INTRODUCTION
L'ART DU GURU
Le journal spirituel d'Atmananda nous donne une étude approfondie et unique de la relation Guru-disciple et des problèmes particuliers qui se présentent à un Occidental lorsqu'il adopte cette voie. Au fil des pages, la présence de J. Krishnamurti - le Guru anti-Guru le plus franc et le plus éloquent du XXe siècle - permet de mettre en lumière les méprises les plus courantes à propos de la relation Guru-disciple (dont il est d'ailleurs en grande partie responsable) et nous amène à un face à face avec Ma Anandamayi, le Guru par excellence. Le rôle traditionnel du Guru a été largement méconnu et déformé en Occident, et la quête intérieure d'Atmananda - de la Théosophie à Ma Anandamayi en passant par Krishnamurti et Ramana Maharshi - offre un aperçu lucide et pénétrant de la question.
Même si bien des gens recherchent la "consolation que procure la religion" dans leur vie quotidienne, et même si certains ont trouvé du réconfort dans la philosophie, dans le yoga ou en suivant des maîtres spirituels de l'Orient, rares sont ceux qui se sont engagés avec rigueur, ce qui est quelque chose de fondamentalement différent, dans la voie d'une relation Guru-disciple authentique.
La structure et la discipline propres à cette relation produisent une alchimie intérieure, un processus spécifique de transformation qui, comme tout art, exige de la part de l'adepte un certain degré de talent et une persévérance hors du commun afin de la mener à terme. Trouver un Guru compétent est déjà extrêmement difficile, mais être prêt à affronter les rigueurs d'une telle relation est encore plus rare dès lors que cette relation se fonde essentiellement sur un voyage au-delà de la mort, de la mort de l'ego. Le disciple doit donc nourrir une confiance inébranlable dans son Guru pour que cette transition s'opère avec succès car, dans son esprit, elle s'assimile à la mort physique. Cette mort de l'ego impose l'abandon de toutes les croyances et notions qui alimentent l'image que nous nous acharnons à faire de nous-mêmes. Aussi, contrairement aux religions conventionnelles, ce cheminement spirituel ne peut en aucun cas nous renforcer dans ce que nous croyons être ou nous rassurer face à la vie que nous menons mais il va, au contraire, faire basculer complètement notre identité conditionnée : celle-ci nous apparaît désormais comme un corps sans vie par rapport à la plénitude absolue et l'unité extatique qui se révèlent être la nature authentique de notre humanité profonde. Contrairement au malentendu courant, il ne s'agit pas de la perte de notre individualité mais plutôt de son plein épanouissement.
Le rôle du Guru fait aussi l'objet d'un autre malentendu fort courant qui veut que seuls les faibles de volonté ou les moins avancés, spirituellement parlant, se laissent enfermer dans ce genre de relation "autoritaire". En réalité, c'est exactement le contraire qui est vrai, comme le démontre amplement les réflexions d'Atmananda dans son journal spirituel. Seuls les chercheurs spirituels qui, comme elle, se sont consacrés à fond à la voie spirituelle, qui se sont observés et étudiés sans complaisance aucune et qui, dès lors, se sentent prêts à vivre un engagement qui exige une force de volonté et un degré de maturité exceptionnels, sont appelés à suivre cette voie. S'il est vrai qu'un Guru compétent est rare, un disciple qualifié est plus rare encore.
Le phénomène contemporain et essentiellement occidental du culte voué au Guru, qui rend l'adepte pratiquement esclave d'une organisation ou d'une idéologie de groupe, est tout à fait contraire à la tradition authentique qui se fonde sur le contacte direct et individuel du maître et du disciple et qui aboutit à l'épanouissement total de l'être. En fait, un tel simulacre se produit souvent lorsqu'on essaie de dissocier le rôle du Guru de son contexte culturel indien pour le transplanter dans nos sociétés modernes. Même quand elle se dirige vers des formes non traditionnelles d'expression religieuse, la mentalité culturelle de l'Occident s'échappe difficilement de l'asphyxiante théologie d'un monothéisme simpliste, caractérisé par le prosélytisme obsessif et l'exclusivité intolérante. Ce phénomène peut engendrer des comportements et des attitudes religieuses pathologiques inconcevables pour le monisme universel qui, de tout temps, a caractérisé la spiritualité hindoue*, que ce soit dans la pratique plus abstraite et philosophique de la recherche du soi ou dans les formes dévotionnelles d'absorption mystique.
