en association avec ma

Rédigé par Amulya Kumar Datta Gupta (1986-1991)
Il avait commencé à publier des articles sur la vie autour de Sri Ma en 1938 et 1940.
Lorsque Ananda Varta a vu le jour, ses articles y ont été publiés. Ils couvrent une période allant d'octobre 1935 à 1946 et sont répartis en trois volumes.

EN ASSOCIATION
AVEC MÂ ANANDAMAYÎ

Volume II

par Amulya Kumar Datta Gupta, paru dans le trimestriel Jay Ma

Décembre 1936. Les fêtes de Noël approchent. Amulya Kumar Datta Gupta a projeté d’emmener son épouse et ses filles en vacances.
Mâ, quant à Elle, doit se rendre à Navadweep, mais la date et la durée de son déplacement n’étant pas bien définies, Datta Gupta hésitant, renonce à l’idée d’aller la retrouver avec sa famille, sur les lieux de son séjour.
Peu de temps après cette décision, il reçoit une missive de Jatin Babu lui annonçant que Mâ resterait à Navadweep jusqu’à la fin de la première semaine de janvier.
Tout excité par cette nouvelle, Datta Gupta revient sur sa décision et choisit d’aller passer ses vacances avec sa famille à Navadweep. Ils entreprennent le voyage le jour suivant et arrivent le surlendemain en gare de Novadweep.

Nous embarquâmes à bord d’un petit bateau pour traverser la rivière et nous nous dirigeâmes vers le dharmashala du Maharadja de Hetampur. Un groupe de nos amis était déjà arrivé au dharmashala. Je les reconnus de loin. Aussitôt mon coeur bondit de joie. Une fois à terre, j’aperçus Mâ qui sortait de sa chambre et qui alla se laver le visage. Elle était accompagnée de Buni, la fille de Jatish Babu, qui la secondait.

Lorsque nous pénétrâmes dans le dharmashala, je rencontrai Jatin Babu et Radhica Babu. Cette dernière nous dit : « Mâ vous a aperçus de loin, alors Elle est sortie de sa chambre et Elle a dit : ‘On dirait Amulya Babu, vous ne trouvez pas ?’ Mais moi je ne vous avais pas reconnu. » Quant à moi, j’étais resté immobile sur les marches de l’escalier, tandis que Mâ se lavait le visage. Lorsqu’Elle se redressa, nous lui présentâmes nos hommages. Elle nous dit alors : « J’étais juste en train de me demander si Babaji allait passer de bonnes vacances. » Je répondis, en moi-même : « Mâ je suis là uniquement parce que vous avez pensé à moi. » Mâ ajouta : « Vous avez quitté Dakha hier, à midi. Vous pouvez considérer que votre voyage continue car nous avons prévu de prendre un bateau maintenant même. » Je pensai : « Qu’il en soit ainsi ».

Triguna Babu et Prankumar Babu sortirent avant les autres pour aller louer des bateaux. Quant à moi, je me rendis au puits du dharmashala et je me lavai le visage et les cheveux. Puis je retournai près de Mâ.

Mâ me posa la même question qu’Elle m’avait posée quelques minutes auparavant : « Vous avez pris votre bain ? »

Moi : « Oui, Mâ » ;

Mâ : « Pendant combien de temps un bain est-il efficace ? Vous prenez un bain maintenant puis il vous faut en reprendre un autre. Un seul bain n’est jamais  suffisant. ».

Ayant dit cela, Mâ éclata de rire.

Je m’efforçai alors de pénétrer le véritable sens de ses paroles. Mâ s’exprime souvent par métaphores. Je pense qu’en l’occurrence Elle faisait allusion à notre coeur impur, ce qui était tout à fait juste.
En ce lieu et maintenant que je suis assis aux côtés de Mâ, aucune impureté n’a pénétré ni ne pénètre mon esprit. Mais bientôt, lorsque je m’éloignerai d’Elle, mon esprit sera envahi par toutes sortes de pensées et pollué par nombre d’idées matérialistes.
Un rapide coup d’oeil de la part de Mâ ne peut pas me laver de toutes mes impuretés et éclairer mon chemin à tout jamais. C’est pour cela que nous avons besoin de « bains » à répétition et que nous devons nous efforcer en permanence de purifier notre mental.

Lorsqu’on dévie de la juste voie, on ne réintègre pas la place que l’on occupait auparavant.

Nous savions déjà que Sisir s’était froissé et qu’il était retourné au dharmashala. Nous étions tous persuadés qu’il ne serait pas revenu.
Et pourtant nous le vîmes revenir en bateau, peu de temps après que nous eûmes terminé le repas. Quelques remarques moqueuses ne manquèrent pas de fuser parmi nous.
A l’évidence il se sentait profondément honteux et n’ayant pas le courage de réintégrer le groupe, il allait et venait avec son bateau se sentant sans doute plus seul que jamais.
Le voyant dans cette situation embarrassante, Mâ dit : « Lorsqu’on a quitté le bercail, on ne peut réintégrer la place qu’on y  occupait auparavant. Et si l’on tente de renouer les rapports on se heurte à une certaine réticence.
Il en va de même sur le chemin de la religion. Une personne qui a emprunté depuis un certain temps la voie spirituelle ne peut plus s’intéresser aux affaires de ce monde avec autant d’intérêt qu’auparavant. »

Distinction entre pur et impur au contact d’une déité.

Tout le monde ayant pris place dans la salle, Sri Nitish Chandra Guha s’adressa à Mâ : « Mâ, qu’en est-il de la distinction entre pur et impur au contact d’une déité ? Lorsque je vais voir Mâ, lorsque je suis en sa présence, tout près d’Elle, pourquoi devrais-je me poser des questions sur la pureté ou l’impureté ? Ma mère, elle, insiste toujours sur cette distinction, mais moi je n’en vois pas le motif !»

Mâ : « Lorsque vous êtes en présence d’une déité que vous percevez comme votre propre mère, dans ce cas il est évident que le problème ne se pose pas. Mais combien y a-t-il de personnes qui ressentent les choses de cette façon ? Il est donc préférable d’observer les préceptes des Ecritures. Si vous avez véritablement atteint le stade où l’on identifie totalement les déités à sa  propre mère, dans ce cas il n’est pas nécessaire que vous vous attardiez sur ce sujet. Alors que dans le cas contraire il faut tenir compte de cette discrimination. »

Les Ecritures et la vérité fondamentale.

