sri sri anandamayi

Extraits du Journal de Gurupriya Devi (1925-1938)
traduit de l'hindi par Tara Kini et de l'anglais par Jean E. Louis.
Didi était étroitement associée à Sri Ma depuis sa première rencontre avec Elle à la fin de l'année 1925. Elle a été sa compagne la plus proche, dans la mesure où sa santé le lui permettait, jusqu'à la fin de sa vie.
Elle a tenu un journal, publié en bengali en plusieurs volumes.
Sept ont été traduits en anglais à ce jour, depuis leur rencontre jusqu'au 13 mai 1938.

Volume 5

LE PÈLERINAGE AU MONT KAILASH
Souvenirs de Gurpriya Didi, extraits due volume V de ses carnets
Traduit de l’anglais par Jean E. LouisExtrait paru dans le trimestriel Jay Ma N°100, 101, 103

Dimanche 16 juin 1937
Il était huit heures du matin. Nous nous étions mis en route, avec Mâ, pour le mont Kailash. D’autres personnes devaient encore revenir d’Almora pour se joindre à nous.
Tout le monde avait les larmes aux yeux au moment de quitter Mâ. Nagendada qui était venu de Calcutta, Naren Choudharyavec sa famille, de Delhi, Hari Ram et Manik, de Dehradun, tous repartaient.
Le groupe qui entreprenait ce déplacement était composé de Mâ, Bholanath, Jyotish Dada, Swami Akhandananda, Tunu (le fils de Prankumar Babu), Dasudada, une servante (Keshav Singh) et moi-même.  En outre, Parvati, une fille d’une communauté des collines, nous attendait à Almora pour se joindre à Mâ.

A onze heures du matin nous sommes arrivés au bungalow où nous avions prévu de nous arrêter, dans un endroit qui avait pour nom Barchina. Le paysage environnant était magnifique. Nous avons pris quelques boissons fraîches puis nous nous sommes reposés jusqu’à trois heures de l’après-midi.
Le bungalow était situé à quelques sept miles d’Almora. Lorsque nous avons atteint Dhaulchina, un lieu-dit situé à cinq ou six miles d’Almora, le jour commençait à décliner. Nous avons pris un repas que nous avions préparé nous-mêmes, après quoi nous nous sommes installés au mieux sur la véranda du bungalow pour y passer la nuit. Le lendemain, lundi 17 juin, nous nous sommes mis en route à cinq heures du matin pour nous rendre à Seraghat, à quelques onze miles de distance.

A Seraghat, des arbres particulièrement imposants s’élevaient sur les rives du cours d’eau qui traversait l’endroit. Nous avons préparé le repas à l’ombre d’un de ces arbres. Après le rituel de la fin de repas nous nous sommes étendus sous les branchages.
Marcher sous le soleil à cette heure de la journée aurait été trop pénible. Nous avions une douzaine de coolies qui se déplaçaient avec nous et s’occupaient de transporter nos bagages. Nous avions loué cinq dandi (genre de chaises à porteurs) et engagé par la même occasion quinze coolies. Parvati était accompagnée d’une dame, de sa jeune soeur et de son frère. Ils avaient avec eux deux coolies.
Au moment de la pause, les porteurs avaient préparé des roti pour leur repas puis ils s’étaient étendus pour se reposer. Chacun d’eux avait pour tâche de porter une charge qui ne devait pas dépasser un certain poids.
A Almora, Tunuavait cherché un endroit où louer un cheval, mais en vain. Il espérait tout de même en trouver un en cours de route. Nous avons dû par ailleurs nous procurer un autre dandi à Seraghat, car l’un des nôtres n’était plus en état de poursuivre le parcours.

Nous faisions une halte de temps à autre dans les quelques rares boutiques que nous trouvions encore sur notre chemin, pour nous approvisionner en riz, dal (lentilles), ghî (beurre clarifié), sel et autres denrées essentielles. On nous avait avertis, en chemin, que ces échoppes étaient introuvables au-delà d’un certain point.
On nous avait même précisé qu’après Garbiyan, il ne nous faudrait plus compter que sur nos propres  ressources. C’est d’ailleurs pour cela que, dans une certaine mesure, nous nous  étions  fournis en nourriture avant d’entreprendre notre randonnée : fruits secs et en conserve, sucre candi, poivre en poudre et diverses autres choses. Il est vrai que ces denrées sont indispensables dans la traversée des régions montagneuses froides et enneigées, autant que le sont les vêtements chauds, les lunettes de soleil et le matériel imperméable.
On nous avait dit aussi que des voyageurs avaient eu des vertiges et s’étaient sentis mal sur les sentiers qui conduisent à Garbiyan. C’est en fait pour cette raison qu’une femme qui vivait à Almora, nous avait préparé une décoction à base de poivre, de poudre de mangue et autres épices, décoction dont elle était convaincue qu’elle nous aurait épargné les vertiges et autres troubles apparentés.

Durant le parcours que nous accomplissions, Parvati, la jeune fille de Garbiyan, nous a raconté certains faits assez étranges qu’elle avait vécus dans ce village où elle vivait.
Cinq ans auparavant, nous a-t-elle dit, elle avait rêvé qu’elle se rendait quelque part avec un groupe de personnes. Dans son rêve elle ne voyait pas clairement le visage de ces personnes. Par contre elle avait très bien vu celui d’une dame vêtue d’un sari blanc. Cette dame n’était autre que Mâ.
Elle vit aussi, très nettement, le visage de Bholanath. Quelque temps après ce rêve, elle avait dû se rendre à Almora, pour ses études. Et maintenant, cinq ans après les faits en question, ses études étant terminées, elle s’était jointe à nous tous pour regagner son village natal. Lorsqu’elle nous avait rencontrés auparavant, à Almora, et qu’elle avait aperçu Bholanath, son rêve lui était revenu à l’esprit. Elle avait alors décidé de le suivre jusqu’au Kailash.
Par ailleurs, Mâ lui avait demandé personnellement de nous accompagner dans ce voyage. Et Parvati avait attendu un mois pour pouvoir se joindre à notre groupe. Que d’étonnantes coïncidences dans tout cela ! La dernière fois que nous l’avions vue, elle n’avait pas du tout fait allusion à ce rêve.
Cette fois-ci, par contre, elle nous l’avait décrit en détail. Après avoir entendu cet étrange récit, Mâ a souri puis Elle a déclaré : « Elle était venue à Almora pour suivre ses études, mais pour faire en sorte que ce rêve se réalise ! »

Comme il était merveilleux cet endroit !

A un certain moment, un habitant du lieu, un brahmane, s’est approché de nous et nous a demandé : « Où est Matâjî ? » Nous lui avons alors indiqué le dandi de Mâ. Il s’y est rendu aussitôt et lui a offert des fruits et des fleurs qu’il a déposés à ses pieds en s’inclinant en un pranâm respectueux. Le soir venu, le brahmane est revenu au bungalow. Il portait sur les bras des légumes et du lait. L’un de nous lui a demandé : « Comment saviez-vous que Mâ allait venir ? » Il a répondu : « J’ai lu dans les journaux que Mâ Anandâmayî devait se rendre en pèlerinage au Kailash. J’ai attendu son arrivée depuis ce jour-là. Aujourd’hui j’ai eu le bonheur d’avoir le darshan des pieds de Mâ. »

Combien d’autres fervents de Mâ ont eu le bonheur de vivre de tels instants ? C’est peut-être là, la raison pour laquelle l’Être de la Compassion a quitté le Bengale pour venir dans cette partie du pays. Je me rends compte, maintenant, à quel point ces gens considèrent Matâjî comme leur appartenant, alors qu’ils la connaissent à peine. Ils l’appellent ‘Devi Bhagavati’ et croient en Elle d’une foi simple et solide.

Mercredi 19 juin
Nous nous sommes mis en route vers cinq heures du matin, en direction d’un lieu nommé Thala, situé à quelques dix ou onze miles de l’endroit où nous étions. Après avoir parcouru environ deux miles, les coolies qui s’occupaient des dandi, étaient épuisés. Nous nous sommes donc arrêtés pour leur laisser le temps de se reposer.
Sur le ton de la plaisanterie, Jyotish Dada a pris un ton officiel pour déclarer Swami Akhandananda ‘roi’ du groupe, se proclamant lui-même ‘conseiller officiel’. Nous avons repris notre progression pendant un certain temps, puis les coolies ont dû à nouveau s’arrêter pour reprendre leur souffle et leur force.
Nous nous sommes aperçus alors, durant cette pause, que le dandi de Swami Akhandananda s’était détérioré en heurtant une roche. Sans compter qu’en tombant, une malle avait éraflé, jusqu’au sang, la cuisse de Jyotish Dada et déchiré ses vêtements.
L’évènement est devenu aussitôt prétexte à plaisanterie. Quant à moi, retenant mon rire, je lui ai dit d’un ton sérieux : « Vous vous êtes autoproclamé conseiller plénipotentiaire du roi de cette organisation.
Eh bien regardez dans quelle situation nous ont mis le roi et son fameux conseiller, alors que l’expédition en est à peine à ses débuts ! » Matâjî s’est mise à rire de bon coeur, comme nous tous d’ailleurs. La voix rieuse, Jyotish Dada s’est tourné vers moi et m’a dit : « N’oubliez pas de parler de ce fait divers dans votre journal ! » Effectivement, je n’ai pas oublié, car je trouve qu’il y a quelque chose d’intéressant dans cette anecdote.

