Extrait
chapitre
numéro
3

Satsang du 09 novembre

Questions-réponses avec Sri Mâ Anandamayi à Nadiad, mars 1979
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SATSANG DU 9 NOVEMBRE

Question : Il y a un frère étranger qui pose en anglais la question suivante à Mataji : Mâ, est-ce que vous dormez et est-ce que, dans votre sommeil, vous rêvez comme nous le faisons ?

Mâ : Quand j’étais à Rishikesh, il y avait un ashram15 où vivait un grand mahâtma. Je résidais alors dans une hutte située à côté d’un temple de Shiva et, de cet endroit, j’allais très souvent voir ce mahâtma. Une fois, en hiver, alors qu’il faisait très froid, il envoya un de ses disciples me trouver avec l’ordre de me poser une question mais seulement en privé. Ce disciple vint à moi et me dit : « Mâ, je souhaite vous poser une question, mais, selon les consignes de mon guru, je ne puis vous la poser qu’en tête-à- tête... »

Et il me questionna ainsi : « Mataji, est-ce que vous dormez et, dans ce sommeil, vous arrive-t-il de rêver ? et si vous rêvez, que voyez-vous dans vos rêves ? »

C’est la même question qui m’est posée aujourd’hui.

Swâmi Prakashânanda : C’est une question qui vous avait été posée il y a très longtemps...

Mâ : Oui, il y a très longtemps, et la réponse qui avait été donnée alors est identique à celle que je vais donner aujourd’hui. A celui à qui vient le sommeil, le rêve vient aussi ; ou encore, celui qui dort, celui-là rêve aussi.

Mais l’état de veille est aussi une forme de rêve. La question qui vient d’être posée ainsi que ma réponse présente, tout cela fait partie du rêve qu’est le présent état de veille (jagrat svapna). Ce que nous faisons ici, poser des questions et y répondre, tout cela est aussi un rêve. Il faut s’en tenir à ma première proposition : c’est seulement celui qui dort qui rêve. Tout cela ne concerne uniquement que le corps. Voilà la réponse que j'avais donnée à ce disciple en ce jour lointain.

Un autre jour, ce mahâtma qui s'appelait Purnânanda Baba me fit venir à son ashram et me reposa la question. On parla longtemps et il me redemanda : « Mâ, est-ce que vous avez des rêves, est-ce que vous dormez ? » Et je répondis : "Cet état de veille est un rêve autant que l'est le monde mental (mano rajya) que notre imagination produit. Mais pour celui qui est conscient de son propre Soi, il n'y a ni rêve, ni sommeil. Le rêve

15 ashram : communauté spirituelle réunie autour d’un maître.

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et le sommeil n'existent pas, car il est toujours dans l'état de veille véritable.

Swâmi Prakashânanda : Le langage de Mâ est le langage du samadhi16. Le rêve vient avec le sommeil, et celui-ci doit être léger pour que le rêve se produise. C'est la descente du mental dans la gorge par le canal subtil (nadi) approprié qui est à l'origine du phénomène des rêves. Mais pour celui qui est dans l'éternelle conscience du Soi, il n'y a ni rêve, ni sommeil, ni cet état que nous nommons, nous, état de veille.

Ce que Mâ décrit, c'est l'état éternel de conscience du Soi. De ce point de vue seul il est dit que le sommeil profond est identique au samadhi. Celui qui a atteint ce samadhi est appelé siddha (parfait). Pour lui, il n'y a plus de sommeil, donc où et quand pourrait-il y avoir état de rêve ?

Ainsi, quand Mâ semble être dans l'état de veille, dans l'état de rêve, dans l'état de sommeil ou en samadhi, en réalité elle est toujours dans le vrai état de Veille. De son point de vue il n'y a ni état de veille, ni état de sommeil profond, ni état de rêve, ni samadhi. C'est le point de vue du Réalisé. Cet enseignement (upadesh) est très important pour les disciples et cette question est excellente. Pour celui qui est conscient de sa Vraie Nature, il n' y a plus de sommeil puisqu'il est toujours dans l'état de vrai éveil. Il y a, en Inde, de tels grands Réalisés qui ont atteint cette Conscience. Si ces êtres réalisés n'étaient pas présents en Inde, l'Inde ne serait pas si populaire pour sa spiritualité. Mâ ne dort ni ne rêve mais est toujours dans l'état de vrai éveil, et il y a beaucoup d'autres êtres comme Mâ en Inde.

Question : Si nos parents sont opposés à notre recherche spirituelle et s'ils n'ont pas de respect pour notre guru, que devons-nous faire ? Certains disent : " Il faut obéir au guru". Quelle est donc l'attitude juste ?

Mâ : Celui qui veut vivre avec sa famille doit obéir à ses parents. Et, en même temps, il vous faut suivre les instructions spirituelles de votre guru. Mais pour ceux qui ont pris le sanyasa17 et qui se sont rendus libres des contraintes sociales comme l'ont fait tous les religieux qui sont ici, ceux-là n'ont plus à obéir à leurs parents. Ai-je raison, Baba ?

