Extrait
chapitre
numéro
6

Satsang du 12 novembre

Questions-réponses avec Sri Mâ Anandamayi à Nadiad, mars 1979
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SATSANG DU 12 NOVEMBRE

Question : Mataji, vous avez présidé cette semaine de médiation à Nadiad, près du samadhi29 de Santaram30, qui est un lieu saint. Comment cette idée vous est-elle venue et qu'est-ce qui vous a poussée à nous bénir à cette merveilleuse occasion ? Nous voulons tous vous entendre sur ce sujet. S'il vous plaît, expliquez les raisons de votre choix.

Mâ : (qui est difficilement audible sur l'enregistrement, dit en résumé : ) — C'est mon khelaya31 qui en a décidé ainsi.

— C'était le désir de beaucoup des mahâtmas qui sont présents ici aujourd’hui.

— C'est le résultat de la somme des désirs de chacun d'entre vous.

— Cette retraite devait se tenir ici pour le bénéfice de vous tous. Mettez-la à profit pour reconnaître par vous-mêmes votre Vraie Nature.

Question : Santraram a quitté son corps il y a environ 150 ans et nous avons entendu dire que, quand vous êtes arrivée ici le 4 novembre, vous avez eu dans la nuit une vision du Maharaj et que vous avez parlé avec lui. Mais il s'agit là d'une rumeur et nous aimerions que vous nous disiez directement ce qu'il en est. Qu'était-ce que cette vision ? Que vous a dit le Maharaj ? Nous sommes très désireux d'avoir des détails sur tout cela.

Mâ : J'étais seule et je me tenais en toute quiétude près de la tombe de Santaram. Et, tout à coup, de la lumière est venue de toutes parts et j'ai vu dans cette lumière la forme du Maître Santaram. J'ai eu un face à face avec lui et aussi un entretien...

Swâmi Prakashânanda : Mataji dit que, dans son esprit, la détermination a jailli spontanément qu'il fallait faire cette semaine de méditation près du tombeau de Santaram. Elle a eu le désir de faire ainsi suite à l'inspiration de Santaram lui-même, ce que confirme l'apparition de Santaram à Mataji.

La sainte assemblée que nous voyons ici est la preuve de la validité de la vision de Mataji. Ainsi Shantaram a eu le darshan32

29 Samadhi : dans le contexte, le mot signifie « tombeau », c’est-à-dire lieu où un grand saint est entré en extase définitive de par sa mort.

30 Santaram : maître spirituel célèbre qui vécut au 19ème siècle et dont la ville de Nadiad conserve la mémoire.

31 Kheyala : mot difficilement traduisible qu’utilisait Mâ pour désigner la Force intérieure spontanée qui commandait ses actes et décisions importantes.

32 Darshan : vision que l’on a d’un saint, d’un sage, ou d’une divinité, soit physiquement soit intérieurement.


de Mataji et Mataji a eu le darshan de Santaram, et ces deux grandes âmes se sont rencontrées. En conséquence, ils se sont proposé cette semaine de méditation que nous voyons comme résultat de leur rencontre mutuelle. Pendant cette semaine de méditation, la bénédiction de Santaram vous est donc aussi acquise. Pendant cette vision, Santaram a raconté à Mataji toute l'histoire de sa vie. Ceci est normal car, quand deux grands saints se rencontrent, ils se présentent mutuellement... Nous obtiendrons nécessairement les bénéfices de cette rencontre. Nous devons donc développer notre dévotion pour Mâ, et par ce moyen, achever le but ultime de la vie.

Un homme : Au nom de tous, Mâ, je me permets de vous poser les quatre questions suivantes : Où Dieu réside-t-il ? Que mange- t-il ? Quand rit-il ? Que fait-il ?

