Extrait
chapitre
numéro
2

Entretiens du 16 avril 1985

Entretiens avec Atmananda
Medirep, 1986

Mardi 16 avril 1985

Q.- Atmananda, vous m'avez dit il y a un moment, que peu de temps avant que Mâ Anandamayi ne quittât son corps, un célèbre swami est venu du sud de l'Inde pour la voir.

At.- C'est exact. Il était auprès de Mâ qui allait très mal. Elle lui a dit: "Ce que vous voyez en moi n'est pas une maladie, c'est l'attirance du Non Manifesté." Lorsque j'ai entendu cela, je me suis dit... il n'y a rien à faire. Et, tout de suite, j'en ai pris note.

Q.- L'avez-vous entendue vous-même ?

At.- Non, mais quelqu'un qui était présent est venu me le dire, et j'ai aussitôt écrit cela.

Q.- Quel était le nom de ce swami ? I

At.- C'était le Shankaracharaya du Sringeri Math de Mysore. J'ai écrit cela dans "Ananda Varta".

Q.- Combien avez-vous écrit de fascicules d' "Ananda Varta" ?

At.- Jamais je n'ai écrit le fascicule en entier, mais j'y ai toujours publié tout ce qui concernait Mâ, les paroles qu'elle disait, son enseignement, ses voyages, et tout ce qui se produisait au jour le jour.

(Atmananda sourit et ajoute) Vous savez, au début, je prenais des notes pendant que Mâ parlait, mais un jour elle m'a dit: "N'écris pas quand je suis là !" Comme j'avais une excellente mémoire, j'écrivais le soir ce qui avait été dit au cours de la journée.

Q.- C'était la chronique de Mâ ?

At.- C'est çà. Nous avons commencé à publier "Ananda Varta" en 1952. Je traduisais les lettres de Mâ, ainsi que les conversations en bengali, lorsqu'on me le demandait. Une année ou deux après, j'écrivis "Matri Lila", qui était une sorte de compte-rendu de ce que faisait Mâ, c'est-à- dire les lieux où elle se rendait, les fêtes auxquelles elle assistait, et quelquefois, je notais les conversations que pouvaient avoir, avec Mataji, les gens qui venaient la voir. Mais lorsque j'étais malade ou absente, je priais quelqu'un d'autre de le faire. Cela arrivait parfois.

Finalement, j'ai pensé qu'il valait mieux réunir sous forme de livre tout ce qui a été écrit sur Mâ, dans "Ananda Varta", depuis le début. Il est plus facile de se procurer un livre plutôt qu'un grand nombre de numéros de la revue. Le premier livre est sous presse en ce moment. Il y en aura trois en tout, représentant trente ans de chroniques, de 1952 à 1982. J'en ai écrit la plupart, mais pas tout. L'essentiel est que la parole de Mâ et ses enseignements soient préservés.

Q.- J'ai constaté que vous ne signez pas ce que vous écrivez. "'Présence de Mâ Anandamayi" qui vient de paraître en France n'est pas signé. Pourquoi ?

At.- Mâ m'a dit intérieurement, pas en paroles, que je ne devais pas signer. Ce qui est important, c'est que la parole de Mâ soit préservée et correctement traduite. Et par le moyen d' "Ananda Varta" c'est difficile, car maintenant il y a plus de trente volumes.

Q.- Trente volumes sur Mâ ?

At.- Non, pas entièrement. Il y a des conversations avec Mâ, des articles sur Mâ, et également quelques articles traitant d'autres sujets.

Q.- Ces trente volumes représentent bien une centaine de numéros ? C'est une documentation extrêmement riche pour ceux qui veulent mieux connaître Mâ Anandamayi ?

At.- De 1952 à 1982, cela représente 120 numéros. Dans ceux-ci figurent les traductions de cinq livres que j'ai faites du bengali.

Avez-vous lu "Sad Vani" ? En français, ce livre s'intitule "Aux Sources de la Joie". C'est un livre écrit par Bhaiji, traduit en anglais par son oncle Sri Gangacharan Das Gupta, et traduit en français par Jean Herbert.( Aux Sources de la Joie - Editions Lucioles - 1980 (Québec)(repris en 1997 par Albin Michel). Jean Herbert était un homme tellement extraordinaire I II avait tout de suite "reconnu" Mâ. Il savait... Il a traduit ce livre en français en 1939. Et à cette époque, c'était le seul livre sur Mâ, traduit de l'anglais dans votre langue. Bhaiji est mort en 1937, et deux ans après, Jean Herbert sortait déjà la traduction française.

Q.- Jean et Josette Herbert ont fait un énorme travail pour faire connaître en France Mâ Anandamayi. Personnellement, je leur dois beaucoup. C'est grâce à ce qu'ils ont écrit que j'ai connu Mâ.

Atmananda, n'ayant pas eu le privilège de voir Mâ Anandamayi, je voudrais vous poser une question concernant son aspect physique. Décrivez-la moi, s'il vous plaît. Certains ont écrit qu'elle était grande, plus grande que la moyenne des femmes ?

At.- Mais non I Mâ était petite, plus petite que moi, vous savez. Avez-vous vu les photographies où nous sommes ensemble ? Et elle avait de si petites mains et de si petits pieds ! Cependant, ... c'est vrai I Parfois, elle semblait être très grande, c'est exact. Elle a pu paraître très grande à la personne qui l'a décrite ainsi.

Q.- On dit que Mâ avait un rayonnement extraordinaire. On se sentait heureux auprès d'elle, et on s'en retournait toujours comblé ?

At.- Oh oui ! Tout cela est vrai. Elle rayonnait, elle apaisait. On était toujours heureux auprès de Mâ. Tenez, un jour, je suis allée à Kankhal, peut-être six ans avant que Mâ ne quittât son corps. Lorsque je suis arrivée à l'ashram, on m'a dit que je ne pourrais pas voir Mâ car elle se reposait.

Comme je me tenais devant le bâtiment où se trouvait la chambre de Mataji, je levai les yeux. Et Mâ était là près de la fenêtre. Alors je lui ai dit: "Mâ, je viens d'arriver, puis-je venir ?" "Viens " me dit-elle. Je me suis aussitôt rendue auprès d'elle. Elle était assise et elle avait tellement mauvaise mine que je me suis inquiétée. Je lui ai dit: "Mâ, que vous est-il arrivé ?" "Je suis très fatiguée, c'est vrai, je ne suis pas bien, il faut que je me repose."

J'ai dit : "Bien sûr, Mâ, je m'en vais !", et je suis sortie.

J'étais vraiment très malheureuse d'avoir vu Mâ dans cet état. Elle avait si mauvaise mine que je me reprochais de l'avoir dérangée en allant la voir. Je suis sortie, et le soir, je suis revenue pour le darshan. Et Mâ se tenait là comme toujours. Elle était assise, parlait, riait et était tout à fait radieuse.

