SATSANG DU 8 NOVEMBRE
Question : Il est dit dans les Ecritures que Dieu (Paramâtma) et le Soi (âtma) sont identiques. Il est aussi dit que le Soi réside dans le corps à l'intérieur du cœur et que sa taille est celle d'un pouce. Comment concilier ces deux affirmations : d'une part que l’âtman soit Dieu et d'autre part que l’âtman soit localisé dans le cœur et ait la taille d'un pouce, alors qu'il est aussi dit dans les Ecritures que le Soi n'est pas une substance ?
Mâ : Baba Prakashânanda, s'il vous plaît, expliquez comment cela est conciliable...
Autre interlocuteur : Il n'y a pas de conciliation dans les Ecritures mêmes.
Mâ : Non, non, il doit y avoir une conciliation dans les Ecritures. Trouvez-la !
Cet autre interlocuteur : D'accord, Mâ, j'admets qu'il puisse y avoir réconciliation...
Mais j’ai une autre question : pendant cette semaine de retraite, nous prenons de la nourriture légère et pure (sattvique). Quel est le rapport entre la nourriture et le contrôle du mental ?
Quelle est l'influence de la nourriture sur la vie spirituelle ?
Mâ : Le mental acquiert par osmose les qualités de la nourriture que l'on absorbe...
Cette deuxième question est résolue. S'il vous plaît, Baba, répondez à la première.
Swâmi Prakashânanda : Comme me le demande Mâ, je vais répondre à la première question.
Le Soi n'est pas une substance. Dans nos Ecritures, le terme " substance" est ainsi défini : "Ce qui contient les qualités et les actions". Mais le Soi ne fait pas d'action (il est appelé nishkriya : dont la nature est à jamais libre de toute action), car il est omniprésent par nature. Il ne peut donc pas changer de place, c’est-à-dire agir. Il n'est donc pas une substance. Le Soi est omniprésent et il est le Témoin et la Conscience qui illumine la dualité : par nature, il est absolu, non duel, toujours libre de toute qualité et de toute action, paisible. C'est pourquoi ce n'est pas une substance.
Ceci établi, il faut comprendre pourquoi sa taille est quand même indiquée par les Ecritures. D'habitude il y a trois types de mesure :
• Ce qui est omniprésent (comme l'espace)
• Ce qui est moyen (comme un objet)
• Ce qui est extrêmement petit (atomique)
Le Soi est décrit comme omniprésent et aussi comme de la taille d'un pouce. Pourquoi cette contradiction ?
Mâ, excusez-moi si ma réponse est incorrecte, mais voici ce que je peux dire : dans les Brahma-Sutras (7) il est affirmé que l'on doit accorder foi à l'enseignement des Védas (8) selon lequel l'espace interne du cœur est le lieu de résidence de l'âme, cet espace ayant approximativement la taille du pouce. Les Ecritures disent aussi que l'âme (purusha) qui demeure dans cet espace a, de ce fait, la même taille, soit environ un pouce. Mais cette affirmation ne peut pas concerner les petites créatures, comme par exemple les insectes, puisque de tels animaux ont le plus souvent des tailles bien inférieures à celle du pouce. Il faut donc d'abord comprendre que cette affirmation des Ecritures ne vaut que pour l'Homme. Et cela s'explique, car, l'Homme étant la seule créature capable de réaliser le Soi, il est normal que les Ecritures soient centrées sur son cas.
Ceci précisé, il faut savoir que, toujours d'après les Ecritures, d'une part, l'espace interne du cœur est le domaine du corps subtil de l'Homme (9) (linga sharira) et, d’autre part, il est dit que ce corps subtil circonscrit le Soi. C'est pourquoi, en référence à la taille de l'enveloppe qui le contient, il est dit que le Soi lui- même est de la grandeur du pouce. D'une façon analogue, on parle volontiers de l'espace d'un pot ou de l'espace d'une maison, bien que, par nature, l'espace soit omniprésent et que ni le pot ni la maison ne le délimitent réellement.