Sur le parcours, peu de temps après avoir repris notre progression, Mâ a aperçu une vieille femme qui portait un ballot sur la tête. Elle appartenait à la communauté des collines.
Mâ l’a interpellée : « Matâjî, où allez-vous ? » Sans même poser son ballot à terre, la vieille femme a répliqué : « Je vais là-bas. » Puis elle a poursuivi son chemin.
Les coolies étaient très fatigués. Ils se sont arrêtés et ont calé les dandi. La vieille femme s’est retournée pour regarder Mâ puis, brusquement, elle s’est arrêtée. Elle s’est approchée lentement de Mâ et s’est assise par terre. Il y avait plusieurs enfants avec elle et à en juger d’après le genre de vêtements qu’elle portait, elle donnait l’impression d’une personne relativement aisée.
Elle avait un air intelligent. Elle a commencé à parler avec Mâ de différentes choses.
Lorsque les coolies ont empoigné leurs dandi pour  reprendre le chemin, elle s’est relevée et a dit : « Mâ, les quelques mots que vous m’avez dits semblaient si gentils que je n’ai pas pu continuer mon chemin. Il fallait que je vienne m’asseoir près de vous. Nous sommes des gens simples, alors de quoi pourrais-je parler avec vous ?
Je me suis assise uniquement pour vous écouter parler. » Puis, petit à petit, notre groupe a repris la route et s’est éloigné. Après quelques instants, je me suis retourné. J’ai aperçu au loin la vieille femme. Elle était immobile et regardait encore dans notre direction.

Vendredi 21 juin
Après un certain nombre de difficultés et de péripéties quelquefois désagréables, par suite, notamment, de conditions météorologiques défavorables, le groupe arrive dans la localité de Dharchula.

Dès l’arrivée des coolies qui transportaient nos bagages, nous nous sommes mis à cuisiner. Nous avons pris notre repas vers trois heures de l’après-midi.
Chemin faisant nous nous étions procuré des salades et des légumes frais que nous avons particulièrement appréciés. Nous savions, avant notre départ, que nous n’aurions pas trouvé sur notre parcours tout ce dont nous aurions pu avoir besoin.
Nous nous étions donc munis du nécessaire pour pouvoir affronter un certain nombre d’éventualités. Outre le transport de ce matériel de Calcutta à Almora, nous avions eu également à charge son emballage dans diverses malles et caisses appropriées, chose qui m’avait embarrassé, voire même préoccupé, car je n’avais que peu de familiarité avec ce genre de travail.
Mon embarras avait été d’autant plus grand que je ne voyais pas l’utilité de tout cet attirail, ce qui ne faisait qu’accroître mon incompétence à gérer la chose. Les garçons qui avaient été chargés de faire les achats, étaient rentrés épuisés de cette sorte de mission, car chaque fois que l’un d’eux pensait à un objet, ou à un produit donné, il se persuadait qu’il devait être indispensable et en faisait aussitôt l’acquisition. C’est Mâ qui, en fin de compte, a réglé cette affaire, car Elle savait exactement ce dont nous pouvions avoir besoin. Mais peu de temps après, d’autres personnes nous ont affirmé que tout ce qui avait été prévu initialement pouvait très bien s’avérer indispensable. C’en était trop pour moi.
J’étais tout à coup convaincu de ne pas être en mesure d’accomplir la tâche qui consistait à m’occuper de l’emballage. A ce moment-là Matâjî est venue s’asseoir  près de moi. Elle m’a donné des conseils, mieux, des directives que j’ai suivies à la lettre. En un rien de temps, tout est rentré dans l’ordre. Matâjî est purna (entière), c’est pour cela que tout ce qu’Elle accomplit, Elle l’accomplit de si belle façon. Elle ne favorise ni ne rejette rien. Toutes les choses à résoudre sont d’égale importance pour Elle. Elle ne fait aucune différence entre l’une et l’autre. Elle effectue donc à la perfection chacune des tâches qui se présentent à Elle.

Après le repas, peu avant le coucher du soleil, Mâ a demandé à Jyotish Dada de l’accompagner dans une promenade sur les berges du Gange. A son retour Elle est venue vers moi et m’a dit : « Khukuni, le Gange a emporté avec lui la kurta que vous avez faite pour moi. » Je lui ai répondu : « Cela veut dire que vous l’avez jetée dans le Gange. Vous avez bien fait. »
Le bhava n’est pas chose nouvelle pour Mâ. Souvent il m’est arrivé de parler, dans mes écrits, de sa façon de jeter dans le fleuve des kurta et des dhoti. Et lorsqu’on la questionne à ce propos, Elle répond avec un sourire lumineux: « L’eau l’a emportée. » C’est exactement ce qu’Elle venait de faire. Puis Elle a ajouté : « Ce kheyala s’est manifesté il y a quelque temps de cela. Il vient encore de se manifester. »

En fin de soirée, nous avons congédié les coolies. Ils nous coûtaient une roupie par jour quand ils travaillaient. Mais nous n’aurions pas besoin d’eux à Garbiyan où ils n’auraient rien à faire qu’à attendre.
Et nous aurions dû les payer dix ‘anna’ par jour. Leur tarif est d’une roupie par jour pour le parcours proprement dit et dix ‘anna’ par journée d’attente. Un Rai Sahib d’ici a reçu plusieurs lettres de Krishna Pant de Nainital dans lesquelles le Raja Askote demande que toutes les dispositions soient prises pour un accueil parfait de Mâ.
Il dit également que de nouveaux coolies ont été recrutés, ajoutant que le trajet à venir était très difficile et que ces hommes avaient été choisis pour leur robustesse. Les coolies qui nous accompagnaient depuis le départ étaient fatigués et avaient décidé de repartir dès le lendemain.

Demain nous serons contraints de rester sur place pour attendre les nouveaux porteurs qui se trouvent à quelques sept ou huit miles d’ici. Chacun d’eux portera une charge de trente-cinq seers (quantité traditionnelle bengalie). On nous a dit que le chemin d’ici à Garbiyan était très mauvais et qu’en comparaison, le parcours que nous avons effectué jusqu’à présent était particulièrement facile. Quoiqu’il en soit, chacun d’entre nous se réjouit de tous les moments passés en compagnie de Matâjî.
A minuit, tout le monde est allé se coucher. Durant la soirée, deux bâtons d’encens ont été allumés près de Mâ. Un Ustadji qui connaissait Mâ est arrivé de Dheradun pour nous accompagner jusqu’au Kailash. Il a chanté et joué du bela.

J’étais étendu non loin de Mâ. Sur le point de sombrer dans le sommeil,  quand j’ai entendu tout à coup le son étouffé d’une voix. C’était Mâ qui, complètement emmitouflée dans ses couvertures s’adressait sans doute à moi. Je me suis levé instantanément et je lui ai demandé : « Vous m’avez appelé, Mâ ? »
Elle a répondu : « Est-ce qu’il reste de l’encens ? S’il y en a, allumez-en et fermez la fenêtre qui est près de moi. » J’ai fait ce qu’Elle me demandait. Mâ n’avait pas bougé, Elle était restée enveloppée dans ses couvertures. Alors je lui ai demandé : « Quelqu’un est-il arrivé, Mâ ? ». Sans bouger d’un pouce Elle a  répondu : « Oui ». La conversation s’est arrêtée là. Je suis retourné m’étendre et je me suis enroulé dans ma couverture.

Dimanche 23 juin
J’ai du temps devant moi, aujourd’hui. Je vais en profiter pour relater un fait qui est advenu à Almora, le 14 juin. Ce soir-là, Bholanath était particulièrement furieux contre Mâ. Pour une banale histoire de chapeau. Lorsqu’Elle l’a vu dans cet état de fureur, Mâ s’est mise à battre des mains et à rire aux éclats et puis tout à coup Elle est sortie en nous intimant de ne pas quitter la pièce.
Il nous est arrivé plusieurs fois de voir Mâ dans un état semblable. Je ne pouvais pas la suivre, je suis donc resté sur le pas de la porte en me demandant avec inquiétude où Elle pouvait bien être allée.
Elle est revenue peu de temps après. Elle s’est approchée de Bholanath, qui était encore en proie à la colère et bougonnait à voix basse. Elle a tendu la main vers lui et a commencé à tourner les doigts autour de son visage tout en riant aux éclats. Après quelques instants Elle s’est  écartée de Bholanath tout en lui disant : « Du calme, du calme ! Toujours cette folie ! »
Je suis incapable de décrire avec de simples mots son comportement et l’état dans lequel Elle était à ce moment-là. Tunu, le fils de Prankumar Babu, nous a raconté, par la suite, que lorsqu’il avait vu Mâ dans cet état effrayant, il avait littéralement tremblé de terreur. L’épouse de Dwaraka Prasad, de Bareilly, et sa belle-soeur – l’épouse du D.P.M.G. de Nagpur – étaient assises tout près de là, sur un canapé. Elles ont croisé le regard de Mâ à ce moment-là.
L’épouse du D.P.M.G. m’a dit : « J’ai entendu, quand j’étais jeune, les descriptions que faisait mon père de la forme de Kali Devi, » – dans cette région de notre pays, les femmes savent peu de choses, en général, sur Kali Devi – « Eh bien, moi j’ai vu Mâ prendre une forme identique ! »
L’épouse de Dwaraka Prasad a ajouté : « Quand je l’ai vue dans la forme qu’Elle a prise à ce moment-là, j’ai réalisé que Mâ était la Mère Universelle. » Les autres personnes présentes n’ont pas parlé de leurs visions personnelles. Chacun avait été témoin d’une forme différente.

