Extrait
chapitre
numéro
1

Le darshan de Mâ

En compagnie de Mâ Anandamayi, trad. de l'anglais par Jacques Vigne
Lyon : Terre du ciel, 1996

Chapitre I

LE DARSHAN DE MÂ

Le but de cet ouvrage n'est pas d'écrire une biographie de Mâ ou d'attirer les gens en faisant connaître son pouvoir (Shakti): ce dernier ne peut être rendu par les mots. Il n'y a dans ce livre que la description de certains événements montrant comment Mâ a transmis une énergie vitale (prâna) à mon esprit déprimé. Cet écrit a été inspiré directement par ce que j'ai vu et expérimenté; si, à ce propos, le langage ou les descriptions de ce livre ont des défauts et manquent de clarté, j'en demande sincèrement pardon à Mâ.

J'ai perdu ma mère dans ma petite enfance. On m'a dit qu'à cet âge, par le simple fait d'entendre un autre enfant appeler " maman ", mes yeux se remplissaient de larmes et je m'allongeais à plat ventre sur le sol pour calmer mon chagrin. Feu mon père était un personnage digne des rishi de l'ancien temps. Grâce à sa solide piété, j'ai reçu dès l'enfance la bonne semence en mon cœur et j'ai pris l'habitude d'entretenir des émotions purifiées. En 1908, je reçus l'initiation de notre guru de famille; il me donna le montra de la Mère divine (Shakti). Je me mis donc à invoquer " Mâ, Mâ " et à expérimenter une certaine paix de l'esprit, mais je ne pouvais vivre cette vérité selon laquelle Mâ est tout pour chaque être vivant. J'étais constamment travaillé par le désir d'avoir le darshan d'une représentation vivante de la Mère et d'avoir ma peine soulagée par son regard profond

J'allai parler avec des sâdhu et des hommes de Dieu, j'allai même rencontrer des astrologues pour leur demander: " Aurai-je la chance de la rencontrer ? " Aucun d'entre eux ne m'a découragé dans ma quête Avec cet objectif présent à l'esprit, j'ai fait Ie tour de bien des centres de pèlerinage, j'ai eu l'occasion de rencontrer bien des personnalités religieuses mais aucune d'entre elles ne m'a attiré. En 1918 je vins en poste a Dacca. A la fin de 1925, j'entendis dire qu'une Mâtajî habitait pres de la ville dans le jardin de Shahbag. Depuis longtemps, elle était silencieuse mais cependant de temps à autre, assise en posture de yoga elle engageait la conversation après avoir récité certains mantras et tracé un cercle autour d'elle.

Un beau matin, j'allai à Shahbag; je priai non sans quelque anxiété en mon for intérieur et demandai à pouvoir la rencontrer. Je pus avoir son darshan grâce à l'amabilité de son époux, Baba Bholonath. Je fus rempli d'étonnement en voyant en elle une alliance harrnonieuse de paix yogique et de cette manière d'être qui sied à une jeune mariée. J'ai aussi réalisé que je me trouvais en face de celle que j'attendais depuis si longtemps, de celle que j'avais cherchée par monts et par vaux. La joie (ânanda) m'inonda Ie coeur et l'esprit (manas et prâna), je tressaillis et eus envie de tomber à ses pieds et de lui dire: " Mâ, pourquoi êtes-vous restée si loin aussi longtemps? "

Un peu plus tard je demandai à Mâ: " Y a-t-il pour moi un espoir de progrès vers l'Absolu ? " Mâ répondit: " Il n'y a pas encore de faim. " J'étais venu avec l'esprit rempli de questions et de désir de réponses, mais je restais silencieux par je ne sais quelle expérience de grâce extraordinaire; j'étais comme quelqu`un envoûté par un mantra. Je vis que Mâtâji était également silencieuse. Peu après, je fis pranâm avec une confiance qui montait du fond du coeur et je pris congé. Bien que j'aie ressenti l'envie de lui toucher les pieds, je ne pus le faire. Ce n'était pas une question de peur ou d'appréhension; j'étais simplement entraîné loin de Mâ par une vague d'émotions non manifestées. Je ne retournai plus à Shabhag. Je pensais ne pourvoir lui rouvrir mon coeur tant qu'elle n'aurait pas retiré son voile de devant le visage comme le font les mères. J'oscillais entre d'un côté cet orgueil et de l'autre, le désir intense d'avoir son darshan. Pendant cette période, j'allai à deux reprises sur le terrain de la communauté (akhara) sikh voisine de Shahbag afin d'avoir le darshan de Mâ, incognito, dissimulé par le mur mitoyen. En voyant mon esprit prendre une direction si extraordinaire, je me demandais ce qui allait se passer, mais je ne pouvais distinguer le bon du mauvais dans ce qui m'arrivait. Je continuais constamment à prendre des nouvelles de Mâ et à être informé indirectement des différentes anecdotes (lîlâ) qui la concernait. Sept mois s'écoulèrent ainsi au sein des soucis de la vie de tous les jours.

