Introduction
Dans le courant de l'été 1981, mes yeux tombèrent sur un article de Josette Herbert, dans une revue intitulée "Le Monde Inconnu". Le titre de l'article, en gros caractères, figurait au dessus d'une photographie qui occupait la totalité de la page. Pour la première fois je venais de rencontrer Ma Anandamayi.
Le regard de cette femme déjà âgée, dont j'ignorais tout, me transperça jusqu'au coeur. Toute la douceur, toute la bonté, tout l'amour du monde, étaient contenus dans ce regard. Je ne le savais pas encore, mais l'impact de cette rencontre eut un effet décisif sur mon existence.
Depuis ce jour-là, quelques années se sont écoulées, et il me faut reconnaître que, entre "avant" et "après", plus rien ne fut pareil. Graduellement, et tout à fait à mon insu, mon existence prit une orientation nouvelle, ma vision des choses se modifia, et même ma façon de penser et de considérer la vie se transforma considérablement.
A cette époque, je me trouvais en très mauvaise santé, ce qui m'obligeait à observer un repos presque total, et cette situation se prolongea trois ans encore, jusqu'au début de 1984. Sans doute me fallait-il cette "épreuve" pour que je puisse rencontrer Mâ Anandamayi au détour d'une page. Sans cela le temps m'aurait sûrement fait défaut, et il m'aurait été impossible de lire comme j'ai pu le faire, plusieurs heures par jour, et souvent plusieurs heures de la nuit, au cours de longues insomnies, tous les livres que je pus me procurer sur elle
Curieusement, alors que jamais auparavant, je n'avais seulement entendu prononcer son nom, tout maintenant me guidait vers elle, et vers tout ce qui pouvait m'aider à mieux la découvrir. J'ai appris depuis que nous ne "faisons rien". C'est elle qui nous attire au moment le plus favorable. Et dès cet instant tout nous est donné, tout vient à point, non seulement dans le domaine spirituel, mais si nous avons vraiment confiance en elle, dans tous les autres domaines également. Les témoignages sur ce point sont innombrables, non seulement en Inde, mais aussi en Occident.
Le premier livre que j'eus entre les mains, "Visages de Mâ Anandamayi", écrit par le Professeur Baldoon Dhingra, qui mourût au cours de la rédaction de cet ouvrage, et que son épouse Bharati, une française, termina, me fut offert par une amie. Le second, c'est ce livre indispensable à tous ceux qui veulent connaître Mâ, traduit de l'anglais par Josette Herbert: "L'Enseignement de Mâ Ananda Moyi", paru chez Albin Michel, dans la collection "Spiritualité Vivante" * Puis vinrent "Ashram" par Arnaud Desjardins, et ~Aux Sources de la Joie~, ce petit livre publié en France au début de la dernière guerre par Jean Herbert, cet éminent orientaliste qui rencontra à plusieurs reprises Mâ Anandamayi.
Ce qui me semblait le plus merveilleux, lorsque je découvris Mâ en 1981, c'était de pouvoir me dire que cet Etre de Lumière vivait parmi nous. Et qu'un jour, peut-être, je pourrais me rendre en Inde pour la rencontrer et recevoir son "darshan" *. Tout en attendant sans trop y croire, une amélioration éventuelle de ma santé, j'appris à vivre avec Mâ. Je relus plusieurs fois en trois ans "L'Enseignement de Mâ Ananda Moyi". Et lorsque arrivée au point final, je retournais à la première page, j'y découvrais des choses nouvelles que je n'y avais pas vues la fois précédente. C'était comme si, ayant découvert un trésor, celui-ci me révélait chaque jour de nouvelles merveilles L'enseignement de Mâ, les mots de Mâ, sont d'une richesse inépuisable.
Ma santé commença à s'améliorer au cours de l'année 1984. Les forces revenant et mon désir de rencontrer Mâ allant grandissant, je pris la résolution de partir en Inde Le 20 juin 1984, j'écrivis une lettre à l'ashram de Varanasi, (Bénarès), pour demander comment il fallait procéder pour rencontrer Mâ. Car dans tous les livres qui sont écrits sur elle, il est dit qu'elle ne demeure jamais longtemps au même endroit. Mais dans cet ashram, du moins à cette époque, personne ne comprenait le français. C'est pourquoi le secrétariat envoya la lettre à Dehradun, dans la région des Himalayas.
Et le 6 août, j'aperçus avec joie, au milieu de mon courrier, le papier bleu d'un aérogramme en provenance de l'Inde. Je l'ouvris avec une certaine émotion, et lus ce qui suit:
Chère Madame,
Votre lettre du 20 juin a été envoyée chez moi parce que personne ne lit le français à l'ashram de Varanasi. Il semble que vous ne sachiez pas encore que Mâ a quitté son corps il y a presque deux ans, le 27 août 1982. C'était ici, à l'ashram de Dehradun. Son corps est à Kankhal (Hardwar) où nous avons un grand ashram...
