Chapitre II
LE POUVOIR DES MANTRA
Mâ Ânanda Moyî n'a pas reçu à notre connaissance d'initiation d'un guru, et en cela elle n'a pas suivi la coutume habituelle. Sa connaissance élevée n'est pas non plus le produit de l'étude des Ecritures sacrées. Nombreux sont ceux qui considèrent qu'elle est une descente du Divin pour le bien des êtres de notre époque ( yuga).
Encore petite fille, elle manifesta en son corps une variété de phénomènes étranges, mais son entourage ne les remarqua guère. Déjà, dans les jeux de l'enfance, elle semblait si détachée et non concernée que beaucoup de gens se mirent à considérer qu'elle était atteinte de déficience mentale. Même ses parents avaient des doutes sur son avenir; il arrivait parfois qu'elle ne sache pas où elle se trouvait, ou qu'elle ne puisse pas se souvenir de ce qu'elle avait dit ou fait quelques minutes auparavant.
On raconte que, durant son enfance, en se promenant elle parlait aux arbres, aux plantes et aux êtres invisibles. Elle communiquait aussi avec eux par des gestes. Parfois, elle tombait dans un état d'absorption et elle se retirait de toute conversation.
Entre dix-sept et vingt-cinq ans, elle commença à manifester toutes sortes de phénomènes extraordinaires. A certains moments, elle devenait muette et immobile après le chant des noms divins. Pendant le kîrtan, son corps se raidissait et se figeait. Après avoir entendu un discours religieux ou visité un temple, son comportement ne semblait plus normal.
A l'âge de vingt-deux ans, elle alla avec Bholanâth à Bajitpur et y demeura pendant cinq ou six ans. A la fin de cette période, elle se mit a émettre spontanément des mantras. Ses membres se mettaient automatiquement dans des postures de yoga. Pendant que le Divin se manifestait dans son corps de cette façon à Bajitptur, elle cessa de parler pendant environ un an et trois mois. et quand elle vint à Dacca elle poursuivit son silence pendant un an et neuf mois, arrivant ainsi à un total de trois ans. A la fin de cette période. on pouvait percevoir en elle une paix immaculée (nirmala) et un sentiment d'immensité. Il était clair que les mouvements extérieurs comme intérieurs ne l'affectaient plus, et qu'elle était stable dans le Soi.
Pendant tous ces événements hors de l'ordinaire, Pitâjî exprimait souvent une grande anxiété quant à leur évolution. Pourtant, en dépit des critiques et des commentaires. il n`empêcha jamais Mâ de suivre son chemin. On recourut à l'aide de sâdhu et d'exorcistes , craignant qu'elle ne fût possédée par quelqu'esprit malfaisant. Cela ne servit à rien; qui plus est. quand ces personnes tentaient de la traiter, elles étaient obligées de battre en retraite, stupéfaites et apeurées. Ce n'est qu'en implorant sa miséricorde qu'elles pouvaient retrouver leur équilibre. Divers dieux et déesses se manifestèrent par l'intermédiare de son corps pendant cinq mois et demi. Elle les voyait en vision et leur rendait un culte, après quoi ils ou elles s`évanouissaient complètement. Quand elle avait fini le culte d`une des divinités une autre prenait la place. Pendant le rituel elle ressentait souvent qu'elle était à la fois l'adoratrice, l'adoré et l'acte d'adoration, qu'elle était également les mantra. les offrandes et chaque objet nécessaire au culte.
En fait, durant ces rituels, il n'y avait pas d'objets matériels en cause: il n'y avait pas non plus de désir de sa part d'accomplir une cérémonie. Dès qu'elle s'asseyait dans un endroit solitaire, toutes les activités physiques et mentales nécessaires au culte se manifestaient mystérieusement d'elles-mêmes. On eut plus tard, venant de la part de spécialistes des rituels et des Ecritures, Ia confirmation que sa manière d' accomplir les differents cultes des divinités était en accord avec les règles données dans Ies textes. Quant on lui demandait comment il lui était possible d'accomplir si parfaitement ces rituels, elle répondait: " Ne me demandez rien aujourd'hui, vous le saurez quand le moment sera venu".