* : Le christianisme aussi possède certainement une profonde tradition de sagesse mystique, représentée par des personnages aussi saillants que Maître Eckhart et sainte Thérèse d'Avila, sans mentionner Jésus Lui-même. Cette tradition a beaucoup en commun avec la spiritualité indienne. (On pourrait dire la même chose du judaïsme hassidique et cabalistique comme du soufisme islamique.) Mais ce point de vue a toujours été minoritaire.
Plus particulièrement, dans le cas de la démarche initiatique qui unit un Guru à son disciple, c'est la transformation personnelle qui est privilégiée grâce à une prise de conscience directe plutôt que l'asservissement à un système de croyances axé sur le salut de l'âme.
Cela ne signifie nullement que la dévotion et l'abandon à Dieu sont exclus, mais l'adepte est peu à peu initié à une voie de dévotion intense pour ce qui seul EST en faisant l'expérience authentique du Divin omnipénétrant qui également est l'essence même de son être individuel. Comme nous pouvons le voir dans le témoignage de l'apprentissage spirituel d'Atmananda auprès de Ma Anandamayi, elle s'adonne tant à la connaissance de soi qu'à l'abandon par la dévotion et guidée par son Guru, elle pratique certaines méthodes de dévotion et de yoga (mantra et méditation) destinées à la faire progresser vers son but. Comme devaient le lui dire tant Ma Anandamayi que Ramana Maharshi : Seul qui connaît le Soi peut véritablement connaître Dieu, et inversement.
Le Guru guide ceux qui sont prêts à entreprendre le voyage au-delà de la mort en leur tendant un miroir qui leur révèle sans pitié à quel point ils s'accrochent désespérément aux schémas circulaires de l'attachement à l'ego tout en leur dévoilant leur Soi réel. Cette révélation duelle, dans laquelle les deux facettes d'une même Réalité apparaissent simultanément, tient en échec la supercherie de l'ego insidieux et l'attachement épouvantable qu'il produit. Cette relation initiatique transcende la parole et c'est la raison pour laquelle la transmission d'un grand Maître ne peut jamais être comprise si on se limite à ses enseignements enregistrés. Par définition, la métamorphose qui intervient en présence d'un Guru incarné est en elle-même une menace terrifiante pour l'emprise de l'ego tandis que les écrits d'un Maître qui a quitté son corps peuvent aisément se prêter à une justification et à un soutien de l'ego qui renouvelle l'assurance d'une vie spirituelle menée en toute quiétude !
La présence spirituelle intensément magnétique du Guru active chez le disciple son propre centre spirituel et lui fait prendre conscience de la divinité transcendante en lui-même et en tous les êtres vivants, d'une façon beaucoup plus intense qu'il n'aurait normalement pu le faire par ses propres efforts. Le disciple tire partie de cette intensité pour élaborer et approfondir sa méditation et pour arriver à discerner avec plus de perspicacité le vrai du faux dans tous ses actes : cela lui permet de saisir clairement les ruses incessantes de l'ego qui mène une lutte désespérée pour sa survie. Tout ce qui concourt à renforcer cet état de conscience transcendant est souhaitable et salutaire, et tout ce qui l'obscurcit est à écarter afin d'ouvrir la voie à l'action juste.
Evidemment, l'engagement indéfectible soutenu par un effort constant est indispensable pour le disciple, et il y consent naturellement dès lors qu'il (ou qu'elle) a compris pleinement que la perfection atteinte grâce à cet art sublime de la transformation de soi représente l'ultime, voire le seul, but de l'existence. Donc, loin de fuir la vie, le disciple sait, sans aucun doute possible, que c'est seulement en accomplissant ce travail spirituel qu'il assume la pleine responsabilité de son existence et de celle du monde. Cela n'a absolument rien à voir avec un système de croyances ou de doctrine hiérarchisée imposé de l'extérieur, même si nous nous devons de reconnaître que la démarche mystique qui sous-tend la relation Guru-disciple révèle, elle aussi, une structure et une méthode qui lui sont propres. Cette relation, de par sa nature même, transcende tous les autres types de relations tant que toutes les autres ne sont devenues précisément Cela.