Cela se produisait souvent, je l'ai remarqué moi-même bien des fois : Mâ pouvait passer sans transition d'un état de fatigue ou de maladie terrible à une parfaite santé. Comme si elle n'avait jamais rien eu. Dès qu'arrivait l'heure du darshan, elle semblait parfaitement bien. Cela, beaucoup de gens ont pu le constater. Et surtout les jeunes filles qui la servaient, celles que l'on appelle les bramacharinis.

Q.- Ainsi, les gens qui assistaient au darshan étaient pleinement heureux de la voir gaie, joyeuse, et de l'entendre parler et rire sans se douter qu'elle ait pu être si mal quelques heures auparavant. On dit qu'elle chantait souvent ?

At.- Mais oui. Elle chantait merveilleusement bien. Avez-vous entendu les chants de Mâ enregistrés sur cassettes. Celles que vous avez sont-elles bonnes ?

Réponse.- Pas très bonnes. Mais certains passages, trop courts hélas, m'ont permis de m'en faire une faible idée.

Atmananda, je voudrais vous poser quelques questions qui vous concernent personnellement, mais je crains vraiment d'être indiscrète.

At.- Vous pouvez me poser toutes les questions que vous désirez.

Q.- Merci. J'aimerais d'abord savoir quel était votre nom avant de devenir Atmananda ?

At.- Vous voulez savoir quel était mon nom autrefois? (elle sourit). C'était Blanca. C'est un nom espagnol. Ma mère n'était pas espagnole mais ce nom lui plaisait. Blanca Schlamm. C'était mon nom. Et ma soeur s'appelait Franzi. Blanca signifie Blanche et Schlamm signifie boue. La boue, c'est comme cela qu'on dit en français, n'est-ce pas ?

Q.- Parlez-moi un peu de votre enfance. J'en serais heureuse.

At.- Bien, si vous le désirez. J'ai même des photographies, si cela peut vous faire plaisir.

R.- Oui, cela me ferait un réel plaisir. Quelle photographie superbe ! "22 février 1910 - Vienne. Vous aviez environ six ans !

At.- Oui, six ans. Je suis née le 7 juin 1904 à Vienne. C'est ma grand-mère qui nous a élevées, Franzi et moi. Nous n'avons pas connu notre mère. Elle avait contracté le fièvre typhoïde, et moi aussi d'ailleurs. Elle est morte alors que je n'avais que deux ans et deux mois. Aussi n'ai-je gardé d'elle aucun souvenir!

Il y avait autrefois dans notre salon une grande photographie de ma mère. Mais lorsque je la regardais, cela ne me disait rien. Je ne pouvais pas m'imaginer comment elle était vraiment. Et lorsque j'ai vu Mâ... je me suis dit: "Voilà comment était ma mère". En regardant Mâ j'ai vu le visage de ma mère...

En ce qui concerne mon enfance, je vous ai déjà dit comment elle s'était déroulée et comment mon père nous avait donné la possibilité d'apprendre le français et l'anglais. Et aussi la musique, et d'autres choses. Ma soeur Franzi est morte à l'âge de dix-sept ans et demi et j'avais dix-neuf ans. Ma grand-mère voulait absolument que je me marie. Quant à moi, je l'assurais que jamais je ne me marierais. Et je disais cela depuis toujours. Lorsque j'avais cinq ans nous avions déjà des discussions à ce sujet: "Je ne me marierai jamais !" "Que peux-tu comprendre à cinq ans ?" me disait ma grand-mère. "Quand tu grandiras tu changeras d'avis". Mais jamais je n'ai changé d'avis. Plus tard, lorsque je suis devenue une jeune fille, elle continuait d'insister auprès de moi : "Ne serait-ce que pour sortir de la boue, il faut que tu te maries " Elle faisait allusion à mon nom. Et invariablement je répondais: "Même si je dois rester dans la boue, je ne veux pas me marier !" Et puis, je suis venue chez Mâ (Atmananda sourit et ajoute) : Et Mâ m'a donné mon nom. Ce qui fait que même sans me marier, je suis sortie de la boue.

Q.- Blanca ! Blanche, c'était un bien joli nom. Votre mère voulait sans doute compenser. C'est le contraire de boue.

At.- Oui ! (Et avec un sourire) C'est comme la fleur de lotus, toute blanche, qui sort de la boue. C'est un très beau symbole ! Mais ici personne ne sait mon nom. Avant que Mâ n'ait changé mon nom on connaissait Blanca, c'est tout. Ce n'est pas important.

Q.- Quelle est la signification exacte d'Atmananda ?

At.- Atman, c'est le vrai Moi qui est UN. "UN est partout", disait Mataji. Il n'y a que l'UN. Et elle ajoutait: "Je n'ai pas la place de me retourner, on ne peut aller nulle part où il ne soit !".

Atmananda signifie "La Félicité de l'Atman".

Q.- Et c'est Mâ qui vous a donné votre nom ?

At.- Oui, naturellement.

Q.- Vous êtes vraiment la fille de Mâ !

At.- Vous savez, je ne suis pas la seule à qui elle ait donné un nom. Elle l'a fait pour beaucoup d'autres. Quand je suis venue auprès d'elle, Mataji m'a dit: "Il faut que je te donne un nom ". Ce jour là, c'était la fête de Ram. "Aujourd'hui c'est Ram Navmi" me dit Mâ. "Que veux-tu comme nom: Ramdasi ? Ramananda ?" Je lui ai répondu: "Mâ, comme vous voudrez " "Non, tu dois choisir !" Alors j'ai choisi Ramananda. Et, quelques jours après, Mataji m'a dit: "Ce nom est un beau nom, mais il n'est pas bien pour toi parce que tu vois Ram comme étant un personnage. Ram n'est pas un personnage. Ram ou Atman c'est la même chose, vraiment. Mais toi, tu ne le comprends pas bien. Alors, je vais changer ton nom, tu seras ATMANANDA". Alors voilà, c'était fini, c'est mon nom''.

Q.- Quel nom merveilleux !

At.- Sans que je me marie, Mâ m'a sortie de la boue. Mâ peut tout faire.

Q.- J'ai une question à vous poser, qui est pour moi très importante. J'aimerais que vous me disiez si vous partagez l'opinion de ceux qui pensent que Mâ Anandamayi est une Incamation divine ?

At.- Sûrement! C'est tout à fait sûr.

Q.- Etait-elle une Incarnation de la Mère Divine ?

At.- Savons-nous qui est la Mère Divine-? Nous ne le savons pas ! Nous disons: "La Mère Divine !" Mais qui est-elle ? C'est la Mère qui a tout créé. Oui !... Sur ce point précis je ne puis vous répondre. Mais Elle, Mâ, c'est définitif, était une Incarnation Divine. Elle n'était pas un être humain. C'est sûr... Elle n'était pas un être humain, c'est tout à fait certain. Je vous ai dit que j'ai, au début, beaucoup douté.

Q.- Comme saint Thomas auprès du Christ ? Il faut des saints Thomas I

At.- J'ai observé Mâ pendant sept années, sans complaisance, froidement et d'une façon tout à fait impartiale. Et finalement, je me suis rendue à l'évidence, et dès ce moment là, et pour toujours, je n'ai plus jamais douté. Mâ Anandamayi n'était pas un être humain, c'est absolument certain.