Une fois encore, Mâ est sortie brusquement de la pièce, nous enjoignant de ne pas la suivre. A onze heures du soir tout le monde était parti, excepté Hari Ram. Bholanath était resté assis, immobile et tout à fait calme. Mais lorsque Mâ est sortie, lui aussi est sorti, il s’est dirigé vers la route. Sa colère n’était pas totalement tombée. Dasu Babu s’est alors précipité et l’a retenu par le bras, mais Bholanath s’est soustrait d’une secousse à son étreinte et a poursuivi son chemin.
Nagen Babu est alors sorti lui aussi et d’autres hommes se sont joints à lui. Ils sont parvenus à retenir Bholanath.Mâ était sans doute allée faire le tour du temple et des édifices adjacents. Quand Elle a vu sortir Bholanath, Elle l’a rattrapé et l’a dépassé à la vitesse de l’éclair.
A ce moment-là, nous nous sommes précipités dans sa direction, mais nous n’avons pas pu la rejoindre. Bholanath, quant à lui, était prêt à revenir, après que nous l’ayons tous raisonné et persuadé de nous suivre. Hari Ram, Swamiji et moi-même, sommes ensuite partis à la recherche de Mâ et sommes arrivés jusqu’à l’édifice du grand temple. Hari Ram a monté l’escalier qui menait au parvis, tandis que je l’attendais en bas. Et il a trouvé Mâ qui allait et venait devant les portes du temple. Quand Elle l’a vu, Mâ a dit : « Allez vous-en tous d’ici et dites à Bholanath qu’il  retourne à sa place, autrement je pars immédiatement pour le Kailash ! Vous pourrez me rejoindre plus tard avec lui. »
Hari Ram venait d’être témoin de la forme de Mâ et avait entendu ses ordres stricts. Lorsqu’il est redescendu, il tremblait littéralement de peur. Le regard perdu, il est allé informer Bholanath de ce qui venait d’être dit.
Celui-ci avait parfaitement connaissance des différents états et des différentes formes que Mâpouvait adopter. Il était déjà retourné dans sa chambre où il s’était étendu après s’être emmitouflé dans une couverture. Alors nous nous sommes assis tranquillement.
Mais la nuit était déjà fort avancée et Mâ se trouvait encore dehors. Swamiji attendait dans la rue, ne sachant s’il devait rentrer ou s’il devait rester là. Il était incapable de décider quoi que ce fût, tant il avait été bouleversé par les ordres qu’avait donnés Mâ.
Entre-temps, Mâ est descendue du temple puis Elle s’est dirigée vers Swamiji et lui a demandé pour quelle raison il se trouvait là, dans la rue. Puis me voyant aller et venir entre l’intérieur et l’extérieur, Elle m’a appelé et m’a dit : « Vous en savez suffisamment, alors pourquoi sortez-vous sans arrêt ? Rentrez maintenant et allez dormir. Moi je rentrerai quand je le déciderai. »
Alors j’ai rejoint les autres à l’intérieur et je me suis assis tranquillement. Ceux quiavaient vu cette forme de Mâ, se sentaient maintenant comme hébétés.
Ces adeptes qui, pour autant qu’ils se souviennent, ne l’avaient jamais vue aller contre la volonté de Bholanath, mais qui l’avaient toujours vue s’efforcer de satisfaire chacun de ses désirs, dans quelque situation ou quelque endroit que ce fût, ces adeptes, qui aujourd’hui, avaient vu Mâ sous cet aspect et cette forme qu’ils ne lui connaissaient pas, étaient totalement abasourdis, partagés entre la peur et la stupéfaction.

Quelques instants plus tard, Mâ est entrée dans la salle, comme si de rien n’était. Elle s’est avancée en souriant et a dit : « Pourquoi êtes-vous encore assis ? Vous n’avez donc pas sommeil ? »
Puis Elle a demandé : « Et Bholanath ? Il dort ? »
L’épouse de Naren Babu a répondu : « Oui Mâ, Baba s’est endormi. »
Mâ a répliqué : « Pas du tout. Très bien, allons voir » et Elle s’est mise à rire. L’épouse de Naren Babu est la personnification même de la franchise et de la simplicité, tout comme son époux, qui a toujours été comme un enfant, en présence de Mâ.
Mâ s’est alors adressée, en langue hindi, à l’épouse de Dwaraka Prasad et à la belle-soeur de celle-ci : « Comment se fait-il que vous aussi vous soyez restées assises ? Vous ne voulez pas dormir ? »
L’une d’elles a répondu : « Pourquoi ne voudrions-nous pas dormir ? »
Mâ a répliqué : « Eh bien allez dormir. » L’épouse de Dwaraka Prasad a dit tout simplement : « Mâ, vous êtes la Mère Universelle. »
Puis elles ont posé la  paume de leurs mains par terre, et ont fait le pranâm aux pieds de Mâ.

Mâ a eu comme un petit geste d’impatience. Elle s’est levée puis Elle est rentrée. Je l’ai suivie. Elle s’est approchée des lits de Manik et de Tunu et leur a dit : « Vous dormez ? » Ils se sont alors réveillés, puis ils se sont levés et se sont approchés de Mâ. Elle a parlé avec douceur : « Comment cela a-t-il pu arriver...etc. » Elle semblait vouloir maîtriser un certain élan mais sa nervosité était évidente.
Tunu, l’épouse de Dwaraka Prasad et sa belle-soeur, avaient croisé le regard de Mâ au moment précis où un influx particulièrement sauvage semblait sortir de son être intérieur. Peut-être était-ce cet échange furtif d’un regard qui avait atténué sur-le-champ l’élan impétueux qui était le sien. En effet,   Elle s’était immédiatement contrôlée puis avait quitté rapidement les lieux. Que se serait-il passé s’il n’en avait pas été ainsi ? Le lendemain même, Bholanath déclara qu’il était hors de question qu’il se rende au Kailash. Alors Mâ nous a regardés et nous a dit : « Attendez, je vais aller apaiser mon Gopal. » Elle est allée le trouver et Elle s’est mise à lui parler de toutes sortes de manières pour parvenir à le convaincre, ce qui a été le cas, car il a finalement consenti à prendre part au voyage. Après quoi Elle est rentrée pour boire un verre de lait. La mystérieuse lîlâ de Mâ est insondable !

Nous avions désormais à notre disposition six coolies par dandi, ce qui était  appréciable, car les chemins allaient être de plus en plus difficiles et dangereux. Six autres coolies allaient s’occuper des bagages. Un dandi avait été loué pour l’usage personnel de Tunu. Les commentaires des gens allaient bon train, car à part le raja de Mysore, personne d’autre ne s’était rendu au Kailash avec un groupe de personnes aussi important. Tout avait été préparé avec une grande rigueur. Avec l’aide, entre autre, de Mate, le chef de l’ensemble des coolies. Vers minuit, tout le monde est allé se coucher.

Parvati nous accompagnait tout le temps. Sa nature simple, naturelle et franche est digne d’être mentionnée. Parfois, comme une petite enfant, elle prenait la main de Bholanath, comme si elle avait peur qu’il se passe quelque chose en cours de route. Elle devait avoir vingt-cinq ou trente ans mais elle n’était ni timide, ni farouche. On aurait dit une amie de longue date.  

Lundi 24 juin
A sept heures du matin nous nous sommes mis en route pour Khela. Une dizaine de miles à parcourir. Le chemin était très accidenté. A un certain moment Mâ est descendue de son dandi, nous conseillant d’en faire autant car, nous a-t-Elle dit, le risque de basculer à terre était sérieux. J’ai marché aux côtés de Mâ, à quelque distance des autres. Puis Mâ s’est assise sur un rocher et a commencé à chanter. Une mélodie en langue bengalie dont le leitmotiv était : ‘Reviens, reviens dans ta demeure’.