L'occasion arriva enfin de recevoir Mâ chez moi. C'était une grande joie (ânanda) de la revoir après si longtemps, mais cela ne pouvait pas durer: au moment du départ, je m'inclinai pour toucher ses pieds, mais elle les retira. J'en fus vivement peiné. Je tentai alors d'atteindre plus de stabilité mentale en me plongeant dans l'étude des Ecritures. J'eus soudain l'idée de rédiger et de publier un livre sur la religion et les pratiques spirituelles. Rapidement, un ouvrage intitulé Sâdhanâ fut prêt et j'en fis parvenir un exemplaire à Mâ par l'intermédiaire de Bhupendra Narayan Das Gupta. Mâ lui déclara: " Il faut dire à l'auteur du livre de venir ici. " Heureux d'avoir reçu un appel de Mâ, j'arrivai un matin à Shahbag pour apprendre que ses trois ans de silence étaient achevés. Mâ s'assit très près de moi. Après avoir écouté la lecture de mon livre de bout en bout, elle dit: " Bien qu'après ce silence il me soit difficile de parler, aujourd'hui les mots sortent d'eux-mêmes. Le livre est beau. Il faut faire un effort pour accroître la pureté des émotions. "

Ce jour-là, après avoir bénéficié de la pure présence de Mâ, 'ai découvert le monde tant extérieur qu'intérieur avec des yeux neufs. Baba Bholanâth était là aussi, et en face d'eux il me semblait être assis comme un enfant en face de ses parents. Débordant d'énergie et de bonheur (ânanda), je pris congé et retournai à la maison. A partir de ce moment-là, je me mis à aller souvent à Shabbag. Je dis un jour à mon épouse de m'accompagner pour le darshan en apportant quelque cadeau. A cette époque, Mâ portait un ornement sur le côté du nez. Peut-être une semaine plus tard, ma femme eut la bonne fortune de venir s' incliner aux pieds de Mâ en lui offrant un petit diamant pour orner le nez, un plat en argent, du lait fermenté (dahi), des fleurs, etc.

J'ai appris par la suite que Mâ, quelques mois auparavant, s'était mise à manger à même le sol. Dégoûté, Pitaji lui avait dit: 'Tu ne prends pas tes repas dans des plats en métal ordinaire, les prendras-tu dans des plats en argent? " Mâ se mit à rire et à rire encore: " Eh bien justement, dit-elle, je vais manger dans un plat d'argent; mais n'en dit rien à personne d'ici trois mois et ne cherche pas à te procurer un plat d'argent par toi-même. " Cela s'est réalisé: au bout de trois mois, il y avait un plat d'argent auprès de Mâ, comme à la cour d'une reine.

Un jour, Mâ me dit: " Garde toujours présent à l'esprit que tu es un réel brahmine et qu'il y a un lien entre ce corps et toi: il est comme le fil extrêmement subtil d'un sentiment divin. " A partir de ce moment-là, je me mis à faire tout mon possible pour avoir une vie pure.

J'ai entendu dire que nombre de gens avaient eu la chance d'avoir la vision de la forme éthérique de Mâ soit directement, soit en rêve. J'avais déjà expérimenté en moi grâce à sa forme ordinaire la croissance sans précédent d'une noble énergie et ne me souciais donc guère d'avoir des visions extraordinaires de Mâ. J'estimais que ce serait déjà beaucoup si je pouvais me conformer à l'idéal pratique de patience et de paix qu'elle représentait. Cependant, à cause de la force de l'inertie, je restais instable et continuais à me disperser.

Un jour que nous étions seuls ensemble j'eus la curiosité de lui demander:"Mâ, faites-moi savoir ce que vous êtes en réalité. " Mâ se mit à rire aux éclats: " Comment cette question puérile a pu se poser ? Les êtres vivants ont la vision ( darshan) de telle ou telle divinité selon leurs conditionnements passés (prârabdha karma) Ce que j'étais auparavant, je le suis aujourd'hui et je le serai par la suite. Je suis juste ce que vous dites et ce que vous pensez à cet instant. Il faut savoir, il est vrai, que ce corps n'est pas né pour consommer le karma d'une vie antérieure (prârabdha karma). Il vous suffit de comprendre que ce corps est l'incarnation de votre état de demande intérieure; vous l'avez désiré et appelé, c'est pourquoi vous l'avez obtenu. C'est le moment du jeu (lîlâ) avec cette forme; que gagneriez-vous à en savoir plus ? " Je lui dis: " Votre réponse ne me satisfait pas. " Elle répondit: " Que veux-tu connaître de plus ? Dis-le, dis-le ! " A son regard et à l'expression de son visage, il était clair qu'elle était alors identifiée à la déesse. Saisi de crainte et d'émerveillement tout à la fois, je gardai le silence.

Deux semaines plus tard, je vins de bon matin à Shahbag et, arrivé devant la porte de Mâ, je la trouvai close. Je m'étais à peine assis en face, à une dizaine de mètres de distance, que la porte s'ouvrit soudain. Je vis la forme d'une déesse qui illuminait la chambre; elle était brillante comme le soleil à l'aurore. En un clin d'oeil, Mâ fit rentrer son éclat divin dans son corps et reprit son aspect normal.