Le 10 avril 1924, Mâ arriva à Dacca et. une semaine plus tard. elle s'installait à Shahbag. De nombreux fidèles commencèrent .à se rassembler pour pouvoir la voir. En 1925, certains d'entre eux lui demandèrent de célébrer Kâli Pûjâ, car ils avaient entendu dire qu'elle le faisait de manière merveilleuse. Elle leur répondit: " Je ne connais guère les rituels décrits dans Ies Shâstras: il serait préférable que vous fassiez intervenir un prêtre de métier. " Cependant. elle accepta par la suite de célébrer la Durgâ Pûjâ à la demande instante de Bholanâth.
C'était une grande joie pour les fidèles de Mâ de faire une pûjâ pour I'honorer: mais quand celle-ci, pour les enseigner, accomplissait elle-même les rites pour rendre un culte à la divinité, leur joie ne connaissait plus de limite.
On apporta une statue de Kâlî. Shrî Mâ s'assit sur le sol, en posture de méditation, absolument silencieuse. Ensuite, elle commença la Pûjâ comme si elle était submergée de dévotion; elle chantait des mantra et plaçait des fleurs sur sa propre tête au lieu de Ie faire sur celle de la statue. Tous ses gestes semblaient être ceux d'une poupée, comme si une main invisible l'utilisait à la façon d'un instrument docile pour pouvoir manifester Ie Divin. De temps à autre, quelques fleurs étaient jetées sur la statue de Kâlî. Ainsi se déroula la Pûjâ.
On allait sacrifier un bouc. On le baigna. Quand on l'apporta; Ma elle-même Ie prit sur ses genoux et tapota son corps doucement avec les mains. Ensuite, elle récita quelques mantra en touchant certaines parties du corps de l'animal et lui chuchota quelque chose à l'oreiIIe. Puis elle rendit un culte au grand couteau avec lequel on allait sacrifiér l'animal. Elle se prosterna sur le sol et plaça le couteau sur sa propre nuque: Trois sons, comme des bêlements, sortirent de ses lèvres: Ensuite, quand l'animal fut sacrifié, il ne bouga pas, resta silencieux et l'on ne trouva pas trace de sang sur la tête coupée ou du côté du corps. Ce n'est qu'avec grande difficulté qu'on réussit à en extraire une goutte du cadavre de l'animal. Pendant tout ce temps, une beauté intense et hors de l'ordinaire émanait du visage de Mâ, et durant la cérémonie tous les gens présents étaient profondément absorbés comme envoûtés par la grandeur sacrée du moment.
En 1926, les fidèles prièrent Mâ de célébrer à nouveau la Pûjâ. Elle ne dit rien. Plus tard, alors qu'on la menait chez un de ses fidèles, elle leva la main gauche. sourit et resta silencieuse. Quand Pitâjî lui demanda la signification de son geste, elle ne répondit pas. De nouveau, quand elle prit son repas dans cette maison. elle refit le même geste de la main gauche. Quelques jours plus tard. Mâ expliqua qu'en allant chez le fidèle elle avait vu la déesse Kâlî, tout à fait vivante à cent cinquante mètres de là; elle flottait à une dizaine de mètres au dessus du sol, tendant les bras vers Mâ comme si elle désirait s'asseoir sur ses genoux. En prenant Ic repas ce jour-là, la même représentation s'était retrouvée en face d'elle comme une petite fille. C'était pourquoi elle avait levé sa main gauche.
La veille de Kâlî-Pûjâ, quand les fidèles renouvelèrent leur prières à Mâ, elle demanda à Pitâjî: "Faites l'officiant vous-même, puisqu'ils ont tellement envie de célébrer la Pûjâ." Il leur dit: "Mâ me demande de célébrer la Pûjâ. Je le ferai donc. Pourriez-vous préparer tout ce qu'il faut `? " Ils demandèrent quelle devait être la taille de la statue, et Pitâjî suggéra qu'elle devait avoir la taille que Mâ avait indiquée en levant la main gauche à deux reprises.
A ce moment-là, Mâ était allongée sur le sol, sans mouvement, dans un état inerte. Il était onze heures du soir. On prit des mesures approximatives. Il y eut une grande discussion pour savoir comment il serait possible d'obtenir en si peu de temps une statue de la taille indiquée. Sans trop y croire Shrî Surendra Lal Banerjee alla de Shahbag en ville, et il trouva dans une boutitque en ville une statue aux bonnes dimensions. Il y avait douze statues en tout; onze avaient déjà été commandées par des clients; celle qui restait avait été faite par l'artiste de sa propre initiative.
