Extrait
chapitre
numéro
9

Entretiens du 23 avril 1985

Entretiens avec Atmananda
Medirep, 1986

Mardi 23 avril 1985

A 10 heures, nous sommes passées à Kalyanvan pour prendre Atmananda et nous rendre avec elle à la fête.

Trois ou quatre cents personnes sont là, et la fête bat son plein à l'ashram. Le bruit des tambours et des cymbales, les chants et les danses emplissent l'air et nous pouvons à peine nous entendre parler, car des haut-parleurs ont été installés, ce qui rend difficile tout échange de paroles !

Les cérémonies du premier anniversaire de la consécration du temple de Ma ont déjà commencé. Nous nous mêlons aux fidèles qui, assis sur des nattes, suivent les rites sacrés. C'est swami Nirvanananda qui officie.

Atmananda s'est assise sur une natte, et nous nous installons derrière elle. Je l'entends qui échange quelques paroles en hindi avec une dame âgée, vêtue d'un sari blanc sans aucun ornement, exception faite d'un simple chapelet de bois autour du cou. Cette dame, d'une grande distinction, se tourne vers moi et me regarde. Ses yeux sont d'un bleu étonnant pour une indienne. Atmananda nous présente à elle et me dit son nom. Elle est la Rajmata de Tehri Garhwal, veuve du Rajah de Tehri Garhwal, et une grande devotee de Mâ.

Devant nous, la cérémonie se déroule sous les yeux attentifs des assistants. Un feu est allumé par l'officiant, dans une cavité aménagée dans le sol, juste devant le temple. Par la porte ouverte, on aperçoit la statue de Ma, ornée de guirlandes de fleurs fraîches et entourée de lumières, tandis que chants, tambours et cymbales continuent à retentir dans le bhajan-hall et qu'inlassablement tourne la procession.

A 13 heures arrive le prâsâd auquel nous avons été invitées. Nous sommes servies à part, Atmananda, ma fille et moi, avec beaucoup de gentillesse, par de jeunes brahmanes qui viennent s'assurer a plusieurs reprises que nous ne manquons de rien. Attention délicate, on nous a servies sur un plateau et non pas sur une feuille de bananier comme les autres convives. Le repas est excellent, nous sommes assises sur des nattes posées sur le sol, et nous n'avons pas de couvert, à l'exception d'une cuillère dont nous nous sommes munies sur les recommandations d'Atmananda. Elle-même mange en pressant délicatement de petites boulettes de riz entre le pouce, I'index et le majeur de sa main droite, avant de les porter à la bouche à la façon indienne. Dieu merci, j'avais ma cuillère ! Je pense que je n'aurais pas su manger correctement de cette façon, alors que tant de gens qui passent devant nous, nous regardent curieusement bien que discrètement, tout en nous souriant gentiment.

Après le repas, j'enregistre les chants qui continuent dans le bhajan-hall. Et ensuite je pars à la recherche d'Atmananda pour lui poser mes dernières questions.

La journée s'achève. Tout le monde semble heureux. Demain nous partons pour Dehli. Ce fut une belle journée et une fête réussie, où tous les enfants de Mâ se sont sentis proches les uns des autres.

Voici Atmananda ! A cause du haut-parleur, la musique et les chants sont si forts que nous avons du mal à nous comprendre. Je pose néanmoins ma question.

Q.- Atmanandeji, pouvez-vous me donner encore quelques explications concernant la fête d'aujourd'hui ?

At.- Akshaya Tritiya est une fête qui se déroule chaque année à la même époque, mais pas forcément le même jour. C'est un jour particulièrement favorable. C'est pourquoi il est presque toujours choisi pour l'inauguration et la consécration de nos temples.

Cette année, c'est le premier anniversaire de l'inauguration du premier temple dédié à Mâ. La consécration du temple de Shankaracharya a été célébrée un jour semblable à Kankhal et à Bénarès, il y a quelques années. De plus, certains événements importants sont également célébrés ce jour-là.