C'est ainsi qu'ultimement les Upanishads (10) décrivent le Soi comme "ce qui n'est ni grand, ni moyen, ni minuscule, sans forme, sans ombre, sans couleur, sans qualité et aspatial". Donc le Soi, dans sa véritable nature, n'a pas de taille. Mais, en raison de son lieu particulier de résidence dans le corps subtil, on lui attribue la grandeur du pouce. C'est de cette manière qu'on peut réconcilier les deux propositions contradictoires des Ecritures. Mais je demande à Mâ de confirmer mon interprétation.
Mâ : Oui Baba, c'est juste.
(7) Texte de base de l’Advaïta Védânta qui dégage le sens profond des enseignements upanishadiques en discutant de leurs diverses interprétations possibles et en réfutant les interprétations erronées.
(8) Ensemble des textes révélés de l’Hindouisme dans lesquels se trouvent entre autres les Upanishads.
(9) Ceci car le mental est l’élément principal du corps subtil et que l’espace interne du cœur est le lieu de repos naturel du mental, l’endroit où, pendant le sommeil profond, il s’immerge (commentaire du traducteur indien).
(10) Courts traités métaphysiques situés à la fin des Védas et renfermant leurs plus hauts enseignements.
Question : Quelle est la preuve de l'existence du Soi ?
Swâmi Prakashânanda : Le Soi n'a pas besoin de preuve, il est auto-établi et auto-évident. Il n'y a rien d'autre qui puisse rendre évident ou prouver le Soi. C'est le Soi qui établit et prouve toute chose.
Question : Alors doit-on comprendre que le Soi existe par lui- même ?
Swâmi Prakashânanda : Oui, vous devez le comprendre ainsi. Pour connaître l'existence des autres choses, la lumière (ou l'évidence) du Soi est nécessaire. Mais, il n'y a pas d'autre lumière qui préexiste au Soi pour le rendre évident. Que pense Mâ de ma réponse ?
Mâ : Baba, comment une citation des Shastras (Ecritures) pourrait-elle être fausse ?
Swâmi Prakashânanda : Ma question était : "Ai-je bien interprété les Shastras ?"
Mâ : Baba, qui est donc celui qui voit ?
Swâmi Prakashânanda : Le Soi lui-même.
Mâ : Il n'y a pas d'autre univers devant vous, Baba, mais seulement le Voyant. Qui est celui qui voit ?
Swâmi Prakashânanda : Il est le Soi qui voit le Soi.
Mâ : Quand ce Témoin est là, l'univers apparaît en face de lui et des actions semblent avoir lieu. Le fait d'agir est inscrit dans le devenir (autre traduction : pour devenir quelque chose on doit agir).
Mâ raconte ici longuement une histoire personnelle pour illustrer l'idée du Soi, témoin des actions; mais, malheureusement, elle est difficilement audible sur l'enregistrement et ce qui suit n'est qu'un résumé approximatif de ses propos.
"Une fois, ce corps était étendu sur le sol. Je le voyais comme quelque chose d'extérieur à moi, avec sa forme et sa couleur et, partant de cette expérience, j'ai réalisé que la lumière du Soi était omniprésente (swayam prakash).
Dans la lumière de ce Soi auto-évident, toutes les actions du monde, simples ou grandioses, étaient vues.
Quand on voit ainsi l'univers dans la lumière du Soi, il n'y a plus d'univers du tout" (autre traduction : il n’y a plus rien d’autre que le Soi).
(Rire de l'assemblée)... et quelqu'un dit : "Mâ, nous ne sommes pas capables de comprendre vos paroles !"
Mâ : Je n'ai pas dit cela intentionnellement, c'est venu spontanément.
Swâmi Svatantrânanda : C'est là l'expérience intérieure de Mataji et elle en témoigne donc spontanément. Mais, dans l'expérience intérieure de Mâ, ce n'est pas le fait de voir toutes les actions illuminées par le Soi qui est la chose la plus importante. Son intention n'est pas d'expliquer les actions, mais de nous faire reconnaître la vraie nature du Soi auto-évident par lui-même. Selon les Ecritures, le mot swayam prakash signifie “ce qui ne dépend pas d'autre chose”.
Cette expérience n'est qu'une illustration de ce que représente l'établissement dans le Soi. Ce qui est important n'est pas l'ensemble des phénomènes décrits, mais le Soi réalisé.
Le Soi n'est pas objectivable ; cependant, le langage peut aider à s'en rapprocher. Et c'est pourquoi il est dit dans la Bagavad Gîta (11) que le Soi est connaissable. On accepte ici que le Soi puisse être appréhendé conceptuellement.