Un jour deux ascètes vinrent rendre visite à Mâ. Après quelques simples formules d’usage, la conversation s’engagea en Hindi entre Mâ et l’un des deux ascètes :

« Mâ, quelle est la cause de la naissance et de la mort ? »

Mâ : « Chaque chose a son origine dans l’Un, vit dans l’Un et meurt dans l’Un. »

La réponse ne satisfit pas l’ascète. Il poursuivit la discussion. Mâ lui dit un ou deux mots puis demeura silencieuse. A chaque question que le sannyasi lui posait, Mâ rétorquait : « Baba, tous les mots ne sortent pas toujours de ma bouche. Je n’ai pas une connaissance suffisante des Ecritures pour pouvoir répondre à chacune de vos questions. Je ne sais pas tout. Je vous dis ce que vous me faites dire. Vous ne pouvez pas miser sur moi et ne pas obtenir de réponse. C’est votre faute. A vous de susciter les justes mots de ma part de façon à ce que tous les deux, vous et moi, nous puissions les écouter. »

Être au service de Dieu c’est Lui offrir sa totale dévotion (Bhava).

Un homme accompagné de son épouse arriva au moment de l’offrande à Mâ de bhoga. On nous avait dit qu’il s’agissait de l’inspecteur de la Coopérative des Sociétés à Katwa. Il avait demandé qu’on exécute pour lui les effigies de Gaur (Sri Gauranga) et de Nitai (Sri Nityananda).
Il était venu à Navadweep pour retirer ces effigies. Ayant entendu parler de la présence de Mâ il était venu ici dans l’espoir de la rencontrer. Ce monsieur avait l’apparence de quelqu’un de simple et son épouse semblait être une personne tout à fait pieuse. Lorsque le rite de l’offrande fut terminé, il fit son pranama (attitude de soumission) à Sri Sri Mâ. Mâ lui dit : « J’ai le sentiment de vous avoir déjà vu quelque part ». Mais ce monsieur n’avait pas souvenir d’avoir jamais rencontré Mâ auparavant.
Il informa Sri Sri Mâ de la raison de sa venue à Nordweep. A quoi Mâ se déclara enchantée.

Le visiteur : « Pourriez-vous nous donner quelques conseils sur la meilleure façon de se conduire dans la vie de couple et de famille ? »

Mâ : « Je vais vous dire une seule chose. Vous êtes venus ici pour rencontrer les déités et aussi longtemps que les déités seront avec vous, vous n’aurez besoin d’aucun conseil. Le plus important c’est de garder et d’entretenir le contact avec le Divin. Les problèmes surgissent quand on se sépare de Lui. Efforcez-vous de toujours servir Thakur (Dieu).

Le visiteur : « Dites-moi comment je peux le servir ».

Mâ : « Les conseils viendront de votre être intérieur, aussi longtemps que Thakur sera avec vous. Efforcez-vous de mettre tout votre coeur à Son service et votre esprit lui-même tracera la voie à suivre.
Les personnes parlent de se donner à Lui corps et âme, eh bien c’est en cela que réside le secret de la conduite à tenir. Faites en sorte de toujours garder votre coeur tourné vers Lui. Cela dit, Le servir avec tout son coeur est une chose et Le servir machinalement est une tout autre chose. Vous devriez vous enquérir, auprès de ceux qui savent comment servir le Divin, sur la manière d’accomplir ce service. Dès que vous agissez, bhava (l’esprit) s’éveille.
Et à partir de ce moment-là vous servez par l’intermédiaire de bhava. Le seul véritable service au Divin est celui qui vient de l’esprit. Et ce service n’a pas de règles définitives et absolues. Il est tout à fait personnel et ne nécessite aucune instruction.
Il se peut que bhava se manifeste durant le déroulement du service conventionnel et toutes les instructions qui suivent, concernant le service, viennent alors de bhava lui-même. Voyez-vous, tout le monde peut apprendre un certain nombre de choses en lisant les mêmes livres, mais tandis que certains sont ensuite en mesure de faire de longs discours à propos de ces livres, d’autres sont en mesure, eux, d’en faire des poèmes. Et pourtant ni les discours ni les poèmes ne figuraient dans les livres qu’ils avaient lus.
Tout cela est venu de leur être intérieur. Il en va de même pour le service au Divin. Servir véritablement, c’est-à-dire servir par le moyen de l’esprit, cela n’a rien à voir avec un enseignement. C’est quelque chose qui vient de l’être intérieur. »

Mâ se tourna vers l’épouse du visiteur et poursuivit :

« Tout le monde devrait servir comme Mâ sert son époux. Nous sommes tous des créatures féminines. Il y a un seul et unique époux. Dieu est notre époux commun. Lui seul est un être mâle. Toutes les autres sont des créatures femelles.

Ce qui mène au Hathayoga

Un disciple demande à Mâ : « Mâ, si quelqu’un parle mal de notre gourou en notre présence, comment devons-nous réagir ? »

Mâ : « Il est préférable d’accepter ces calomnies en silence. Dites-vous que c’est par la volonté de votre gourou que vous êtes confronté à ce genre de situation. Cela renforce en vous cette qualité qu’est la patience. »

Après cela, Mâ exposa l’interprétation qu’Elle faisait du cas de Nirmala Mâ – son propre cas. « Voyez-vous, dit-Elle, aussitôt que Nirmala Mâ écoute des kirtan (psalmodies des noms de Dieu) elle ressent une sorte de déséquilibre physique et une forte pression qui semble lui écraser la poitrine. Des réactions qui rappellent les effets du hathayoga. On ressent ce genre de déséquilibre lors des premières séances de sadhana, mais par la suite cela disparaît. Vous pouvez voir des personnes qui pratiquent le hathayoga distordre leur corps de toutes sortes de manières dans différentes postures.
Au début de la sadhana, ou dans la  pratique de la répétition du Nom, on peut sentir ces réactions qui se produisent spontanément dans son propre corps, ce corps physique qui semble s’affoler lorsqu’il entend les kirtan ou qu’il chante les Noms du Divin. Toutes sortes de douleurs physiques se manifestent dans ces moments-là. Et si l’écoute d’un kirtan est douloureuse, le fait de cesser de l’écouter semble encore plus douloureux.
Peut-être avez-vous entendu Mâ dire : « En vérité, écouter un kirtan me fait mal, mais je ne peux pas m’empêcher d’écouter les doux Noms du Divin. Ne pas les écouter est encore plus douloureux ».
Ce genre de conditions exige de la patience. C’est ce qu’on appelle tapasya.  
Et moi j’appelle le tapasya ‘tap saha’(qui procure douleur ou chaleur). Bien que l’écoute des psalmodies du Nom soit source de douleur, il suffit que cette écoute se poursuive avec patience pendant quelques jours pour que la douleur disparaisse. »

Mâ exposa les choses de différentes façons.