Swâmi Prakashânanda : La réponse de Mâ est comme un aphorisme (sutra). Un sutra compte peu de mots mais a une signification très profonde ; et je vais l'expliquer. Celui qui, de par sa condition, est lié à la vie familiale, doit obéir à ses parents

16 samadhi : état supérieur de conscience. Dans le contexte, le mot est pris comme équivalent d’Eveil ou d’Illumination.

17 C’est-à-dire qui sont devenus moines renonçants.

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aussi bien qu'à son guru. Ceci dit, en obéissant aux directives de son guru, il assure de fait le bien-être de ses parents... Mais, pour celui qui a pris le sanyasa, comme les mahâtmas ici présents, le seul devoir est d'obéir au guru.

Ce sont les deux chemins. Le premier c'est celui de Rama, le second celui d'Hanuman. Le chemin de Rama est terrestre (Rama marche sur la terre), celui d'Hanuman est céleste (il vole dans les airs). Cette référence à l'épopée du Ramayana illustre le fait que celui qui vit en famille doit, de ce fait, suivre une voie plus prosaïque et se servir du Karma Yoga18 et de la méditation comme de deux bouées qui l'empêchent de sombrer en traversant l'océan de la vie. La voie de ceux qui ont renoncé au monde, au contraire, est plus rapide car ils sont libres des contraintes sociales. Chacun doit suivre la voie qui convient à ses possibilités et à sa condition.

Question : Nous avons accepté une personne comme guru. Mais comment pouvons-nous savoir qu'elle nous a accepté elle-même comme disciple ?

Mâ : Si vous doutez de votre guru, c'est que vous ne l'avez pas complètement accepté.

Swâmi Prakashânanda : S'il y a doute, c'est que votre mental est en état de faiblesse. La faute repose sur vous, pas sur le guru. Et le doute est lui-même très maléfique en cette matière. Il vous faut avoir foi en votre guru, hors de tout doute.

Question : Si le guru n'est plus sur cette terre ou s'il est trop loin pour qu'on puisse le rencontrer physiquement, comment faut-il faire ?

Mâ : Vous devez observer ses enseignements (upadesh).

Swâmi Prakashânanda : Le guru est vraiment celui que le temps ne peut atteindre, celui qui est au-delà du temps. Pour le comprendre, rappelez-vous que l'enseignement d'un vrai maître se fonde toujours sur les Védas. Or, les Védas n'étant pas d'origine humaine, ils sont éternels. Et l'enseignement qu'ils renferment est impérissable. Le guru est au-delà du temps, car le guru c'est d'abord les Védas, c'est d'abord les Mahavakyas19. Et le vrai Maître ne fait rien d'autre qu’enseigner les secrets des Mahavakyas. C'est ce type de maître que les disciples doivent suivre. Alors ils ne connaîtront pas l'échec.

18 Karma-Yoga : yoga de l’action juste et désintéressée.

19 Mahavakya : littéralement « grande parole ». Désigne les affirmations métaphysiques les plus fortes que contiennent les Upanishads.

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Question : Comment le mantra20 que nous avons reçu de notre guru peut-il nous protéger ?

Mâ : Le mot mantra signifie "ce qui protège le disciple qui le contemple tout le temps" .

Swâmi Prakashânanda : Celui qui pratique le mantra avec cette compréhension est protégé des échecs. Le mantra réside secrètement en lui, dans sa gorge et dans son cœur, qu'il soit réveillé, qu'il dorme ou qu'il rêve. Et quelles que soient les difficultés ou les tribulations qu'il rencontre, le mantra l'accompagne et le protège. Vous devez pratiquer votre mantra en ayant cette foi.

Mâ : Comprenez que le guru réside toujours avec le disciple. Où est le disciple, là se trouve le guru.

Swâmi Prakashânanda : Mataji dit que quand il y a disciple, il y a guru. Elle montre par là l'unité qu'il y a entre le disciple et son maître.

Ceci parce que le vrai guru, c'est le Soi Suprême. Et que c'est lui qui apparaît sous la forme du guru humain. Donc, tous les disciples doivent considérer que Mâ est l'incarnation du Soi et pratiquer leur ascèse (sadhana) avec cette foi.

Question : Dans la Guru-Gîtâ21, il est dit que le maître accorde à la fois la prospérité ou la jouissance dans le monde et la libération spirituelle. Mais ces deux choses sont contradictoires. Comment devons-nous donc comprendre cette affirmation ?

Mâ : La plus grande jouissance, c'est la Libération !

Swâmi Prakashânanda : Mâ veut dire que la jouissance est de deux sortes. L'une est destructible et périssable, l'autre est éternelle. Toutes les jouissances mondaines sont destructibles. Le guru ne vous donne pas les jouissances de cette catégorie, mais la jouissance éternelle qu'est l'Emancipation. Quand on accepte cette explication, il n'y a pas de contradiction dans la Guru-Gitâ.

Question : Nous voudrions que Mâ chante ce bajan elle-même. (le satsang se termine par "Jaï Bhagavan", un chant à la gloire de Dieu, guru suprême, conduit par Mâ et repris par l'assemblée).

20 Mantra : courte formule sanskrite servant entre autres à la prière jaculatoire ou japa 21 Guru-Gîtâ : chant au guru, texte classique à la gloire du maître spirituel.