Seulement cette approche conceptuelle du Soi n'est pas faite pour l'objectiver, mais uniquement pour enlever les voiles qui le recouvrent.
C'est pourquoi on dit qu'en vérité le Soi est inobjectivable. Voilà ce que les disciples doivent comprendre à travers ce que Mataji a exprimé et cela est d'une grande valeur pour eux.
Ils doivent se souvenir que leur but est d'atteindre le Soi.
(11) Texte célèbre issu de l’épopée du Mahabharata qui présente sous une forme plus accessible les enseignements des Upanishads.
Question : Pourquoi doit-on récolter le résultat des actions présentes dans un autre corps et en une autre vie ?
Mâ : Pourquoi avez-vous pris ce corps ? La raison pour laquelle vous avez pris ce corps est celle-là même qui vous forcera à prendre un autre corps.
Swâmi Prakashânanda : Vous devez comprendre que c'est la cause même qui vous a fait prendre ce corps qui vous en fera reprendre un autre.
Les actions accomplies avec les corps grossier et subtil peuvent être classées en trois types :
- Sanchita : Les actions passées accumulées
- Prarabda : Les actions présentes qui résultent des premières
- Agama : Les actes futurs qui résulteront des actions présentes.
Selon cette classification, chacun doit renaître en fonction de ses actes passés. Voilà ce que Mataji a voulu dire.
Mâ : Pour échapper à cette roue du karma (12), vous devez rechercher la compagnie des sages (satsangha) et développer votre conviction à propos de votre vraie nature, ce dont on parle ici. Cette détermination vous conduira au Soi, au-delà de la roue du karma. De plus, bien évidemment, les ascèses que nous pratiquons ici telles que le jeûne, la libation d'eau sacrée, la méditation etc., ont aussi pour but de vous aider dans cette quête.
(12) Karma : l’acte et ses conséquences, les liens de cause à effet.
Question : Un homme qui est maître de maison (grihastha) peut- il atteindre la libération en chantant le nom de Dieu (Ishwara) ?
Mâ : Dieu est dans tous les hommes. Donc, les maîtres de maison peuvent l'atteindre aussi bien que ceux qui ne le sont pas.
Swâmi Prakashânanda : C'est très difficile quand même pour un chef de famille (par rapport à la situation d’un moine, plus favorable à la réalisation spirituelle).
Mâ : Baba, si vos parents n'avaient pas assumé la charge d'une famille, vous ne seriez pas né ! Les rishis (voyants védiques) avaient femmes et enfants, n'est-ce pas ?
Le Seigneur est partout, en tous. Du point de vue de Dieu, il n'y a pas de différence entre ceux qui sont chargés de famille et les autres ; et "ashrama 13" ne signifie pas seulement les quatre stades de la vie. Cela veut dire aussi non-fatigue (a-shrama 14).
Quand un maître de maison fait son devoir et s'abandonne au Seigneur à travers la pratique du chant de son nom, où est pour lui la fatigue ? ...
Dieu est Un en tous. Dans la vie quotidienne, il semble qu'il y ait plusieurs membres au sein d'une famille. Mais en fait, toute la famille est une. De même, aux yeux de Dieu, tous appartiennent à sa famille s'ils chantent son Nom. Dieu est omniprésent. Il n'y a rien d'autre que Dieu. La lumière de Dieu était là dans le passé, est là dans le présent et continuera à être dans le futur.
(13) Ashrama : mot qui désigne les quatre stades de la vie d’un hindou orthodoxe (étudiant, maître de maison, retraité laïc, et moine renonçant).
(14) Jeu de mots fait par Mâ sur le terme d’ashrama...
Il n'y a rien d'autre que le Suprême Soi (Paramâtma). Pour obtenir la Libération, c'est là l'initiation de base et chacun d'entre vous devrait essayer de s'en imprégner.
Swâmi Prakashânanda : Les ascèses (sadhana) traditionnelles vous amèneront à le comprendre .
Mâ : C'est exact, Baba.
Question : Si on a péché pendant cette vie avec ce corps, pourquoi doit-on souffrir des conséquences de nos actes présents dans une autre vie, avec un autre corps ? Vous n’avez pas donné une réponse satisfaisante à cette question, c’est pourquoi j’y reviens.