Je regardai l’heure, il était presque 3 heures du matin. Je partis me coucher.

Offrande de fruits à Ganga.

14ème Paush, 1343 Mardi (29/12/1936). Mâ avait projeté une sortie matinale sur le Gange. Nous étions tous avec Elle. Nous avions loué quatre embarcations.
Aucune disposition n’avait été prise pour la préparation d’un repas à bord de ces embarcations.
Mâ nous avait dit qu’Elle comptait rentrer après une courte promenade sur le fleuve. Venant de Calcutta, Sachi Babu avait apporté pour Mâ un énorme panier de fruits que nous avions embarqué avec nous. Reliées par des cordages, les quatre embarcations étaient toutes proches les unes des autres. Elles défilaient sur les eaux du Gange.
Miroitant sous les rayons du soleil matinal, les vaguelettes du fleuve semblaient fêter notre passage. Le ciel était d’un bleu extraordinaire.
Autour de nous les eaux limpides et purificatrices du Gange coulaient paisiblement et là, tout près de nous, sereine et souriante, se tenait Mâ, tout de blanc vêtue. Son visage brillait d’une lumière dorée, sa longue chevelure ondoyait doucement sous le souffle de la brise.
On eut dit l’incarnation de la béatitude suprême. Une image à tout jamais fixée dans mon esprit. Visiblement euphoriques, les disciples avaient doucement entonné des kirtanqui ajoutaient une note sublime à ces instants que nous vivions.
Voyant cela, les femmes qui se baignaient le long des berges de Navadweep s’immobilisèrent et regardèrent médusées cette sorte de spectacle que nous représentions. Les voyant bouche bée, Mâ partit d’un éclat de rire joyeux.

L’indifférence de Sri Sri Mâ.

Peu après, le groupe prit le chemin du retour. Arrivés au dharmashala, les uns et les autres se mirent à échanger des propos sur la promenade au fil du Gange. Mâ s’était assise sur la véranda. Quelques instants plus tard, Sachi Babu fit irruption au milieu du groupe. Il tenait à la main un télégramme. Il s’adressa à Mâ : « Mâ, c’est un télégramme de Bholanath. Il est malade. Que devons-nous faire ? »

Mâ répondit : « Il n’avait peut-être pas reçu la lettre que vous lui avez envoyée, lorsqu’il a expédié ce télégramme. Attendons qu’il réponde à cette lettre. »

Sachi Babu répliqua : « Il dit qu’il est malade, il est loin de tout et de tous et nous, nous allons rester là sans rien faire ? Nous devrions au moins lui envoyer un télégramme, non ? »

Mâ :« Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Mais faites ce que vous jugez préférable. »

Mâ prononça ces quelques mots d’un ton qui eut pu laisser supposer que Bolanath était un inconnu pour Elle. Didima et le vieux Dadamahashay étaient avec Bholanath. Elle ne fit pas davantage montre d’inquiétude à leur sujet.

L’indifférence de Sri Sri Mâ est quelque chose de très particulier. Mais nous, nous sommes des êtres faibles et son indifférence ne fait qu’ajouter à notre anxiété.

Sachi Babu envoya un télégramme avec réponse prépayée. La réponse arriva en début d’après-midi annonçant que Bolanath allait bien.

Dévotion et foi en Dieu.

Voyant que la discussion que nous avions entamée se poursuivait, un homme posa une question à Mâ :

« Est-il possible de trouver facilement dévotion et foi en Dieu ? »

Mâ répondit :

« Pour avoir la dévotion et la foi en Dieu, un homme doit faire preuve de résolution dans ses actions et son comportement. Il doit suivre aveuglément la voie qui lui a été tracée par son gourou.
L’aide dont il peut avoir besoin se manifeste d’elle même tandis qu’il parcourt, sous la direction du maître, la voie qui est la sienne. Il est inutile de regretter de ne pas encore avoir atteint un certain équilibre, une certaine tranquillité de l’esprit. L’esprit est inquiet, agité, parce qu’il est privé de sa nourriture naturelle. Nourrissez votre esprit, entretenez-le et il s’apaisera de lui-même.
La nourriture de l’esprit c’est la joie, la joie parfaite, c’est elle qui l’anime, qui lui procure sa vigueur. L’esprit tente, par différents moyens d’ordre matériel, de se procurer cette joie, mais ne parvenant pas à atteindre l’objet de sa recherche – la joie parfaite – il demeure inquiet et agité. Cette joie idéale est inhérente à notre nature et l’esprit est conscient de sa saveur unique.
C’est pour cela que les joies limitées de ce monde ne peuvent le satisfaire. Je compare l’esprit à un enfant. Tout comme un enfant qui cherche sa mère ne se tranquillise que lorsqu’il l’a trouvée, l’esprit lui aussi est à la recherche de sa mère. Et sa mère, c’est la joie parfaite. Je considère que l’esprit est également un grand chercheur de Vérité.
De même que le chercheur ne peut être satisfait aussi longtemps qu’il n’a pas atteint l’objet de sa recherche, l’esprit ne peut trouver la sérénité tant qu’il n’a pas atteint la joie parfaite.

Nourrissez votre esprit d’idées belles et pures. La pratique finira par l’apaiser. Continuez à accomplir vos tâches quotidiennes. Je ne les considère pas comme inutiles, bien sûr. Mais gardez constamment votre regard intérieur tourné vers Dieu.
Que cela soit toujours présent à votre esprit. Et un jour vous atteindrez le but suprême. « So’ham » (je suis cela) et « aham » (ego) sont reliés l’un à l’autre, comme l’arbre et son ombre. Notre ego est une ombre lui aussi, une projection de So’ham, le sens de l’identification à Lui.
De la même façon que l’on peut arriver au pied de l’arbre en « remontant » son ombre, l’homme peut arriver à Dieu en accomplissant ses tâches quotidiennes tout en ayant le regard fixé en permanence sur Dieu.

Mâ poursuivit son enseignement sur ce thème pendant un long moment.

Des obstacles sur la voie spirituelle.