Une mélodie magnifique qui coulait doucement des lèvres de Mâ, dans ce lieu merveilleux.... Cela a été pour moi un moment extraordinaire. Puis le reste du groupe nous a rejoints et tous ensemble nous avons poursuivi notre chemin. Nous avons rencontré, sur le parcours, Ruma Devi, une femme que tout le monde connaît ici.
C’est une disciple de Sri Sri Sarada Mâ. Je l’ai vue très heureuse d’avoir le darshan de Matâjî. Elle nous a tenu compagnie jusqu’à Khela, où nous sommes arrivés aux environs de treize heures. Le Gange rugissait en contrebas du chemin. Sous la conduite protectrice de Kali, il roulait en toute hâte au-devant de son destin. Insouciant des  écueils, bravant les obstacles, il les contournait et se lançait dans des virevoltes emportées, pour repartir de plus belle, dans un éclat de rire sonore et joyeux, à la rencontre du grand océan. J’avais la conviction profonde que les accents de Kali, mêlés aux flots tourbillonnants, étaient en train de hurler aux humains la façon dont ils auraient dû aller à la rencontre du Divin.  

Ruma Devi s’est arrêtée avec nous à Khela. C’est une sannyâsini. Elle est d’une nature très calme. Sa demeure se trouve par là, quelque part au milieu de ces montagnes. Elle a reçu la dîkshâ de Sri Sri Sarada Mâ, un an avant que celle-ci ne quitte son corps. Son ashram se trouve précisément à Khela.
Elle y reçoit de nombreux pèlerins à qui elle prodigue son aide sans compter. Le service est d’ailleurs l’idéal qu’elle poursuit avec constance et ferveur. Narayan Swami de Mysore vit également dans cet ashram. Elle a de nombreux disciples, dont la majorité des femmes qui vivent à la mission d’Almora. Les femmes de la communauté des collines qui sont venues avec nous à Almora, ne manquaient jamais de rendre visite à Narayan Swami et à Ruma Devi, lorsqu’elles étaient de retour du Kailash.

Ruma Devi doit avoir une soixantaine d’années. Elle est restée aux côtés de Mâ pendant très longtemps et ne manquait jamais de se confier à Elle. Et maintenant elle a exprimé le désir de vivre quelques jours aux côtés de Mâ, dans le but de parvenir à la paix véritable.
Elle a passé la nuit assise près de Mâ dans notre minuscule dharmashâla. De nombreuses fois elle a dit son bonheur d’avoir le darshan de Matâjî. Elle a déclaré qu’elle éprouvait la même joie qu’elle aurait éprouvée aux côtés de sa propre mère. « Je n’ai jamais connu de plus grand bonheur de toute ma vie ! » a-t-elle affirmé.

Vendredi 27 juin
Ce matin, à six heures, nous nous sommes acheminés en direction de Malpa, à sept ou huit miles d’ici. La journée s’annonçait plutôt mal. Aucun d’entre nous n’avait pris place sur les dandi, car le chemin était tellement accidenté qu’il était très difficile de s’y déplacer, même à pieds. Mais malgré les difficultés et avec l’aide des coolies, nous sommes tout de même arrivés à bon port. A treize heures trente exactement.

Le parcours avait été magnifique. De très belles cascades agrémentaient le paysage.
Mais nous n’étions guère en condition d’apprécier le décor à sa juste beauté. Nos jambes tremblaient de fatigue et le soleil flamboyait au-dessus de nos têtes. Nous craignions une chute à tout moment. Les difficultés auxquelles nous nous heurtions n’étant sans doute pas suffisantes, il nous a fallu également nous mesurer à un obstacle...vivant : un troupeau de moutons qui avait emprunté le même chemin que nous ! En sens inverse ! Et chaque mouton portait une lourde charge !
Un flot à double sens, voilà qui décuplait les difficultés ! Et ce n’était pas tout...Par endroits, le chemin était détérioré. Apparemment aucun entretien d’aucune sorte n’était en cours. On nous a raconté, à ce propos, que lorsque le Radjah de Mylore avait effectué ce même trajet cinq auparavant, le Gouvernement s’était empressé de remettre le chemin en état. Mais après cela plus rien n’avait été fait.

Aujourd’hui, tandis que nous progressions, Mâ est venue me voir plusieurs fois pour me dire de garder un oeil sur le dandi de Baba. En tête de la troupe
Elle a même dit : « Khukuni, reste avec Baba, il est en arrière. » Je ne comprenais pas pourquoi Elle me faisait toutes ces recommandations. De toutes façons, tous les jours le dandi de Baba était en queue du groupe.
Quoiqu’il en soit, peu après, le dandi de Mâ a été heurté par un éboulement de pierres. Le dandi a été renversé mais Mâ n’a pas été blessée. Le dandi était inutilisable.
Matâjî a déclaré : « Je savais qu’un dandi allait avoir un accident aujourd’hui. Heureusement que c’est le mien qui a été touché. » Peu après, le dandi de Baba a été également frappé par des pierres, mais Baba, fort heureusement, était indemne.

Aucune boutique, pas la moindre échoppe à Malpa. Nous n’avons donc pas pu nous y approvisionner en nourriture. Mais nous avons réussi à nous procurer  du bois de chauffage. Et il est vrai que nous avions apporté de la farine et des pommes de terre, de Dipti. Le soleil était déjà couché lorsque nous avons terminé le repas que nous avions eu quelques difficultés a préparer. En effet nous étions obligés de cuisiner à l’air libre où le vent qui soufflait nous compliquait la tâche. Sans parler du fait que nous étions tous épuisés.

Le local que nous avons obtenu était encore plus délabré que celui de Dipti. Nous nous sommes arrangés tant bien que mal pour nous abriter à tout le moins de la pluie. Le sol était couvert de poussière et jonché de crottes de chèvres et autres détritus. Nous avons étendu nos cirés à même le ciment et nous nous sommes préparés à passer la nuit dans ce nouveau refuge. Les sangsues sévissaient dans cette région. Elles infestaient littéralement le local. Et nous ne pouvions rien faire car nous n’avions aucune alternative.

Les difficultés du voyage ajoutées à celles de la montée particulièrement rude, ne nous avaient laissé, à tous, que bien peu d’énergie pour seconder Matâjî. Les conditions de Jyotish Dada n’étaient guère rassurantes. Il n’y a que Bholanath qui est arrivé en bonne forme. Il a déclaré : « Je n’ai pas trouvé le parcours difficile aujourd’hui ! » Dehors il bruinait, mais nous nous étions arrangés pour ne pas être mouillés. Nous avons dû nous endormir aux alentours de minuit. Dans ces régions là, la menace des mouches augmente avec l’altitude. Et si les nuits sont froides, les journées, elles, sont très chaudes. (A suivre)

Mardi 2 juillet
Au lever nous avons pris quelques boissons rafraîchissantes puis nous sommes partis vers dix heures pour nous rendre chez Parvati. Nous avons dû traverser une rivière. Il y avait des champs partout autour de nous. Toutes les cimes des montagnes étaient enneigées. Le chemin montait puis descendait pour remonter de nouveau. Nous étions à pied, seule Mâ était dans son dandi. Le trajet jusqu’à la maison de Parvati nous a littéralement épuisés. Une tente avait été dressée pour nous.
Nous y sommes entrés et aussitôt nous nous sommes étendus après avoir pris quelques couvertures qui se trouvaient là, à notre disposition.
La mère de Parvati est venue saluer Mâ et lui a porté du lait de sa propre vache ainsi que de la nourriture. Puis elle nous a fourni tout le nécessaire pour préparer de quoi manger pour toute la troupe. Nous avons fini notre repas alors que le jour commençait à laisser place à la nuit. Peu après il s’est mis à pleuvoir. La tente laissait pénétrer quelques gouttes de pluie, mais nous avons fini par nous endormir.

Mercredi 3 juillet
Nous avons prévu de nous mettre en route après avoir mangé. Nous avons donc préparé le repas puis nous avons déjeuné. Après quoi nous avons tous rangé nos affaires. Nous avons vingt-et-un chevaux à notre disposition. Nous avons en outre un dandi pour Mâ. Notre guide se nomme Sandel Singh. Il nous a demandé quarante-cinq roupies pour le travail qu’il doit accomplir.
Nous avons chargé nos bagages et nous nous sommes mis en route vers treize heures trente. Le parcours que nous avons effectué était des plus difficiles. Nous étions à cheval, mais nous avions constamment peur de faire une chute. Les chevaux heurtaient sans arrêt des pierres ou des rochers qui affleuraient, ils progressaient donc lentement. Après un certain temps, le chemin est devenu moins accidenté, il semblait plus plat et même surélevé.
Cela dit, il était toujours jonché de pierres de toutes tailles et son tracé n’était pas bien défini. Il y avait de la neige et de la glace partout autour de nous et il régnait un silence absolu. Il n’y avait pas le moindre signe de vie humaine, aussi loin que portait notre regard. Les lieux étaient parfaitement tranquilles et sereins. Calés tant bien que mal sur nos chevaux, nous avancions  les uns derrière les autres, lentement. Le dandi de Mâ nous suivait à une certaine distance.
Nous étions souvent contraints de descendre de cheval, lorsque le terrain se faisait plus accidenté. Nous avons même dû, à un certain moment, traverser le cours du Gange. De tous côtés, des torrents jaillissaient des flancs de la montagne et roulaient précipitamment vers la vallée. A plusieurs reprises, nous avons dû traverser des rapides et nous aventurer sur des blocs de glace aussi énormes que des montagnes. Nos corps étaient engourdis par le froid. Lorsque nous avons traversé Kali Ganga, nous avons laissé derrière nous le royaume du Raja du Népal et nous avons poursuivi notre chemin.