Vous savez, il y a des jours tout à fait particuliers où nous sommes plus réceptifs pour recevoir la grâce divine qui se déverse sur nous avec abondance. Cela se produit lorsque les astres forment une conjonction favorable. C'est aujourd'hui votre anniversaire. Il ne pouvait tomber un meilleur jour. Ni votre voyage à une époque plus bénéfique. Et aujourd'hui la présence de Mâ se fait sentir ici plus fortement encore que d'habitude. Lorsque ses fidèles sont réunis, et à plus forte raison aujourd'hui, Mâ est ici, tout à fait Présente. Elle aimait beaucoup ce Kirtan.

Q.- On m'a dit hier qu'elle aimait danser à cette occasion ?

At.- Il y a seulement quatre ou cinq ans, elle s'est levée, a pris quelqu'un par la main et s'est mise à danser un peu.

Q.- C'était trois ou quatre ans avant sa mort ? Enfin, il est difficile de parler de mort en ce qui concerne Ma ! Mâ ne meurt jamais .

At.- En effet ! Nous ne disons jamais "mort" en parlant de Mâ. Mais nous disons qu'elle est entrée en Mahasamadhi. Vous savez, on ne peut même pas dire qu'elle a quitté son corps. Là où il repose, à Kankhal, on ressent le rayonnement de sa Présence. Elle ne peut rien quitter, même pas son corps. Elle est partout, vous comprenez ?

Q.- Merci du fond du coeur ! Vous avez tout fait pour m'aider à mieux comprendre. Si c'est la volonté de Ma, je reviendrai !

At.- Au revoir. Jay Mâ.

Appendice

Ce n'était pas la volonté de Ma.

Atmananda a quitté son corps pour aller, selon la belle expression indienne, "se reposer dans la Paix Eternelle, aux pieds de Lotus de Ma."

C'est vers le 10 septembre qu'elle reçut le manuscrit de ce livre. Elle me demandait régulièrement où en était la rédaction car, me disait-elle: "Je ne me souviens plus du tout de ce que je vous ai dit et j'aimerais le lire.

Aussitôt celui-ci terminé, je l'expédiais à Atmananda. Elle effectua les corrections et apporta les précisions qu'elle jugea nécessaires en regard du texte. J'ai tout lieu de croire que c'est le dernier travail qu'elle ait effectué ici-bas, ou tout au moins l'un des tout derniers. L'enveloppe contenant le texte que je reçus, quinze jours après sa mort, comportait mon adresse tracée de sa main. Mais l'expédition en fut faite par swami Nirvanananda, à la demande expresse d'Atmananda. Une lettre de swamiji, glissée à l'intérieur du cahier, m'informait de sa maladie et il m'écrivait de sa part au sujet de ce travail "... elle l'a lu trois fois. C'est très bien..."

La pensée que ce texte est conforme à ce qu'elle avait voulu exprimer est pour moi un grand réconfort. Si Atmanandaji avait quitté son corps sans avoir pu effectuer ces corrections, je me serais toujours demandé si, sans le vouloir, je n'avais pas ici ou là trahi sa pensée malgré ma bonne volonté. Car Atmananda, parce qu'elle n'avait pas tellement l'occasion de le pratiquer, ne parlait plus très bien le français. Mais lorsqu'elle le lisait ou le corrigeait, elle pouvait largement m'en "remontrer" sur le sens précis des mots. Ainsi dans le présent texte, a-t-elle biffé, d'un trait sûr, le mot "probable" pour le remplacer par "possible", et je dus convenir qu'elle avait tout à fait raison.

Aussi, ce "It is very good" est-il pour moi très réconfortant. On n'a aucun droit à l'erreur lorsque l'on transmet les paroles de Ma ou que l'on parle d'Elle.

Atmanandaji ! Ce travail, en définitive, n'est pas le mien mais le vôtre. Je n'ai fait que transcrire vos paroles ! Merci d'avoir accepté de passer tant d'heures à me "raconter" Ma !