Babaji (Ananda Bhai) dans son attachement pour Mâ, s’oppose à ce que l’on chante des kirtan en sa présence car cela peut engendrer une grande souffrance en Elle.
Par contre Abani Babu, qui est tout aussi attaché à Mâ, est désireux, lui,  de stimuler en Elle les sentiments religieux, en lui faisant écouter le chant des kirtan. Comme si tout cela avait été programmé dans les samskara acquis dans une vie antérieure.

« Vous devez vous demander pourquoi Mâ ressent une telle émotion, des sentiments si intenses lorsqu’Elle écoute des kirtan.
Mâ peut répondre à cela que ces rires et ces larmes, ce plaisir et cette souffrance sont engendrés par le désir. Se sentir heureux quand on écoute une psalmodie des noms de Dieu cela découle d’une sorte de désir. N’avez-vous pas entendu Mâ qui disait, hier : « Je ne peux pas non plus m’empêcher d’écouter la douceur de Ses noms. »
Ecouter Ses noms cela cause de la souffrance, mais s’interdire de les écouter cela cause aussi de la souffrance. Le bonheur et le malheur sont invariablement liés au désir et à l’attachement.
Il faut parvenir au juste équilibre par le biais de ces expériences du plaisir et de la souffrance.
Cette souffrance persiste aussi longtemps que le juste équilibre n’est pas atteint. Elle a sa raison d’être. Ceux qui suivent la voie de la sadhana doivent obligatoirement passer par ce genre d’expériences. »

Cosmologie et Méditation

Un disciple pose une question à Mâ.

D. : « Comment les premiers samskara ont-ils été formés ? »

Mâ : « Ces questions-là relèvent de la cosmologie. Celle-ci en particulier est née dans votre esprit, de même que vous avez en vous les concepts de création, de continuation et d’annihilation. Toutes les actions que vous effectuez, vous les effectuez pour une raison donnée et c’est pour cela que vous considérez que Dieu a des raisons Lui aussi.
Mais dans le domaine de la Vérité dernière cela n’a aucun sens. C’est pour cette raison que les védantistes appellent cela Maya (illusion). »

Triguna Babu : « Mâ, ne devrions-nous pas consacrer davantage de temps à la méditation ? »

Mâ : « Si, car cela renforce la concentration. Et puis la méditation finit par s’épuiser, par se dissiper durant son propre cours. Et ce qu’elle laisse derrière elle est indicible. »

Triguna Babu : « Si la méditation elle-même accroît la concentration, alors nous pourrions très bien méditer sur les choses de tous les jours ? »

Mâ : « La méditation sur les choses de la vie courante augmente sans aucun doute la concentration, mais elle crée des liens, des attaches. Seule la méditation sur les choses vraies peut rompre ces attaches. »

Ce qu’est la Grâce.

Au cours d’un satsang, Nirod Babu pose une question à Mâ.

Nirod Babu : « Mâ, pouvez-vous me dire ce qu’est la Gâce ? »

Mâ : « La Grâce est la récompense obtenue pour des actes exceptionnels qui ont eu lieu dans une vie précédente. Les bonnes actions que vous avez accomplies dans une vie antérieure vous reviennent sous forme de Grâce. »

Nirod Babu : « Une récompense pour mes actions ? J’y ai donc droit ! Ce sont mes gages en quelque sorte ? »

Mâ : « Vous y avez droit, sans aucun doute. Mais vous n’en êtes pas conscient alors vous considérez cela comme la Grâce.
En outre, au cours de la sâdhanâ, le chercheur parvient à un certain stade à partir du moment où tout lui apparaît comme étant la Grâce. Comme si tout ce qui advient sur cette terre était dû à la Grâce du Divin.
Cela est alors totalement libéré de la relation sadhya-sâdhanâ (« accomplissant » et objet de l’accomplissement). C’est le stade de la Grâce. Le stade supérieur transcende la Grâce. Il ne reste plus qu’une seule Existence. Qui manifestera la Grâce et à qui ?

Il ressort donc, de l’interprétation que nous donne Mâ de ce qu’est la Grâce et le purushakara, qu’il existe deux aspects du même concept.
Ce qui apparaît comme étant purushakara lorsqu’on le considère d’un certain point de vue, apparaît comme étant la Grâce lorsqu’on le considère d’un autre point de vue. Tout ce que nous faisons dans l’espoir d’atteindre la réalisation de Dieu, à savoir la méditation, la concentration, etc...était décrit par Mâ comme étant le fruit de l’ignorance innée.
Lorsque le chercheur appréhende, durant les actions qu’il entreprend ou projette d’entreprendre, toute l’insignifiance de son être et qu’il décide de se soumettre en toute confiance au Suprême, au Tout-Puissant, alors commence le véritable purushakara.
C’est à ce moment-là que le chercheur réalise que toute action qui a lieu où que ce soit dans le cosmos, n’a lieu que par la seule décision de l’Être Suprême : Dieu. C’est à partir de cet instant que se manifeste la Grâce, car le chercheur a pris conscience de cet état de fait : rien ne prend forme dans l’univers qui ne dépende de la volonté du Seigneur de cet Univers.
C’est ce que l’on appelle le stade, la phase de la Grâce, peut-être parce que l’ego persiste et continue d’exister. Quand l’ego se dissipe, ce qui demeure  est inexprimable : ce n’est autre que la Vérité Suprême.

Sâdhanâ ou l’apprentissage de la patience.

Sri Sri Mâ commença à décrire ses propres sensations, à la troisième personne, comme Elle avait coutume de le faire. Elle parla donc de l’état de Bimala Mâ :

« Son corps entre en état de confusion lorsqu’elle entend des kirtan et l’on peut voir qu’elle ressent une grande souffrance. C’est du Rajayoga en même temps que du Hathayoga.
Cela se produit quand elle psalmodie ou qu’elle écoute les Noms du Divin. Souvent Mâ est impatiente de quitter Navadweep. D’ailleurs son impatience correspond à la phase particulière de sa sâdhanâ.
Et chaque fois qu’elle insiste pour se rendre à Adyapeeth, je m’efforce de l’en dissuader et je le lui déconseille. Cet obstacle que je dresse sur son chemin est une pratique positive et saine car elle forme à la patience.
Si on laisse à une personne toute liberté d’agir à sa guise et de suivre la voie que son mental agité et impatient désire emprunter, cette personne ne pourra jamais faire l’apprentissage de la patience. Pour celui qui se consacre à la sâdhanâ, la pratique et la discipline de la patience sont de la plus haute importance.
Et c’est pour qu’elle acquière pleinement la pratique de la patience que je me suis opposée à Mâ cet après-midi et que l’ai fait descendre du bateau. Si je l’avais laissé faire, cela lui aurait causé de la souffrance. »

En règle générale Mâ ne discute pas, ne contrarie pas les souhaits des personnes. Je ne l’ai vue enfreindre cette règle que dans le cas de Bimala Mâ et de Nirmala Mâ. Je comprends maintenant la raison de cette exception.

