Extrait
chapitre
numéro
5

Satsang du 11 novembre

Questions-réponses avec Sri Mâ Anandamayi à Nadiad, mars 1979
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SATSANG DU 11 NOVEMBRE

Question : Mâ, êtes-vous du Nord ou du Sud de l'Inde ? Quel est votre état d'élection, est-ce le Bengale, le Gujarat ou l'Uttar Pradesh ? A quel culte vous rattachez-vous ? Au Vishnouisme ou au Shivaïsme ?

Mâ : Je n'appartiens à aucune région, ni à aucun état particulier. Je ne relève d'aucune caste ni d'aucun culte spécifique. Mais, en fonction de votre imagination, je semble être ce que vous voulez ce que je sois.

Baba Prakashânanda : Mâ dit qu'elle n'a aucune qualité particulière et qu'elle n'est limitée par aucun attribut tels que ceux de nationalité, de caste, de culte, etc... La vraie nature de Mâ, c'est le Brahman omniprésent, l'Absolu. Si le disciple croit en cela avec une foi ferme, alors seulement sa pratique spirituelle sera couronnée de succès. S’il considère Mâ comme un individu particulier appartenant à une caste et un culte particuliers, alors ses pratiques spirituelles ne donneront pas leur fruit. C'est pour cela que Mâ a dit : "Je vous apparais en fonction de ce que vous m'attribuez, mais, en vérité, je ne suis concernée par aucun de ces attributs." Les disciples doivent se souvenir de cet enseignement s'ils veulent progresser.

Question : Quelle est la signification du mot : "samsara24" et qui est le maître de ce samsara ?

Mâ : Il n'y a qu'un seul Brahman, qu'une seule Réalité Absolue, rien d'autre n'existe. S'il vous plaît, montrez-moi quelque chose de différent de Brahman et où cela se trouve.

Swâmi Prakashânanda : Le Dieu unique est le maître du samsara. Et ce Dieu est à la fois le maître de celui qui accepte Son existence et Sa maîtrise sur l'univers, et de celui qui fait profession d'athéisme. Qu'on ait foi ou non dans l'existence de Dieu, Dieu est. C'est pourquoi le disciple doit ressentir qu'il appartient tout entier à Dieu. C'est avec cette foi qu'il doit pratiquer la sadhana (ascèse). Alors, et alors seulement, elle peut être couronnée de succès.

Mâ : Baba, est-il possible de décrire la Nature de Dieu ?

24 Samsara : ronde incessante des naissances et des morts au sein du monde relatif.

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Swâmi Prakashânanda : Non, non, la Nature de Dieu est au- delà de la parole et du mental.

Mâ : Oui, telle est la Nature de Dieu...

Question : Il est dit qu'une personne qui étudierait les Shastras (Ecritures), même avec une très grande foi, n'arriverait pas à la Libération sans la grâce de Dieu. Est-ce vrai ?

Mâ : Cela veut seulement dire que celui qui étudie sans s'abandonner à Dieu ne peut pas obtenir de résultats spirituels. C'est seulement en renonçant à son moi que l'Homme peut gagner la Libération. Il lui faut donc faire le namaskar25 à Dieu. Voilà ce que je peux dire du point de vue de la pratique de la voie (sadhana). En ce qui concerne le point de vue des Ecritures, je laisse la parole à Baba Prakashânanda.

Swâmi Prakashânanda : Mâ a expliqué le sens du mot "namaskar" de manière parfaite même du point de vue des Shastras, car où il y a mental, il doit y avoir samsara et il faut donc abandonner ce mental à Dieu pour en être libéré. Quand le mental est abandonné aux pieds du Seigneur, ce mental lui- même devient Dieu. Quand on a complètement renoncé à son mental, il n'y a plus de mental, il ne reste que Dieu. C'est pourquoi il est dit qu'en faisant simplement namaskar, on est lavé de tous ses péchés. Et c'est aussi pourquoi le namaskar est encore appelé pranam (abandonner son ego aux pieds du Seigneur).

Voilà pourquoi il est dit dans le Ramayana26 que seul le pranam à Rama permet d'atteindre la Libération et non pas la simple étude des Shastras (Ecritures).

Quand on pratique le japa d'un nom de Dieu avec concentration, alors ce nom devient le nom de son propre Soi. Et quand le disciple dit : "Je m'abandonne à Dieu", il perd son ego et s'établit dans le Soi. C'est pourquoi il faut pratiquer le namaskar à Dieu.

Mâ : Excellent commentaire, Baba ! C'est là le vrai namaskar. Quand on pratique ainsi le namaskar, il faut observer qui salue et qui est salué. On arrive alors à réaliser que seul le Soi est.

Question : Mais puisqu'un seul namaskar suffit à détruire tous les péchés, pourquoi devrions-nous en faire encore et encore ?

25 Namaskar : mot sanskrit signifiant « salutation » ou encore ici « prosternation ». 26 Ramayana : nom de l’une des deux grandes épopées hindoues traditionnelles de l’Inde, consacrée à Rama, l’une des incarnations terrestres de Vishnou.