Si je commets un meurtre dans cette vie, la justice me punit dans cette vie. Pourquoi devrais-je alors en souffrir de nouveau dans une autre vie ?
Mâ : Svatantra Baba, s’il vous plaît, répondez ! (Rires de l’assemblée)
Les impressions latentes (samskaras) des actions effectuées dans une vie se conservent de vie en vie. C’est pourquoi on doit souffrir dans les vies futures des impressions fortes que nos actes présents auront gravées en nous.
Question : Quand la création a-t-elle commencé ? Et comment le premier homme est-il apparu sur Terre ?
Mâ : Avant la création, Dieu seul était. Pour son divertissement (lîla), il conçut le monde ; et c’est ainsi que le monde fut manifesté.
Sans conception préalable, il n’est pas possible de faire quoi que ce soit. Par exemple, avant de construire une machine, l’homme doit la penser. Quand on voit une machine on en infère l’existence du créateur de la machine. La même chose peut être dite pour cet univers qui est une création de son concepteur : Dieu...
Mais ces idées de création et de créateur ne sont pas d’une grande valeur en elles-mêmes. A travers ces deux termes, vous devez reconnaître le principe non-duel qui est votre Vraie Nature : comme je l’ai déjà dit, il n’y a rien d’autre que le Soi. Les idées de création et de créateur ne sont que des moyens pour réaliser cette Vérité Ultime.
Question : Comment Dieu a-t-il eu l’idée de la création et pourquoi a-t-il créé le mal, la souffrance, et tout ce que nous voyons de semblable ?
Swâmi Prakashânanda : Si vous continuez à arguer dans ce sens, vous allez vite être déçu car Mâ va finir par vous soutenir qu’il n’y a pas de création du tout ! ...
(Rires de l’assemblée)
Mâ : La pensée de la création, la création et le créateur, tout cela est le Soi, tout est Dieu. Il n’y a rien d’autre que Dieu, que le Soi.
Jusqu’à ce que vous ayez réalisé cela, la pensée et l’imagination sont actives et les questions jaillissent sans fin. Mais quand vous comprenez que seul le Soi est, alors toutes les questions sont résolues d’un coup. C’est pour vous aider à réaliser le Soi que l’idée de Créateur est utilisée et non pas pour expliquer l’existence de la création. Il vous faut donc essayer de réaliser la nature du Soi au lieu de discuter l’idée de la création.
Question : Si tout est créé par Dieu et qu’il n’y a rien d’autre que Dieu, quoi que nous fassions, c’est la volonté de Dieu. Ainsi, si je tue un homme, cela ne va pas à l’encontre de la volonté de Dieu. Comment cela serait-il possible ?
N’y a-t-il pas, au contraire, certaines situations où nous allons explicitement à l’encontre de la volonté divine ?
Mâ : Pourquoi me demandez-vous cela ? Si votre position était juste, vous ne me poseriez pas cette question, vous resteriez silencieux. Si vous posez la question, c’est que vous savez que votre position est fausse. Il vous faut découvrir la vérité au-delà de cette apparente contradiction.
N’êtes-vous pas à la fois et selon les circonstances, un père, un fils, un mari... Etes-vous pour autant trois personnes différentes ? De la même manière, Dieu est Celui qui fait, Celui qui vous fait faire, et Celui qui jouit de ce qui a été fait.
C’est l’ignorance qui vous a fait poser cette question. Quand l’ignorance est détruite par la connaissance, il n’ y a plus de place pour aucun doute...
Ainsi encore, quand vous étiez célibataire vous étiez Un. Quand vous vous êtes marié, vous êtes devenu deux. Quand vous avez eu des enfants, vous êtes devenu trois, quatre, cinq, etc. Mais, quand le voile de cette ignorance est enlevé, alors vous réalisez que cette multiplicité apparente s’intègre dans l’unité de la famille que vous avez vous-même créée.
C’est pour détruire l’ignorance, obtenir la Connaissance et s’établir dans le Soi que sont pratiquées ici les sadhanas (ascèses) que vous savez. Ces sadhanas ne sont pas faites pour obtenir un nouveau Soi, mais pour dissiper le voile qui recouvre votre Vraie Nature, présente de toute éternité.