Extrait
chapitre
numéro
10

Méditation

itinéraire avec Mâ Ananda Moyî, textes rassemblés et présentés par Jacques Vigne
Lyon : Ed. Terre du ciel, 1997

Chapitre II - MÉDITATION

Comment développer la sincérité dans la sâdhanâ ? Un jeune homme qui essaie de conquérir une femme qu'il aime, ou bien quelqu'un qui travaille pour amasser une fortune, ont-ils besoin de développer la sincérité de leur effort ?

Certainement pas. C'est parce qu'ils sont absolument convaincus que cet effort en vaut la peine. Et ils sont prêts pour cela à utiliser toutes leurs énergies physiques et mentales pour arriver à leur but. Et pourtant, ce qu'ils obtiendront (si jamais ils l'obtiennent) est éphémère, trivial et décevant ; mais ce qu'on obtient par une sâdhana est le bonheur éternel, I'immortalité, un bonheur qui nous donne une satisfaction totale sans une trace d'amertume. En outre, quand on est entré dans le courant spirituel par la grâce du guru, on a la certitude d'atteindre ce but, sinon dans cette vie, du moins dans des naissances futures. En réfléchissant là-dessus, la sincérité se développe petit à petit. Aussi, en méditant avec persévérance, un jour viendra où une vision du bonheur du Soi surgira comme un éclair dans un ciel sombre. Alors, la sâdhanâ se fera avec la même intensité que celle qu'on avait quand on courait après les plaisirs et les succès mondains.

Comment situer les expériences de méditation en tant que telles, dans le cadre général du progrès spirituel ?

Cela dépend du genre d'expérience que l'on a. Si ce sont des visions (couleurs, images) ou des sons, cela marque un certain progrès. C'est-à-dire que le sâdhaka a déjà touché le niveau mental sousjacent à la pensée discursive. Et c'est un encouragement pour le méditant, lui montrant que son effort commence à porter des fruits. Bien sûr, il ne faut pas croire qu'on a atteint le but et surtout ne pas en faire un plaisir ou un jeu, ce qui risquerait de le bloquer à ce stade et l'empêcher d'aller plus loin. Mais les expériences qui vous donnent un état de paix et de bonheur sont bien supérieures ; surtout quand elles s'accompagnent d'un oubli total des sensations venant du corps physique. Il y a aussi les expériences où l'on sort du corps physique avec un corps subtil. Ces expériences sont dangereuses, mais elles peuvent avoir leur utilité si le guru vous guide et vous protège ; cependant, le véritable test du progrès se trouve dans le comportement dans la vie de tous les jours. C'est-à-dire la maîtrise des émotions négatives (colère, désir sexuel, etc.) et l'harmonie avec son entourage.

Mâ dit qu'il ne faut pas chercher à revenir à un état de méditation passé ; et pourtant, ceux qui savent méditer peuvent facilement rentrer dans un état profond et s'y maintenir. Une certaine « habileté » pour être capable de retrouver des états de conscience donnés n'est-elle pas nécessaire au méditant ?

Tout dépend du type de méditation que l'on a. Si ce sont des états de conscience (bhâva) ou des visions, I'audition de sons ou d'autres expériences marginales, il ne faut pas essayer de les reproduire si elles ne viennent pas spontanément ; car l'attachement à ces expériences, le plaisir qu'on y trouve risque d'empêcher tout progrès ultérieur. Mais si ce sont des états qui font partie de la technique de méditation qu'on suit et qui a été indiquée par le guru, on doit essayer de les reproduire, car ils font partie intégrale d'une méditation réussie. Par exemple, si quelqu'un s'assoit pour méditer sur la Conscience pure, il devra suivre, si possible, la technique qui lui avait réussi à la précédente méditation et essayer d'obtenir l'ékâgratâ (la concentration exclusive) sur cela. Mais si c'est une vision accompagnée d'un état de joie, il ne devra pas tenter de la reproduire. Et même si elle vient spontanément, il devra essayer d'aller au-delà.

Pouvez-vous nous expliquer la différence entre concentration et méditation ? L'état de calme obtenu par la concentration n'est-il pas une illusion, un acte volitif, donc égotique, alors que la méditation - qui est réceptivité - ouvre à la totalité sans exclusion ? Y a-t-il opposition entre concentration et méditation ?