Quelque temps après, nous sommes arrivés dans un endroit qui porte le nom de Kalapani. Quatre tentes avaient été dressées pour que nous y passions la nuit. Nous étions trempés à la fin du trajet. Et la pluie n’a pas cessé de toute la nuit.
La plupart d’entre nous n’ont rien mangé tant était grande notre fatigue. Dasu et Tunu, eux, ont mangé des khichdi. Puis Keshav Singh s’est joint à eux. Ils ont fini tant bien que mal leur repas et ils se sont affalés sur leurs couvertures. Le guide a déclaré : « Demain nous devrons parcourir au moins cinq miles avant de nous reposer. Le trajet sera très difficile, il faudra donc manger avant de partir. »

Autour de nous il n’y avait, pour nous tenir compagnie, qu’une rivière bruyante et bouillonnante et une montagne gigantesque. C’était la première nuit que nous passions dans un tel environnement. Le sol était très humide, alors nous avons utilisé les tapis de sol que nous avions dans nos bagages. Il me revient à l’esprit que lorsque nous étions sur nos montures, endossant nos imperméables, nos capuchons et nos vêtements comme les Punjabi, tout semblait calme et tranquille autour de nous.
Un parcours inoubliable. Notre tenue était nouvelle, la scène environnante était nouvelle et nos pensées aussi étaient nouvelles !

Jeudi 4 juillet
Nous avons passé la matinée à cuisiner et à manger. Nous n’avions que cinq miles à parcourir, mais les chemins étaient tellement mauvais qu’il valait mieux partir de bonne heure. Vers onze heures nous avions terminé, mais il s’est mis à pleuvoir. Que fallait-il faire ?
Eh bien il fallait se mettre en route de toutes façons. Il n’y avait pas d’autres solutions. Nous avons revêtu nos cirés de circonstance, nous avons enfourché nos montures et nous sommes partis sous la pluie. Matâjî était dans son dandi.
En temps normal, le chemin était difficile, mais avec la pluie il l’était davantage encore. Souvent nous avons dû avoir recours à l’aide des coolies. Bref, aucun tronçon du parcours n’était meilleur que celui qui précédait ou celui qui suivait ! On nous a raconté que dans de tels endroits les gens libéraient leurs chèvres et qu’ensuite ils les suivaient, car elles les guidaient à travers les montagnes.
Et nous, nous en étions à ce niveau de difficultés ! Parfois, un homme des collines nous indiquait la route à suivre, ou s’efforçait de le faire. Nous avons dû aussi traverser plusieurs cours d’eau torrentiels.
Il nous est arrivé de rencontrer, ici et là, dans ces lieux on ne peut plus accueillants, des marchands de bétail. Hommes et animaux étaient à l’abri sous des tentes. La pluie avait redoublé d’intensité. Les habitants de la région nous ont affirmé qu’ils n’avaient jamais vu cela auparavant.
Cela dit, nous avons  remarqué que lorsque Mâ entreprend un voyage ou un déplacement quelconque, la pluie, les averses, la tempête, sont toujours de la partie. Ainsi, outre le froid glacial, nous avons dû affronter une pluie qui nous trempait jusqu’aux os. Nos corps étaient engourdis, quant à nos pieds nous ne les sentions pratiquement plus.
Nous nous sommes efforcés de résister aux assauts de la pluie mais nous nous sentions comme des blocs de bois rigidifiés. Il est difficile de décrire l’état dans lequel nous étions. Seuls ceux qui ont vécu ce genre d’expériences sont en mesure de nous comprendre.

Il était treize heures trente lorsque nous sommes arrivés dans un endroit qui se trouvait sur les avant-monts de certains sommets élevés. Tous nos bagages étaient complètement trempés. Le guide a fait en sorte que ses hommes dressent trois ou quatre tentes pour nous. Parvati Devi, qui nous avait accompagnés, est parvenue, avec l’aide d’un jeune garçon, à allumer un feu en se servant du bois que nous avions apporté avec nous.
Notre abri était une petite étable à chèvres, dans un état délabré. Elle consistait en un entassement grossier de pierres, de galets et d’éclats de rochers. Plusieurs d’entre nous se sont empressés d’aller s’asseoir autour de ces flammes ‘revivifiantes’.
En peu de temps, leur air presque béat, semblait indiquer qu’ils renaissaient littéralement à une nouvelle vie. Nous ne nous sommes même pas souciés de savoir sur quoi nous étions assis. Ce n’est qu’après un certain temps que nous avons réalisé que nous nous étions affalés sur une sorte de tapis de sol naturel, fait d’un mélange de crottes de chèvres et de moutons !
La porte d’entrée de cette étable était une petite ouverture à travers laquelle il fallait se faufiler, tête baissée, pour entrer ou sortir. Dans d’autres lieux et d’autres circonstances, nous n’aurions pas pu rester dans ce genre de local, mais dehors le froid était tel et la chaleur de notre feu nous semblait si réconfortante, que nous y sommes restés jusqu’au soir. La pluie n’a pas cessé un seul instant.
Nous avons transporté des braises dans la tente afin d’y allumer un autre feu. Il fallait faire sécher les vêtements que portaient Matâjî, Bholanath, Jyotish Dada et Swamiji. Mais nous n’avions que peu de bois et il était très difficile d’entretenir un feu dans ce lieu où dominaient l’eau et la glace. Sans compter que la pluie gouttait dans le feu que nous venions d’allumer.
Nous avons préparé quelque nourriture que nous avons mangée sans attendre, puis nous nous sommes étendus après nous être emmitouflés dans nos couvertures. Mais nos corps avaient du mal à se réchauffer. Notre expédition – car ce n’était plus un voyage – était pour le moins inhabituelle. En début de soirée, nous avons dû faire bouillir du riz pour Jyotish Dada et son père qui souffraient de troubles de l’estomac. Ainsi, nous avons passé une autre nuit dans la montagne. Cet endroit porte le nom de Dobra.

Samedi 6 juillet  
Lorsque nous avons débouché de l’autre côté de la colline, le paysage qui s’est offert à nos yeux était tellement extraordinaire qu’un sentiment de profonde béatitude nous a envahi, au point d’en oublier les conditions dans lesquelles nous nous trouvions.
Dasu Babu semblait en extase. Il a simplement crié : « Mâ ! Mâ ! » Puis il a éclaté en sanglots.
Bholanath n’a rien voulu manger. Il a simplement dit qu’il ne mangerait qu’après avoir atteint Takalkot. Il marchait avec un plaisir évident. Swamiji était resté légèrement en arrière.
Regardant Jyotish et moi-même, Mâ nous  dit : « Surveillez Swamiji, vous et Jyotish » puis Elle est retournée vers lui et lui a dit : « Je pense qu’il est inutile de s’inquiéter pour qui que ce soit. Je viens de dire ‘Jai Mâ Tarini’ et je n’ai aucune inquiétude. J’ai pleinement confiance dans le monde. »
De fait, lorsque nous sommes descendus, Elle m’a tapoté joyeusement sur l’épaule et j’ai vu des larmes dans ses yeux quand elle a dit : « Je comprends que Tara Mâ veille sur nous tous. » C’est cette joie qui avait embué ses yeux de larmes.

C’est par la grâce de Mâ et de Bholanath que nous accomplissions dans la joie ce parcours difficile et risqué. Après avoir marché pendant un mile environ, nous avons pris quelque nourriture puis nous nous sommes remis en selle, tandis que Mâ remontait dans son dandi.
Peu après, nous avons finalement abordé une vaste étendue plate qu’il nous fallait traverser. Nous avons vu les montagnes à la teinte laiteuse. Elles étaient couvertes d’arbres et de plantes de toutes sortes. Nous progressions avec difficulté, mais nous avons tout de même pu contempler le décor magnifique qui nous entourait.
La vue était vraiment extraordinaire.
Nous sommes arrivés à Takalkot en début de soirée. Notre guide était parti en avant-garde pour dresser nos tentes avant notre arrivée. Quand nous sommes entrés dans cette localité, quelques habitants des lieux se sont approchés et nous ont regardé d’une telle façon que nous nous sommes inquiétés. Nous avons appris, peu après, que ces gens avaient l’habitude de dévaliser les voyageurs et on nous a recommandé de bien être sur nos gardes dorénavant. Durant notre progression, nous avons aperçu de nombreuses grottes sur les flancs de la montagne. Nous avons appris que ces grottes étaient autrefois habitées par des sadhu.

Dimanche 7 juillet
Nous avons fini notre repas vers onze heures du matin, après quoi nous sommes partis pour Rangung qui se trouve à une dizaine de miles d’ici. Depuis le moment où nous sommes arrivés à Takalkot jusqu’au moment où nous avons quitté l’endroit, j’ai pu assister à un spectacle très intéressant. Les habitants de Takalkot venaient de tous côtés pour voir Mâ qui était constamment entourée par les habitants de l’endroit. Ils ne comprenaient pas un mot de ce qu’Elle disait, mais ils venaient de plus en plus nombreux.
Au moment de notre départ, une foule imposante d’hommes et de femmes s’était réunie, petit à petit, tout autour du dandi de Mâ. Plusieurs d’entre eux ont commencé à toucher les pieds de Mâ qui, Elle, saisissait leurs doigts, ce qui les faisait sourire de bonheur. Ces gens travaillaient les pelages d’animaux et ils avaient apporté toutes sortes d’articles  et d’objets fabriqués par eux, pour nous les faire voir.