En une seconde s'effaça ce qui avait ressemblé à un effet de magie. J'avais l'impression d'avoir été au pays des merveilles. Je réalisai alors que Mâ, en guise de réponse à la question que j'avais posée auparavant, s'était révélée et me disait: " Regarde qui je suis ! " Je récitai une hymne et me mis à prier ainsi: " En cet instant de grâce, puissé-je être enrichi de la faveur et de la bénédiction de la Mère, comme un enfant. " Peu après, Mâ s'avança vers moi, prit dans la prairie une fleur et quelques brins d'herbe (durba; une herbe utilisée pour les rituels et pour fabriquer les petits tapis de méditation) et me les disposa sur la tête au moment de nous quitter. Je débordais de joie. Les jours qui passent jamais ne reviennent, et pourtant combien j'ai pu souhaiter retourner à cette expérience !

Depuis cette époque s'est concrétisée dans mon esprit l'idée selon laquelle Mâ n'est pas seulement ma mère, mais la Mère de l'univers. Je revins chez moi. Aussitôt après avoir atteint une concentration soutenue, je fus bouleversé de voir à nouveau cette même image lumineuse de Mâ. Depuis lors, un tel changement s'opéra en moi et d'une manière si naturelle que la forme humaine de Mâ s'installa en mon coeur sans effort; elle prit la place de la divinité d'élection que j'avais constamment vénérée depuis dix-huit ans Je me demandais parfois au momcnt de ma méditation quotidienne " Que fais-tu ? " Cela était dû à la force du conditionnemerit antérieur et à la soudaineté du changement; mais il a suffi de quelques jours pour que Mâ s'installe fermernent au centre de mes pensées comme la statue au centre du temple

Shrî Mâ Ananda Mâyî (son nom était à l`origne Nirmalâ Sundari Devi) est née dans le village de Khéora (district de Tripura, Bangladesh) le 30 avril 1896 dans les premières heures du vendredi, exactement une heure et douze minutes avant le lever du soleil. On a acquis récemment l'endroit où elle est née (quand elle a été à Khéora le 17 mai 1917, elle indiqua, à la demande pressante de ses fidèles, I'endroit exact où son corps avait touché la terre pour la première fois (Mâ se souvenait clairement des circonstances de sa naissance). Son père, Bipin Bihari Bhattâcharya, était de la famille bien connue des brahmanes Kashyapa du village de Vidyakut, dans le même district. Il avait passé son enfance chez son oncle maternel. Le père de Mâ ainsi que sa mère. Mokshada Sundari Devi avaient une nature douce et remplie d'amour. Leur dévotion à Dieu, leur simplicité et leur type de vie sociale était presque idéal. La famille maternelle de Mâ, à Sultanpur près de Tipperah, jouissait d'un statut social élevé depuis des générations Elle comptait nombre de pandits érudits et de personnes suivant la voie spirituelle. Une des ancêtres de Mâ avait une réputation de sainte d'un dévouement exemplaire. On maria Shrî Mâ dès l'âge de douze ans et dix mois (comme le voulait la coutume de l'époque) à Ramani Mohan Chakravarti, originaire du village d`Atpara près de Vikrampur. Il appartenait à une famille de notables du groupe des brahmines Bharadvaj; sa vie était consacrée au bien des autres. Par la suite, on I'appella Bholonâth, Rama Pagla ('Ram fou', avec une nuance de folie divine) ou Pitâjî.

La jeunesse de Mâ s'est déroulée, discrète, dans les villages de Khéora et de Sultanpur. Après son mariage, elle passa quelque temps à Sripur et Narandi, où travaillait le frère aîné de Bholanâth; elle vécut aussi quelques mois dans sa belle-famille, à Atpara. Avant de venir à Dacca, elle demeura environ trois ans à Vidyakut et à peu près six ans (1918-1924) à Bajitpur avec Bholanâth.

C'est à Astagram que se manifesta clairement pour la première fois le goût de Mâtâjî pour la musique religieuse. A Bajitpur, ce penchant apparaissait de temps à autre, mais la tonalité dominante de son esprit pendant cette période était l'expression spontanée de mantra et de pratiques yogiques. Quand elle vint à Dacca en 1924, cet état de quiétude et de silence se poursuivit. La caractéristique fondamentale de sa vie devint alors la tranquillité et une paix intense. On ne peut rendre par les mots la profondeur de cet état. A cette époque se sont manifestées tant et tant d'extases (divya bhâv) et de paroles spirituelles !

Les fidèles commencèrent à se presser autour d'elle. Beaucoup parmi eux participaient à des cultes, des chants dévotionnels (kîrtan) et des sacrifices au feu (yajna). On peut difficilement décrire la félicité tranquille dans laquelle ils étaient immergés en sa présence. Tout le monde l'appelait " la Mère du jardin de Shahbag " et ils exprimaient leur joie profonde en disant qu'ils n'avaient jamais auparavant reçu une telle abondance de grâce.