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Mâ : Le premier namaskar doit être fait pour la purification du mental ; et ensuite les autres pour devenir Un avec Dieu.

Question : Est-ce que toute action doit être considérée comme le fait de la volonté de Dieu ou est-ce seulement le cas de certaines actions ?

Mâ : Quoi que vous fassiez vous devez ressentir : ceci est la volonté de Dieu et je sers Dieu en le faisant. Le monde a été créé par Dieu, donc quoi que l'on fasse, on est à son service. C'est Lui qui fait (karta) et c'est Lui qui vous pousse à faire. Si vous gardez cela à l'esprit, le souvenir de Dieu sera facile. Vous devez dire à Dieu : "Dieu, Vous êtes l'Agissant, Vous êtes Celui qui me pousse à agir, et tout ce que je fais, je le fais pour Vous." Vous devez toujours garder ce sentiment dans votre esprit. Pratiquez cela tout le temps, avec patience et tout ce qui doit arriver arrivera. Si vous avez cette attitude, pas de possibilité d'échec pour vous.

Swâmi Prakashânanda : Mâ a très bien répondu à cette question et chaque disciple doit prendre en compte cet enseignement. Les actions, qu’elles soient politiques, sociales, familiales, etc. doivent être faites dans le sentiment que tout est service de Dieu. En ressentant cela, on garde un contact constant avec Dieu. "Quoi que je fasse, ô Seigneur, je le fais pour Te servir. Ce qui se passe à l'intérieur de mon corps comme ce qui arrive dans le monde extérieur, tout est le fait de Ta volonté et c'est Toi qui me fais agir" ; voilà ce qu'il faut ressentir. Dans les Ecritures, il est dit : "Abandonnez tous vos actes à Dieu, par cela vous obtiendrez sa grâce et la vraie prospérité."

Question : Quels principes (tattva) composent le Soi ? De quoi est-il fait ? Est-il une chose créée ?

Mâ : Il est fait de lui-même et par lui-même. Il n'est fait de rien qui ne soit pas lui, il n'y a rien d'autre que lui pour le faire.

Question : Le Soi est immortel mais, quand le corps meurt, pourquoi est-ce que le Soi (l'âme) s'en va et le quitte ?

Mâ : Le Soi n'a ni arrivée, ni départ.

Question : Pourtant, le Soi s'éveille et s'endort27 ?

27 Allusion au fait que la conscience change cycliquement d’état au sein de l’existence en passant successivement par les états de veille, de rêve et de sommeil profond. Voir à ce sujet le Satsang du 9 novembre, première question.

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Mâ : Non, non ! le Soi n'a ni éveil, ni sommeil. Il est éternel, omniprésent et immuable.

Question : Alors qui est-ce qui quitte le corps à la mort ?

Mâ : Au niveau de l'apparence, il semble que le Soi entre dans le corps et en ressorte selon les circonstances. Mais en réalité, le Soi ne connaît pas de changement. Il est éternellement béatitude.

Question : Vos propos sont très difficiles à comprendre Mâ ! Mâ : Non ! Il n'y a aucune difficulté. Le Soi est par nature

éternel et immuable.

Swâmi Prakashânanda : Le Soi dans sa vraie nature est auto- évident. Il n'entre ni ne sort d'aucun corps. Mais, à cause de l'ignorance, on s'identifie aux conditionnements adventices que sont le corps et le mental, et on s'emprisonne de ce fait dans l'illusion des naissances et des morts. Le verset 18 du chapitre 14 de la Bhagavad Gîtâ est clair à ce sujet.

Mâ dit donc ici qu'il nous faut réaliser que, bien qu'il semble que le Soi entre dans ce corps à la naissance et en sorte à la mort, il ne fait en réalité rien de tout cela, mais reste toujours identique à lui-même. C'est difficile à comprendre, mais ultimement, voilà ce qu’il faut réaliser.

Question : Alors qu'est-ce qui a lieu devant nous quand une âme quitte son corps ou quand un enfant naît? Aussi longtemps que nous sommes dans la condition présente, nous voyons cette allée et venue de l'âme et nous ne savons pas d'où elle arrive ni où elle s’en va.

Mâ : Vous me demandez qui prend un corps, qui le quitte et aussi qui, maintenant, constate le phénomène de la naissance et de la mort. Je réponds que le Soi que j’ai décrit comme n’ayant ni allée ni venue, ce Soi est celui-là même qui semble s’incarner ou se désincarner ; et c’est encore Lui qui semble présentement voir, entendre... et constater la naissance et la mort, etc.

Baba, explicitez ce que j'ai dit !

Swâmi Prakashânanda : Du point de vue de l'ignorance, le Soi apparaît comme le sujet qui mange et qui boit, qui entend et qui voit... Mais du point de vue supérieur, le Soi n'a aucun de ces attributs, ni aucune de ces fonctions. Jamais il n'entre ni ne sort d'un corps. Pour lui rien ne commence, rien ne finit.

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De ce point de vue, il n'y a ni Homme emprisonné dans l'ego, ni Homme libéré de l'ego ; il n'y a ni guru, ni disciple, ni naissance, ni mort...