Q.- Elle était donc une Incamation divine, au même titre que Krishna, le Christ Jésus, et peut- être le Bouddha ?

At.- Cela je ne puis le dire. Je ne les connais pas assez. Oui sans doute. Pour Mâ, c'était cela, AU MOINS CELA I

Elle nous a toujours dit: "Je n'ai pas eu d'autre vie (terrestre) avant celle-ci, et n'en aurai pas d'autre après" et " ce que je suis, je l'ai toujours été et le serai toujours !"

Un jour, quelqu'un lui a demandé: "Mâ, qui êtes-vous ?" Elle a répondu:

"PURNA BRAHMA NARAYANA" "Je suis le Brahman complet" "Le Brahman comme Seigneur des hommes"

Q.- Et c'est cela que Mâ a dit d'elle-même ? C'est prodigieux !

At.- Oui, Mâ a dit cela.

Q.- L'avez-vous entendue vous-même ?

At.- Non. La première fois qu'elle l'a dit, je ne l'ai pas entendue. C'était quelques années avant que je ne rencontre Mâ pour la première fois. Elle a dit cela alors qu'elle était toute jeune, avant même qu'elle n'aille à Dacca.

Mais, par la suite, oui, je l'ai entendue. Elle l'a dit plusieurs fois, mais pas d'une façon aussi claire. Vous savez, Mâ était constamment dans la Conscience de l'Unité. Elle l'était sans aucune interruption et cela depuis toujours. Lorsque les êtres ordinaires sont en samadhi, cette conscience peut exister, mais pas d'une façon permanente. J'ai observé Mâ longtemps, objectivement. Elle avait toujours pleine conscience de son état. Elle ne s'identifiait ni avec son corps, ni avec son mental, et elle n'avait aucune émotion. Pas du tout I Jamais elle n'agissait, ni ne répondait sous le coup de l'émotion.

Q.- Ni impatience, ni colère ?

At.- Colère ? (Atmananda sourit) Oui, il lui arrivait parfois de "gronder" I'un ou l'autre quand cela était nécessaire. Mais après cela, parfois, elle se détournait pour rire de bon coeur. Et Mâ nous disait ensuite : "il fallait bien que je montre un visage sévère, car il (ou elle) a fait tellement de choses qu'il n'aurait pas dû faire, que je ne pouvais pas laisser passer cela sans rien dire. Mais cela me fait rire !" Oh oui ! Mâ riait souvent ! Mais pour répondre à votre question : Non, Mataji n'avait jamais ni colère, ni désir, ni rien de tout cela.

Q.- L'avez-vous vue en samadhi ?

At.- Non ! Enfin, parfois, pendant le kirtan, je l'ai vue, vraisemblablement en samadhi. C'est du moins ce que l'on pouvait penser. Mais vous savez, en définitive, Mâ était toujours en samadhi. On appelle cela sahaja-samadhi. Elle avait constamment cette conscience de l'UN. Elle ne voyait que l'UN. "Pour moi, disait-elle, il n'y a que l'UN. Tout est la manifestation de l'UN".

Q.- Oui, je l'ai lu, en effet. Mâ Anandamayi a même dit cela, qui me semble encore plus extraordinaire: "Je suis le sang de votre sang, et les os de vos os !"

At.- C'est exact. Ceci est mentionné dans le livre que je viens d'écrire et qui est sous presse. Oui, Mâ a dit cela I Je l'ai entendue moi-même. C'était à Almora. Quelqu'un avait demandé:"Mâ, êtes-vous dans notre coeur ?"

Et Mâ a répondu: "Pourquoi voulez-vous me confiner dans votre coeur ? Je suis le sang de votre sang, les os de vos os ! Je suis avec vous toujours, tels que vous êtes. Je ne vous demande pas de vous asseoir en méditation. Non, je suis toujours avec vous, comme vous êtes".

Oui, tout cela je l'ai entendu moi-même et je l'ai écrit aussitôt. C'était... c'était "épatant" d'entendre cela. C'était extraordinaire... Oui ... C'était à Almora en 1954.

Q.- Est-ce que vous vous sentiez tous, vous, ses disciples, vraiment liés à elle ?

At.- Mais oui... ! Oui, je crois. Bien sûr. Quant à moi, je savais et je sais que tout peut arriver, mais que l'Unité est là. Si je meurs, le corps meurt. Mais je reste avec Elle. Cette Unité demeure pour toujours.

Q.- Cela me fait penser à ce que vous m'avez dit. Vous m'avez rapporté qu'un jour Mâ vous a dit: "Tu peux faire ce que tu veux, tu ne pourras jamais me quitter " Cela doit être pour vous bien réconfortant ?

At.- Bien sûr ! Qu'importe si le corps meurt. Je reste avec elle. Vous savez, Mâ est venue sur terre dans un corps humain afin que nous "sachions". Car nous ne savons rien. Nous sommes tellement loin de la vérité I C'est pourquoi Krishna est venu, Bouddha est venu, le Christ est venu. Et Mâ est venue. Si la divinité ne venait pas périodiquement sur terre sous une forme humaine, ce serait trop difficile pour les hommes de progresser et de comprendre un peu de la vérité.

Q.- Donc, Ma Anandamayi était comme Krishna ou comme le Christ, une Incarnation divine ?

At.- Une Incarnation de la Divinité. C'est ce que j'ai écrit dans ce livre dont je viens de vous parler.

Q.- Cela est donc le sentiment général ?

At.- Maintenant oui pour les devotees. Probablement, il y a encore maintenant des gens qui doutent. Mais lorsque Mâ était là, quelques uns doutaient. Pas beaucoup cependant. Ils nous disaient: "Comment pouvez-vous savoir cela ? C'est une sainte, cela est certain... etc..." Mais ils ne voyaient pas au delà. Ma Anandamayi n'était pas une sainte. Mâ était une Incarnation de la Divinité.

Q.- Vous faites une différence entre certains saints, tels que Ramakrishna, swami Ramdas ou Ramana Maharshi, et Mâ ? Mâ, selon vous, est à part ?

At.- Mâ est tout à fait à part I Mais je vais vous dire quelque chose concernant Ramana Maharshi. En 1942, je suis allée à Tiruvannamalai pendant six semaines. C'était avant que je n'aie rencontré Mâ. Ramana Maharshi était quelqu'un de tout à fait exceptionnel. Il n'avait pas d'ego du tout. J'avais entendu parler de lui, alors que je me trouvais à Bénarès, et lui vivait dans son ashram de Tiruvannamalai dans le sud de l'Inde. C'était la guerre. Et l'on me dit que je n'obtiendrais pas de visa, car à l'époque j'étais autrichienne, donc ennemie. Maintenant je suis indienne. Contre toute attente, le visa me fut accordé. C'est alors que les amis et les gens qui me connaissaient ont essayé de faire pression sur moi pour que je ne parte pas: "Les japonais sont déjà dans les iles Andaman - me disaient-ils - et ils ne tarderont pas à débarquer dans le sud de l'Inde. Restez à Bénarès, vous êtes très bien ici, ne partez pas !"