Dans ses dernières lettres, Atmananda m'écrivait: "Après la pluie, il fait presque froid." Et cela m'inquiétait pour sa santé. Le 8 octobre, je reçus une lettre de nos amis indiens, en date du 29 septembre. Avec une peine profonde, nous apprenions que le mardi 24 septembre 1985 à 9 heures du matin, à Kankhal (Hardwar), Atmananda avait quitté son corps à la suite d'un refroidissement. (C'est du moins ce que l'on avait cru au début).

J'écrivis aussitôt à Kankhal, à swami Vijayananda, qui me répondit par retour de courrier. Voici un extrait de sa lettre datée du 23 octobre:

"... Atmananda a eu une courte maladie et ne semble pas avoir souffert. Elle était tombée malade vers le 18 septembre à Dehradun, avec ce qui semblait être un simple rhume, mais qui s'est rapidement révélé comme une redoutable diphtérie.

Comme son état s'aggravait malgré le traitement, elle avait demandé à être transportée à Kankhal pour être près du samadhi de Mâ. Elle était arrivée ici le 23 septembre dans l'après-midi.

Comme son état demandait des soins spécialisés, qu'il n'était pas possible de lui donner ici, nous avions décidé (avec son consentement) de l'amener dans l'hôpital de notre ashram de Bénarès, qui aurait été l'endroit idéal. Elle devait être accompagnée par trois médecins (dont une femme). Mais elle est morte avant que ce projet ait pu se matérialiser, le lendemain matin vers 9 heures.

On lui a fait des funérailles en grande pompe, comme pour les sannyasins hindous, et son corps a été immergé dans le Gange comme elle l'avait demandé dans son testament. C'est, bien sûr, une grand perte pour notre organisation, et ce sera difficile de la remplacer."

En même temps que la lettre de swami Vijayananda se trouvait, dans le courrier, le numéro d'octobre de la revue "Ananda Varta".

Bien que sa disparition soit survenue à la fin du mois de septembre, un hommage à Atmananda y figure. Mais sans doute, en raison du laps de temps très court dont ont disposé les rédacteurs, avant la parution du numéro, I'article, par ailleurs fort bien fait, comporte des inexactitudes. C'est la raison pour laquelle je ne le reproduis pas ici dans sa totalité:

"C'est avec un profond regret que nous devons annoncer le départ de Brahmacharini Atmananda, éditeur d'Ananda Varta (en anglais) le 24 septembre, jour de Shukla Ekadashi Teethi (le onzième jour de la lune montante) du mois de Bhadra, 1985.

"... Elle était responsable de la version anglaise d'Ananda Varta depuis son commencement, et elle avait plus de 80 ans, ayant célébré, plus tôt dans l'année, cinquante ans de séjour en Inde.

"Originellement, elle venait d'Autriche et était connue comme Soeur Blanca pendant les premières années de sa vie dans nos ashrams. Plus tard, Mâ lui accorda les droits complets de Brahmacharini , puis le port de la robe orange. En tant qu'une sannyasini de l'ashram, estimée et immensément respectée, ... son corps fut baigné, oint, habillé et placé en face du Samadhi de Mâ, avant d'être confié aux eaux éternelles du Gange à Hardwar, comme c'est une habitude traditionnelle pour les sadhus et les sannyasins.

"Atmanandaji eut son premier darshan de Mâ à Almora en 1943. Plus tard, en 1944 et 1945, quand elle enseignait à Rajghat, elle eut davantage d'occasions de rencontres avec Mâ, mais ce ne fut pas avant 1945 qu'elle devint un membre de nos ashrams.

Les services d'Atmanandaji sont inestimables comme interprète officielle pendant les visites d'étrangers puisqu'elle connaissait l'allemand, le français, et d'autres langues du continent. Sa connaissance de l'anglais était profonde et elle était en rapport étroit avec les auteurs des publications sur Ma en Europe et en Amérique. Elle a été responsable de la publication du journal de Mâ dans Ananda Varta en anglais, depuis son commencement.