Si on n’est pas capable de comprendre cette vérité, il faut croire que ce même Soi est aussi le Seigneur avec forme et que, quel que soit mon vœu, si je Le prie sincèrement, Il m'exaucera. Ainsi, si je Lui demande la compréhension de ce paradoxe, Il me le fera comprendre...

C'est seulement du point de vue de l'ignorance que le Soi est dit venir en ce corps puis s'en aller, mais cela n'est pas vrai du point de vue de sa Vraie Nature. De ce point de vue, Mâ a dit hier qu'il est à la fois celui qui fait, celui qui pousse à faire et aussi celui qui semble bénéficier de ce qui a été fait.

Mâ : Quelle est la relation entre l'ego et le Soi ? Comme le dit Hanuman28 : "Quand on est identifié à l'ego, il semble qu'on soit une parcelle du Soi ; mais quand on a abandonné l'ego, alors on n’est rien d'autre que le Soi."

Quelle position voulez-vous assumer ?

L'étincelle n'existe pas indépendamment du feu, l'étincelle n'est que du feu, et à proprement parler, seul ce feu existe vraiment. Il en va de même en ce qui concerne les rapports de l'ego et du Soi. C'est pourquoi j'ai dit que seul le Soi est réel.

Mais pour réaliser cela, vous pouvez très bien vous considérer d'abord comme un dévot de Dieu. En procédant dans cette voie avec l'aide de votre guru, viendra un jour où vous réaliserez l'omniprésence du Seigneur. Et alors vous vous apercevrez que Celui dont vous étiez le dévot est aussi en vous. Cette réalisation de la non-dualité viendra par la grâce du guru et votre première affirmation "Je suis le dévot de tel Dieu" sera dépassée. Mais pour cela, il faut vous abandonner à votre guru et suivre son enseignement.

Swâmi Prakashânanda : Ce que Mâ dit pour le bénéfice des

disciples, c'est qu'il faut considérer trois points de vue :

• Le premier est le but : je suis Dieu, je suis le Soi.

• Le deuxième est intermédiaire : je suis une partie de Dieu ou du

Soi

• Le troisième est le point de départ : je suis le serviteur de Dieu.

Quand on atteint le premier point de vue, seul le Soi est, rien d'autre ne demeure.

Quand on en est encore au deuxième point de vue, il faut ressentir : "Je suis comme une machine que Dieu dirige selon Sa volonté, je ne suis donc qu'une partie de Lui..."

28 Hanuman : Sous l’apparence d’un singe, c’est le fidèle serviteur et compagnon de Rama (le héros de l’épopée du Ramayana)

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Mais on doit d'abord partir du troisième point de vue, et, selon l'enseignement de son guru, pratiquer la méditation, pour réaliser graduellement le Soi, comme la chenille qui devient graduellement chrysalide puis papillon.

Partant du point de vue de celui qui considère Dieu comme extérieur à lui, on doit d'abord réaliser qu'on est une partie de Dieu, puisqu'on est le Soi Lui-même. C'est là le sens de la célèbre prière d'Hanuman à Rama : "Je suis Votre dévot, du point de vue du corps. Du point de vue de l'ego, je suis une partie de Vous. Et du point de vue du Soi, je suis Vous" ...

De même qu'on a l'impression que le soleil entre et sort des nuages, on a l'impression que le Soi entre et sort du corps. Mais en réalité le soleil n'est jamais prisonnier des nuages, pas plus que le Soi ne l'est du corps.

Pour comprendre cela il faut méditer.

Question : Je veux vous poser une question, Mâ.

Mâ : Non, non, je connais votre question, je vais la poser moi- même. Vous voulez poser la question de la dualité (dvaïta) et de la non-dualité (advaïta).

Voici ma réponse : la position dualiste est acceptée du point de vue du disciple, mais du point de vue du but, c'est la non-dualité qui est vraie.

Swami Prakashânanda : Mâ a expliqué le paradoxe des rapports entre le point de vue dualiste et le point de vue non-dualiste. La position du disciple, au début, est forcément dualiste et c'est pour cela que, bien que nous soyons non-dualistes, nous assumons la position dualiste pour aider ceux qui commencent une ascèse.

Mâ : Quand on commence la sadhana, on dit : "Voici Krishna" ou "Voici Rama" ou "Voici le Seigneur", etc.

Mais après avoir réalisé la vraie nature de Krishna ou de Rama ou du Seigneur, on dit : "Tout est Krishna" ou "Tout est Rama" ou "Tout est le Seigneur".

Cela étant, où est alors la différence entre le point de vue dualiste et le point de vue non-dualiste ? Le Dieu qui a formes et qualités et qui, au départ, est ressenti par le sadhaka comme un autre que lui, ce même Dieu est ensuite réalisé comme étant la totalité de l'existence, le Brahman omniprésent. Quand le sadhaka réalise cela, il se fond en Brahman. Alors ce qui était dévotion ou amour de Dieu est transcendé. Il n'y a plus ni dévotion ni absence de dévotion, car il n'y a plus de différence entre Dieu et son adorateur.

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