Quand elle était à Bajitpur, l'image du temple de Kâlî Siddhesvari apparut dans l'esprit de Mâ et quand elle arriva à Dacca, elle fit restaurer cet endroit. A cette époque, feu Pran Gopal Mukherji était directeur général des postes à Dacca. Avec Baul Chandra Basak, ils aidèrent Mâ à protéger le site du temple de Siddhesvari.

Quand je rencontrai Mâ pour la première fois, elle me fit une suggestion en disant: " Votre soif de spirituel n'est pas assez vive. " Mais pour quelqu'un qui était ballotté par la tourmente des désirs mondains, une telle aspiration à une vie supérieure n'était pas possible, à moins d'apprendre à diriger toutes les vagues sans contrôle des émotions et des impulsions vers les pieds de Shrî Mâ. Je priais constamment ainsi dans le secret de mon coeur: "O Mère, tu te manifestes sous forme de faim en chaque être; éveille en moi cette faim. " Je vais décrire brièvement ci-dessous comment Mâtâjî a transformé mon aspiration incertaine en un vif attrait pour son pouvoir immense, et ce par un jeu subtil et secret, et par une grâce que je ne méritais pas.

1. Une nuit, je prenais l'air sur le balcon: les objets autour de moi étaient baignés par le clair de lune. Je perçus un mouvement sur le côté et je me retournai. A ma grande stupéfaction, je vis une représentation vivante de Shrî Mâ qui se déplaçait avec moi. Elle portait une chemise rouge et un sârî bordé d'une série de fines lignes rouges. Pourtant, je me souvenais que lorsque j'avais quitté l'ashram seulement deux heures auparavant, elle portait une chemise blanche et un sârî bordé d'une seule large bande rouge. Ceci me fit douter de l'exactitude de la vision. Néanmoins, quand j'allai la voir le Iendemain matin, je la trouvai habillée exactement comme dans ma vision de la nuit. On me dit qu'un fidèle était venu à l'ashram juste après que j'en sois parti et lui avait demandé de porter ces vêtements. Quand on parla à Mâtâjî de ma vision, elle me dit de la façon la plus naturelle du monde: " Je suis venu voir ce que tu faisais. "

2. Un jour, Shrî Mâ était venue chez, moi, et nous avions une conversation au premier étage; juste à ce moment-là, une voiture arriva pour l'emmener ailleurs. Je ne savais pas que cela avait été prévu auparavant. Mâtâji se prépara à partir, mais je sentis très durement le fait de la voir s'en aller après si peu de temps. Rempli de chagrin, je descendis pour la raccompagner. Elle monta dans la voiture, mais celle-ci refusa de démarrer. Elle me regardait, le visage animé par un rire plein de douceur. Quand toutes les tentatives du chauffeur eurent échoué, on alla chercher un attelage. Il était dommage de voir que Shrî Mâ devait utiliser une carriole de location alors qu'une voiture était là pour elle. Juste à ce moment-là, I'auto se mit à marcher, à ma grande surprise ainsi qu'à ma grande joie, et Mâ s'en alla.

3. La pression des foules à Shahbag augmentait de jour en jour, à mesure que les gens entendaient parler de Mâtâjî. Une fois, je ne pus la rencontrer pendant quatre jours. Le matin du cinquième jour, j'avais décidé d'aller chez elle, mais je changeai d'avis. J'étais assis dans ma chambre, désespéré. J'eus la surprise de voir une image complète de Mâ apparaître sur le mur d'en face, comme une image de film. Elle paraissait bien triste. En me retournant, je m'aperçus que Amulyaratan Chowdhury était là. Il dit: " Mâtâjî a envoyé un attelage pour vous emmener chez elle. " Quand j'arrivai à Shahbag, Mâ me dit: " J'ai remarqué ton agitation intérieure depuis quelques jours. La paix et la tranquillité ne peuvent survenir s'il n'y a pas au début quelque agitation dans l'esprit. On doit allumer le feu par n'importe quel moyen, que ce soit avec du beurre clarifié (ghî), du bois de santal ou même de la paille. Une fois allumé, le feu continue à brûler; tous les soucis, toute l'humeur sombre disparaissent peu à peu. Le feu réduira en cendre tous les obstacles. Songe qu'une seule étincelle peut déclencher l'incendie qui réduira en cendre des maisons qu'on a construites avec tant d'efforts ! "

4. A midi, au bureau, ou à minuit, dans ma chambre, quand j'étais agité par un fort désir de voir Shrî Mâ, je constatais souvent qu'elle m'apparaissait et me disait immédiatement: " Tu m'as appelée et je suis venue. "