Ces deux termes ont dans beaucoup de textes et dans la conversation courante une valeur similaire. Mais Krishnamûrti fait une différence marquée entre les deux. L'un - la concentration - qu'il considère comme nocif parce qu'elle déforme le mental. L'autre - la méditation - qu'il recommande. Et c'est très probablement à cela que vous faites allusion dans vos questions. Par concentration, il entend le fait de fixer le mental sur un objet précis comme le recommandent la plupart des sages.
Par exemple, se concentrer sur la lumière, un lotus rouge dans le cœur, I'image d'une déité, etc. Il est vrai que ces méthodes donnent un calme temporaire seulement et ne font pas face aux problèmes fondamentaux de la structure de notre mental et de sa manière de fonctionner.
Ce sont des méthodes de dégrossissage. Un sculpteur (le guru en l'occurrence), quand il a en face de lui un bloc amorphe de pierre, ne va pas commencer d'emblée à sculpter les traits d'un visage. Il devra procéder à tout un travail de dégrossissage avant de pouvoir commencer à travailler sérieusement ; L'idéal, bien sûr, c'est ce à quoi Krishnamûrti donne le nom de méditation. C'est une vue panoramique de notre esprit ; le regarder comme il est dans sa totalité, sans intervenir, aflin de bien connaître son fonctionnement. Le but final de toute discipline spirituelle est d'amener le mental au silence : « Le yoga, c'est l'extinction des vagues mentales », dit Patanjali dans les Yogasutra.
On peut arriver à ce résultat par ce que Krishnamûrti appelle la « méditation », c'est-à-dire la voie de la Connaissance (le vichâra mârga). Quand on connaît parfaitement le mental jusqu'à sa racine la plus intime qui est l'ego, le silence se fait égocentrique. L'ego étant dissous, le mental tel que nous le connaissons cesse de fonctionner. C'est ce qu'on nomme le manonâsha (la destruction du mental). Cette méthode est très difficile, car elle demande une vigilance mentale constante et un esprit « sattvique ». Mais on peut aussi arriver à un silence mental temporaire (manolaya) par des méthodes presque toutes fondées sur la concentration. On concentre l'esprit sur un point précis (une image, un mantra, etc.) jusqu'à ce qu'il devienne l'unique vague mentale persistant dans le champ de conscience. Ceci est le dhâranâ. Dans l'étape suivante, cette concentration unique doit couler naturellement, sans effort (le dhyâna).
Finalement, même cette vague mentale unique doit disparaître, et ce qui reste, c'est le Grand Silence (samâdhi). Ce silence est temporaire et le mental se remet à fonctionner quand le yogi sort de son samâdhi. Krishnamûrti rejette ces méthodes qu'il considère comme nocives, comme des sortes de béquilles mentales auxquelles on devient attaché comme à une drogue. Il est vrai que ce sont des béquilles, mais si l'on demande à un paralytique de marcher d'emblée sans béquilles, il y a de grands risques qu'après quelques vaines tentatives, il se résigne à rester dans son état. Pourquoi ne pas le laisser marcher avec des béquilles, qu'il pourra rejeter quand il aura gagné la confiance en lui-même ? Y a-t-il un danger qu'il s'habitue à ses béquilles et qu'il ne puisse plus jamais marcher normalement ?
Peut-être ! Mais mieux vaut être un paralytique qui marche avec des béquilles qu'un paralytique qui ne marche pas du tout. C'est pourquoi les méthodes fondées sur la concentration sont recommandées par la plupart des grands sages. Une fois que l'esprit aura été aiguisé par une longue pratique de concentration, qu'il est purifié, il pourra se tourner vers la pratique de la méditation (dans le sens donné au mot par Krishnamûrti). De toute façon, les deux voies peuvent aller de pair. Quand on essaie de fixer l'attention sur un point (un mantra par exemple), l'esprit s'échappe dans d'autres directions. On peut alors (tout en continuant à répéter le montra), I'observer et apprendre à connaître sa nature. Il y a beaucoup de voies qui mènent vers le Suprême. Chacun doit pouvoir choisir celle qui convient le mieux à son tempérament et à ses capacités.

Comment peut-on dire, pour une personne donnée, si elle doit travailler plutôt sur le chakra du cœur ou sur le sahasrâra ? Est-il suffisant de dire qu'une personne à tendance émotionnelle doit aller dans le sens du chakra du cœur ? Cela ne risque-t-il pas d'aggraver sa tendance émotionnelle ?