Mâ poursuivit : « La juste pratique de tapasya consiste à contenir avec patience et persévérance la souffrance physique causée par la montée soudaine des émotions.
Si l’on s’astreint à supporter cette douleur en silence pendant un certain laps de temps, après coup, le corps physique est épuisé et comme engourdi.
Certains pourraient considérer cela comme samâdhi, mais ce n’est pas du tout le cas. C’est une sorte de grande lassitude physique.
En réalité, samâdhi et lassitude physique se différencient l’un de l’autre dans leurs effets et leurs manifestations. Même si cela n’est pas évident à première vue.

L’éducation et l’enfance de Sri Sri Mâ.

« Durant mon enfance je n’ai jamais eu aucun livre scolaire pour m’aider dans mon éducation. Tout comme je n’ai rien appris de qui que ce soit dans le domaine religieux.
Il y avait à la maison un thakur-gar (une pièce avec un autel). Guidée par ta grand’mère j’effectuais quelques petits travaux pour le thakur-gar et je me souviens qu’elle me disait toujours que j’étais ‘atela’ (maladroite) ou ‘bedisha’ (rêveuse). Un jour elle me chargea de laver un vase de porcelaine et elle ajouta, comme pour me mettre en garde « Fais bien attention et n’oublie pas de me rapporter au moins les morceaux. »
Je pris le vase et me rendis à la fontaine pour le laver. Et là, tandis que je parlais à un arbre, le vase m’échappa des mains et se retrouva en mille morceaux avant même que j’eus conscience de ce qui s’était passé.
Je ramassai les morceaux du vase brisé et je rentrai à la maison. Ta grand’mère me regarda et me dit : « Qu’est-ce que tu me rapportes-là ? »
Je lui répondis : « Tu m’as dit de te rapporter les morceaux du vase, alors je les ai ramassés. Et les voilà. » Elle ne me gronda pas. Mais elle eut du mal à réprimer un éclat de rire.

Sri Sri Mâ et Swami Purnananda.  

Ou L’aiguille et le ballon de baudruche.

Après avoir traité différents sujets avec les personnes présentes, Mâ commença à parler de Swami Purnananda de Rishikesh.

« Un jour, alors que j’étais à Rishikesh, Swami Purnananda m’envoya un de ses disciples chargé de me soumettre, de sa part, une question.
Sans doute était-il curieux de savoir si j’étais en mesure de répondre à cette question. Le disciple s’approcha donc de moi et me dit : « Mon gurudeva vous demande ‘quelles sont les choses qui apparaissent dans les rêves’ »
Je répondis : « Qui dit ‘rêve’ sous-entend ‘sommeil’. Il y a donc ignorance. Qui peut raconter ce qui apparaît dans l’état d’ignorance ? D’ailleurs, pour un homme de connaissance, tout n’est que rêve. »
Cette réponse plut beaucoup à Babaji. En effet il vint me trouver peu de temps après. De mon côté je lui rendis visite dans les semaines qui suivirent. Babaji était très doué dans de nombreux domaines, dont celui de l’art culinaire où il excellait particulièrement.
Un jour il me dit : « Même si je vous préparais de nombreux plats de mon cru pendant une semaine entière, je serais encore loin d’avoir épuisé mon répertoire de recettes. » D’ailleurs, il prépara toutes sortes de petits plats spécialement pour moi.
Quelque temps après, je lui fis parvenir des rasgulla et des payas d’oranges, deux spécialités que j’avais confectionnées à son intention. Aussitôt il me contacta pour me demander la recette de ces deux spécialités. »

Peut-être était-ce intentionnellement que Mâ avait fait parvenir au domicile même de Swami Purnananda cette simple vérité selon laquelle, en dépit de l’étendue de ses talents dans l’art culinaire, il avait encore des connaissances à acquérir dans ce domaine.
Peut-être avait-il besoin de cette leçon. Ce qui est certain en tout cas, c’est que cet envoi fait par Mâ, n’était pas un simple échange de courtoisie. Par la suite Elle ne lui envoya plus rien.

Présence d’êtres immatériels.

Ce soir-là, Mâ nous dit, au beau milieu de la conversation : « Ne croyez pas que vous soyez les seuls à être présents dans cette salle. Il y a beaucoup d’autres êtres ici. Tout comme vous, ils sont venus écouter mes paroles. »

Un disciple : « Mâ, vous n’avez pas rencontré Mauranga Mahaprabhu ou d’autres êtres, ici à Navadweep ?

Mâ ne répondit pas directement à cette question. Elle dit toutefois : « Quand je vais quelque part, je rencontre le bhava, l’esprit dominant de l’endroit. »

La discussion se poursuivit fort tard dans la nuit. Vers 3h30, nous décidâmes d’aller nous reposer.

Il n’y a pas d’autre voie que celle-ci


Le 20 décembre 1939

Lorsque je rendis visite à Mâ, ce matin-là, je constatai que Sri Navataru Haldar était déjà sur les lieux. Il était accompagné d’un ami à lui, un médecin. Il présenta  ce dernier à Mâ et après les formules habituelles il ajouta : « Il y a quelques jours de cela, son fils est mort à la suite de graves brûlures. »

Mâ : « Chaque fait qui se produit dans notre vie est inscrit dans notre destin. Il faut comprendre que ces évènements sont inévitables. C’est notre destinée qui s’accomplit. Il y en a qui meurent le corps brûlé par les flammes, d’autres qui meurent l’esprit dévoré par le feu.

Docteur : « Il devrait y avoir une limite à la souffrance. Nous devrions avoir la force suffisante pour supporter la douleur. »

Matajî : « En vérité, c’est Lui qui nous donne cette force. Chacun, ici bas, doit endurer la souffrance qui lui est destinée. Peu importe que l’on considère cela comme une faute du Tout-Puissant ou comme un des aspects de Sa Grandeur, ce qui compte, c’est qu’il appartient à chacun de vivre ce qui lui est destiné. »

Docteur : « Puisque notre sort est de souffrir qu’on le veuille ou non et puisque ce qui arrive, doit de toutes façons arriver, le but de cette vie ne devrait-il pas être de ne rien faire du tout, de rester assis et d’attendre tranquillement que le temps passe ?