"Ayant été fortement encouragée par nous, elle a récemment publié un beau livre sur sa propre expérience aux pieds de Mâ, appelé "Comme la fleur répand son parfum" ( * "As the Flower sheds its Fragrance.", en Français 'Présence de Ma' aux Deux Océans), en 1983, suivi en 1985, par le premier des trois volumes de "Matri Lila", couvrant la période de 1952-1962. Le volume suivant, pour la période de 1962-1972, vient juste d'être complété et elle était en train de continuer avec le volume final pour la période 1972-1982. Elle était aussi activement engagée dans l'édition de la traduction anglaise de l'excellent livre bengali de Sri D. P. Mukherjee "Matri Darshan Leela" (Le Jeu du Darshan de Mâ)).

"Elle était une chanteuse réputée de plein droit, et elle devint un expert des kirtans de nos ashrams. Ce fut sa force mentale remarquable et sa résistance qui la rendirent capable de maintenir le chant du "Nom", seule, pendant les périodes creuses du jour, entre 1 heure 30 et 3 heures 30 de l'après-midi, pendant les grands festivals quand, d'après les instructions strictes de Mâ, le Saint Nom était chanté constamment dans les principales salles de nos ashrams.

"Elle a dû souffrir de privations incroyables, sans murmurer, durant les premiers temps de sa vie à I'ashram; mais celles-ci ne laissèrent jamais aucun impact sur la sérénité et la douceur de sa disposition. Sa ponctualité était proverbiale parmi ses amis et elle s'appliqua régulièrement à toutes les tâches ardues de l'édition, avec une sincérité et un zèle méticuleux. Elle ne laissait jamais rien passer pour la publication sans authentifier les faits autant qu'elle le pouvait. Elle était une grande aide et un avantage pour tous les fidèles étrangers de Mâ, qui étaient ardemment désireux de s'informer au sujet de ses enseignements, afin de reproduire dans leurs propres langues et dans leurs pays, Ses édits, Ses conversations, Ses mots.

"Elle souffrait de la cataracte depuis quelques années mais, héroïquement, elle poursuivait ses devoirs sans fin, toutes les fois qu'elle pouvait obtenir une lumière suffisante. Elle rendit son dernier souffle après une très courte maladie. Espérons qu'elle souffrit peu à la fin et qu'elle repose maintenant dans le Paix Eternelle, aux pieds de Lotus de Mâ, pour qui elle abandonna tout sur terre pour Réaliser la Vérité Suprême. C'est à ceux d'entre nous qui restent, de compléter son travail en cours, et de continuer la publication de son bien aimé "Ananda Varta, et des autres livres de valeur sur Mâ, suivant les lignes prestigieuses établies par elle".* La traduction de ce texte est due à l'amitié de Madhuri.

Atmanandaj ! Il y a quelques mois à Dehradun, vous m'aviez dit:

"Je sais que maintenant tout peut arriver, mais que l'Unité est là. Si je meurs, le corps meurt. Mais je reste avec Elle. Cette Unité demeure pour toujours !"

Aussi, lorsque ma pensée se tourne vers vous, c'est avec une sérénité et une paix profonde. Même la pensée, pour nous si étrange, de votre corps vêtu de la robe orange, emporté par les Eaux Sacrées du Gange, dans lequel il a été immergé, est pour mon esprit, une image paisible.

Et lorsque les phrases écrites à votre sujet dans "Ananda Varta" se rappellent parfois à mon souvenir, je me dis que vous, I'intouchable, parce que vous avez su, par votre attitude, vous attirer le respect de tous, avez finalement été honorée comme les plus grands.

"En tant qu'une sannyasini de l'ashram

''Estimée et immensément respectée,

"Son corps fut baigné,

"Oint, habillé,

"Et placé en face du samadhi de Ma,

"Avant d'être confié,

"Aux Eaux Eternelles du Gange...

TOUT EST BIEN

OM MA SHRI MA JAI JAI MA