Certes, on comprend que le Guru n'est autre que la manifestation extérieure du Soi le plus profond, la Divinité qui réside à l'intérieur de tous et à laquelle chacun accède par un chemin unique. Toutefois, à moins qu'il ne s'agisse de phénomènes très rares de saints nés ou d'avatar, il est extrêmement difficile, voire impossible, de demeurer sur la voie qui mène à l'illumination - ce que les Upanishads appellent le fil du rasoir - sans bénéficier de l'orientation d'un être qui peut nous éclairer le long du chemin. Quoi qu'il en soit, on ne peut commencer qu'à partir de l'endroit précis où l'on se trouve pour collaborer avec le Guru intérieur jusqu'à ce que se produise la vérité de l'adage : "Lorsque le disciple est prêt, le Maître paraît." Même si un grand Maître peut dispenser ses bénédictions sans compter, il (ou elle) ne réserve la transmission de son enseignement qu'à quelques élu(e)s qui se doivent d'être des disciples vraiment compétents pour emprunter cette voie et qui sont mis sévèrement à l'épreuve avant d'être acceptés. Telle est l'ancienne tradition de la voie du Guru telle qu'elle est pratiquée depuis millénaires en Inde et dont le journal spirituel d'Atmananda constitue un témoignage unique.
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Quand on a demandé à un maître indien bien connu pourquoi il existait tant de faux Gurus, il a répondu : "Parce que tant de gens veulent être trompés". Une fois, tandis que je voyageais en Amérique, j'ai rencontré quelqu'un qui se disait être un des principaux disciples (peut-être même le principal disciple) de Ma Anandamayi. Cela a éveillé ma curiosité puisque Ma avait relativement peu de disciples occidentaux et que je n'avais jamais entendu parler de cet individu. Il fut convenu que nous nous rencontrions. Totalement désinvolte, la personne en question m'expliqua qu'il n'avait rencontré Ma qu'une seule fois, et cela brièvement, et comme tant d'autres il avait senti quelque chose de profondément spirituel irradier d'Elle. Il considérait qu'il n'en fallait pas plus pour se qualifier de disciple principal. En tout cas, apparemment cela l'aidait beaucoup dans sa tournée des ateliers spirituels !
Ce qui me consternait en particulier c'est que c'était précisément ces platitudes simplistes nouvel-âge qu'il présentait comme l'enseignement de Ma durant ces conférences rondement payées que le public voulait entendre. Le fait que cela n'avait pratiquement rien à voir avec la dignité et la profondeur spirituelles de Ma Anandamayi - la voie de discipline et abandon spirituels qu'Elle professait - aurait été complètement perdu sur ces gens-là. C'est bien trop facile pour ceux qui jouissent de peu ou d'aucun contact ou d'entraînement avec Ma de presque La créer à leur propre image, s'extasiant devant Ses photographies inspiratrices, sans aucun sens du cheminement mystique précis, mais universel, de transformation qui constitue Son essence. Souvent ils adorent cette fabrication mentale de Ma avec une religiosité sentimentale, mais curieusement dogmatique, qui n'a rien de cette intensité passionnée qui renonce au monde, ni de la spontanéité qu'évoquait Ma tandis que, sans pitié, Elle révélait le mensonge de l'ego.
Cela ne signifie pas qu'on ne peut plus rencontrer l'irrésistible bénédiction de Ma Anandamayi. Mais, comme toujours, il faut faire l'effort nécessaire, au travers de sa discipline spirituelle (sâdhana), pour entrer en relation avec Elle. Comme Elle disait souvent, Elle n'est autre que notre Soi le plus profond.
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Les trois premiers chapitres de ce livre relatent la quête spirituelle d'Atmananda avant sa rencontre avec Ma Anandamayi en 1945. Le Journal commence par un récit de sa passion juvénile pour la Théosophie, au cours des années vingt. Quand J. Krishnamurti (que l'on avait salué comme le Messie de la Théosophie) abandonna cette organisation en 1929, Atmananda le suivit peu après en Inde où elle devint enseignante dans son école de Rajghat, à proximité de Bénarès, ainsi qu'une populaire interprète de musique classique à la radio.
