du frère de Bithikâ, Bindou, qu’on avait ainsi nommé quand il était un petit enfant : il dormait sous le lit de Shrî Mâ ; ensuite il s’est développé sous forme de personnalité charismatique, de grand coeur, un musicien doué qui pouvait chanter des compositions divines qui ont charmé les foules.

Je pense à l’histoire de Bithou « volant » un caillou du lite de la rivière Narmadâ, et son utilisation providentielle par la suite, grâce à la mémoire infaillible de Shrî Mâ pour les détails. Il y a aussi ce récit, si menu et pourtant que son charme lumineux élève à un niveau d’intensité magique, de la manière dont Shrî Mâ s’est souvenus de la timidité de Bithikâ pendant le festival où l’on se battait avec du yaourt, et comment elle en a simplement déposé une goutte sur sa langue réticente ! Mais c’est la même Bithou qui a traversé la moitié de l’Inde du nord pour obtenir la bénédiction de Shrî Mâ avant un séjour de six mois en Suisse afin de participer à un rassemblement interreligieux d’étudiants. Immédiatement elle reçoit, seule dans la pièce, un discours sublime sur la tolérance religieuse. Shrî Mâ étant allongée sur son chowki - son lit - tandis que Bithoudi dans la pénombre, prenait tout en note. On nous donne ensuite l’essentiel du discours que le Dr. Mukerjî a retiré, comme distillé, de cette conversation privée, en même temps que les réponses de son auditoire qui provenait de vingt-six nationalités différentes. Il y a, en fait, plusieurs exemples où Bithikâ est soudain frappée par la pure grandeur de l’impact de Shrî Mâ sur les nombreux Indiens et aussi sur des gens d’autres pays lorsqu’elle voyageait dans tous les recoins du sous-continent indien.

Nombre de ces anecdotes révèlent la subtilité psychologique, l’audace et l’inspiration foudroyante du khéyâla de Shrî Mâ. Et nous avons une compréhension profonde et abondante de cette méthode de Shrî Mâ des plus subtiles et nouvelles, son khéyâla qui fonctionne de façon inimitable : plein d’autorité, inéluctable, tout en étant d’une profondeur insondable.

Je suis très fier d’avoir joué un rôle minuscule pour faire parvenir ce livre à la connaissance du grand public.