Nous sommes arrivés à Rangung en fin d’après-midi, il devait être six heures. Nous avons vu de nombreux temples, tout au long du parcours. Il y avait des inscriptions gravées sur les pierres utilisées pour leur construction et les hommes qui s’occupaient des chevaux appelaient cela des Omkar. Les pinacles de ces temples étaient tous ornés de cornes de chèvres et de moutons également sculptées.
Le trajet que nous avons fait n’était pas trop difficile. Par contre la présence d’éventuels dacoit (brigands de grand chemin)  nous préoccupait grandement et c’est pour cela que nous sommes restés bien regroupés durant tout le parcours.
Par chance, la voie est restée libre et tranquille tout au long de notre passage. De temps à autre nous apercevions un troupeau de yacks, de chèvres ou de moutons.
Nous avons passé des montagnes à n’en plus finir ! Nous avions l’impression que le trajet était interminable et les montagnes innombrables !
Nous n’avions aucune idée du lieu où nous nous trouvions. Il n’y avait pas d’arbres, pas même un arbrisseau sur notre route, par contre il y avait des champs à n’en plus finir. Les gens de l’endroit, eux, savaient très bien s’y orienter.
En fin de compte nous nous retrouvions en train d’aller de l’avant, dans une vallée immense, sans aucune indication d’aucun chemin, dans aucune direction. C’est tout juste s’il y avait quelques arbres et quelques maigres plantes du côté de la montagne. On aurait dit cependant, qu’une main avait décoré le paysage montagneux avec une variété sans nombre de couleurs.
La neige recouvrait pics et sommets, rehaussant la beauté du relief qui les environnait. En foulant la terre de ce chemin que nous ne distinguions pas, nous avions le sentiment d’être partis pour un long, un interminable voyage. Un voyage vers l’infini, peut-être.
Lorsque nous nous sommes arrêtés, le guide, lui, savait d’instinct la distance que nous avions parcourue. A la tombée de la nuit, il avait terminé de dresser les tentes.
Nous nous  sommes alors occupés de récupérer nos affaires personnelles, avant de nous installer pour prendre quelque repos. Puis nous aurions à nouveau démonter nos demeures – nos tentes en l’occurrence – et repris la route une nouvelle fois. Nous étions devenus des nomades ! Baba souffrait de troubles respiratoires, aujourd’hui.
Mâ a donc décidé de lui céder le dandi, pour le trajet de demain, trajet qu’Elle-même effectuera à dos de cheval. Nous avons pris notre repas aussi rapidement que possible puis nous nous sommes étendus pour la nuit.

Mardi 9 juillet
Nous avons bu quelques tasses de thé chaud puis nous sommes partis. Plusieurs  personnes nous accompagnaient. Nous avons parcouru une distance de dix miles pour atteindre Manasarovar. Cette fois encore le guide nous avait  mis en garde contre les dacoit qui, selon ses dires, séviraient aussi sur cette partie du trajet. Mâ monte le cheval de Swamiji qui souffre à nouveau de difficultés respiratoires et qu’Elle a incité à emprunter le dandi. Moi-même, j’ai eu quelques problèmes de respiration au cours de la nuit dernière.
Vers trois heures du matin j’avais beaucoup de mal à respirer. Le froid était insupportable en dépit du fait que nous étions emmitouflés dans d’innombrables vêtements chauds. Au matin, vers huit heures trente, nous nous sommes tout de même mis en route.
Auparavant, nous avions déjà rencontré des dacoit sur ce chemin mais, par la grâce de Mâ, rien de fâcheux ne s’était produit. Nos hommes portaient des fusils et autres armes. Sur le trajet, nous avons rencontré deux hommes armés.
Ils se sont mis à marcher à nos côtés, la manche droite de leur manteau retroussée, ce qui était censé signifier qu’ils étaient prêts à faire usage de leurs armes.
Plus loin, en haut d’une colline, il y avait deux hommes. Ils étaient immobiles et semblaient attendre quelque chose. Ceux qui marchaient à nos côtés leur ont fait signe. Ils sont descendu jusqu’au pied de la colline et se sont assis sur le bord du chemin, comme pour attendre notre passage. Notre guide était lourdement armé.
Il est parti soudain au galop dans leur direction. Il s’est arrêté à leur niveau, puis il est descendu de cheval, s’est assis avec eux et a commencé à  leur parler. Notre groupe, qui continuait à avancer, a dépassé les hommes qui étaient en pourparlers et s’est éloigné.  Après quelques minutes, j’ai vu, en me retournant, que notre guide s’était remis en selle et qu’il était en train de nous rattraper au galop. Il était tout souriant. A l’évidence, il avait obtenu des dacoit qu’ils nous épargnent.

Le dandi se déplaçait lentement. Nous nous arrêtions régulièrement pour qu’il nous rejoigne. Le guide avançait avec une certaine méfiance. Un peu plus loin, nous avons aperçu deux hommes qui attendaient le long du chemin, au milieu de cette étendue totalement désolée. Il n’y avait pas un arbre, pas une plante pour rompre la vaste désolation qui nous entourait.
Que des montagnes !
Aussi loin que pût porter le regard, il n’y avait que des montagnes, uniquement des montagnes, rien d’autre que des montagnes !
Puis nous avons aperçu devant nous, non loin du chemin, un groupe de personnes devant une grande tente. Une nouvelle fois notre guide s’est lancé au galop. Il est allé dans leur direction.
Tout comme nous l’avions fait auparavant, nous avons passé notre chemin. Notre guide nous a rattrapé quelques instants plus tard. Il nous a expliqué que cette tente n’était autre que le repaire des dacoit, en même temps que le refuge de leurs chèvres et de leurs moutons.

Nous avons poursuivi notre progression dans la peur constante de rencontrer une autre bande de dacoits (brigands). Mais tout à coup nous avons aperçu, dans le lointain, le lac Manasarovar. Toutes nos peurs se sont alors volatilisées, comme par enchantement.
Quelle vue extraordinaire ! Un lac gigantesque qui s’étendait jusqu’à l’horizon et dont les eaux reflétaient fidèlement les teintes merveilleuses d’un ciel qui semblait être la copie de l’original qu’il était.

Nous avons parcouru un bon bout de chemin tout en jouissant du spectacle du lac Manasarovar. Puis la configuration du terrain s’est modifiée et nous avons eu des montées particulièrement raides, suivies de descentes tout aussi raides. La vue de Mâtajî montant un cheval, nous était devenue insupportable mais Elle refusa fermement de reprendre le dandi. Le terrain était très mauvais et nos ennuis semblaient ne pas devoir prendre fin de sitôt.
Mâ avançait en tête, toute souriante. Nous nous étions rapprochés de la tête du groupe, laissant derrière nous le dandi et son occupant. Tout à coup Mâtajî a immobilisé son cheval et a mis pied à terre. Bholanath, Jyotish Dada et moi-même étions près d’Elle.
Elle nous a dit : « Vous trois vous allez continuer et vous vous arrêterez quand vous arriverez à l’endroit où seront dressées nos tentes. Moi je vais attendre le dandi. » Tunu et DasuDada étaient restés en arrière eux aussi.

Nous étions totalement contraires à l’idée de laisser Mâ toute seule dans cet endroit désert, mais Elle a répété d’un ton décidé : « Faites ce que je vous dis, continuez. » Bholanath a tenté plusieurs fois de protester puis il s’est résolu à aller de l’avant avec Bhaiji, toujours en direction du lac Manasarovar. Je les ai finalement rejoints et nous avons atteints ensemble les berges du grand lac où Parvati Devi et le guide étaient occupés à monter les tentes.
Il était environ deux heures de l’après-midi lorsque nous avons mis pied à terre. Ainsi nous étions divisés en trois groupes. Nous nous sommes assis sur les rives du Manasarovar et nous avons attendu l’arrivée de Mâ et des autres.

Des cygnes aux couleurs différentes nageaient sur les eaux du lac. J’avais un peu de temps libre devant moi. J’ai donc décidé de me rendre dans l’une des tentes pour me mettre à écrire. Quel endroit exceptionnel ! Je crois qu’il est aussi exceptionnel  qu’il est dangereux.
De tous côtés, des montagnes, des montagnes  à n’en plus finir, dont les couleurs semblent avoir été étalées par quelque main savante. A nos pieds, là devant nous, les eaux incomparables du Manasarovar. Le vent souffle par petites rafales. Il fait si froid, que nous sentons à peine la chaleur des rayons d’un soleil qui a enfin consenti à se faire voir. Non loin de moi, le guide déclare : « Nous sommes arrivés sains et saufs, par la grâce de Mâ. Dans ces régions, il arrive parfois que le vent souffle tellement fort qu’il est impossible de rester debout. »

Nous ne sommes plus qu’à trois jours du Kailash. Le pic du Mont Kailash est illuminé par la présence d’une structure naturelle en glace qui a vaguement l’aspect d’un temple et qui scintille sous le soleil, comme de l’argent. En apercevant au loin le pic, les gens qui étaient avec nous commencent à lancer à voix haute : « Kailash Pati ki jai » (victoire au Seigneur Kailash). Maintenant que nous sommes là, au milieu de ce décor extraordinaire, nous nous prenons à rêver et notre coeur s’emplit d’une joie indescriptible.