Le Journal rapporte son angoisse et sa frustration devant ce qui lui semblait être les insuffisances et les contradictions de l'enseignement de Krishnamurti, ceci en dépit de tout l'amour et de toute l'estime qu'elle lui portait. Néanmoins, il l'exaspérait et l'irritait au plus au point, si bien qu'en 1942 elle prit l'audacieuse décision de rompre avec l'Inde occidentalisée et aseptisée des adeptes de Krishnamurti (sans parler de l'Inde des Britanniques) et se rendit à l'ashram du grand sage Ramana Maharshi, en Inde du Sud. Il lui fit une forte impression, et sans les restrictions imposées par la période de guerre, elle se serait fixée en Inde du Sud afin de pouvoir être auprès de lui.
Quelque temps après le retour d'Atmananda à Bénarès, le poète-sâdhu anglais Lewis Thompson vint séjourner à l'école de Rajghat et devint pour elle un ami proche et un mentor. Le Journal peint un portrait poignant de sa relation spéciale avec cet homme profondément original et poète de génie. C'est notamment grâce à lui qu'elle s'efforça d'entrer en contact avec la femme qui allait devenir son guru et le point culminant de sa quête spirituelle.
La majeure partie de ce Journal concerne l'évolution de la relation d'Atmananda avec Ma Anandamayi et le développement spirituel qui s'ensuivit chez Atmananda. C'est une évolution progressive, qui l'oblige peu à peu à se détourner du monde pour s'engager en profondeur dans la voie spirituelle. En cours de route, elle abandonne une bonne partie de son conditionnement culturel occidental, ainsi que le confort matériel et social qui le caractérise.
On trouve également dans ce Journal des instructions sur la méditation donné par Ma Anandamayi. Bien qu'exclusivement destinées à Atmananda, ces instructions ont, en essence, un caractère universel. Elles constituent normalement un secret entre guru et disciple, et la révélation qui en est faite ici est quelque chose de tout à fait exceptionnel.
La réapparition de J. Krishnamurti dans la vie d'Atmananda vers la fin des années 40 provoqua en elle un grave conflit, et ses efforts désespérés pour tenter de concilier la "voie" iconoclaste moderne de Krishnamurti avec celle apparemment plus traditionnelle et dévotionnelle de Ma Anandamayi donne au récit une certaine intensité dramatique. Ce Journal trace un portrait intime, et parfois extrêmement critique, d'un homme presque universellement reconnu comme l'un des penseurs les plus profonds et les plus influents de notre époque.
L'orthodoxie hindoue fut l'un des problèmes les plus traumatisants auxquels Atmananda se trouve confrontée et qu'elle dut s'employer à résoudre. L'univers de l'hindouisme traditionnel se situait aux antipodes du monde occidental moderne dont elle était issue ; c'était quasiment une autre dimension, totalement imprégnée d'une spiritualité vivante, à la manière dont la science et la technologie imprègnent le monde d'aujourd'hui. Pour qu'une Occidentale puisse ainsi pénétrer dans cet univers spirituel de l'Inde traditionnelle, cela exigeait une véritable métamorphose culturelle, une métamorphose quasi inimaginable. Pour l'hindou orthodoxe, le simple attouchement d'un étranger était une pollution qui troublait sérieusement l'harmonie spirituelle fondamentale de son univers. Aussi irrationnelle ou superstitieuse que puisse nous paraître une telle attitude, on peut aussi lui trouver quelque justification quand on songe aux dommages infligés aux cultures spirituelles traditionnelles par l'étreinte mortelle du matérialisme occidental.
Atmananda était à maints égards une femme occidentale moderne, indépendante, et comme elle le répète souvent dans son Journal, elle avait été habituée dès l'enfance à mettre tout en question et à ne jamais faire preuve d'une foi aveugle. C'est un principe auquel auquel elle adhère rigoureusement, parfois avec obstination, dans son exploration des choses mystiques ; elle avance prudemment, pas à pas, après maintes réflexions et maints essais aussi. Ce n'est qu'une fois totalement convaincue qu'elle se "jette à l'eau" et franchit les frontières de l'intellect. Le Journal nous montre la transformation progressive de cette Européenne essentiellement rationnelle et pragmatique en une renonçante contemplative qui choisit de vivre dans un ashram hindou orthodoxe.