En réalité, le débutant ne médite pas sur les chakras, mais sur un point à l'intérieur de son corps. Ce n'est qu'un point d'appui pour arriver à amener le mental au silence. Dans le chakra, à son centre, les nerfs psychiques principaux (idâ et pingalâ) fusionnent. Il en résulte une sensation de paix et de bonheur : yogânanda, le bonheur de l'union ; le mental devient silencieux et laisse apparaître le Soi qui est la source de ce bonheur. Cette union peut se faire dans n'importe quel chakra, mais elle est plus facile dans celui du cœur et dans celui qui est situé entre les sourcils, surtout parce que les associations d'idées liées à ces centres sont sattviques. Avec les chakras inférieurs, on risque de s'égarer dans les associations d'idées qu'ils évoquent, et cela peut être dangereux.
Ce qui est important, c'est l'attitude mentale dans la méditation, et le point sur lequel on médite est secondaire. De toute façon, c'est le guru qui doit décider sur quel point son disciple doit méditer. Grosso modo, on pourrait dire que le centre du cœur est relié à l'amour, et celui du front à l'hyperconscience. Cependant, Râmana Mahârshi plaçait le Soi (c'est-à-dire la Conscience pure) dans le cœur, mais il est vrai qu'il le situait à droite, et non dans le chakra du cœur lui-même.
Et dans la voie de la dévotion, le dévot visualise quelquefois son ishta-dèvatâ, son bien-aimé, dans le centre du front (avec amour). Travailler sur les chakras, c'est-à-dire tenter de les ouvrir, est une sâdhanâ spéciale faisant surtout partie du tantrisme.
C'est une voie progressive, qui essaye d'arriver à des états de conscience de plus en plus subtils, jusqu'à ce qu'on atteigne la Conscience pure de l'âjnâ chakra - mais ces méditations doivent se faire sous la direction d'un guru expérimenté. Je le répète, quel que soit le point sur lequel on médite, ce qui est essentiel, c'est l'attitude mentale et le sankalpa, c'est-à-dire le but qu'on s'est donné en commençant cette méditation.

Quels sont les signes de l'éveil du sahasrâra chakra ?

Je ne sais pas. Je n'ai jamais entendu dire que Ma ait conseillé à quelqu'un de méditer sur ce centre, ni que d'autres grands guru l'aient fait. Le sommet de la tête est un point de sortie du corps dans un corps subtil, ou éventuellement dans le corps cosmique.

Dans la méditation, faut-il éloigner toute forme de volonté ou d'attente ?

Quand on est sur le chemin spirituel, ou même dans la vie de tous les jours, il faut sûrement faire un effort de volonté pour maîtriser les émotions négatives, et même celles qui sont positives et qui risquent de vous emporter. Éloigner toute forme de volonté et d'attente n'est possible que pour ceux qui sont très avancés sur le chemin spirituel; alors, on est en harmonie avec le Pouvoir divin (le Pouvoir de l'Autre) et c'est lui qui dirige nos actions et nos pensées.
Dans cette situation, un acte de volonté fait intervenir l'ego et crée un obstacle au courant harmonieux de la volonté divine, mais cela est très différent du laisser-aller de l'homme ordinaire. Se mettre en harmonie avec le Pouvoir divin et conserver cette harmonie n'est possible que quand le mental est purifié et capable de maintenir un état d'hyperconscience constant. Ainsi, par exemple, un bon nageur se laissera emporter par le courant d'une rivière ; il adaptera ses mouvements aux différentes fluctuations du courant sans se laisser aller à la dérive ; mais cela est très différent de la situation de celui qui ne sait pas nager et qui est entraîné par les flots.

Comment faire Ia distinction entre intuition ou inspiration divine, et désirs inconscients ?

Il est très difficile de distinguer entre une véritable intuition et un désir qui surgit de l'inconscient. Notre mental est très habile à présenter un désir refoulé sous une forme plus ou moins acceptable. Il arrive souvent que des sâdhaka soient persuadés que certaines de leurs actions leur sont dictées par une voix divine venant de I'intérieur, alors qu'en réalité ils ne font que suivre un désir dont ils croyaient s'être libérés.

Comment, alors, faire la distinction ?

1) Tout d'abord, il faut avoir une bonne dose d'humilité et savoir que nous ne sommes pas infaillibles, et se souvenir des nombreuses fois où nous nous sommes trompés.

2) Si on a le moindre doute, se demander si ce que le mental nous suggère est selon le dharma ou l'adharma, et toujours choisir la route du dharma, quel qu'en soit le coût.

3) Si l'on ne se sent pas capable de faire la distinction, consulter alors un guide spirituel, ou un ami, ou un aîné en qui on a confiance. Mais il existe un État où les intuitions sont infaillibles. C'est quand le guru intérieur (le Christos des Gnostiques) est éveillé dans notre cœur. L'intuition apparaît alors comme une inspiration divine et a l'évidence d'une perception sensorielle.

Faut-il méditer régulièrement, et quelles sont les meilleures heures pour cela ?