(Comprenant que l’homme souhaitait qu’elle raconte à l’auditoire le conte traditionnel qu’il avait déjà entendu de sa bouche en une autre occasion, Mâ s’exécute33)

Mâ : « Il était une fois un grand roi qui traversait une période de crise spirituelle aiguë : malgré tous ses efforts, sa quête intérieure n'avait abouti qu'à une série de doutes qui s'étaient cristallisés autour de quatre questions.

N'ayant réussi à rencontrer Dieu ni dans les temples, ni dans les lieux de pèlerinage, ni même auprès des sages qu'il avait pu approcher, le roi s'interrogeait : "Dieu existe-t-il vraiment ? et si oui, où diable peut-on Le rencontrer ?"

Voyant que les offrandes de nourriture qu'il faisait régulièrement au temple n'étaient jamais consommées par les statues des Divinités mais finissaient toujours dans l’estomac des humains sous forme de prasad, il se demandait : "Dieu se nourrit-il vraiment ? et si oui, que mange-t-Il ?

Les livres qu'il avait lus pour tenter de comprendre d'où venait le monde parlaient de la lîla de Dieu. Mais si le monde était le produit d'un jeu divin, qu'est-ce qui pouvait bien faire rire Dieu dans ce jeu ?

Enfin, devant l'inéluctabilité de la loi de cause à effet qu'il voyait partout à l'œuvre, le roi doutait de plus en plus de l'omnipotence divine : "Face au karma, Dieu est-Il vraiment tout- puissant ?"

De plus en plus tourmenté par ces questions qui restaient sans réponses, le roi eut un jour une idée. Il fit annoncer dans tout son royaume qu'il récompenserait d’une forte somme d’argent

33 Ne disposant pas d’une traduction fiable du “mot à mot” de Mâ, ce qui suit est une transcription littéraire de son récit, davantage fidèle à l’esprit qu’à la lettre de ses propos.

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celui qui pourrait fournir une réponse satisfaisante à ses quatre questions.

À cette nouvelle, tous les savants et les lettrés de la contrée se mirent à réfléchir activement dans l'espoir de gagner la récompense. Mais aucune des réponses qu'ils proposèrent ne put satisfaire le roi. Le temps passa. Alors que se développaient dans tout le pays d'interminables discussions autour de ces quatre questions, le roi devenait de plus en plus perplexe quant à la chance qu'il avait de rencontrer un jour quelqu'un capable de mettre un terme à sa crise spirituelle.

Un jour, cependant, quelques mots d'une de ces conversations entre érudits vinrent aux oreilles d'un paysan illettré. Il demanda aux interlocuteurs la raison de leur ardeur oratoire. Mais ceux-ci se mirent à rire, lui rétorquant qu'il ne serait d’aucune utilité pour lui de la connaître.

Cependant, sur son insistance, ils finirent par lui faire part des quatre questions du roi. À leur grande surprise, le paysan se mit à sourire en disant : "Il ne s'agit pas là de quelque chose de bien difficile. Conduisez-moi au roi, et je lui fournirai les réponses qu'il désire".

Ses interlocuteurs tentèrent d'abord de l’en dissuader, le supposant un peu simple d'esprit :

- Allons, comment pourriez-vous satisfaire le roi sur ces sujets alors que les plus grands lettrés du royaume ont tous échoué ! Mais finalement, l’insistance du paysan à vouloir être conduit au palais eut raison d'eux ; et, la chose s’étant ébruitée, c'est une foule de plus en plus large qui, chemin faisant, s'en alla accompagner notre homme jusqu’au lieu d'audience...

C'était du plus haut comique que de voir ce simple paysan, vêtu de haillons, en présence du roi et de toute sa cour. Le roi sourit à ce qui lui sembla d'abord n'être qu'une plaisanterie. Mais il était juste et intelligent et donna sa chance au paysan.

Devant un parterre bondé d'érudits et de lettrés suspicieux, il posa sa première question :

- Si Dieu existe, où se trouve-t-il donc ?

Le paysan, malicieux, répondit simplement :

- Ô roi, faites-moi d'abord savoir où vous êtes certain que Dieu ne se trouve pas !