Après avoir réglé les petits problèmes du moment, nous allons pouvoir commencer à cuisiner. Durant les jours précédents nous n’avons pas pu ramasser de bois pour le feu. Mais sur le flanc des montagnes il y a des buissons et des arbustes épineux que nous pourrons utiliser.
Par ailleurs, les garçons du groupe ont ramassé des bouses de yacks desséchées avec lesquelles nous avons allumé un feu pour préparer le repas. Il n’y rien d’autre comme combustible. Les plantes ne sont pas utilisables car elles ne sont pas suffisamment sèches. Avec ce vent qui souffle il est impossible d’allumer un de nos petits fourneaux.

Outre cela, il y a aussi quelques problèmes de santé dans le groupe. Nous avons tous des difficultés à respirer et nous sommes contraints d’inhaler du camphre pour surmonter ces difficultés.

Lorsque nous étions à Almora, Mâtajî nous avait conseillé de prendre des  pantalons de laine, ce que nous avions fait. Elle avait également commandé des kurta de laine. Je me rends compte maintenant que si nous n’avions pas disposé des habits chauds que Mâtajî nous avait conseillé de prendre, outre ceux que nous avions apportés de Calcutta, il est probable que nous n’aurions pas survécu au froid qui sévit dans ces régions. Je réalise également à quel point étaient importantes les autres choses que Mâ nous avait dit de prendre avec nous, comme le camphre par exemple.
Ce n’est qu’en arrivant ici, d’ailleurs, que j’ai appris que le camphre pouvait résoudre ces problèmes d’ordre respiratoire. Il est indubitable que Mâ est un être parfait et tout-puissant. Mais que puis-je percevoir de sa grandeur quand il s’agit de problèmes aussi dérisoires que ceux que je viens d’énumérer. Toutefois je suis heureux d’en parler et c’est pour cela que je le fais.

RETOUR DE MA DU KAILASH
Gurupriya Devi : Sri Sri Ma Anandamayi, volume V, p.71, 72, 75, 76.
Extrait paru dans le trimestriel "Jay Ma N°65"

Ma revenait du Kailash pendant la mousson de 1937, non sans difficulté quand il s’agissait de traverser les rivières en crue; elle a retrouvé une sannyasinî du nom de Rouma Dévi qu’elle avait rencontré à l’aller.

Samedi 27 juillet.  
Après avoir quitté les bords du Kali Gangâ, 6 ou 7 km avant notre destination, Rouma Dévi est arrivée et s'est inclineé au pied de Ma en disant, "Ma,  je suis restée assis ici en attendant ton darshan  depuis trois ou quatre jours sans retourner à mon ashram."
Avant le coucher de soleil nous arrivâmes à Sasa. Rouma Devi nous accompagnait. Elle avait arrangé une maison dans laquelle  nous pouvions demeurer, elle y avait déjà installé des tapis pour nous. Aussitôt que nous sommes arrivés elle alla visiter les maisons des familles autour et nous a apporté de la farine, du ghî, des pommes de terre et du lait.

Le service est la devise de sa vie. Nous étions surpris de voir un tel esprit de service chez une sannyasinî aussi âgé. Elle dit à Ma, "Ma, je comptais les journées en vous attendant, errant de-ci de-là pendant ces trois derniers jours. Aujourd'hui je me suis assise sur une pierre - j'avais peur que vous passiez et que je vous manque...
Beaucoup de gens sont venus à l'ashram et il y a du pain sur la planche. Mais je n'y suis pas retourné car je vous attendais. Cela fait sept jours que je suis venu ici d'Almora."
Elle cueillit des fleurs sur le flanc de la montagne et les offrit à Ma en faisant pranam. Nous observions la dévotion de cette dame âgée, enchantés. Elle n'avait rencontré Ma que pour quelques heures. Le soir nous avons mangé le repas préparé par Rouma Dévi et nous nous sommes allés nous reposer.

En soirée, la maison était pleine de familles qui étaient venues pour voir Ma. Elle souffrait de l'estomac, elle mangea très peu dans l'après-midi et elle refusa même de manger le soir. Comme Jyotish Dada (Bhaïji) avait de la fièvre nous étions tous soucieux, sinon nous n'avions pas d'autre problème.
Le lendemain nous devions quitter pour Khela après le déjeuner. Nous devions partirs vers dix heures du matin et devions voyager pendant douze ou quinze kilomètres  en passant par Sirka sur la route. Nous avons aussi dormi très tard.

Dimanche 28 juillet.
Jyotish Dada était malade. Nous nous mîmes en route après le repas. Khéla est à 10 km.
Les porteurs devaient nous accompagner jusqu'à ce que nous arrivions là-bas et ensuite devaient nous quitter.

Rouma  Dévi vint avec nous. Elle dit qu'elle voulait rester avec Ma et qu'elle ne retournerait plus à son ashram.
Elle déclara, "j'avais décidé que le vœu de service était le plus grand dans la vie. Et maintenant que je suis vieille, je trouve qu'il n'y a pas de fin au travail. Je ne l'aime plus ; je souhaite vivre avec Ma et faire  ma sadhana."
Disant cela, elle nous accompagna.

Nous avons trouvé des roses et des fleurs de champak épanouies alentour. Dasou Dada cueillit les fleurs et les offrit aux pieds de Ma.
Nous découvrions des fleurs indiennes après si longtemps! Depuis le matin les villageois venaient pour le darshan de Ma. Certains apportaient du lait de la maison produit par les vaches qu'ils avaient eux-mêmes élevées, certains couvraient le lit de Ma avec des fleurs. Quelques dames avaient apporté des fleurs et des bonbons pour elle ; par la suite je les ai distribués à tous ceux qui étaient présents.

Une femme commença à questionner Ma sur des questions religieuses et demanda à Ma des conseils pour progresser dans sa propre sadhana.
Certaines personnes marchèrent aux côtés du dandi de Ma (chaise à porteurs) pendant toute une distance. L'ashram  Sharada de Rouma Dévi est à 3 km d'ici à peu près. Beaucoup de villageois  tiennent Rouma Dévi en grande estime. Le directeur de la poste de Garbiyan avait écrit au directeur de la poste de Khela pour organiser le séjour de Ma là-bas.

Mercredi 31 juillet
Le docteur est passé ce matin. Et la fièvre étant tombé à 38°, Jotish Dada semble être un peu mieux. Nous avons décidé de rester aujourd'hui. Après le déjeuner tous se sont allongés pour se reposer. Je me suis assis dans la véranda ouverte et j'ai commencé à écrire. J'ai eu très peu de temps libre, j’ai écrit brièvement, en fait j'ai été à peine capable de coucher les événements sur le papier dans leur enchaînement. Ruma Dévi, Parvati Dévi et les autres sont toutes dans notre groupe. Dans l'après-midi nous avons appris qu'une pluie de la nuit dernière avait emporté le pont et  c'est pourquoi nous ne pouvions nous en aller demain. Le pont devait être réparé demain afin que nous puissions quitter le jour d'après. Il y a peu de choses sur lesquelles écrire aujourd'hui. Quelques missionnaires sont venus d’une institution avec des fleurs et des fruits pour avoir le darshan de Ma.

Mardi premier août
Nous avons dû passer la journée ici et il se peut que nous nous en allions demain. Au crépuscule il se mit à pleuvoir des cordes. Le pont sera probablement réparé bientôt, mais nous ne savons pas comment nous allons traverser la rivière.

Vendredi 2 août
Nous n'avons pas  pu partir aujourd'hui. Les habitants des montagnes se tiennent à une corde et traversent la rivière tandis que la corde est tirée par des gens sur la rive opposée. C'est le système actuel pour aller et venir. Néanmoins, comme il était impossible pour Jyotish Dada d'être tiré   ainsi à travers la rivière, nous avons décidé de ne pas partir aujourd'hui. Il pleuvait et il semblait que nous étions coincés dans notre  voyage de retour vers Dharchoula. Il paraissait ne pas avoir d'autres solutions. Aujourd'hui  nous avons passé la journée de la même manière.

Samedi 3 août
Nous avons fini notre repas de bonheur avec l’intention de partir, mais après une discussion notre départ a été finalement retardé pour le matin suivant. Nous espérons atteindre Bayoukot d'ici demain soir. Le retard dans notre voyage était dû au fait d'avoir à traverser la rivière en tirant les cordes ce qui en soi-même devait faire perdre deux ou trois heures au moins. L’état de Jyotish Dada demeurait identique à lui-même. Swamiji souffrait aussi d'un refroidissement. En continuant notre arrêt ici nous serons incapables de fournir le régime approprié pour les malades car nous n'avons que peu de choses ici. Nous étions tous inquiets. Après beaucoup de discussions détaillées nous avons été forcés de rester encore aujourd'hui. Les porteurs ne voulaient pas attendre plus longtemps et ils étaient très agités. Il était difficile de les faire revenir à la paix - certains d'entre eux se mirent  franchement en colère et nous quittèrent. Nous espérions seulement que nous pourrions trouver d'autres porteurs ici. Le gardien du refuge nous a assuré qu'il serait en mesure de nous en procurer.