La dernière partie du Journal, qui couvre les années 1953 à 1962, est essentiellement constituée par des transcriptions de conversations et de paroles de Ma Anandamayi. Atmananda se trouvait dans une situation exceptionnelle pour recueillir ces paroles du fait qu'elle servait d'interprète aux Occidentaux qui venaient à l'ashram. Elle ne parlait alors pratiquement plus de problèmes personnels, car elle semblait enfin avoir trouvé la paix dans une vie totalement consacrée à la spiritualité et guidée par son guru. Elle était alors très occupée à traduire et à éditer des livres sur la vie et les enseignements de Ma Anandamayi qu'Elle estimait être très importants. Ironiquement, elle a écrit ce Journal, de loin son oeuvre principale, avec la ferme intention que personne à part elle ne les verrait jamais.
Dans le dernier chapitre de ce livre, je raconte la vie d'Atmananda depuis le temps que commença mon association avec elle en 1972 jusqu'à sa fin édifiante en 1985. Même si j'ai vécu dans l'ashram de Ma Anandamayi comme disciple monastique avec Atmananda pendant presque 10 ans, durant lesquels nous sommes devenus bons amis, elle n'a jamais donné, pendant tout le temps que je l'ai connue, le moindre indice de la lutte spirituelle passionnée, comme des réalisations formidables, de la première partie de sa vie ici révélée.
* * *
Le manuscrit original du Journal est inclus dans dix cahiers volumes de longueur irrégulière ; il comprend plus de 2000 pages écrites à la main, composées dès le début en anglais, mais de temps en temps avec des passages en allemand ou en hindi.
Ce Journal dans sa version intégrale, n'était pas destiné à être lu par d'autres. Il renferme beaucoup d'éléments susceptibles d'être mal compris ou mal interprétés par quiconque n'a pas une expérience directe de la vie en Inde et de l'hindouisme orthodoxe. C'est pourquoi j'ai inséré ici et là de brefs commentaires toutes les fois que cela paraissait nécessaire. J'ai aussi essayé de combler les "trous" inévitables qui apparaissent dans le récit d'Atmananda avec des informations biographiques et annexes. Il faut supposer qu'elle a confié ailleurs, dans d'autres cahiers probablement perdus, d'importantes informations personnelles auxquelles il n'est fait ici que brièvement allusion. Mais à mon avis, ceci ne diminue en rien la richesse du tableau qui nous est offert et qui nous laisse, malgré tout, la possibilité d'accéder à l'univers d'Atmananda.
Il est important de se souvenir qu'Atmananda note toujours les événements plus ou moins au moment où ils se produisent : un jour, elle fait l'éloge de telle ou telle personne et le lendemain la critique. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne J. Krishnamurti.
Ce Journal ne pouvait à lui seul constituer un livre, et ce n'est pas du tout dans ce but qu'il a été composé. Les textes de présentation, les commentaires, les notes et l'épilogue se veulent partie intégrante et essentielle de l'ouvrage. En ce sens, on peut dire qu'il représente une véritable collaboration entre Atmananda et moi-même, tandis que Ma, bien sûr, en est le guide et l'inspiratrice. Ce travail fut pour moi une profonde sâdhana et un authentique darshan de Ma.
Un mot d'avertissement :
Il est important de rappeler qu'Atmananda écrit toujours les événements plus ou moins comme ils ont lieu, un jour louant quelqu'un, et à l'autre jour condamnant la même personne. Ceci est particulièrement vrai dans le cas de J. Krishnamurti, dont la relation orageuse avec lui forme un des précieux thèmes du livre. La citer hors contexte serait se tromper grandement, en ceci comme en d'autres matières - comme, par exemple, son attitude envers le brahmanisme orthodoxe - sans comprendre pleinement les conclusions plutôt positives auxquelles elle arrive en ce qui le concerne. Je voudrais demander au lecteur d'entrer dans le courant du récit d'Atmananda depuis le début, du fait que son histoire (et le développement spirituel qu'elle retrace) évolue assez lentement et que cette progression pourrait sinon devenir imperceptible, voire mal comprise. La meilleure façon de lire ce livre est de se laisser guider par cette voix exceptionnelle dans ce qui constitue un fascinant et profond voyage spirituel.