5. Un après-midi, en rentrant du bureau, on me dit qu'un inconnu avait laissé un grand poisson chez moi, disant qu'il reviendrait sous peu; mais personne ne se présenta. Le poisson était là, sur le sol. A la tombée du jour, on décida de le découper et de l'envoyer chez Mâ, à Shahbag. Le matin suivant, quand je me rendis là-bas, Pitâjî me dit: " Ta mère m'a dit hier soir: "Regarde donc, Jyotish est mon sauveur !" " On m'expliqua que le matin quelques personnes reçurent le prasâd de Mâ, mais que le soir, quand un grand nombre de gens vinrent au kîrtan ils réclamèrent tous du prâsad, il n'y avait plus rien d'avance. Juste au moment où Mâtâjî préparait les épices et les condiments pour cuire quelque chose, Khagen, mon serviteur, vint avec le poisson et ce qu'il fallait pour l'accommoder. D'où la réflexion de Mâ. Pitâjî ajouta: " J'étais stupéfait d`apprendre la manière dont un inconnu avait déposé ce poisson chez toi et comment aussi tu l'avais envoyé ici avec tout ce qui était nécessaire pour le préparer, afin de satisfaire la demande intense pour du prasâd de Mâ. "

De tels incidents étaient nombreux. Un jour, à Shabbag, quelqu'un demandait du prasâd à Mâ, mais elle n'avait rien à donner à ce moment-là. En même temps, je ressentis chez moi le désir d'envoyer quelques fruits ou friandises au lait. Quand mon serviteur arriva là-bas avec ce cadeau, Mâ semblait l'attendre.

6. Une nuit, à environ trois heures du matin, j'étais assis sur mon lit complètement réveillé. Il me passa rapidement par l`esprit le fait que Mâ dormait avec la tête dans une direction opposée à celle qui était la sienne d'habitude. Le matin, quand je vins la voir, je la trouvai dans cette position même. Quand je demandai, on m'expliqua que Mâ était sortie vers trois heures du matin, et qu'en revenant elle avait changé sa position de sommeil.

Il arrivait souvent que, de ma chambre ou de mon bureau de travail je puisse voir distinctement ce que Mâ était en train de faire chez elle. Cela se produisait sans aucun effort de ma part: de telles images me traversaient parfois l'esprit, et ce sans même que je le veuille. Bhupen allait à Shahbag tous Ies jours et par lui je pouvais vérifier l'exactitude de ce que je voyais. Il y avait pratiquemerit toujours concordance. Mâtâjî me disait souvent:"Ta véritable maison est ici; tu retournes chez toi juste pour faire une petite promenade."

7. Un jour que je travaillais au bureau, Bhupen vint et me dit: << Mâtâjî te demande à Shabhag. Je l'ai informée que le directeur de l`Agriculture reprenait ses fonctions aujourd`hui après un congé; mais Mâ a répondu: "Tu dois transmettre le message à Jyotish. Qu'il fasse ce qui lui semble juste." "

Sans un instant d'hésitation, je laissai tous mes papiers en désordre sur le bureau, et je me mis en route pour Shahbag sans informer personne. Quand j'arrivai là-bas, Shri Mâ dit: " Allons à l'âshram de Siddhesvari. " J'accompagnai Mâtâjî et Pitâjî. Il y avait une sorte d'excavation à l'endroit où se trouve actuellement un petit pilier et un Shiva-lingam. Mâ s'y assit. Un sourire illuminait son visage, qui semblait l'incarnation même de la joie (ânanda). Je m'exclamai, en m'adressant à Pitâjî: " A partir d'aujourd'hui, nous allons appeler Mâ du nom d'Ânandamoyî (constituée, pénétrée de joie) " Il acquiesça de suite. Elle me regarda longuement sans ajouter un mot.

Au moment de revenir, à cinq heures et demie, elle me demanda: " Tu étais si joyeux tout du long, comment se fait-il que maintenant tu sois si pâle ? " Je lui dis que la perspective de revenir à la maison m'avait fait aussi penser au travail que j'avais laissé en plan au bureau. Elle dit: " Ne te fais pas de soucis à ce sujet. " Le lendemain, quand je me rendis au bureau, le Directeur ne fit pas de remarque sur mon absence de la veille.

Je demandai à Mâtâjî pourquoi elle m'avait appelé de façon si inattendue, la veille. Elle me répondit: " Pour évaluer tes progrès pendant ces derniers mois. " Elle ajouta en riant et avec bonne humeur: " Si tu n'étais pas venu, qui d'autre aurait donné un nom à ce corps ? "

. Une autre fois, le gouverneur du Bengale vint à Dacca. Le Directeur me demanda d'être présent au bureau à neuf heures et demie, afin qu'il puisse rendre visite au gouverneur. Je lui promis que je viendrais. Le lendemain, j'étais en retard au retour de Shahbag et, quand j'arrivai au bureau à neuf heures cinquante, j'avais quelque appréhension à la perspective de ma rencontre avec mon patron. Pendant que je pensais à cela, il me téléphona de son bungalow pour me dire que sa voiture était en panne, qu'il était désolé de m'avoir ennuyé pour rien, et qu'il irait chez le gouverneur seulement à onze heures Quand Shrî Mâ entendit cette histoire, elle dit en riant: " Pour toi, il n'y a rien de vraiment nouveau ! La dernière fois, tu as tait tomber en panne l'auto avec laquelle je devais m'en aller !"

9. Un jour, Mâ vint chez nous. Je dis, en passant, durant notre conversation: " Mâ, il me semble que pour vous le chaud et le froid sont équivalents. Si un morceau de braise vous tombait sur le pied, ne ressentiriez-vous pas la souffrance? " Elle répliqua: " Tu n'as qu'à essayer. " Je n'insistai pas.