Bien sûr, je n'ai écouté personne et je suis partie. Les trains n'étaient pas éclairés, il n'y avait aucune lumière sur le parcours. Mais tout s'est bien passé et je suis arrivée à Tiruvannamalai. Et là, j'ai été très impressionnée. J'y suis restée six semaines. Mon intention était de retourner là-bas et de quitter ma profession. Après mes vacances, je suis rentrée à Bénarès dans le but de tout régler et de retourner à Tiruvannamalai. Déjà j'avais donné tous mes vêtements de laine car à Tiruvannamalai il fait très chaud, et on n'en a pas besoin. Mais cette fois, la police m'a interdit de quitter de nouveau Bénarès. Quelques mois après, j'ai rencontré Mataji.

Q.- Vous m'avez dit avoir été très impressionnée par Ramana Maharshi. Avez-vous pu vous entretenir avec lui ?

At.- Oui. Mais avec lui, aussi, il me fallait un interprète. Cependant le Maharshi connaissait un peu l'anglais. A cette époque j'étais pleine de doutes. A cause, toujours, de l'influence de Krishnamurti. Là aussi j'ai douté. Beaucoup douté, observe, écouté. Mais à la fin, j'étais tout à fait convaincue.

Cela a pris six semaines. Ramana Maharshi était tout à fait exceptionnel. Mais Mâ était, si je puis dire, plus "universelle'' que lui. Quelques uns disent: "Le Maharshi est comme Shiva, Mâ est comme Shakti ". Elle est partout. Mâ changeait constamment d'endroit. Elle se déplaçait beaucoup. Ramana Maharshi est toujours resté là, à Tiruvannamalai.

Q.- Il n'a jamais bougé, depuis sa jeunesse, lorsqu'il est arrivé à la montagne d'Arunachala ?

At.- Non, il est demeuré là jusqu'à la fin. C'était quelqu'un de merveilleux, de très grand.

Q.- Certains disent qu'il était un être divin ?

At.- Oui, oui, tout à fait.

Q.- Que pensez-vous du phénomène qui s'est produit au moment même où il a quitté son corps ? Cette flamme qui se serait élevée au dessus de la montagne d'Arunachala, et qui aurait été vue jusqu'à Pondichéry ?

At.- Oui, j'ai entendu cela. On a parlé d'une "Shooting star". Comment dites-vous cela ? Une étoile filante ? Juste à l'instant précis de sa mort. Beaucoup l'ont vue.

Q - Donc vous avez quitté le Maharshi parce que votre congé était terminé ?

At.- Oui. Après six semaines de congés scolaires, j'ai repris ma classe. Et lorsque je me suis retrouvée là, je me suis dit : "Qu'est-ce que je fais ici ? Je dois retourner là-bas". J'enseignais à Raighat School, à Bénarès, dans l'école de Krishnamurti. Mais je me rendais compte qu'avec Krishnamurti je ne faisais rien de vraiment positif. J'avais pourtant beaucoup travaillé. D'où mon désir de rester à Tiruvannamalai. Mais la police m'en a empêchée. Quelques mois après, j'ai rencontré Mâ. C'était en 1943.

Q.- Vous aviez 39 ans ! Mais la première rencontre n'a pas été décisive ?

At.- Si ! Mais je ne le savais pas ! Vous savez, lorsque j'ai vu MA pour la première fois, je m'en souviens encore. Elle était assise dehors, sur un lit de sangles. C'était à Almora. Il n'y avait avec elle que trois ou quatre personnes. J'étais, à ce moment là, vêtue à l'européenne, avec mon casque colonial, mon sac à main et mon alpenstock... Mais tout cela je l'ai déjà raconté dans le livre qui vient de sortir en France.( Présence de Mâ Anandamayi - Traduit par Josette Herbert - Les Deux Océans - Paris 1985 - page 20)

Q.- Oui, je l'ai lu. Vous y dites aussi que toute votre vie, parce qu'on vous l'avait appris ainsi, vous aviez pris l'habitude de tout considérer d'un oeil critique; et aussi à ne rien croire aveuglément, mais à penser par vous-même, à réfléchir et à en tirer vos conclusions,

At.- C'est vrai. Cette première entrevue avec Mâ...! Je la revois comme si elle se passait à l'instant. Elle était si belle, avec ses longs cheveux. Je me suis dit: "Elle est très belle " Et puis, vous savez, avec ma forme d'esprit et l'éducation que j'avais reçue de Krishnamurti, je me suis dit: "Elle est très belle, et alors ? Quoi ... Comment puis-je savoir ?" Mâ me regardait, elle m'a souri, et je compris qu'elle me connaissait.

Q.- Elle vous connaissait ?

At.- Elle me connaissait. Et je puis ajouter qu'elle vous connaît, vous et votre fille. C'est elle qui vous a amenées ici !

Comme je vous l'ai dit, je doutais, j'observais. Par la suite, je l'ai accompagnée partout où elle allait. Je voyageais avec elle. Je formulais beaucoup de critiques. Et tout cela a été très salutaire car, bien que cela ait été une période très difficile, un moment arrive enfin où, après ce genre d'épreuves, tous les doutes tombent définitivement. Et d'autant mieux que l'examen a été plus rigoureux les doutes sont finis pour jamais ...

A cette époque, j'étais encore à l'école de Rajghat. Une fois par an, Krishnamurti venait pour quelques semaines. Le soir, il y avait parfois réunion de tous les professeurs de l'école pour une conférence de Krishnamurti. J'y assistais, bien sûr. Et lorsque c'était fini, le soir, je prenais un rikshaw et je faisais six miles (environ dix kilomètres) pour aller chez Mâ. Le soir quelquefois, alors que je me rendais chez Mâ, je rencontrais Krishnamurti qui se promenait. Qu'importe, j'y suis allée tous les soirs. Et déjà, je m'apercevais que Mâ était ce qui pouvait exister de plus grand. Je voyais bien qu'elle n'était pas sur le même plan que nous.

Dès lors, je n'avais plus de doute. Mâ me disait: "Restez à Rajghat ! Restez-y !" Elle ne disait rien d'autre. Car elle voulait que j'observe, que je cherche et trouve par moi-même. Je posais beaucoup de questions. Je lui disais: "Mâ, je ne comprends pas Krishnamurti !" Et elle me répondait: "Ce qu'il dit, je vous l'ai déjà dit, c'est la même chose !." Oui, Mataji voulait que je trouve, moi-même, les réponses à mes propres questions. Et c'était très bien. Très dur aussi, naturellement, et cela a duré des années.

Q.- Votre vie, dans les ashrams, en tant qu'européenne et intouchable a dû être très dure ?

At.- Comme je vous l'ai dit, j'ai été préparée à cette vie dure. Lorsque j'étais enfant, en Autriche, pendant la grande guerre de 1914-1918, nous avions été soumis au blocus. Les conditions d'existence étaient très difficiles. Mon père, qui connaissait beaucoup de langues, avait été nommé super-intendant d'un camp de réfugiés Car, étant trop âgé, il n'avait pas été incorporé dans l'armée. Aussi pouvait-il nous apporter un peu de nourriture. Grâce à cela, nous avons toujours eu suffisamment à manger.

