Extrait
chapitre
numéro
6

Réflexions pour les Occidentaux allant en Inde

Témoignages et réponses d'un disciple français de Mâ Anandamayî

Chapitre 6


REFLEXIONS POUR DES OCCIDENTAUX ALLANT EN INDE


Nous reprenons ici un texte écrit par Vijâyananda dès 1957 dans le journal trimestriel de Mâ Anandamayî, mais qui garde son actualité pour les Occidentaux qui veulent mieux comprendre l’Inde spirituelle.


Un certain nombre d’Occidentaux sont déjà entrés en contact avec Shri Shri Mâ Anandamayî, et il en viendra certainement de plus en plus. Presque tous ont été profondément impressionnés ; beaucoup ont très envie de garder le contact avec elle, certains même la vénèrent comme leur Gourou. Quelques-uns lui ont consacré leur existence et vivent sous sa guidance, mais la plupart d’entre eux trouvent qu’il est plus ou moins difficile de s’adapter à l’entourage indien - certains se plaignent d’un manque de compréhension. Un petit nombre est, d’une manière évidente, inadapté. Ils sont même en conflit avec leur entourage. La confusion des niveaux de pensée en est, il me semble, la raison. Cette confusion est tout à fait habituelle, car l’illusion de l’esprit est construite dans son ensemble sur le fait de prendre une chose pour une autre.


Mais les Occidentaux qui viennent en Inde en quête de spiritualité ne sont pas tout à fait des gens ordinaires, et nous pouvons attendre d’eux un comportement en fonction de cela. Ceux qui, pour le Suprême, ont quitté leur famille, leur pays, un climat qui leur convenait, pour demeurer dans un entourage où tous les détails de ce qui représente une vie quotidienne naturelle et confortable pour d’autres, nécessite un effort pénible d’adaptation, ceux-là ne sont certainement pas des gens ordinaires.


Examinons maintenant où réside cette confusion des plans de pensée. On peut dire que notre relation avec notre environnement humain se situe sur quatre niveaux à la fois :

  1. - L’Atmic Sambandha, la relation d’unité avec le Soi Universel
  2. - La Paramarthic Sambandha, qui unit deux chercheurs sur le plan spirituel
  3. - La Dharma Sambandha,le lien entre les pratiquants d’une même religion ou les adorateurs d’une même divinité
  4. - La Jati Sambandha, ou la communauté de naissance.

Ces différents plans ne sont bien sûr pas complètement séparés, et peuvent s’interpénétrer l’un l’autre, mais ce qui est vrai à un niveau peut être faux à un autre. Tous les hommes sont Un dans l’Atmic Sambandha, la relation avec le Soi Universel. On peut à peine appeler cela un plan de conscience. C’est le but final de tous les chercheurs spirituels authentiques. Du point de vue absolu, il y a seulement une conscience qui demeure dans tous les êtres. Les différences évidentes d’individualité, de nom et de forme, n’ont qu’une réalité éphémère, ou même, comme certains le soutiennent, sont tout à fait irréelles et illusoires. Bien sûr, quand on a réalisé cette vérité suprême, il ne peut survenir ni conflit ni opposition envers qui ou quoi que ce soit.

Cette conscience supérieure est celle dans laquelle Shrî Shrî Mâ Anandamayî vit, parle, agit en toutes circonstances, sans aucune interruption, de jour comme de nuit, depuis le moment même où elle a assumé une forme physique. Pour elle, il n’y avait aucune différence de nation ou de race, de caste ou de croyance. A ses yeux, tous sont des manifestions de la Conscience Divine, voire de son propre Soi, comme elle l’a elle-même affirmé à de nombreuses reprises, et de diverses façons. S’il nous semblait parfois qu’elle se comportait de différente manière avec des gens différents, cela peut avoir deux raisons. D’abord, on peut voir les choses comme cela de par les limitations de notre point de vue. Quand on progresse sur le chemin spirituel, on comprend petit à petit comment l’intellect dont nous sommes si fier, et dans lequel nous avons placé toute notre confiance, se trompe et nous trompe continuellement. La seconde raison est que Mataji n’était pas seulement un Etre Réalisé, mais aussi un grand Gourou parmi les plus grands, et son but est de nous éveiller à notre vraie nature.