Oui, il est important de méditer régulièrement ; cela devient une habitude, comme le café, on ne peut plus s'en débarrasser, et c'est bien comme cela. On recommande en général « I'heure de Brahmâ » (Brahma-muhûrta), c'est-à-dire les deux heures précédant le Iever du soleil, mais cela dépend du rythme de chacun, et si on veut pratiquer à cette heure il faut être sûr de ne pas s'endormir assis. S'asseoir juste avant le crépuscule pour méditer est bon aussi. Les heures de jonction, au lever et au coucher du soleil, sont des heures où la circulation de l'énergie dans les nâdi change de sens ; il y a alors un moment, bref ou long selon le savoir-faire du méditant, durant lequel le prana pénètre dans la sushumnâ, le canal central. Pendant cette période, le mental est silencieux. Minuit (mahânisha) est aussi une bonne heure.

Toute notre activité pour gagner notre pain et, en dernière analyse, pour nourrir le corps n'est-elle pas excessive ?

Sûrement, il est nécessaire de nourrir le corps et de le maintenir en bonne santé, même quand on a renoncé à la vie mondaine ; et pour nourrir le corps, il faut travailler, n'est-ce pas ? Mais ce qu'il ne faut pas faire, c'est de se laisser enchaîner par d'innombrables besoins imaginaires qui vous obligeront à travailler du matin au soir pour pouvoir joindre les deux bouts. Une vie simple avec peu de besoins vous permet de travailler moins et d'avoir des loisirs qu'on peut utiliser pour se perfectionner dans la vie spirituelle. Ainsi, on pourra aller au-delà de la conscience physique et de ses besoins. Alors la nature (ou Dieu) s'occupera de nourrir ce corps.

Si la question n'est pas indiscrète, quel est votre niveau spirituel ?

Je ne suis pas un guru, ni même un sage, mais simplement un sâdhaka qui a néanmoins atteint un certain niveau spirituel, par la grâce de Ma Ananda Moyî.

Le karma-yoga ? Démarches ? Approfondissements ?

Le but final du karma yoga est d'arriver à la dissolution de l'ego (ahamkâra). L'ego est cette formation illusoire qui nous fait croire que nous sommes une personnalité séparée, distincte du reste qui se dissout quand on comprend qu'il n'y a en réalité qu'une seule Conscience omniprésente qui anime tous les êtres et toutes les choses.
Or une base fondamentale de l'ego est la (fausse) croyance qu'il y a un « moi », une volition personnelle qui agit. En fait, le mot sanskrit ahamkâra signifie littéralement « je fais », alors qu'en réalité c'est le pouvoir de l'Autre qui agit (la nature prakriti, le Pouvoir Divin). L'ego, en réalité, est comme un remous, un obstacle dans le courant d'un fleuve. C'est pourquoi le karma yogi va essayer de se libérer de cette fausse croyance en changeant son attitude mentale dans tous les actes de la vie journalière.
Ce qui importe, ce n'est pas l'acte lui-même, mais l'attitude mentale avec laquelle il est fait. Les méthodes du karma-yoga diffèrent selon le degré de développement du sâdhaka. Tout à fait au début, on lui conseillera de faire du séva (service) sans rémunération : service social, soin des malades, etc. et encore mieux le service du guru, s'il en a un. Ce service doit être fait par amour pour l'humanité, et le sâdhaka doit recevoir avec la même équanimité la reconnaissance et le blâme.
Plus tard, quand son mental sera suffisamment purifié, il pourra passer à l'étape suivante... C'est toujours l'attitude mentale qui compte. Il devra faire toute action comme une offrande ou un service au Divin qui réside dans tous les êtres. S'il est marié, sa femme sera pour lui un aspect de la Divine Mère, et ses enfants des êtres que Dieu a mis sur son chemin pour réveiller l'étincelle divine qui est en eux. Au bureau, dans, le métro, etc. il sera reconnaissant à ceux que Dieu a mis sur son chemin pour leur rendre service.
Finalement, quand la qualité de sattva prédomine dans son mental, il pourra commencer le véritable karma-yoga, qui est une des sâdhanâ les plus difficiles. Ce qui nous lie dans l'action, et par conséquent entretient le nœud de l'égoïté, est le désir d'obtenir un résultat, une récompense pour notre action. Il faudra donc essayer de faire notre travail sans désirer aucun fruit, aucune récompense, simplement pour la joie de faire un travail aussi parfait que possible.
Au début, cela paraît difficile et aride, mais on s'aperçoit qu'on se met ainsi en harmonie avec le courant divin cosmique. Le fleuve du courant divin coule à travers nous sans effort et rend toute action parfaite. Cela demande une grande vigilance, car il faut savoir distinguer entre le grand courant et les remous de l'ego. Réussir cela donne une grande joie et une profonde paix intérieure.