Dimanche 4 août
Ce matin nous avons décidé de voyager aussi loin que nous le pouvions. Nous avions à traverser le Kali Gangâ après une distance d'environ 7 km. La route et était bonne et nous avons atteint les bords de la rivière en peu de temps. Après beaucoup de ruminations nous avons traversé la rivière en utilisant les cordes: ceci implique le fait de s'asseoir sur des sièges petits et rectangulaires faits de bois et de bambou. Ils sont suspendus à une corde très épaisse qui traverse la rivière. Des gens debout de l'autre côté tirent la corde et ainsi amènent les passagers à travers la rivière.

La rivière n'était ni très profonde ni très large, mais le courant étaient très fort. Personne ne pouvait se tenir debout dans cette rivière qui s'écoulait très vite. Nous avons traversé le cours d’eau de cette façon nouvelle. À distance, il semblait que les gens des montagnes traversaient le cours d'eau suspendus aux cordes et ceci nous avez fait craindre cette expérience. Nous nous étions arrêtés aussi longtemps à Dharchoula à cause de la peur d'avoir à traverser la rivière de cette façon. Au début nous avions décidé que nos quarante porteurs pourraient faire la queue en un endroit où la rivière et ne coulait pas trop rapidement et parviendraient à nous prendre avec eux à travers la rivière sur nos dandis. Mais quand nous avons atteint les bords de la rivière et avons évalué la situation, nous avons décidé de la traverser  en utilisant les cordes. Il semble que le niveau de la rizière décroît quand la mousson s'éloigne.

Nous avons atteint Balouyakot le soir. Nous avions apporté des tentes de Dharchoula  et le camp a été établi dans un endroit convenable. Nous avons allumé  un feu sur les pierres et nous avons cuisiné. Nous étions assis sous les cieux et mangions. Jyotish Dada n'avait pas de fièvre depuis hier et sembler un petit peu mieux. Il y avait une forêt dense de l'autre côté et nous pouvions aussi entendre le grondement du Kali Gangâ clairement; c'est ainsi que nous avons passé une nuit de plus.

                                 

जय माँ

Volume 6

Gurupriya Devi : Sri Sri Ma Anandamayi, volume VI
Extrait paru dans le trimestriel "Jay Ma" N°46

10 décembre 1937

Ma poursuivit 'Le coeur est le siège de toutes les expériences, heureuses ou malheureuses. C'est en fait l'asana (siège et aussi tapis pour la méditation) de Dieu lui-même. Si la personne à laquelle l'asana appartient n'y est pas assise, on ne peut obtenir de paix permanente. Si on y installe une autre entité, cela ne peut mener qu'à l'inquiétude et l'instabilité, car elle ne sera pas capable de maintenir le caractère sacré du pur asana. Cela aboutit aux allers et retours (de naissance en naissance). C'est pourquoi il est particulièrement avantageux pour nous d'installer Celui auquel l'asana appartient de droit.

Il est en fait toujours assis sur cet asana et le but de notre sadhana est d'essayer de Le manifester. Quand ceci arrive, nos conditionnements (samskaras) liés à la notion d'individualité disparaissent, on atteint le chakra situé entre les sourcils et la forme brillante avec tant de couleurs s'épanouit.

Ma rit et dit, 'Savez-vous ce que j'ai vu? C'était comme un système d'irrigation, quand vous versez l'eau dans un canal, elle s'écoule par d'autre canaux jusqu'à un grand réservoir éventuellement qu'elle remplit, et tout ceci naturellement. De même qu'un fleuve s'écoule vers l'océan, de même c'est la règle que la kundalini shakti aille seulement vers le haut à partir du muladhara d'une place à l'autre, progressivement, du premier. chakra au second, etc jusqu'au moment où elle atteint le sahasrara."(p.5)

Après un long intervalle sans kriyas (manifestations visibles de l'extase), Ma de nouveau rentra en transe pendant un kirtan. Jyotish Dada (Bhaiji) lui demanda :'On dit que certains kriyas sont apparus pendant une phase précédente de votre existence, et ensuite il y a eu de grands changements dans votre état. Pourquoi donc ces kriyas reviennent-ils-maintenant ?
' Ma répondit : 'Vous pouvez poser ce genre de questions, mais savez-vous ce qui arrive à l'intérieur d'un sadhaka ?
Chaque état est remplacé par un autre et un progrès régulier s'ensuit; mais dans le cas de ce corps tout est différent, c'est pourquoi tout apparaît sens dessus-dessous et l'écoulement se fait au hasard. Il se peut qu'à vos yeux un kriya associé avec un état très élevé se manifeste dans ce corps et que plus tard, vous observiez un kriya plus ordinaire. Dans ce corps, il n'y a rien d'élevé ou de bas. Quelque soit le besoin de vous, les gens, à un moment donné, ce corps agit en fonction pour y répondre.

Je posais la même question que Bhaiji plus tard; et Ma me répondit de façon similaire; quand je l'interrogeais sur l'éclat de son corps, elle dit : 'Savez-vous ce que j'ai observé à certains moments? C'était comme si ce corps était la lumière personnifiée; et l'endroit où je me trouvais était inondé par la même lumière.'

Ma s'est réveillée aujourd'hui à environ dix heures. On a lavé son visage et ses mains. Elle s'assit sous un arbre et je m'assis auprès d'elle. Après avoir entendu dire qu'elle était arrivée, de nombreuses personnes vinrent pour lui présenter leurs respects (littéralement : 'prendre la poussière de ses pieds) et lui faire pranam. J'étais en conversation avec elle. Nous en vînmes à parler des shastras (écritures sacrées).
Ma dit :'Savezvous ce que sont les shastras? 'sva astre', cette arme (astra) qui peut couper les liens qui attachent au monde.' Ensuite on en arriva à la question de savoir quelle était la signification du mot 'shishya' (disciple)
Ma dit :'Sva, Éva, c'est à dire établir sa personnalité réelle, expliquer la nature véritable qui est indivisible, c'est à dire la révéler. 'Shasya' signifie semer une graine et cultiver une plante (shasya). Cela revient à planter une graine, faire pousser la plante et révéler la nature du fruit.' En entendant tout ceci de la bouche de Ma, un chant me revint à l'esprit :

'Mon re krishi kaj ja no na.

Emon manob jomin roilo potit

abad korle pholto shona.'

c'est à dire : 'O mental, tu ne connais pas l'art de la culture. Ce terrain excellent d'une naissance humaine est en jachère. Si tu le labourais, il produirait de l'or.'
Nous allâmes nous coucher vers deux heures du matin.

12 juin 1959

Un fidèle arriva avec son épouse et sa belle-fille. C'était une personne qui était vanaprasthi (le stade intermédiaire entre la vie de famille et le sannyas); sa belle-fille elle aussi avait l'intention d'embrasser ce type de vie. Elle semblait être dans un état particulier; en tout cas, son beau-père ne tarissait. pas d'éloges à son propos. Il disait que leur Gourou qui vivait à Bénarès avait déclaré, en la voyant, qu'elle avait un niveau spirituel élevé. Il désirait connaître l'opinion de Mataji à ce propos.

Ma demanda à la jeune femme :'Quelles sont tes expériences quand tu médites?' Elle répondit :'Tout d'abord, je sens une félicité intense, et à la fin de même' répliqua-t-elle, ' et rien du tout entre les deux'.

Mataji expliqua au beau-père :'C'est encore un stade élémentaire. Vous pouvez le comprendre de vous même : tant que le mental-ego persiste, il ne peut y avoir de samadhi. Néanmoins, on peut dire que son mental et son corps ont atteint un certain degré de calme. Quant elle dit 'Ensuite, rien du tout ,' qui est celui qui expérimente tout cela ? C'est le mental individuel qui est actif, il n'y a pas de Samadhi.

Après quelque temps, Mataji poursuivit :'Quelqu'un d'autre vint aussi à ce corps, en déclarant qu'il n'avait plus aucun intérêt dans quelque travail ou occupation que ce soit, puisque son esprit était absorbé en samadhi et que son pouvoir de Kundalini s'était éveillé. En parlant, il utilisait fréquemment les mots 'je' et 'le mien'. II a eu l'occasion de comprendre juste à ce moment-là qu'on ne pouvait parler de samadhi tant qu'il y avait 'je' et 'le mien'. Dans le samadhi réel, rien de tout cela ne survit. Regardez, la mangue qui est mûre sur l'arbre n'appelle pas à grand cris :'Je suis mûre, venez et prenez-moi!' Si personne ne la cueille, elle tombe d'elle-même sur le sol. Voyez-vous la beauté de cela? Elle retourne à la place même d'où elle est venue.'

जय माँ