Matajî : « Comment peut-il être possible d’éviter l’action ? C’est Lui qui vous pousse dans le tourbillon de la vie et du travail. Les gens travaillent, ils travaillent encore et encore. A la longue ils sont tellement épuisés qu’ils sont contraints de renoncer à toute forme d’action. Mais il ne peut en être ainsi que lorsque l’heure est venue qu’il en soit ainsi. L’homme doit travailler et supporter les conséquences des actions passées, aussi longtemps que son karma n’est pas accompli. C’est la lilâ (le jeu) du Divin. »

Docteur : « Cela équivaut à bastonner une personne après l’avoir ligotée. Une belle situation, il n’y a pas à dire ! Non seulement je dois accomplir mon travail avec les mains ligotées, mais en plus je dois supporter les conséquences de cette situation ! C’est peut-être le jeu du Divin, mais là Il joue à nos dépens !

Matajî (Elle sourit) : « Qui est-ce qui se réjouit ? Qui est-ce qui souffre ? Qui reçoit les coups ? C’est Lui qui frappe et c’est Lui qui reçoit les coups et endure les souffrances. Personne n’existe, si ce n’est l’Unique. »

Docteur : « Si vous voyez les choses sous ce jour-là alors plus rien n’a d’importance. En fait c’est Lui qui fabrique l’abcès et qui, ensuite, devient le médecin et... »

Matajî (Elle l’interrompt) : « Il ne fabrique pas l’abcès. Il devient Lui-même l’abcès. (Dans la salle tout le monde rit). Ecoutez, sur cette terre où vivent les hommes, le malheur et les souffrances sont inévitables. Au début vous étiez un, puis vous êtes devenu deux, puis trois, puis une multitude. C’est pour cela que vous devez souffrir. Mais il y a une chose que vous pouvez faire : prendre des médicaments. Consultez un bon médecin, il vous prescrira un traitement. Ainsi vous pourrez soigner votre maladie. Il n’y a pas d’autre façon de parvenir à la paix. »

Docteur : « Mais où puis-je trouver un bon médecin ? C’est précisément pour cette raison que je souhaitais vous rencontrer. »

Matajî : « La grande difficulté c’est de le trouver le bon médecin. Quoiqu’il en soit, faites vous prescrire, par un médecin que vous considérerez comme étant compétent, les médicaments appropriés. La meilleure des solutions serait de vous faire hospitaliser, parce que à l’hôpital vous seriez contraint de prendre les médicaments prescrits aux heures indiquées.
Sans compter que l’ambiance du lieu vous serait bénéfique. Mais vous n’aurez peut-être pas la possibilité de vous faire hospitaliser. Dans ce cas, prenez vos médicaments chez vous, de façon régulière.
Mais là, hélas, il est probable que vous ferez des erreurs dans les doses et les horaires prescrits ou qu’un régime alimentaire inadéquat contrariera l’effet des médicaments. De nombreuses personnes affirment qu’elles disent et redisent régulièrement le nom du Divin, mais qu’elles n’en tirent aucun profit. Comment peut-on espérer tirer profit d’un médicament bénéfique si par ailleurs on adopte un régime alimentaire totalement pernicieux ? Et c’est ce qui risque de se passer chez vous aussi.
Quoiqu’il en soit, efforcez-vous d’avaler vos médicaments à heures régulières et adoptez, aussi souvent que vous le pouvez, un régime sain et bénéfique. En vous joignant, par exemple, à des sadhu (pratiquants spirituels). »  

Le rire de Matajî.

Mâ était assise dans la véranda située côté est de l’ashram. Nous nous étions regroupés autour d’Elle. Le Professeur Shyama Charan Babu, du collège Agra, se trouvait parmi nous. Il regarda dans la direction de Mâ et lui demanda pour quelle raison, la veille, Elle s’était mise à rire aux éclats.

Matajî : « Il en va toujours ainsi, avec ce corps, pour ce qui est du rire et des larmes. Vous m’avez vue en train de rire uniquement durant la séance de lecture. Dans la soirée aussi je me suis mise à rire ! De tout coeur ! C’était les gargouillis d’un robinet qui se trouve dans la cour de l’ashram qui me faisaient rire.
Vous avez certainement remarqué que lorsqu’un robinet est ouvert, il en sort parfois un filet d’air qui produit une sorte de chuintement. Eh bien, hier soir, le robinet de la cour de l’ashram faisait entendre ce drôle de sifflement chuintant. Et je n’ai pas pu m’empêcher de rire aux éclats !
C’est sans doute parce que quelque chose ne tourne pas rond dans cette tête !
Et ce n’est pas tout. Le même soir, lorsque Swamiji était en train de faire la lecture, à un certain moment, d’un geste involontaire de la main, il a renversé le pupitre sur lequel était posé son livre. Et cela aussi m’a fait partir d’un grand éclat de rire.
Et pourtant l’incident en lui-même n’avait rien de particulièrement risible. Cela prouve que ce corps peut se prendre à rire, apparemment sans aucune raison valable. N’importe quel fait peut déclencher en lui un éclat de rire. Et toute tentative pour contenir ou pour réprimer ce rire ne fait que mettre de l’huile sur le feu !

Un jour, à l’ashram de Dacca, une séance de kirtan était en cours. Le kirtaniya mettait toute son âme dans les paroles qu’il chantait. Les larmes roulaient sur ses joues et les personnes présentes étaient visiblement très émues.
Mais bien que le chanteur mît beaucoup d’émotion dans ses paroles, ses connaissances sur le plan littéraire ne semblaient guère meilleures que celles de ce corps.
Tandis qu’il chantait avec ferveur, il estropia tout à coup un mot. Bien que l’étourderie ne fût pas très grave et qu’elle n’affectât en rien l’émotion du chanteur et de l’assistance, je partis là aussi d’un bel éclat de rire. Khukuni fit tout ce qu’elle put pour me calmer.
Elle me murmura à l’oreille que mon rire pouvait blesser ou offenser le kirtaniya ou des personnes de l’assistance. Mais en vain. Elle fut contrainte de me conduire dans un autre endroit...où je me mis à rire de plus belle. Je vous raconte cela pour vous donner une idée de ce qu’est mon rire.