Quelques jours plus tard, Shrî Mâ reprit le fil de notre conversation et se mit un morceau de braise sur le pied, ce qui provoqua une brûlure profonde. Au bout d'un mois, il n'y avait toujours pas eu de cicatrisation. J'étais perturbé et honteux de lui avoir fait une suggestion aussi stupide. Un jour, je la trouvai assise dans la véranda, les jambes allongées. Il y avait du pus sur la plaie Je m'inclinai à ses pieds et léchai le pus. Dès le lendemain, la brulûre commença à cicatriser.

Je demandai à Mâtâjî ce qu'elle avait ressenti quand la braise lui brûlait le pied. Elle répondit: " Je n'étais consciente d'aucune douleur. Cela ne me semblait qu'une bonne plaisanterie; c'est avec une grande joie que j'ai observé ce que cette pauvre braise faisait sur mon pied; je remarquai que d'abord quelques poils et ensuite la peau commençaient à brûler. Cela s'est mis à sentir le brûlé et la braise s'est éteinte, une fois sa mission accomplie. Quand par la suite une plaie s'est formée, elle a suivi son cours naturel, mais aussitôt que s'éveilla en toi un fort désir que cette blessure guérisse, elle s'est mise à aller mieux. "

10. Nous étions fin décembre ou mi-janvier, au cours de l'hiver, et le froid était rigoureux. A l'aube, je marchais pieds nus, avec Shrî Mâ, sur les champs de Ramna couverts d'herbe trempée par la rosée. Je vis de loin un groupe de dames qui venaient vers nous. Je pensais qu'aussitôt arrivées' elles emmèneraient Mâ à l'ashram. Pendant que j'étais occupé par ce genre d'idée, un brouillard très épais recouvrit le champ entier et on ne pouvait plus voir les dames. Après environ trois heures, quand nous sommes revenus à l'âshram, nous avons appris que les dames avaient abandonné leur recherche et étaient reparties déçues. De fait, les champs étaient très grands. Quand Shrî Mâ apprit ce que j'avais pensé, elle dit: " Ton désir intense a été accompli. "

11. Un jour, Mâ avait eu un fort refroidissement; elle était secouée par la toux. La trouvant vraiment mal, je la priai, d'une voix tremblante d'émotion: " Mâ, puissiez-vous guérir au plus vite ! " Elle me regarda longuement et me dit en souriant: " A partir de demain, j'irai bien " Et il en fut ainsi.

12. Un matin, je trouvai Mâtâjî avec la fièvre. Je revins chez moi et, durant la nuit, je priai avec ferveur que sa fièvre puisse passer dans mon corps. Vers le matin, la fièvre monta, accompagnée de maux de tête. Quand j'allai, comme d'habitude le matin, chez Mâ, elle me dit immédiatement: " Je vais bien, mais tu as la fièvre. Retourne chez toi, prends un bain et mange normalement. " Ce que je fis; l'après-midi, j'étais rétabli. Shrî Mâ dit toujours: " Par la force d'une pensée pure et concentrée, tout est possible. "

13. J'eus entre les mains un livre du nom de Sâdhu Jîvani (La vie des moines errants). J'y avais lu cette phrase: " Un sâdhu conseillait à ses fidèles de toujours donner de la nourriture aux pauvres. " J'écrivis en note dans la marge: " Ne donner que de la nourriture ne satisfait pas l'âme humaine. " Ce livre se retrouva à Shahbag, et l'un des fidèles lut ma remarque à Mâ. Elle ne dit rien. Quelques jours plus tard, je revins à Shahbag très tôt le matin. Juste à ce moment-là, un homme arriva, comme pris d'un accès de folie; il dit: " Donnez-moi à manger, ou je meurs de faim. " Mâtâjî alla fouiller les réserves de la cuisine et lui donna ce qu'elle put trouver à ce moment-là. Il voulait aussi de l'eau à boire et Mâ me demanda de lui en apporter. J'appris alors que l'homme était un musulman, qu'il était à jeûn depuis trois jours et qu'il s'était introduit dans l'âshram en escaladant l'enceinte. Mâtâjî dit qu'il était venu là pour m'enseigner l`efficacité de donner le boire et le manger à celui qui en a besoin. Chaque chose à sa place et en son temps. Rien n'est perdu dans la divine économie du monde.

14. Un jour, je dis à Shrî Mâ: " Mâ, tous ces jours-ci, des sons de mantras me viennent en flots continus. Pendant la journée aussi bien qu'au cœur de la nuit, les sons jaillissent de mon cœur comme les jets d'une fontaine. " Quand je prononçai ces mots, j'avais une trace de satisfaction personnelle qui était perceptible au fond du coeur. Mâ me regarda silencieusement. Quand je revins à la maison, le son cessa et, malgré tous mes efforts je ne pouvais le faire revivre. La journée s'écoula, puis la nuit, mais je ne pouvais rétablir le courant joyeux de la mélodie des mantras. Le matin suivant, je demandai à Bhupen d'informer Mâ de mon triste état. Bhupen la rencontra en chemin alors qu'elle allait chez un de ses fidèles (bhakta) en voiture à cheval. Elle se mit à rire. Il était dix heures du matin. Juste à ce rrornent-là, je réalisai que le courant qui avait été stoppé se remettait à couler aussi facilement qu'avant. Bhupen m`indiqua par la suite à quelle heure il avait rencontré Shrî Mâ. A ce propos, elle faisait remarquer que même la moindre trace de sens du 'je' retarde le progrès spirituel.

