Extrait
chapitre
numéro
9

En expédition dans des contrées lointaines

En compagnie de Mâ Anandamayi, trad. de l'anglais par Jacques Vigne
Lyon : Terre du ciel, 1996

Chapitre IX

EN EXPÉDITION DANS DES CONTRÉES LOINTAINES

On peut observer dans tous les domaines de l'existence que trois choses sont nécessaires dans le combat de la vie: un but noble, une ferme détermination et un dévouement complet à ce qu'on doit faire. Bien que dans certains cas, ces vertus ne mènent pas à un succès tangible, on développe au moins la capacité de faire un bon travail substantiel qui porte ses fruits à la première occasion.

Après être revenu dans mes fonctions au bureau, je repris le collier pour trois ans. Un jour, à l'âshram, Shrî Mâ cueillit une fleur et me dit en lui ôtant les pétales: " Beaucoup de tes conditionnements passés (samskâra) sont tombés, et beaucoup plus encore vont tomber comme les pétales de cette fleur, jusqu'à ce que je demeure ton soutien essentiel, comme cette tige. Est- ce que tu comprends ? " En disant cela, elle se mit à rire. Je demandai: " Mâ, comment puis-je atteindre cet état ? " Elle répondit: " Chaque jour, souviens-toi de cela une fois. Tu n'as pas besoin de faire autre chose. "

Pour dire vrai, cette idée s'enfonça profondément dans mon esprit et m'accompagna régulièrement dans ma vie quotidienne. Toutes les pensées dispersées étaient progressivement dirigées vers un but unique. Bien que des idées diverses me distraient souvent, j'avais un désir ardent de garder mon esprit fixé sur la pensée centrale que Shrî Mâ était là, en moi, comme ma colonne vertébrale. A partir de là, j'eus la conviction que ce qu'on pouvait obtenir par des pratiques religieuses constantes, par un isolement intérieur des objets des sens pouvait être également obtenu par le pouvoir d'une seule parole d'un mahâtmâ.

Un jour, après six ou sept mois, Shfi Mâ me dit pendant notre marche matinale: " Ta vie active touche à sa fin. " Je l'entendis, mais cela n'évoqua pas en moi une réponse profonde. A cette époque également, Bhagawan Chandra BrahmacHari me disait aussi très souvent: " Préparez-vous, un saint est en train de descendre des Himalayas pour vous emmener. " Il avait une nature d'enfant et je pensais qu'il plaisantait.

Quelque temps plus tard, je pris quatre mois de congé. Je recherchai une station estivale sur les contreforts de l'Himalaya pour me changer d'air. Dans l'intervalle, le 2 juin 1932, à environ deux heures et demie du soir, Shrî Mâ m'envoya chercher par BrahmacHari Jogesh et me demanda si je voulais l'accompagner. Je souhaitais savoir où elle désirait aller. Sa réponse fut: " Où il me plaira. " Je gardai le silence. Elle ajouta: " Pourquoi es-tu silencieux ? " J'étais préoccupé par le fait que je ne pouvais informer personne à ce sujet. Ainsi donc, cédant à l'attrait du monde, je dis: " Je vais devoir prendre de l'argent à la maison. " Mâ me dit: "Prends là-bas ce que tu dois prendre." Je répondis: " C'est bon " du bout des lèvres, mais je sentais mon fils et ma femme qui émergeaient des profondeurs de mon cœur en me demandant: " Où t'en vas-tu ainsi, en nous abandonnant ? "

Quoi qu'il en soit, j'emportai une couverture, un petit matelas, une sorte de tapis de sol et un dhotî (une sorte de pagne), et je partis avec Mâtâjî et Pitâjî. En arrivant à la gare, Shrî Mâ me dit: " Prends des tickets jusqu'au terminus de cette ligne." Nous en avons achetés pour Jagannathgunge. En arrivant là-bas, le lendemain, Shrî Mâ dit: " Traversons la rivière. " De là, nous sommes partis pour Katihar. Je n'avais plus que quelques roupies mais, de façon tout à fait inattendue, je rencontrai un vieil ami qui nous donna cent roupies et une grande quantité de fruits et de friandises au lait. Nous allâmes à Gorakhpur où nous visitâmes le temple de Gorakshnath (un des 84 mahasiddhas, et d'après la tradition, celui qui a codifié le hatha-yoga), puis nous continuâmes vers Lucknow où nous avons pris le Dehradan Express. Le lendemain nous sommes arrivés à Dehradun et nous nous sommes installés dans un gîte pour pèlerins (dharmashâlâ). C'était un endroit qui nous était inconnu, tous les gens étaient étrangers et chaque chose me paraissait nouvelle.

Shrî Mâ dit au contraire: " Ici, tout me semble ancien. " Nous ne savions pas où nous allions nous rendre par la suite. L'après-midi, Pitâjî et moi-même sommes sortis nous promener, et nous avons entendu parler d'un temple de Kâlî à proximité. Nous nous sommes rendus là-bas et on nous y indiqua un temple de Shiva dans le village de Raipur, à cinq ou six kilomètres de là. C'était un endroit solitaire et propice à une vie de retraite. Les choses firent qu'un pândit de Raipur vint nous visiter. Nous avons eu une discussion avec lui et l'avons accompagné le lendemain matin à Raipur. L'endroit plut à Pitâjî. Quand nous avons demandé son avis à Mâ, elle nous dit: " Réglez cette question entre vous. Pour moi, tous les lieux sont les mêmes. " A partir du mercredi matin, 8 juin 1932, Mâtâjî et Pitâjî vécurent dans le temple.

Les événements qui ont suivi seront publiés par la suite, si telle est la volonté de Mâ.