Cela dit, ce corps ne rit pas uniquement lorsqu’il se passe quelque chose de comique.
Il peut rire pour un rien ou même pour rien du tout. Par ailleurs, il est arrivé plus d’une fois, que ce corps éclate de rire au spectacle de la souffrance de gens malheureux.
Ceux qui ne sont pas au courant de l’étrange comportement de ce corps pourraient se sentir blessés. Ils pourraient croire que je ris d’eux, de ce qu’ils font ou de ce qu’ils sont, alors que c’est loin, très loin de la vérité.

Il arrive souvent que l’incident qui semble déclencher le rire dans ce corps, ne soit pas du tout la véritable raison de cette manifestation. Par contre, certains incidents du passé ou du futur qui flottent dans mon esprit, peuvent être la cause d’un éclat de rire. »


Le bonheur de la liberté

9e partie - par Amulya Kumar Datta Gupta (traduit du hindi)
paru dans le trimestriel Jay Ma


12 mars 1953

Mâ parle de l'opposition apparente entre souvenirs et oubli, action et inaction, japa et ajapa., vérité est fausseté. Elle évoque aussi un état supérieur :

"Dans cet état,  il n'y a rien qui soit comme la vérité ou l'erreur, la cause en est qu'il n’y subsiste pas de dualité.
Du point de vue du monde, on peut séparer les choses en vraies et fausses. Certes, il peut arriver qu'un propos sorte de la bouche de ce corps, et qu'il soit obligatoirement vrai. Dieu est l'essence de la vérité.
Mais il y a aussi un état où la question du vrai ou du faux ne se pose pas. À ce niveau, il y a seulement un jeu en soi-même [ou : 'un jeu du divin en Lui-même'].
Si l'on se situe à un autre niveau, il y aura quand même la séparation entre vrai et faux. Par exemple, on peut dire qu'on a une démangeaison dans une partie du corps, mais après, quand elle n'est plus là, cela  ne veut pas dire qu'on a menti en en ayant parlé.
De même, si on dit à quelqu'un d'attendre et qu'ensuite on ne peut venir, cela ne veut pas dire qu'on ait dit quelque chose de faux. La vraie raison de cela, c'est que celui qui demande d'attendre et celui qui attend ne sont qu'un seul et même être.

AKD Gupta: Est-ce que nous pouvons appeler ce genre de comportement  'la joie de la liberté'?

Mâtâjî (en riant):  Cela, vous le savez. Vous savez aussi la manière dont on appelle dans les Shastras tel ou tel niveau spirituel. Ce corps n'a pas lu les Shastras.

La prière des gens dépend de leur état

23 mars 1953

  Ce matin, dans l'ashram, nous avons été témoins de la conversation de Mâtâjî avec le docteur Pannalal (le préfet de Bénarès qui était un proche de Mâ, et dont le gendre, Govind Narayan, a été Ministre de la Défense sous Indira Gandhi et est encore l'actuel président de la Sangha). Dans le fil de l'entretien, il a demandé : « En se prosternant devant Dieu, quelle sorte de prière faudrait-il faire ? »

Mâtâjî :  Dans l'idéal, il ne faudrait pas faire de requête, et pourtant, on peut obtenir le fruit de ses requêtes. Il est tellement miséricordieux qu'Il donne tout ce qu'on lui demande. Il se donne aussi Lui-même. Quand on demande des objets du monde,  c'est-à-dire un objet dont on manque, Il apparaît sous forme de manque. Par ailleurs, en ne demandant rien, on peut aussi obtenir Son être entier. Il n'y a pas de cause à cela, à ce niveau tout est Lui.

Dr Pannalal : S'il en était ainsi,  il n'y a pas besoin de prier.

Mâtâjî : Tu peux exprimer la prière, "que ta volonté soit faite", mais cela reste une requête. Si tu dis : "ô Dieu, je ne te demande rien"  cela aussi est une requête. La vérité est que, selon l'état dans lequel se trouve les gens, leurs prières se concrétisent. Quand le jeu de la sâdhanâ s'est déroulé dans ce corps, c'est ce qui est apparu comme évident. À cette période, Bholanâth s'approchait de ce corps et lui disait avec insistance de faire ceci ou cela.
À ce moment-là, c'était une période de pratique intensive et je n'avais aucune envie d'écouter ce que disait Bholanâth, est-ce qu'on doit faire ce genre de demande à Bhagavân [alors qu'il n'a pas envie de les entendre]? Rien qu’en entendant ces demandes, un courant électrique venu du ciel traversait ce corps et il demeurait comme frappé par la foudre. Ainsi, les propos de Bholanâth furent enterrés, et il n'y eut plus de demandes qui sortaient de sa bouche.
Je pourrais comparer cela à une tempête qui assaille un voyageur en chemin,  à ce moment-là on se met à effectuer différents types de prière, mais il y a aussi un niveau supérieur où l'esprit se trouve soudain dans un état où il n'y a pas la moindre trace de demande. C'est donc pour cela qu'on peut dire que les prières des gens remontent spontanément d’après leur état particulier.

Le sens de l'enfant Krishna qui suce son gros orteil

  Mâtâjî (en riant) : Oui, on peut interpréter ainsi le jeu de Krishna. En ce monde, quand on cherche à obtenir le "nectar du pied" il s'agit en fait du sien propre. [le nectar du pied, charan-amrit, vient en général du pied du gourou pendant la puja, Mâ veut dire que le sâdhaka est en lui-même son propre gourou] cela est dû au fait qu'en ce monde, il n’y a rien d'autre que le Un.
Donc, en suçant son gros orteil, Shrî Krishna manifeste le fait fondamental qu'il demeure en lui-même. Tout ce qu'on dit à propos de déguster le rasa signifie seulement qu'il demeure avec lui-même.

[un autre bhakta présente une interprétation un peu différente]

Dr Pannalal (à Mâtâjî): Je ne comprends pas clairement ce que vous expliquez.

Mâtâjî : Pitâjî,  ce corps ne parle que rarement des actions d'avatars comme Râm, Krishna, etc... ou de celles des mahâtmas. Parfois, il peut ressortir certaines idées dans la conversation, mais en général, ce corps ne s'exprime pas sur ces sujets.
Tu peux voir aussi que Dieu lui-même n'explique pas ses propre lîlâs [jeux].
Est-ce qu'il ne pourrait pas le faire lui-même ?
Une des raisons peut-être qu'il est en fait très heureux de voir de quelle manière ses propres lîlâs sont interprétés et développés dans le coeur de ses fidèles. C'est lui-même qui fait en sorte que chaque bhakta puisse interpréter ces lîlâs à sa façon. Ainsi personne ne peut être déclaré de façon claire se trouver dans l'erreur. En évoluant avec spontanéité dans le coeur de ses fidèles, Dieu savoure l'infinie douceur de ses propres jeux.