Quant à son attitude envers les coutumes sociales et autres, elle peut être due aux raisons ci-dessus. De plus, un Etre Réalisé n’est pas réformateur, ni fondateur d’une nouvelle religion. Il désire simplement nous rappeler la Vérité éternelle : ‘Tu es Cela’. En ce qui concerne les coutumes sociales et autres, il peut prendre les choses comme elles sont et les utiliser comme un levier pour nous conduire à la reconnaissance de la source de toute souffrance, qui est le manque de conscience que nous avons de notre nature réelle. Changer les détails sans avoir été jusqu’à la racine ne nous apportera aucun soulagement réel. Mais pour nous qui n’avons pas réalisé notre vraie nature, il est impossible de vivre dans cet état élevé de conscience.

Il nous faut maintenant considérer le lien paramarthique, qui est plus à notre portée. Il y a une profonde parenté, une fraternité mystique entre tous les chercheurs authentiques du monde. On peut la sentir au premier contact. Par ‘chercheur spirituel authentique’, je veux dire : pas ceux qui cherchent la célébrité, pas ceux qui ne visent qu’au développement des pouvoirs psychiques, qui ne feront que les lier plus ; même pas les adorateurs de divinités qui attendent une récompense ici-bas ou dans l’au-delà ; mais ceux qui se sont consacrés complètement au Suprême, au Soi éternel qui demeure dans tous les êtres. C’est à cette relation que nous pensons quand nous nous appelons l’un l’autre ‘Frère’, c’est dans cet esprit que nous sommes venus en Inde, afin de faire valoir nos droits à l’héritage de cet immense trésor de sagesse, l’Atma Vidya, transmis depuis des temps immémoriaux par les grands Rishis, les grands sages, les grands saints de l’Inde, parmi lesquels Shrî Shrî Mâ Anandamayî est l’une des plus grandes entre les grands.

Personne au monde n’a jamais exprimé les vérités les plus hautes dans un langage aussi clair et aussi sublime que les sages de l’Inde. Aucun pays n’a jamais été béni par un si grand nombre de grands êtres qui se sont succédés probablement sans interruption depuis des milliers et des milliers d’années.

On a toujours entretenu la vive flamme de cette sagesse, malgré les envahisseurs et les calamités qui se sont abattus sur le pays, qui plus est, chaque saint, chaque voyant, chaque sage a enrichi ce trésor divin de son apport personnel.

Nos frères de l’Inde nous ont généreusement ouvert les réserves de ce trésor. On donne toute facilité aux Occidentaux venant pour étudier la sagesse de l’Inde. De fait, je suis ému de voir combien d’intérêt et de gentillesse nos frères de l’Inde montrent aux Occidentaux qui n’ont même qu’un intérêt minime pour les questions spirituelles. Que dire alors des grands sages qui ont beaucoup plus envie que nous-même de nous prendre sur le chemin menant à la connaissance de notre réelle nature divine ?

C’est avec les grands sages, et surtout avec le Gourou, que le Paramarthic Sambandha atteint son sommet. Le Gourou n’est pas simplement un enseignant. Ceux qui ne l’ont pas expérimenté ne peuvent guère imaginer la profondeur du lien qui unit Gourou et disciple. L’amour tendre d’une mère affectionnée pour son fils, l’affection profonde et virile d’un père, la fidélité de l’ami le plus cher, tout cela est contenu et transcendé par l’amour du Gourou pour le disciple. Rien ni personne, que ce soit sur terre ou dans les cieux, ne pourra jamais briser cette relation. Elle est plus forte même que la mort. Elle ne prend fin que dans l’Eternel Atman, où Gourou et Shishya (disciple) se fondent en un seul.