Mais la situation était très difficile. Pas de charbon, pas de chauffage, pas beaucoup de lumière. Il faisait très froid l'hiver en Autriche. Oui, les conditions de vie étaient très dures. Ma soeur et moi étions des enfants I

Q.- Lorsque je vous disais, tout à l'heure, qu' en Inde, les conditions de vie devaient être très dures, je ne parlais pas des conditions matérielles de votre existence.

At.- Sur ce plan là aussi c'était difficile.

Q.- Oui, sans doute ! Mais je voulais parler de votre qualité d'étrangère, donc "hors caste': et de toutes les difficultés qui en découlent. Cela a dû souvent être bien pénible à supporter. C'est le problème que rencontrent tous les occidentaux. Certains en ont parlé dans leurs livres car ils en ont été victimes.

At.- Oui, c'est certain. A un moment ou à un autre, chacun a souffert de cela. Cependant, pour moi cela a été peut-être encore plus difficile car, contrairement à eux qui étaient des visiteurs, demeurant plus ou moins longtemps à l'ashram, j'y vivais en permanence. J'étais toujours là et surtout je voulais tout le temps être auprès de Mâ.

Q.- Arrivait-il que l'on vous chasse en vous disant sans ménagement: "Go away from this place" "Vas-t'en de là". Ce qui s'est produit parfois ?

At.- On ne me chassait pas comme cela. Mais vous savez, il y a tellement de règles qu'il faut observer et respecter... Maintenant aussi j'y suis soumise, bien entendu. Mais c'est différent. Je suis très bien, j'ai ma maison. C'est Mataji qui l'a voulu ainsi. Elle a tout arrangé pour moi et aussi pour Vijayananda, le disciple français qui vit à Kankhal.

Q.- J'ai vu que, lorsque vous buvez, vous ne portez pas le gobelet à vos lèvres, mais vous faites couler l'eau dans votre bouche. Avec beaucoup d'habileté je le reconnais. Cela fait-il partie des innombrables règles à observer ?

Atmananda (qui sourit de mon étonnement): Oui, j'ai pris l'habitude de boire ainsi, car si je touchais de mes lèvres le gobelet en buvant, il me fallait le purifier, faire tout cela...

Q.- Le purifier comment ? Avec de l'eau et du savon ?

At.- Mais non. Avec de la terre et de l'eau aussi, évidemment. Vous savez, autrefois les européens venaient loger dans les ashrams. Mais cela a créé beaucoup de problèmes, et maintenant cela n'est plus permis depuis plusieurs années déjà. C'est mieux ainsi pour tout le monde.

Q.- Oui. Vous en donnez les raisons dans votre livre.

At.- Car, en définitive, c'était très difficile des deux côtés. La culture indienne est tellement différente de la nôtre, ainsi que leurs traditions, que le lien ne peut se faire entre les deux. Ainsi, pour moi qui vivait à l'ashram, c'était souvent bien difficile. Mais maintenant j'ai cette maison que Ma m'a donnée. Même actuellement, je ne puis entrer partout à l'ashram, vous savez.

Q.- Vous voulez dire qu'après quarante ans vous ne pouvez pas entrer partout à l'ashram ? Mais pas ici ? Pas à Kishenpur ?

At.- Ainsi, je ne puis pénétrer dans la cuisine, jamais. Et si quelqu'un prend son repas dans la véranda, je ne peux pas entrer non plus, c'est la règle.

Mâ m'a tout appris. Elle m'avait enseigné toutes les règles. Elle m'a même appris à faire la cuisine à l'indienne. Un jour, elle a fait la cuisine pour moi. Elle m'avait fait acheter tout ce qu'il fallait, et c'est elle qui m'a appris comment cuisiner. Oui, Ma a fait cela. Je vous apprendrai ce qu'elle m'a appris, vous verrez. Mâ, au début, me laissait faire beaucoup de choses. Ainsi je lavais son linge.

Q.- Donc, au début, Mâ vous gardait près d'elle ?

At.- Oui, et après aussi. Au début, il n'y avait pas tellement de règles parce que j'étais la seule européenne. Peut-être y avait-il un ou deux étrangers comme moi. Oui, c'est cela. D'ailleurs dans mon livre "Présence de Mâ Anandamayi", j'ai parlé de ce monsieur français qui avait vécu en Afrique et qui était ensuite venu en Inde à la recherche d'une voie spirituelle. Pour lui aussi cela a été très difficile.

Maintenant, de plus en plus, les indiens abandonnent leurs traditions. Tout change, même dans les écoles. C'est tellement différent de la vie en Inde autrefois. La mentalité a changé, la vie quotidienne a changé. On divorce, garçons et filles portent le pantalon. Ils veulent leur bicyclette, leur bracelet-montre, et toutes ces choses qu'ont les jeunes en occident. Autrefois, personne n'aurait osé venir à l'ashram en pantalon, ni les hommes, ni les femmes à plus forte raison. Pas les étrangers bien sûr. Ce sont leurs vêtements habituels. Je parle des indiens.

Ainsi un jour, une européenne s'était présentée en short et en tenue très légère. Je lui ai fait une remontrance, mais Mataji m'a dit: "Laisse-la, elle ne sait pas, elle ne pense pas mal faire !" Mais pour les indiens, Mâ n'aimait pas les pantalons à l'ashram.

Q.- C'est Mâ qui n'aimait pas cela ?

At.- Elle n'aimait pas du tout parce que les vêtements occidentaux ne se lavent pas aussi facilement que les vêtements indiens.

Q.- Parce qu'il faut laver ses vêtements tous les jours ?

At.- Pas seulement tous les jours, mais chaque fois qu'on a pris son repas.

Q.- Vraiment ? A ce point ?

At.- Mais oui ! Parce qu'une parcelle de nourriture ou une goutte de sauce peut tomber sans que l'on s'en aperçoive. Il y a des règles extraordinaires vous savez ! Ainsi pour ceux qui font la cuisine ; ceux qui la préparent (ce sont des brahmanes) doivent non seulement se baigner, mais changer tous leurs vêtements et rester absolument à jeun. Il faut faire la cuisine sans avoir mangé la moindre chose. Plus tard seulement, ils peuvent le faire, et bien entendu, après que la nourriture ainsi préparée ait été offerte à Dieu dans le Temple, avant d'être distribuée aux gens de la maison.

Comme vous le voyez, les règles de pureté sont très précises et très strictes. Aussi cela explique que nous ne puissions pas vraiment nous mêler à eux. Et j'ai connu ainsi mes pires moments. D'autre part, Mâ tenait à ce que je reste avec les européens et que je les aide.

Naturellement il était nécessaire que quelqu'un fasse le lien. Ainsi, comme je fréquentais les occidentaux, j'aurais bravé toutes les règles, vous comprenez ?