L’histoire des quatre-vingt-dix-neuf

    Un vieux couple vivait dans une cabane : ils étaient pauvres, mais avaient quand même de quoi manger trois fois par jour et allumer une chandelle pendant quelques temps lorsque l'obscurité de la nuit s'installait.
Cependant, un soir, le voisin vit qu'ils n'allumaient plus de bougie le soir, et qu'en plus ils ne prenaient plus qu'un repas par jour. Il a pensé qu'ils avaient dû avoir un gros problème financier inattendu, et qu'ainsi leur pauvreté avait probablement tourné à la misère. Il s'est enquit discrètement de la situation, en leur demandant ce qui s'était passé.
Ils lui dirent, en le prenant dans la confidences et en lui demandant de ne le répéter à personne : "En fait, nous n'avons pas eu de pertes d'argent, au contraire nous avons trouvé un trésor :  il contenait quatre-vingt-dix-neuf pièces d'or, et nous avons réfléchi ainsi : si nous économisons sérieusement pendant un an, en ne mangeant qu'un repas par jour et en cessant d'allumer une chandelle le soir, nous pourrons compléter cette somme d'une pièce de plus et ainsi pouvoir jouir de la possession de cent pièces d'or !"

SHRÎ MÂ ET LE PR. UPENDRA GUPTA

par Amulya Kumar Datta Gupta
paru dans le trimestriel Jay Ma

   Plus tard, Shrî Mâ est venue s'asseoir dans la salle de kirtans et beaucoup de gens se sont approchés pour lui présenter leurs respects. Nous étions assis à ses pieds et attendions impatiemment qu'elle nous éclaire de ses conseils. Le professeur Upendra Gupta était parmi nous. En guise d'introduction, Abani Babu dit : " Mâ, il est un grand philosophe".

Mâtâjî (en riant) : Baba, qu'est-ce qu'on appelle philosophie ?

Upendra: Qu’est-ce que j'en sais ?

Mâtâjî : Oh! Vous connaissez tant de choses ! Vous enseignez les garçons (en me regardant) : Est-ce que ce n'est pas vrai ? Est-ce qu'il n'est pas professeur ?

Moi-même : Oui, Mâ, il enseignait, mais maintenant il est à la retraite.

Mâtâjî (en riant) : Ainsi donc, vous êtes un enseignant plein d'expérience. Dites-moi, qu'est-ce que signifie  "philosophie"?

Upendra : Je ne pourrais parler que simplement si vous me le demandez. Pourquoi ne parlez-vous pas ?

Mâtâjî : Qu'ai-je donc étudié ? Vous, dites-nous !

Upendra: Parler de quelque chose dont on n'a pas la connaissance, voilà ce qu'on appelle philosophie!

Mâtâjî : Peut-on parler sans connaître quoi que ce soit?

Upendra : Bien qu'on ne sache pas, on prétend savoir.

Mâtâjî (en riant) : Oui,  c'est savoir quelque chose sans le comprendre. Mais Baba, vous avez très bien parlé, en fait.

   Afin de Le connaître, vous devez entrer dans votre vraie nature. Vous demeurez dans le royaume du manque constant. Tout ce que vous faites ne fait que produire de plus en plus de manque. Il ne peut y avoir de paix tant que vous ne transformez pas cet état de manque (abhâva) en votre vraie nature (svabhâva).

Upendra: Que devons-nous faire ?

Mâtâjî : Je vous répète ce que je dis à tout le monde : commencez avec vos études ! Ce qui est destiné à arriver aura lieu de lui-même. Tenez, quand les enfants commencent à étudier, ils ont d'habitude un sujet dans lequel ils sont particulièrement forts. De même, quand quelqu'un se met en chemin pour la quête de la réalisation de Dieu, tout ce qui doit être fait se trouve révélé à partir de son propre intérieur. C'est pour cela qu'on dit que Dieu brille de Lui-même. Il montre lui-même le chemin qui mène à Sa réalisation. Ce qui est nécessaire pour vous, c'est simplement de vous mettre au travail - de commencer vos études.

 Très souvent, vous niez que votre mental soit agité et qu'il vous est impossible de le stabiliser. Mais en fait, de par sa propre nature, le mental ne peut se reposer. C'est pour cela que je considère le mental comme un enfant.
L'intelligence et le sens du 'je' (ahamkâra) sont les parents du mental - enfant.
De même que le père et la mère influencent leur enfant qui ne veut pas travailler de différentes façons afin de le persuader d'apprendre à lire et à écrire, ainsi, grâce au discernement de votre sens du 'je' et de votre intelligence, vous devez concentrer votre mental.
Ce travail doit être accompli avec patience et avec le zèle d'un esprit bien unifié. Sinon, il n'y aura pas de résultats. De même que quand vous désirez extraire de l'eau du sol, vous devez creuser patiemment à l'endroit choisi et ne pas piocher un peu par ici un peu par là, de même, afin de réaliser Dieu, vous devez pratiquer pendant longtemps avec une dévotion unifiée et une persévérance des plus grandes.

 Souvent, on entend dire, quel que soit le nombre de fautes que le plus grand des pécheurs puisse avoir commis, ils seront tous purifiés en prononçant le nom de Râm même une seule fois. Cela est tout à fait vrai, tout comme une seule étincelle de feu brûle plus d'objets que ce que l'homme ne pourra jamais accumuler.
Que vous récitiez son nom ou que vous l'adoriez, quoi que vous fassiez pour réaliser Dieu, si vous l'effectuez avec une patience sans faille et une dévotion unifiée, vous trouverez le chemin de la paix durable.

   En nettoyant la forêt, vous obtenez un champ, vous n'avez pas besoin de créer un nouveau champ. Vous répétez souvent "je-je" (ahamkar) "je suis Lui" (soham), n'est-ce pas?  Savez-vous où cela mène? C'est comme l'arbre et son ombre, si vous suivez l'ombre,  vous arriverez à l'arbre. De même, en vous concentrant sur "aham", vous arriverez au "soham".

जय माँ