Ainsi, il était trop tard , définitivement trop tard. Jamais mes yeux ne verraient ici-bas Mâ Anandamayi. Je me sentis soudain très abattue. Mais je surmontais cela, me disant qu'il faut savoir accepter ce qui ne peut être changé. Et il y avait cette lettre si amicale, si fraternelle, que je continuais à lire, et dans laquelle mon correspondant inconnu m'assurait que, de toute façon, malgré le départ de Mâ, je serais toujours la bienvenue, et cela me réconfortait.
Des détails pratiques m'étaient donnés, ainsi que d'autres renseignements utiles. Justement, deux jeunes françaises se trouvaient à l'ashram pour quelques semaines. Et leurs adresses respectives m'étaient communiquées dans le cas où je désirerais des détails supplémentaires à leur retour en France. Cette lettre pleine de bonté me toucha beaucoup.
Elle était signée: Atmananda.
N'étant pas familiarisée avec les noms indiens, je n'avais aucune idée sur l'identité de mon correspondant. Néanmoins, et d'une façon assez inexplicable, je me sentis tout de suite très proche de la personne qui m'écrivait.
Ce sentiment fut si précis que je ne pus m'empêcher d'en faire la réflexion à une amie. Cette impression eut un "prolongement" non moins curieux lors de mon arrivée en Inde.
Dès son retour en France, je pris contact avec l'une des deux personnes dont j'ai parlé plus haut, afin d'obtenir quelques renseignements: "Atmananda !" me dit-elle. "Elle est une des plus anciennes disciples de Mâ Anandamayi. Elle a passé près de quarante ans avec elle. Elle est née en Autriche et doit avoir plus de quatre-vingts ans !"
Aussitôt j'eus envie de connaître Atmananda Quelques lettres furent échangées entre nous, et une date fut fixée: le 9 novembre. Mais au début de ce même mois, Madame Indira Gandhi fut assassinée. Des troubles sanglants éclatèrent en Inde, et le départ fut remis aux premiers jours de janvier. Hélas ! Une nouvelle fois cela ne put se faire.
Et j'écrivis à Atmananda pour l'informer que ce voyage ne pourrait avoir lieu avant les derniers jours d'avril, ou même au début du mois de mai. En fait, et d'une façon tout à fait inopinée, les choses se passèrent de telle sorte que ma fille et moi pûmes décoller pour Delhi via Francfort le 13 avril, sans avoir pu en informer Atmananda.
Le 14 avril vers 9 heures du matin nous atterrissions à Dehradun, petite ville de l'Uttar Pradesh, située sur les contreforts des Himalayas.
Mon projet était, en venant en Inde, de rencontrer Atmananda, et également Vijayananda, un ancien médecin de Marseille, qui furent des témoins privilégiés de la vie de Mâ Anandamayi Cette rencontre avec ces deux êtres qui n'hésitèrent pas à tout quitter pour s'attacher à Mâ fut non seulement un enrichissement, mais un enchantement.
C'est le 14 avril dans l'après-midi que je vis pour la première fois Atmananda. Nous étions arrivées à Dehradun dans la matinée. Après quelques heures de repos, j'appelais un ricksaw qui nous conduisit à Rajpur road où se trouve Kalyanvan. Je fus frappée en entrant dans le jardin par le calme et la sérénité qui y régnaient. Ne voyant personne aux alentours qui puisse nous renseigner, nous ne savions pas où nous diriger. Un bruit de conversation nous parvint. Il provenait d'une toute petite maison, à moitié dissimulée dans la verdure. Deux personnes se tenaient assises sur la véranda. L'une des deux, je l'appris au moment des présentations, était la fille du Professeur Baldoon Dhingra dont j'ai parlé plus haut. L'autre, vêtue de la robe orange "gerua" que portent les sannyasins, avait le crâne rasé. C'était Atmananda.
A ma grande surprise, après avoir poussé une petite exclamation, elle m'appela par mon nom. J'étais étonnée car je n'avais pas précisé que j'arriverais ce jour là, mais bien plus tard. Elle nous accueillit avec une grande bienveillance, et un bon sourire illuminait son visage ridé. Ses mouvements étaient vifs, et à première vue ses 81 ans ne semblaient pas lui peser. Elle nous fit asseoir sur les deux tabourets dont elle disposait, la dame qui se trouvait là s'assit sur le mur bas de la véranda, quant à Atmananda, elle posa sur le sol un petit couffin de paille et s'assit dessus.
Ce premier contact fut magnifique. Enfin j'étais à Dehradun auprès d'Atmananda qui vécut si longtemps auprès de Ma Anandamayi I Qui, mieux qu'elle, pourrait me parler de Ma ?
La plupart des disciples de Mataji ont recueilli avec respect ses paroles, dont beaucoup ont été publiées. Gurupriya Devi a écrit 18 volumes en Bengali, mais pour nous occidentaux nul ne s'est plus dépensée qu'Atmananda pour transmettre l'enseignement et les paroles de Ma Anandamayi, et cela pendant plus de trente ans. C'est elle qui a traduit en anglais la plupart, sinon la totalité, des textes répandus dans nos pays. Quant à Jean et Josette Herbert qui ont fait ce travail admirable, entre autres, qu'est "L'Enseignement de Mâ Ananda Moyi", le livre français le plus complet sur les enseignements de Mataji, ils ont utilisé plusieurs sources pour le réaliser. Mais une grande partie de celles-ci provient des notes personnelles d'Atmananda et de ses traductions d'ouvrages sur Mâ, de ses paroles et de ses enseignements du hindi et du bengali. Atmananda a réalisé un très grand travail dans ce domaine pour notre bénéfice à nous, occidentaux. Qu'elle en soit remerciée.