En entendant cela, le roi se plongea quelques instants dans une intense réflexion, et, tout à coup, l'omniprésence de Dieu lui devint évidente.

Etonné mais satisfait d'une réponse si éclairante, il posa sa deuxième question :

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- Puisque Dieu ne touche pas aux offrandes de nourriture qu'on Lui fait dans les temples, est-ce qu'Il se nourrit ? Et si oui, que mange-t-il ?

Ce à quoi le paysan répliqua que c'était non pas les offrandes matérielles mais l'ego du donateur qui servait de nourriture à Dieu :

- Ô roi, s'Il ne mange pas la totalité de votre ego, soyez certain que vous ne pourrez pas Le réaliser !

De nouveau, en entendant ces mots, l'intelligence du roi s'éveilla et il fut pleinement satisfait.

En réponse à la troisième question : Qu'est-ce qui peut bien faire rire Dieu ? le paysan expliqua :

- Quand, avant de naître, nous sommes confinés dans le sein maternel, nous souffrons de cet emprisonnement et nous nous souvenons alors de toutes les mauvaises actions commises dans nos vies antérieures. Aussi commençons-nous à prier Dieu avec une repentance sincère et profonde pour qu'Il nous délivre de cette horrible prison qu'est la matrice, et nous Lui promettons qu'en échange, nous serons désormais des adorateurs pleins de ferveur et pleins de zèle. Mais, aussitôt que nous venons en ce monde, nous nous laissons reprendre au piège de Maya34, et, oubliant toutes nos promesses, nous retombons dans nos vieilles erreurs. C'est pourquoi, à chaque fois qu'un enfant vient au monde, Dieu rit, car Il sait combien cet être humain va avoir de mal à tenir la généreuse promesse qu'il Lui a faite avant de naître...

Après cette troisième réponse, le roi devint tout à fait bienveillant à l'égard du paysan, et posa avec déférence sa quatrième question :

- Dieu a-t-il un pouvoir limité par les lois du karma ou bien peut- Il tout faire ?

Mais au lieu d'y répondre d'emblée, le paysan annonça :

- Ô roi, il s'agit là d'une question fort délicate et je ne peux la traiter tant que quelque chose de bien particulier n'a pas été accompli.

Le roi, qui était désormais des mieux disposé à l'égard du paysan, acquiesça en disant :

- Je suis prêt à satisfaire votre demande quelle qu'elle soit.

Le paysan lui dit alors :

- Bien ! Dans ce cas ayez donc l'obligeance de quitter votre place et de prendre la mienne, car, pour pouvoir répondre à votre dernière question, il faut que je sois assis sur votre trône !

Pris au piège de sa propre parole, le roi s'exécuta et vint s’asseoir à la place du paysan, alors que ce dernier gravissait les marches

34 Maya : la puissance cosmique d’illusion.

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du trône, s'y installait, puis entrait dans ce qui semblait être une profonde méditation. Cela apparaissait à tous comme le spectacle le plus incongru qui soit. Aussi le roi rappela bien vite au paysan son devoir :

- Hé ! vous devez donner votre quatrième réponse maintenant !

- Mais je l'ai déjà donnée, rétorqua alors le paysan du haut du trône royal.

- Comment cela ?

- Voyez ce que Dieu a fait ! Si c'est Sa volonté, en un instant, un roi devient un homme ordinaire, et un homme ordinaire devient roi. Puisque Dieu a pu si facilement inverser nos conditions respectives, soyez certain qu’il n’y a aucune limite à Son pouvoir...

Le roi fut comblé dans son attente et la récompense fut acquise au paysan... »

Question : Oui, comme ce roi, si nous voulons atteindre Dieu, il nous faut prendre refuge aux pieds du guru. Je prends donc refuge en vous !

Mâ : Mais moi, je prends refuge aux pieds de Baba Prakashânanda (pour qu'il conclue ce satsang)...