Voici un exemple: La mère de Ma Anandamayi vivait à l'ashram. Et elle était, comment dirais-je ... tellement orthodoxe I Elle était très bonne, très douce, mais elle avait tellement peur quand je m'approchais d'elle ! Je ne la touchais pas bien sûr, mais elle avait si peur que je ne le fasse qu'elle reculait pour être sûre de m'éviter. Alors un jour, je lui ai dit:

"Didima, pourquoi avez-vous tellement peur de moi ?" "Il y a une raison ! Il y a une raison !" me répondit-elle. "Mais quelle raison ? Dites-le moi." Mais elle secouait la tête et ne voulait pas le dire. Je voyais que ça l'ennuyait. Finalement elle me dit: "Vous les occidentaux, lorsque vous allez aux toilettes, vous n'utilisez pas d'eau pour vous purifier". "Comment Didima ! Que dites-vous là ? Bien sûr j'utilise de l'eau ! Beaucoup d'eau même !" "Oui vous sans doute, admit- elle, mais vous touchez tous ces européens, vous vous asseyez avec eux, vous leur parlez, alors vous comprenez, ils ne sont pas purs".

Cela l'ennuyait beaucoup. Mais vous savez, Didima était très bonne.

Q.- Que pensait Didima au sujet de sa fille ? En parlait-elle quelquefois ?

At.- Ah ! Didima savait ! Oui, elle savait, mais elle en parlait très peu. Il y a des livres maintenant là-dessus: "Svakriya Svarasamrita". Mais ils n'ont pas été traduits en très bon anglais. C'est même une assez mauvaise traduction. Vous pourrez vous les procurer à Kankhal. Ici à Dehradun, nous ne les avons pas. Vous y trouverez beaucoup de choses très intéressantes.

Q.- Didima a-t-elle su qu'elle mettait au monde une enfant exceptionnelle ?

At.- Bien sûr, oui elle l'a su. Vous avez dû lire que, pendant qu'elle portait l'enfant, elle rêvait la nuit que dieux et déesses venaient dans sa maison.

Q.- Oui, j'ai lu cela. Et aussi que Didima n'avait ressenti aucune douleur et que l'enfant n'avait pas crié.

At.- C'est vrai. Un médecin français m'a dit un jour: "Mais avec moi, les enfants ne crient pas lorsque je procède à un accouchement. J'ai une méthode très au point pour leur éviter le choc de la naissance: lumière douce, température ambiante adéquate, aucun bruit, etc... Et avec ça l'enfant ne crie pas".

Ce docteur a sûrement raison. Mais au temps de la naissance de Mâ, en 1896, on ne connaissait pas tout cela. Elle est née tout à fait tranquille et Didima n'a pas souffert.

Q.- A ce sujet, j'ai lu dans le livre de Didi-Shri Gurapriya Devi, un fait qu'elle rapporte et que je trouve curieux et drôle: " Un jour où l'on parlait devant Mâ du fait qu'elle était venue au monde sans crier ni pleurer, elle dit: "Pourquoi aurais-je crié ? Je regardais le manguier à travers les barreaux des fenêtres pendant ce temps !" C'est sûrement ainsi que les choses se sont passées. Il est impossible, je crois, de soupçonner Didi de fantaisie.

At.- Bien entendu. Parfois Didima, la mère de Mâ, racontait certaines choses lorsqu'on le lui demandait. Mais cela très rarement. Et encore, elle s'assurait que Ma ne l'entendait pas, car elle n'était pas trop d'accord pour qu'elle parle.

Q.- Atmananda, je viens d'évoquer Didi-Shri GvraprIya De vi, pourriez-vous me parler d'elle ? L'avez-vous bien connue ?

At.- Oui, très bien !

Q.- Qui était Didi ?

At.- Didi ? Il semble qu'elle soit née seulement pour servir Mâ. Elle avait été une enfant très... particulière.

Q.- Particulière en quel sens ?

At.- Parce qu'elle avait un comportement singulier. Par exemple, elle refusait absolument de se mêler aux gens. Elle refusait également de se laver avec du savon et ne voulait pas se coiffer. Si bien qu'on l'appelait Shiva.

Q.- C'est quand elle était enfant qu'elle se comportait ainsi ?

At.- Oui. De plus, elle était très timide. Connaissez-vous l'histoire de son mariage ?

Q.- Non. Je ne connais rien d'elle ou si peu. Et le peu que j'en sais m'a donné l'envie d'en connaître davantage. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu vous interroger à son sujet.

At.- A cette époque, on mariait les jeunes filles vers l'âge de douze ans. Ses parents décidèrent de la marier, et Didi ne voulait absolument pas en entendre parler. Mais bien entendu, ses parents ne l'écoutèrent pas, se disant qu'elle finirait par changer d'avis.

Lorsqu'elle arriva chez les parents de son mari, elle refusa de pénétrer dans la maison et s'assît sous la véranda. Elle se couvrit la tête de son voile, et resta là sans bouger, ni boire, ni manger et sans dire un mot. Les parents de son mari essayèrent de lui parler, de la faire manger et de lui faire entendre raison. Mais elle resta inébranlable. Elle continua à se taire, à ne rien manger, ni boire. Et cela a duré trois jours. Finalement, le père de son mari prit la décision de la rendre à ses parents, leur disant que malgré tous leurs efforts, la jeune fille n'avait pas fléchi et que, si la situation s'éternisait, elle finirait par mourir.

Alors, le père de Didi alla la chercher et elle retourna vivre dans sa famille. C'était tout de même une situation particulière que l'on n'a pas l'habitude de voir en Inde.

Q.- Qu'a fait Didi partir de là ? Et je suppose que Didi n'est pas son nom ?

At.- Elle s'appelait Adarini Devi, on l'appelait aussi Khukuni. Didi signifie "Soeur aînée". Mais elle est plus connue sous le nom de Gurupriya Devi.

Q.- Et que fit-elle après cela ?

At.- A partir de ce moment là, elle est restée avec sa mère à la maison. Elle l'aidait dans son travail. Et en dehors de cela, elle lisait et étudiait beaucoup, surtout les textes sacrés. Mais aussi des chants sacrés ou même des poèmes. Ceux de Tagore, par exemple.

Mais cela ne l'empêchait pas de rester toujours aussi sauvage.

Lorsque ses parents recevaient des invités, elle refusait de leur parler et parfois même de les voir. Il faut dire qu'elle était d'une grande timidité. N'empêche que ses parents étaient très fâchés de cette attitude: "Quelle sorte de fille es-tu pour te conduire ainsi ?" lui disaient-ils. Ils ne savaient que faire. Vous savez, le père de Didi occupait un poste important. Il était le "civil surgeon" de Dacca. C'est-à-dire le chirurgien officiel nommé par le gouvernement.

Un jour, il entendit parler de Mâ Anandamayi qui, à cette époque habitait Dacca, à Shahbagh. C'était vers la fin de l'année 1925. Il se rendit donc auprès de Mâ et, de retour chez lui, raconta sa visite à sa famille et tout ce que Mâ avait dit. Didi fut très bouleversée. Elle éprouva alors un grand désir de voir Mâ, mais cependant elle n'en dit rien à personne.