Bien que Mataji ne donne pas de Mantra-Diksha, d’initiation formelle, un grand nombre de gens la vénère comme leur Gourou. Un tel grand être n’a pas besoin de passer par le cérémonial d’une initiation formelle. La Shakti-Dana, la transmission de pouvoir, qui est en fait l’initiation réelle, peut être donnée de beaucoup de façons, par exemple par contact, Sparsha-Diksha, par simple regard, Dristi-Diksha et même à distance.

La Paramarthic Sambandha qui unit les chercheurs spirituels, le Gourou et le disciple, et les disciples du même Gourou, est la plus profonde relation qu’on puisse jamais avoir sur terre, beaucoup plus profonde que la relation de sang qui est simplement du domaine du corps physique.

La Paramarthic Sambandha est fréquemment confondue avec la Dharmic Sambandha, la communauté de religion. Et c’est là qu’est la clef d’une mauvaise compréhension mutuelle. Bien que ces relations aillent souvent de pair, elles signifient deux choses tout à fait différentes. Par Dharmic Sambandha, j’entends la relation entre les membres d’une même religion, Catholiques, Protestants, Juifs ou entre les adorateurs d’une même divinité, par exemple, en Inde, les Shivaïstes, les Shaktas, les Vishnouïstes, etc…

En Occident, nous pensons qu’un être peut changer sa religion, peut se convertir à une autre s’il le désire. Mais en Inde, il en va tout autrement. Pour tout Indien normalement cultivé, il va de soi que la religion, dans laquelle il est, fait partie de notre propre nature, autant que notre race, caste, etc… La question de changer d’une religion à l’autre ne se pose pas. Nous sommes nés dans une religion ou une autre selon nos ‘Samskaras’, les impressions laissées par nos vies antérieures.

Certains Occidentaux qui viennent en Inde avec l’intention de se convertir à l’hindouisme sont rapidement déçus. Cela peut devenir un point de friction important avec l’entourage, et beaucoup d’incompréhensions peuvent ainsi survenir. A cause de diverses habitudes de pensée profondément enracinées dans le subconscient, il est très difficile de saisir le point de vue des autres.

La religion, ou en d’autres termes, l’approche du Suprême par son aspect personnel grâce à l’intermédiaire du nom et de la forme, de l’individualité, peut être d’un grand secours pour la réalisation spirituelle. Mais ce nom et cette forme doivent être profondément enracinés dans le subconscient.

Quelques Occidentaux exceptionnels, en réalité des Indiens qui ne sont nés en Occident que pour un séjour provisoire, sont capables de s’adapter au culte d’une divinité indienne. Mais ce ne peut être efficace qu’après un avis favorable du gourou.

Néanmoins, ce que l’on demande, ce n’est pas de changer sa religion, mais de trouver le terrain où toutes les religions prennent leurs racines : l’Eternel qui réside dans le cœur de chacun.

Il arrive fréquemment que des Occidentaux soient vexés de ne pouvoir participer à une Puja (prière liturgique) ou entrer dans un temple hindou. Les hindous orthodoxes ne sont pas des adorateurs d’idoles au sens que nous donnons à ce terme en Occident. Toutes les images et noms ne sont pour eux que différents aspects de l’Un. On utilise un nom ou une forme particulière seulement pour assurer un point de convergence à la dévotion. Ce n’est pas seulement le point de vue de quelques philosophes isolés, mais tout Indien normalement cultivé tient ce fait pour établi.

Depuis que je suis entré en contact avec la culture indienne, j’ai été dans l’admiration de voir comme la science du culte était profonde et développée en Inde. Ce n’est pas comme on pourrait le penser un simple débordement de dévotion ou d’émotions religieuses. Chaque détail de l’image qu’on adore a sa signification. L’expression du visage, la couleur de la peau, les gestes des mains, les ornements, tout a une signification symbolique bien définie. Le culte est rendu par un Brahmine qualifié. Les mots qu’il utilise dans le culte sont pour la plupart des Mantras qui ont à être chantés d’une certaine manière qui a pour but d’établir une communion entre lui-même et le Pouvoir Divin. Ses mouvements sont des Mudras, des gestes rituels. Tout le processus de la Puja (culte) est prévu pour évoquer en lui une réponse au Pouvoir Divin.