15. Je donne ci-dessous un autre exemple de l`efficacité et de la rapidité avec laquelle la compassion de Shrî Mâ influe et aide notre vie intérieure. Il est dommage que nous ne réussissions pas à en reconnaître la valeur et que nous ne l'utilisions pas pour notre progrès spirituel. Après une première vague d'enthousiasme nous retombons dans notre état habituel. Un jour, Shrî Mâ dit en riant: " Quand vous chantez. les noms divins ou les mantra, votre esprit est progressivement purifié; I`amour et la vénération pour l'Etre suprême est éveillé et vos pensées deviennent pures et subtiles. Alors vous vous mettez à avoir des aperçus de plans supérieurs d'existence et à travailler pour votre progrès spirituel. "

Le jour où j'ai entendu ces mots, je me suis assis dans un coin de ma chambre pour les prières du soir et je fus surpris d'éprouver une joie nouvelle à la récitation des noms divins. Ils continuaient sans arrêt; le sommeil survint et, aussitôt que je me suis réveillé, de nouveau ces joyeuses vibrations firent tressaillir tout mon être. Le lendemain, le même épisode joyeux se poursuivit en toile de tond, malgré la pression du travail au bureau. Au crépuscule, quand je me préparai à prier, la félicité du soir précédent me remplit le cœur, si bien que je n'avais aucune envie de dormir; au milieu de la nuit, le flux était si intense que je me mis à penser que j'aurais quelque soulagement s'il pouvait s'arrêter pour un moment; mais il continua de lui-même, comme en suivant son élan propre.

Je n'ai jamais pratiqué la position assise de méditation qu'on appelle 'gomukhâsana'. Aux premières heures du jour, je me suis surpris dans cette posture. Mon esprit était alors immergé dans une mer de joie ineffable. Des flots de larmes coulaient de mes yeux sans s'arrêter. Pendant une séance de méditation, je passais tout le temps sans le moindre mouvement, et complètement absorbé.

16. Un certain matin, je commençais à m'abandonner véritablement au Suprême et j'étais assis en silence. Mon coeur était plein d'émotion profonde pour la grâce divine de Mâ. Un chant en bengali prit alors forme, dont la traduction est donnée ci-dessous:

Que ton culte, que les pratiques qui mènent à Toisoient mon point d'ancrage dans l'existence.

Que Ta louange chantée en état d'extasesoit la lumière éclatante qui rayonne de mon coeur.

A Ta recherche, je scruterai le cielavec des yeux qui ne cillent pas.

Je ne demanderai rien, je ne dirai rien;je tomberai à tes pieds tout en larmes.

J'irai, je viendrai dans Ton infinité;Je chanterai seulement tes louanges.

Dans Ton bonheur je demeurerai, à jamais heureux.Ton nom que je récite est comme une vague.

Tout mon travail dans le monde et sur la voie spirituelleNe sont que des façons de T'adorer.

Oh Mère! Donne-moi la confiance, et une dévotion pure.Je prends refuge humblement en Ta beauté.

Je donnai à ce chant le nom de "Chant de l'intoxiqué" (Paglar gân) et j'en envoyai un exemplaire imprimé à Shrî Mâ. J'ai entendu dire par la suite que quand on le lui a donné elle était en train d'éplucher une dourge avec un couteau arrondi dans la cuisine. Pendant qu'on lui lisait le chant, la courge lui tomba des mains et elle resta quelques temps complètement immobile.

Ensuite, quand je la rencontrai, elle dit :"Le monde est l'incarnation du sentiment de l'amour divin (bhâva). Toute la création en est l'expression matérielle. Si, par ce type de sentiment, vous vous éveiilez et vous progressez, vous vous apercevrez que tout l'univers n'est que le jeu de l'Un. En l'absence de ce sentiment (bhav ké abhav mén), on ne peut connaître l'essence de la réalité."

Quelques jours plus tard, nous étions tous à l'ashram de Siddhesvari, quand Shrî Mâ dit :"Chante ce que tu as composé, le 'Chant de l'Intoxiqué'." J'avais abandonné depuis longtemps la pratique du chant; en plus, il y avait beaucoup de monde; et j'hésitai. Matâjî se mit à rire et dit :"L'intoxiqué semble ne l'être que dans le texte; tu l'es moins quand il s'agit d'être critiqué par les gens." Ces mots me pénétrèrent profondément; et avec une voix et un coeur tremblant je me mis à chanter.