On apporta la statue suffisamment à temps. Shrî Mâ s'assit pour accomplir la pûjâ.Il y avait une atmosphère divine autour d'elle Au bout de quelque temps, elle se leva soudain et dit à Pitajî " Je vais à ma place maintenant, continue la Pûjâ ". En disant cela elle alla à côté de la statue et s'assit sur le sol avec un rire étrange On ne peut décrire avec des mots à quel point la vibration du Divin était palpable dans la salle où se déroulait la Pûjâ. Mâ dit :" Fermez tous les yeux et récitez le nom de Dieu".
La salle était pleine à craquer; un homme qui était debout dehors jetai un coup d'oeil à l'intérieur sans se faire voir. Pourtant Shrî Mâ l'appela par son nom et lui ordonna de fermer les yeux. Personne ne savait à ce moment-là ce qui était arrivé, mais quand tout le monde ouvrit les yeux, on s'aperçut qu'un avocat, Brindaban Chandra Basak, gisait sur le sol, inconscient. Il déclara ensuite:"Quand je regardai à l'intérieur un bref instant, je vis une lumière éclatante émanant du visage de Mâ. C'était si puissant que j'ai perdu connaissance. Je ne sais ce qui est arrivé ensuite."
La pûjâ se termina à l'aube. Il n'était pas prévu de sacrifice. Quand vint le moment de la dernière offrande, Shrî Mâ dit:"Que rien ne soit offert et que le feu sacrificiel soit préservé." Ce feu continue de brûler jusqu'à ce jour (et brûle encore en 1998 dans les ashrams de Bénarès; Kankhal et Naimisharanya).
Le lendemain était le jour où la statue devait être plongée dans les eaux. La femme de Niranjan arriva avec tout ce qu'il fallait pour la cérémonie. Quand elle regarda la statue, elle dit à Mâ avec émotion:" Mâ. je ne peux me résoudre a mettre à l'eau cette statue". Mâtajî répondit " Ces mots qui sortant de tes lèvres indiquent probablement que la Déesse ne veut pas être immergée. Très bien, qu'on s'organise pour la conserver et lui rendre un culte".
Malgré tous les changements de circonstances, on a réussi à garder cette statue d'argile debout, dans la même position, depuis douze ans. A ce propos, on peut mentionner deux incidents. Le premier se déroula en septembre 1927. Mâtâjî partait de Chunar pour Jaipur. J'étais là-bas à ce moment-là. en convalescence, et j'allai à la gare lui dire au revoir. Shrî Mâ m'indiqua un certain endroit, près de la colline sur laquelle le fort était construit et me dit de m'y rendre sur le chemin du retour. J'y trouverais une guirlande de fleurs d'hibiscus que je devrais prendre et conserver précieusement. J'ai fait comme elle m'avait dit. Lorsqu'elle revint à Chunar, elle vit cette guirlande. Par la suite, lorsqu'elle retourna à Dacca, on s'aperçut que ce jour, exactement; où j'avais trouvé la guirlande à Chunar, on avait omis de disposer la guirlande autour du cou de la déesse Kâli à Ramna, bien que le prêtre eût l'habitude d'en offrir une.
Le second incident se passa lorsque Shrî Mâ était au bord de la mer à Cox's Bazar. Elle se promenait sur la plage, quand elle dit tout avec un sourire: " Regardez mon poignet, n'est-il n est pas cassé? Examinez-le de près, peut-être y a-t-il une fracture. " La nuit même, un voleur s'était introduit dans le temple de Kâli à Ramna, et avait dérobé ses ornements, en brisant aussi le poignet de la statue.
Une fois, pour la célébration de Vasanti-Pûjâ a l'ashram de Siddeshwari, Shri Mâ était présente lors du rituel où l'on donne vie à la statue. Pendant qu'elle la regardait, les yeux de celle-ci se mirent à briller comme ceux d'un être vivant. Shri Ma dit::"Les formes des dieux et des déesses sont aussi réelles que votre corps et le mien. On peut les percevoir en s'ouvrant à la vision intérieure par la pureté, Ia vénération et l'amour."