Atmananda s'interrompt pour me dire: "Savez-vous que tout ce que je vous raconte est mentionné dans l'ouvrage en dix-huit volumes, que Didi a écrit sur Mâ ? Vous le trouverez à l'ashram. Le titre est: "Shri Shri Mâ Anandamayi". Nous les avons tous ici en hindi et en bengali. Mais le premier volume vient d'être traduit en anglais. Le second suivra bientôt".

Q.- Je lis très mal l'anglais. Et d'autre part, je pense que vous devez avoir aussi des souvenirs personnels. Que fit alors Didi ? Se rendit-elle chez Mâ ?

At.- Non, pas tout de suite. Son père allait tout seul chez Mâ et lui parlait de sa famille, de ses six ou sept enfants. Mais en particulier, il parla de Didi et de son caractère étrange. C'est alors que Mâ lui a dit : "Amenez-la chez moi !"

Q.- Quel âge avait Didi à ce moment là ?

At.- Je pense qu'elle avait environ 25 ans. Oui, c'est cela. Didi était un peu plus âgée que moi, et un peu plus jeune que Mâ. Lorsque son père lui annonça que Mâ voulait la voir, elle fut tellement heureuse.

Ils se rendirent chez Mataji et, pour la première fois de sa vie, Didi se sentit tout de suite à son aise. Toute timidité avait disparu. Elle fit aussitôt pranam aux pieds de Mâ. Dans son livre, en relatant cette première entrevue, elle écrit : " Lorsqu'on voit la Mère, la tête s'incline d'elle- même jusqu'à terre !".

De son côté, Mâ se montra tout de suite très intime avec Didi. Elle lui dit ces paroles surprenantes: "Où étais-tu pendant tout ce temps ?" Dès ce moment là, Didi se rendit tous les jours chez Mâ, avec son père. Elle a raconté que dès cette première rencontre, sa maison devint pour elle comme une prison, et les heures qui la séparaient de l'instant où elle verrait de nouveau Mâ lui semblaient interminables. Finalement, elle ne rentra plus chez elle et resta définitivement avec Mâ.

Didi était comme Hanuman. Connaissez-vous Hanuman, le serviteur de Ram ? Il était tout à fait dévoué et fidèle à Ram et n'avait pas d'autres pensées. Et Didi, pour Mâ, était comme cela. Il est sûr que Didi est née uniquement pour servir Mâ.

Q.- C'est Didi qui nourrissait Mâ, n'est-ce pas ?

At.- Au début, Mâ se nourrissait elle-même. Un jour, elle prit de la nourriture et la mit dans la bouche de Didi en disant: "Aujourd'hui je te donne à manger. Mais plus tard, c'est toi qui me nourriras".

Et Didi ce jour là ne comprit pas ce que Mâ voulait dire. Mais au bout de quelques mois, Mâ cessa de s'alimenter. Ses mains semblaient incapables de porter la nourriture à la bouche. Vous ne pouvez pas imaginer comment vivait Didi ! C'était bien simple: Elle ne vivait strictement que pour Mâ. Elle ne pensait pas à elle même, jamais !

J'ai bien connu Didi parce que j'étais beaucoup avec Mâ. Et je peux dire qu'elle vivait vraiment sans le moindre confort. Vraiment aucun confort. Son lit n'était pas fait comme il faut. Elle dormait "sur des collines". Dans un réticule, elle avait des chaussures de Mâ. Cela lui servait d'oreiller. Je le sais parce que j'ai dormi près de Didi très souvent. Didi avait un lit que l'on déroule par terre. Comme celui que j'ai ici.

A cette époque, mon lit n'était pas comme le sien. Il était un peu mieux. Je l'avais amené avec moi en venant à l'ashram. La nuit, lorsque Didi revenait de chez Mâ, elle tombait littéralement sur son lit. Elle ne se couchait pas; elle tombait sur son lit et elle était déjà endormie. Parfois, une jambe était encore hors du lit, et elle dormait déjà. Alors, I'une ou l'autre des brahmacharinis venait, mettait sa jambe dans le lit, la massait, et Didi continuait à dormir profondément.

Et puis, au bout de dix minutes, une demi-heure ou une heure, on entendait la voix de Mâ: "Didi ! Didi !" A l'instant même Didi se réveillait. Mais si c'était nous qui l'appelions, elle ne se réveillait pas. Par contre, si c'était la voix de Mâ qui l'appelait, elle était aussitôt debout et allait dans sa chambre. De cela j'en suis témoin.

Je vous disais hier que lorsque j'enseignais encore à l'école de Rajghat, je me rendais tous les soirs à l'ashram de Mâ. Je dormais à l'ashram et le matin je retournais à l'école de Krishnamurti pour faire ma classe.

Mâ dormait dans sa chambre. Et moi sur la véranda, très près de Mâ. Il y avait seulement une cloison qui me séparait d'elle. Et Didi dormait aussi sur la véranda. C'est là que se trouvait son lit. Vers deux heures du matin elle arrivait, elle semblait épuisée et s'endormait aussitôt... et de nouveau Mâ l'appelait.

Pour Mâ, il n'y avait ni jour ni nuit, c'était pareil. Et Didi était toujours à son service. C'était extraordinaire. Et de plus, Didi écrivait le journal de Mâ. Elle l'écrivait en bengali. Je vous ai dit qu'il y a dix-huit volumes également en hindi. Mais pour publier les dix-huit livres en anglais, cela prendra beaucoup de temps. Vous pourrez vous procurer le premier tome ; le second n'est pas encore sous presse car je viens seulement d'en terminer les corrections.

Didi pouvait surtout écrire, lorsque Mâ l'envoyait quelque part, toute seule, afin qu'elle s'occupât de sa sâdhanâ. Mais en dehors de cela, je l'ai vue aussi écrire ce que Mâ avait fait dans la journée lorsqu'à deux heures du matin elle regagnait son lit. Car elle avait conscience de l'importance de ce journal dans lequel elle relatait en détails tous les faits et gestes de Mâ, son enseignement, ses conseils, et tout ce qui se produisait au cours de la journée. Aussi tout le monde lui en est très reconnaissant. C'est un travail magnifique qu'elle a fait là. Nous lui en sommes tous très reconnaissants I

Q.- Quels étaient vos rapports personnels avec Shri Guropriya Devi-Didi ? Lorsque vous êtes venue chez Ma définitivement, au début, et que vous êtes entrée dans le cercle des disciples de Mâ, comment vous a-t-elle accueillie ?

At.- (avec hésitation) Comment elle m'a accueillie tout au commencement ? Je ne m'en souviens pas. Il faut que je cherche dans mes souvenirs. Parce qu'au début, je voyais seulement Mâ. Non, je ne me souviens pas de mes rapports avec Didi au début ! Mais plus tard, j'eus d'excellents rapports avec elle. Parce que Mataji lui avait dit ceci: "Didi, cette fille n'a personne au monde, plus aucune famille, alors je la prends avec moi !" Et comme Mâ avait dit cela, Didi m'a acceptée complètement.