J'ai composé de nombreux chants de ce genre que j'ai offerts respectueusement à Mâ. Elle exprimait une joie intense à l'écoute de certains, et elle approuvait les autres en silence. A de nombreuses reprises, lorsque Shrî Mâ était loin de Dacca, des chants me jaillissaient du coeur pendant mes prières du soir ou durant de longues méditations au milieu de la nuit. Je pensais voir la silhouette de Mâtâjî, debout devant moi, en train d'écouter, immobile, mon chant extatique. Quand elle revenait à Dacca après avoir visité différents endroits, elle me demandait de répéter certains chants que j'avais pu composer dans ma chambre. C'était réellement étrange qu'elle puisse donner même le titre de ces chants, qu'elle n'avait pas eu la possibilité de connaître auparavant.

Mon désir intense d'être auprès d'elle me transportait vers l'éternité. Les chants que j'ai composés pendant cette pèriode ont été publiés en un volume sous le titre de: A Tes pieds sacrés. En plus de ce livre, j'ai écrit d'innombrables chants, poèmes ou courts textes sur Shri Mâ, mais je les ai détruits plus tard. Quand elle apprit cela, elle me dit: " Non seulement durant cette vie, mais pendant de nombreuses vies précédentes, Dieu seul sait combien d'hymnes tu as ainsi composées puis détruites; mais tu peux être certain que, quel que soit le nombre de papiers que tu aies déchirés, c'est maintenant ta dernière existence ici-bas."

Inspiré par l'amour universel de Mâtâjî, une désir intense pour la vie divine était éveillé en moi; malgré cela, mes sens recherchaient des plaisirs primaires plutôt qu'une nourriture plus haute, plus raffinée et plus dynamisante. Dans certains traités vishnouites, on lit: " Celui qui court après les objets des sens pour satisfaire les plaisirs de la langue, du ventre et du sexe ne peut trouver Krishna." Tel était mon cas. La grâce et l'affection sans bornes de Mâ ne pouvaient me tenir attaché à elle à tous les instants de mon existence et dans toutes mes pensées. C'est, de fait, difficile pour quelqu'un de piégé dans les filets de l'ignorance (avidyâ) de trouver un refuge stable et paisible dans le Divin.

Un jour, je dis à Mâtâjî: " Par un contact aussi sacré que le vôtre, même une pierre aurait été changée en or, mais ma vie s'est avérée être un échec complet. " Elle répondit: " Ce qui prend un temps long à se développer manifeste une beauté durable une fois mûr. Pourquoi tant te soucier? Tiens bien la main qui te guide, sois comme un petit enfant. " J'écoutais avec un désir intense ces paroles profondes, mais ma soif n'était toujours pas étanchée. Je mentionne ci-dessous un exemple illustrant la manière dont Mâ me protégeait de son regard pendant la traversée de ces épreuves.

Je m'étais mis à chercher la présence de Mâ chaque jour, poussé par une dévotion profonde. Cela ne manqua pas d'attirer les calomnies d'un grand nombre. Ebranlé par ces critiques, je me mis à penser que toujours courir chez Mâ n'était que le signe d'une faiblesse de caractère.

J'entamai la lecture du Yoga Vashishta (un texte médiéval d'inspiration non-dualiste), pensant progresser en suivant la voie de l'intellect. Je me consacrai à cela pendant une bonne semaine.

Un après-midi, alors que je me reposais chez moi, mon serviteur m'informa qu'un brahmane âgé souhaitait me voir seulement cinq minutes. Je le rencontrai. Il me dit qu'il avait été chez mon ami Niranjan Roy et chez le Dr Sasanka Mohan Mukherji (le père de Gurupriya Devi, "Didi" qui a été l'asistante de Ma pendant pratiquement toute sa vie). mais qu'il n'avait pas pu les rencontrer. C'est pour cela qu'il était venu me déranger. Il ajouta: " J'ai entendu dire que vous aviez une grande dévotion pour Shrî Mâ Ânanda Moyî. Pourriez-vous me dire quelque chose sur elle? Quelles sont ses qualités principales ? " En entendant cette question, je restai assis bouche bée; j'avais les yeux remplis de larmes. Il reprit la parole: " J'ai reçu une réponse à ma demande; mais auriez-vous la bonté de me préciser la cause de ces larmes? "

"Je me suis occupé l'esprit ces derniers jours avec d'autres sujets, ai-je répondu, et vous avez choisi de venir aujourd'hui me demander des renseignements sur Mâ. Je dois baisser la tête de honte. Comme les voies de Mâ sont merveilleuses! C'est son influence qui vous a conduit ici juste à temps pour me faire revenir à ma vraie nature. De ce fait, je vous dois une grande reconnaissance." Il me dit:"S'il vous plaît. accompagnez-moi chez Shrî Mâ." Après l'avoir rencontrée, il dit: " Moi aussi, j'ai perdu ma mère il y a bien longteinps, mais quand j'ai vu Mâtâjî, mon chagrin s'est totalement évanoui. "

Je racontai à Mâ tout ce qui m'avait traversé l'esprit, et je me mis à pleurer en sa présence. Elle rit et me dit: " De nos jours, si l'on n'est pas forcé d'aller suivant une voie donnée, on ne progresse pas. "