PROLOGUE
Question : Est-il juste de considérer que vous êtes Dieu ?
Ma Anandamayi : Dieu seul existe ; chaque chose et chaque être n'est qu'une forme de Dieu. Il est venu ici donner le darshan également sous votre apparence.
Q : Alors pourquoi êtes-Vous dans ce monde ?
Ma : Dans ce monde ? Je ne suis nulle part. Je suis en moi-même.
Q : Et moi, pourquoi suis-je dans ce monde ?
Ma : Son jeu prend un nombre infini de formes. Il joue ainsi pour Son propre plaisir.
Q : Mais moi, pourquoi suis-je dans ce monde ?
Ma : Je viens de vous le dire. Tout est lui. Son jeu se joue d'innombrables manières et dans d'innombrables formes. Mais pour découvrir pourquoi vous êtes dans le monde, pour découvrir votre véritable identité, il existe diverses sâdhana. Vous étudiez et vous passez votre examen ; vous gagnez de l'argent et vous pouvez l'utiliser. Mais tout ceci fait partie du royaume de la mort, dans lequel vous revenez vie après vie et refaites sans cesse la même chose. Mais il existe aussi un autre chemin : le chemin de l'immortalité, qui mène à la connaissance de votre véritable identité.
Q : Quelqu'un peut-il me venir en aide ou bien chacun doit-il trouver tout seul ?
Ma : Le professeur ne peut vous donner son enseignement que si vous avez la capacité d'apprendre. Bien sûr, il peut vous aider, mais vous devez être capable de suivre. Vous devez avoir en vous la capacité de saisir ce qu'il enseigne. C'est vous qui étudiez et c'est vous qui passez l'examen ; c'est vous qui gagnez et vous qui dépensez.
Q : Quel est le meilleur chemin ?
Ma : Tous les chemins sont bons. Cela dépend des samskara de l'individu, de son conditionnement, des tendances qu'il a ramenées de ses vies passées. On peut se rendre dans un même endroit en avion, en bateau, en train, en voiture, en vélo, etc. ; de même, différents chemins conviennent à différents types de gens. Mais le meilleur chemin pour chacun est celui que le guru lui indique.
Q : Je suis chrétien.
Ma : Je suis également chrétienne, musulmane, et tout ce que vous voulez.
Q : Comment trouver le bonheur ?
Ma : Dites-moi d'abord si vous êtes prêt à faire ce que je vous demande.
Q : Oui, je suis prêt.
Ma : Vraiment ? Très bien, supposons que je vous demande de rester ici. Serez-vous en mesure de le faire ?
Q : Non (rire).
Ma : Voyez-vous, le bonheur qui dépend d'une chose extérieure à soi - épouse, enfant, argent, célébrité, amis, etc. - ne saurait durer. Mais si vous trouvez le bonheur en Dieu, qui est omniprésent, qui est votre propre Soi, ce bonheur-là est le véritable bonheur.
Q : N'ai-je point une individualité propre ? N'y a-t-il rien en moi qui ne soit Dieu ?
Ma : Non. Même la non-existence est Dieu et Lui seul. Tout est Lui.
Q : N'y a-t-il aucune justification dans le travail professionnel ou tout autre forme de travail dans le monde ?
Ma : S'occuper des choses du monde agit comme un lent poison. Sans que vous vous en aperceviez, cela vous conduit peu à peu à la mort. Devrais-je conseiller à mes amis, à mes pères et mères d'emprunter cette route ? Cela m'est impossible. Je dis : empruntez le chemin de l'Immortalité, empruntez tout chemin qui convient à votre tempérament et qui vous conduira à la découverte de votre Soi.
Mais il est une chose que vous pouvez faire : quel que soit le travail qui occupe votre journée, essayez de l'accomplir dans un esprit de service. Servez-Le dans chaque forme, considérez chacun et chaque chose comme des manifestations de Dieu et servez-Le, Lui seul, par le travail que vous entreprenez, quel qu'il soit. Si vous vivez avec cette attitude intérieure, le chemin de la Réalité s'ouvrira tout grand à vous.
Q : Quel est votre travail ?
Ma : Je n'ai aucun travail. Pour qui pourrais-je travailler puisque seul existe l'UN.