Dans quelques temples, on a perpétué ce culte de génération en génération, sans interruption, et on y a créé une atmosphère religieuse et spirituelle très puissante. Les pratiquants hindous qui viennent visiter de tels temples vibrent à l’unisson dans une telle atmosphère, car la nature même du subconscient indien a été préparée, depuis plusieurs milliers de générations, à y répondre.

De son côté, notre subconscient répond de manière tout à fait différente, bien que nous puissions éprouver beaucoup de sympathie pour la culture et la religion de l’Inde. Les impressions sub-conscientes que l’on a acquises par l’éducation de notre première enfance ne peuvent être écartées d’un revers de main. Les vibrations mentales que nous apporterions en un tel lieu ne seraient pas en harmonie avec l’atmosphère. C’est exactement comme si quelqu’un qui n’était pas musicien s’installait dans un orchestre symphonique et jouait à son propre rythme et dans son propre ton.

Presque toutes les religions ont des règles bien codifiées à propos de la nourriture. La religion hindoue est l’une d’entre elles, et on insiste beaucoup sur le fait qu’une alimentation pure produit un esprit pur.


Les défauts de l’alimentation peuvent être de trois sortes :

1 - Jati-dosha, dû à la nature malsaine de la nourriture elle-même (liqueurs, viandes, etc.) 2 - Nimitta-dosha, dû à une souillure (insecte, cheveu, saleté, etc…)

3 - Ashraya-dosha ; dans la religion hindoue, on croit que celui qui prépare une nourriture ou touche à une nourriture préparée lui transmet ses qualités à lui, bonnes ou mauvaises. C’est pour cette raison que les hindous orthodoxes ne sont autorisés à manger que de la nourriture

préparée par des hindous, dans certains cas par un membre de leur caste ou d’une caste supérieure.

Il y a des raisons nombreuses et profondes pour lesquelles on a établi ces règles, et elles sont le résultat de l’expérience de bien des générations. En tous cas, ces règles et le système de caste qui est relié sont une partie intégrante de la religion hindoue. Une religion est comme un grand temple ou chaque pierre, chaque pilier a son rôle à jouer. Si on retire un pilier, tout le bâtiment risque de s’effondrer.

C’est à l’abri de ce grand arbre, de ce grand banyan de l’hindouisme que tant de Rishis, de sages et de saints ont pu se développer ; c’est le soutien d’une culture spirituelle. Si cet arbre venait à périr, ce serait une grande perte pour l’humanité.

La communauté de naissance (famille, nation, race, etc…) ne peut pratiquement pas prêter à confusion. Elle est évidente pour qui veut bien y réfléchir. Mais il y a encore deux différences entre la conception de la communauté de naissance telle qu’on la conçoit en Occident et son pendant en Orient. La première est que les sages orientaux pensent que ce n’est pas par hasard que nous sommes nés dans un environnement de type particulier, mais que c’est une conséquence de nos actions et désirs lors de nos vies antérieures. La seconde est qu’en Orient, la race et la religion ne sont pas séparées comme en Occident, mais sont presque une seule et même chose. La communauté de naissance est transitoire, et ne dure pas au-delà du corps physique.

C’est par la grâce divine que les Occidentaux en Inde ont été déracinés de leur terroir. Les liens multiples de la communauté de sang et les liens si subtils de la religion formaliste et du ritualisme qui ligotent tant d’aspirants ont été tranchés d’un seul coup par la grâce du Seigneur. On n’a laissé ouverte que la voie de la relation spirituelle conduisant à l’Unité dans la Conscience Universelle.

Soyons-en reconnaissant au Guide Divin qui réside dans le cœur de chacun.



(D’abord publié dans Ananda Varta, novembre 1957

Révision mai 1987)