Swami Vijayananda est un ancien médecin français qui, au cours d'un voyage en Inde en 1951, rencontra à Bénarès Mâ Anandamayi, devint son disciple, et passa avec elle un peu plus de trente ans. C'est la raison pour laquelle je voulus le rencontrer afin d'obtenir de lui un témoignage. Dans ce but, je me rendis pour 24 heures à l'ashram de Kankhal, situé au bord du Gange, à proximité de la ville sainte de Hardwar, où swami Vijayananda réside désormais. C'est dans cet ashram que se trouve le "samadhi" de Mâ. Celui-ci est maintenant placé à l'intérieur d'un temple (en voie d'achèvement) qui lui sera consacré.
Lorsqu'au cours de la conversation avec Vijayananda, je fis allusion aux sacrifices qu'il dut faire, en abandonnant tout pour suivre Mâ, il me répondit en souriant: "Mais ce n'était pas dur ! Au contraire, ce fut un soulagement ! J'ai tout jeté, comme on jette un ballot de linge sale. L'argent, mon cabinet médical, ma famille, mes amis, j'ai tout abandonné !" "Sans aucun regret ?" ai-je demandé. "Non ! Aucun, bien sûr !" fut la réponse.
Une autre question me tenait à coeur et je ne voulais pas rentrer en France sans la lui avoir posée: "Swamiji, vous avez passé plus de trente ans avec Mataji, vous l'avez suivie partout, et au cours de ses innombrables voyages, vous avez passé, m'avez-vous dit, 24 heures sur 24 avec elle. Tout ce que j'ai pu lire sur elle, tout ce qui m'a été dit depuis que je suis en Inde, et ce que j'ai entendu de la bouche de Shri Atmanandaji m'amène à penser que Mâ Anandamayi n'était pas une personne humaine. A la lumière de votre expérience de tant d'années avec elle, pouvez- vous me dire quel est votre sentiment sur ce point ?"
"Vous savez, - me répondit Vijayananda - nous disons en France qu'il n'y a pas de grand homme pour son valet ! Il m'est arrive, en effet, de passer 24 heures sur 24 avec Mataji, au cours de ses innombrables voyages à travers l'Inde. Eh bien, je puis me permettre de vous répondre sur ce point d'une façon formelle: Non, Mâ Anandamayi n'était pas une personne humaine. Elle n'était pas un être humain ! Elle était, cela ne fait aucun doute, une Incarnation de la Divinité ".
Les pages qui suivent ne sont que des entretiens "à bâtons rompus" avec Atmananda. J'ai passé de longues heures auprès d'elle dans sa petite maison. De me parler de Mâ était pour elle un réel bonheur. Elle rayonnait I II m'était facile de lire sur son visage expressif les sentiments qui surgissaient avec les souvenirs d'un passé qu'elle évoquait pour moi. Parfois elle s'arrêtait de parler, et je respectais son silence. Le regard un peu lointain, elle semblait revoir les scènes d'autrefois. Enfin elle se tournait vers moi en souriant:
"Je suis contente que vous soyez là" - disait-elle - "il faut savoir ces choses, il faut les dire I Vous savez, je suis persuadée que c'est l'occident, bien plus que l'lnde, qui répandra l'enseignement de Mâ Anandamayi. C'est un enseignement universel qui peut convenir à chacun."
Lorsque vers cinq heures, nous partions à pieds à l'ashram de Kishenpur pour le kirtan du soir, et que nous cheminions le long de la route toute inondée par la lumière dorée du couchant, Atmananda, inlassablement, continuait à nous parler de Mâ ! "La bouche parle de l'abondance du coeur" dit-on ! II semblait qu'elle mettait toutes ses forces pour me transmettre le plus de choses possibles. Pourtant la marche l'essoufflait. Et je lui disais: "Atmananda I Ne parlez pas en marchant, je vous en prie, cela vous fatigue." "Mais non" - répondait-elle - "il faut que vous sachiez !"
C'était comme la transmission d'un héritage ! Et nous l'écoutions avec respect tandis qu'elle allait sur le chemin en s'aidant de sa vieille canne, alors que le soleil couchant mettait des reflets d'or sur sa robe orange de sannyasini.
L'essentiel de ce que nous a dit Atmananda est consigné dans ces pages.
Puissent-elles faire naître chez le lecteur le désir de mieux connaître Ma Anandamayi, et l'inciter à partir aussi à sa rencontre.
Si cela était, le souhait d'Atmananda serait réalisé, et le but de ce livre serait atteint.
A Vous Seule, Mataji, je dédie ces lignes OM MA .