Vijayânanda, le témoin de Mâ.


Vijayânanda est arrivé en Inde en 1951, il avait trente-six ans.

Il a rencontré Mâ Anandamayî à Bénarès, lui a demandé s'il pouvait rester quelques jours dans son ashram, et plus d'un demi-siècle après, il y est toujours. Dès après sa première rencontre avec elle, il a eu la certitude qu'il  s'agissait du maître spirituel qu'il recherchait. Pendant dix-neuf mois, il était tous  les jours auprès d’elle, sauf pendant une journée. Après, il est resté surtout à Bénarès, et ensuite pendant dix-sept ans dans les Himalayas, avec une vie très solitaire, y compris l'ermitage de Dhaulchina en vue du sommet de la Nanda Dévi (7860m) où j'écris moi-même ces lignes en ce moment. Depuis un quart de siècle, il est dans l'ashram principal de Mâ à Kankhal, où elle a son samâdhi (tombeau). Il y voit  les visiteurs tous les soirs, sinon il mène une vie de moine typique,  en particulier par sa régularité et l'intensité de sa pratique de la méditation. Il fait remarquer que  cet emploi du temps fixe peut être considéré comme du tamas, de la répétition ou du conditionnement, mais il faut savoir que le Soi lui-même, dans son aspect d'immuabilité, à cette qualité de tamas. C’est la base immobile de tout. Il ne voyage pratiquement pas, un jour je lui ai demandé s'il était comme le sage taoïste qui voient le monde de leurs fenêtres, il m'a répondu : "Je n'ai même pas besoin d'aller à la fenêtre !"

Pendant douze ans, il ne voulait pas entendre parler de l'actualité et n'a pas lu du tout le journal, mais maintenant il le regarde chaque jour, même si c'est souvent quelque peu en  diagonale. En effet, il explique que le védantin médite sur l'unité, et savoir un minimum ce qu'il se passe dans le monde est un signe d'unité avec lui.

Une des choses qui m'a plu à l'ashram de Mâ Anandamayî, c'est qu'on peut dire qu'ils ne font pas de prosélytisme. Vijayânanda, en particulier, ne fait que répondre aux questions des gens, et  ne donne pas de discours  religieux ou d'enseignement  formel. Certaines personnes sont déçues car elles auraient espéré qu'il leur "parle de ses expériences", mais il ne le fait pas. Comme il le remarque familièrement, "Il faut me tirer les vers du nez". Il a écrit un petit peu sur son contact avec Mâ dans les premières années, mais depuis ne le fait pratiquement plus. Son premier livre,  Un Français dans l'Himalaya, est constitué en grande partie des comptes-rendus de questions et réponses qui ont été recueillies au fil des années. Il vit simplement dans une chambre qui a été financé à l'ashram par un de ses amis. En vingt ans, je ne l'ai jamais vu accepter d'argent.

Quand il était en France après la guerre, il a pris des cours de Yoga à Paris, c'était le tout début. Au départ, il était tellement rigide que même rester en tailleur deux minutes lui était pénible.   Avec l'entraînement en Inde, il a réussi à tenir la posture de lotus pendant six heures d'affilée sans même changer de côté, et aussi l'équilibre sur la tête avec les jambes en lotus pendant deux    heures trois quarts. Certains textes de Yoga disent que quand on arrive à 3 heures dans cet âsana, on obtient le samâdhi... Vijayânanda ne conseille pas au fait aux pratiquants de pousser autant, mais il donne ces exemples pour illustrer le fait que quand on tient vraiment le coup, il y a un moment où la douleur qui augmentait progressivement disparaît complètement. Pour les occidentaux qui veulent avoir de bonnes bases en méditation et développer une maîtrise des émotions, il conseille le retour systématique aux sensations comment c'est expliqué par exemple clairement dans la méditation bouddhiste vipassana. Il prône aussi l'observation de la respiration. Pour le bouddhisme théravada, rien qu'avec cela, on peut arriver au nirvâna. Cette méthode a   aussi le grand avantage de pouvoir  vous  rééquilibrer à tout moment si vous n’êtes pas guidé par un enseignant. Par contre, ce dernier est important si l'on fait du prânâyâma intensif, il faut qu'il ait vraiment l'expérience de cette voie. Il dit parfois que s'il s'était installé en France, il aurait eu tendance à dire comme Krishnamurti aux gens de méditer directement et de se passer complètement des rituels. En conformité avec la tradition, et affirme que la plupart des gens ont besoin d'un lien fort avec un enseignant spirituel. Il ne s'agit pas de diviniser celui-ci, mais de comprendre que chaque être humain est à sa manière un canal de l'Absolu, y est relié comme par un fil électrique. Simplement, certains laissent mal le courant passer, d'autres sont de bons conducteurs, et les sages sont des super conducteurs. Ils peuvent donner un goût de l'expérience de la félicité spirituelle, ânanda, sans qu'il y ait de gaspillage ou de perte d'énergie.


Après un certain nombre d'années de pratique à son arrivée en Inde, il était devenu un expert en hatha-yoga. Cependant, il a abandonné sa pratique depuis longtemps et maintenant reconnaît que c'était une erreur. Il constate : "On a l'âge de son dos, et à quatre-vingt-dix ans, le mien est plutôt rouillé. Si j'avais continué la pratique des postures, je n'en serai certainement pas là." Avis utile à garder présent à l'esprit...

Dès son adolescence, il était déjà intéressé par la perspective du contrôle complet du mental. Il a commencé le Yoga à l'âge de dix-neuf ans, et après soixante-dix ans de pratique, il dit  qu'il  y  est arrivé. " Si on travaille dans sa propre cuisine, on trouve tout de suite ce dont on a besoin, mais si on est dans celle de quelqu'un d'autre qu'on découvre pour la première fois, on peut chercher pendant dix minutes un seul objet. De la même façon, maîtriser son mental revient à trouver immédiatement en soi l'énergie dont on a besoin pour le rééquilibrer et l'orienter dans la bonne direction. » Cependant, ce contrôle du mental n'est pas un but en soi, mais une ouverture vers la Libération.

Récemment, à l'occasion de l'anniversaire de Mâ célébré en mai, j'ai reçu un nouveau nom de Vijayânanda que je connais depuis vingt ans. C'est Vijnânânanda, en prononce en hindi Vigyânânanda, cela signifie "Félicité de la connaissance complète". Dans la tradition, la seconde moitié du nom de renonçant est  toujours  ânanda, la félicité, car c’est la cause et la conséquence du renoncement, et la première moitié doit être un nom du Soi mentionné dans les Upanishads et dont la première syllabe est la même que celle du nom de départ, Vi donc pour moi-même. Cela   ne veut pas dire que je vais automatiquement m'habiller en orange, mais c'est certainement un pas en avant dans l'approfondissement de la tradition du Yoga et de la voie spirituelle de l'Inde.


Ermitage de Dhaulchina

Juillet 2005 Vigyânânanda


Pour aller plus loin :

  • Vijayânanda Un Français dans l'Himalaya éditions Terre du Ciel, 1997
  • Un chemin de joie, ouvrage qui regroupe d'autres conversations avec Vijayânanda et certains de ses écrits sur l'Inde qui y avait été publié en anglais. Il n'a pas voulu qu'il soit publié, mais a accepté qu'on le mette récemment sur le site de Mâ Anandamayî : www.anandamayî.org