Vous savez, Didi était parfois très rude avec les gens, elle essayait de préserver Mâ au maximum. Mais si Mâ intervenait, Didi obéissait instantanément. Vous savez, Didi ne connaissait rien au monde que Mâ. Tout le reste n'existait pas. Parfois elle rabrouait les gens qui venaient chez Mataji: "Allez-vous en, la Mère n'a pas le temps !" Alors la voix de Mâ se faisait entendre: "Didi I Que dis-tu là ? Laisse ces gens venir vers moi " Et aussitôt Didi obéissait et se montrait attentive et aimable.

Mais Didi était très bonne. Souvent elle se laissait tromper et abuser par des gens qui venaient la solliciter. Et Mâ lui disait: "Ah ! Didi. Tu te laisses trop faire !" Et elle riait !.... Oui vraiment, Sri Gurupriya Devi ne connaissait au monde que Mâ ! C'est sûr, elle était née seulement pour la servir et veiller sans cesse sur elle. Avant de rencontrer Mâ, elle n'avait pas de vie. Elle a commencé à vivre le jour où elle a rencontré Mâ Anandamayi.

Q.- Ce que vous venez de me raconter confirme ce que me disait dernièrement la dame indienne chez laquelle je loge. Elle me parlait avec beaucoup de respect et d'admiration de Didi, mais aussi avec amusement. Car, me disait-elle, lorsque les fidèles de Mâ désiraient se rendre auprès d'elle, ils utilisaient des ruses pour se glisser dans sa chambre derrière le dos de Didi.

Elle était facile à abuser. Cette dame indienne m'a également rapporté un fait étrange dont je vous demande confirmation: Mâ aurait un jour révélé à quelqu'un que Didi avait été dans sa vie précédente, la première fille des parents de Mâ, morte en bas age, avant la naissance de Nirmâla - Mâ Anandamayi ?

At.- Oui... C'est exact! Et cette personne publia cela, s'attirant les reproches de Mâ.

Q.- Ce genre d'incident semble être une constante dans la vie des Incamations divines. Jésus, bien souvent, recommandait à ses apôtres ou à d'autres, de ne pas révéler tel ou tel fait, tel ou tel miracle qu'il venait d'accomplir. Et ceux-ci n'avaient rien de plus pressé que d'aller révéler ce qui était censé devoir rester caché.

Pour en revenir à Didi, I'indiscrétion de cet homme nous permet de mieux comprendre le sens des étranges paroles que Mâ adressa à Didi, lorsque celle-ci vint la voir pour la première fois: "Où étais-tu pendant tout ce temps ?"

At.- En effet ! D'ailleurs il est certain qu'entre Didi et Mâ existait un lien puissant et mystérieux. Et Mâ avait en elle une confiance totale. Même lorsque Mataji se taisait, Didi comprenait ce qu'elle ne disait pas. Il y avait entre elles une union étroite. Toutes les forces de Didi, ses pensées, son attention, étaient concentrées sur Mâ. Elle ne connaissait rien d'autre. Didi était sans exagération une partie de Mâ.

Et lorsque Didi quitta son corps, Mâ devint... (Atmananda cherche le mot qui convient), comment dire..., "strange"..." très étrange, c'est cela, je ne puis trouver d'autre mot.

Didi avait été très malade durant de nombreuses années. Elle vivait seulement par la grâce de Mâ. La dernière année (en 1980), elle souffrit beaucoup. Lorsque le mal s'aggrava, elle se trouvait à Bombay. Mâ se trouvait, elle, à Vrindaban. Elle se rendit aussitôt à Bombay. Et là, les médecins lui dirent que, désormais, plus aucun remède ne pourrait la guérir. Alors, Mâ décida de la ramener avec elle à Bénarés, car Didi avait dit qu'elle voulait mourir là-bas. Mâ, à cette occasion, passa cinq nuits en train (elle était alors âgée de 84 ans !). Partant de Vrindaban dès l'annonce de l'aggravation de l'état de santé de Didi, elle arriva à Bombay où elle organisa son retour à Varanasi (Bénarès) et, sans passer seulement une nuit à Bombay, elle repartit le soir même.

Dès son arrivée à Varanasi où elle ne resta que quelques heures, elle retourna à Vrindaban parce qu'il y avait une "Bhagavata Saptah" qui devait durer huit jours. Et Mâ retourna là-bas pour assister à la fin de cette fête. Elle prit, avant de quitter Varanasi, toutes les dispositions nécessaires pour Didi. Mais elle n'avait pas le "Kheyâla" d'être présente lorsque Didi quitterait son corps. Cependant, dés qu'elle apprit sa mort, elle revint aussitôt à Varanasi; elle se rendit directement dans sa chambre et y resta jusqu'à ce que toutes les cérémonies soient accomplies. Elle ne voulut pas voir le corps de Didi, pas plus qu'elle n'assista aux cérémonies funèbres et à l'immersion dans le Gange. Après quoi elle retourna aussitôt à Vrindaban.

Ainsi, selon son désir, Didi mourut à Bénarès. Mâ dit alors : "Les souffrances et les maladies de Didi n'étaient la conséquence d'un karma ." Alors ? Quelle était la signification de toutes ces souffrances ? Il y a une explication: Mâ disait souvent que les souffrances des hommes pouvaient être allégées si certains acceptaient d'en partager le poids.

Et Mâ en prenait souvent sur elle une grande part. On pense que c'est la raison pour laquelle Didi souffrit tellement. Il est possible que pour soulager et peut-être pour sauver la vie physique de Mâ, elle prit sur elle une grande part de ce fardeau.

Q.- Je suis très touchée par ce que vous venez de me raconter au sujet de Didi. C'était quelqu'un tout à fait hors du commun et qui inspire un très grand respect.

At.- Tout cela, je l'ai écrit dans "Ananda Varta". Comme je vous l'ai dit, je veux extraire trois volumes sur Mâ des cent vingt "Ananda Varta" de 1952 à 1982. Le premier est terminé, il concerne les dix premières années. Il y a encore deux volumes à faire. Peut-être certaines personnes pourront-elles m'aider ? Une dame française a fait un très bon travail, elle a tapé à la machine le livre entier, mais maintenant elle ne peut plus. Il me faut corriger, modifier, éditer.

Q.- Personne ne peut vous aider ? Vous faites toutes ces choses toute seule ?

At.- On ne peut pas m'aider, sinon pour taper les textes. Ainsi "Présence de Mâ Anandamayi", du moins la version anglaise "As the flower sheds its Fragance" a été dactylographiée en Amérique.

Q- Nous vous devons beaucoup de reconnaissance pour ce travail extraordinaire que vous avez accompli depuis trente années et plus, et qui nous est si profitable à tous. Demain nous partons à Rishikesh, puis à Kankhal. A notre retour, si vous le permettez, j'aimerais si possible vous posez encore quelques questions.

At.- Bien sûr, vous le pouvez. Vous savez, j'ai l'impression de vous connaître depuis toujours. Lorsque je vous ai vue pour la première fois, j'ai su tout de suite qui vous étiez. Et pourtant, je ne vous attendais pas du tout à cette date là mais bien plus tard. Vraiment, il me semble vous avoir toujours connue . Oui, revenez. Je terminerai en votre absence mon travail en cours.