Extrait
chapitre
numéro
3

Bajitpur : le jeu de la Sadhana (1918-1924)

Traduction de Jack Gonthier
Panharmonie 1972 à 1978

III - BAJITPUR : LE JEU DE LA SADHANA (1918-24)

Pour les fidèles de Sri Anandamayi, Bajitpur tient une place bien particulière : c’est l'endroit où s'accomplirent les divers exercices d'une sâdhanâ intensive. Elle parla de cet évènement en ces termes : "Un jour, à Bajitpur, j'allais prendre mon bain dans un étang. Tandis que je versais de l'eau sur mon corps, ce kheyâla (1) soudain me traversa l'esprit : Comment serait-ce de jouer le rôle d'un sâdhaka ? ». Alors ce jeu (lîlâ) commença ».

Ce que nous savons de ce jeu de la sâdhanâ repose sur les rares révélations que Sri Anandamayi en a fait, ainsi que sur les témoignages de Bholanath et de quelques autres personnes qui eurent la bonne fortune d'y assister. Il n'y eut pas de changement brutal ; comme avant, Nirmala s'occupait scrupuleusement de ses devoirs ménagers. Bholanath aimait avoir chez lui des invités ; Nirmala était bonne cuisinière et s'ingéniait à leur préparer de nouveaux plats. Elle avait aussi un grand sens de l'humour. Elle entendit un jour un ami de Bholanath dire qu'il pouvait tout manger à l'exception des radis. Quelques temps après, il vint dîner chez eux. Après s'être bien régalé, quelle ne fut pas sa stupéfaction en découvrant que tout le repas, y compris le dessert, se composait de radis !

Bholanath travaillait sous les ordres de Bhudeb Basu qui était gérant adjoint des domaines de Nawab (2) de Dacca à Bajitpur

(1) Généralement, impulsion psychique soudaine et inattendue, désir, volonté. attention, souvenir ou connaissance. Toutefois, Mataji a donné à ce mot un sens beaucoup plus large. Elle appelle kheyâla, les actions incompréhensibles du Suprême, comme par exemple le fait que dans la création, Il se soit divisé lui-même, etc... Chez Mataji, il n’y a pas d’ego pour expliquer ses faits et gestes, ses sentiments et ses pensées. Quand elle emploie le mot kheyâla au sujet de sa personne, Il faut entendre un jaillissement spontané de Volonté qui est divin et par conséquent, libre.
(2) Titre donné au gouverneur musulman d'une ville, d'une région.

Sa femme et ses enfants se prirent bientôt d'affection pour Nirmala. Une autre famille très amie fut celle de Janaki Sen et sa femme Usha Devi. Un jour, Bhudeb Basu organisa chez lui un kîrtana. Nirmala était dans la maison, s'occupant d'un enfant malade. Au bout de quelques instants, elle sentit que son corps entrait en bhava. Elle demanda à ce que quelqu'un la raccompagna chez elle. En apprenant que Nirmala était rentrée parcequ'elle se sentait « affectée » par le khîrtana, Bhudeb Basu en déduisit qu'elle n'avait pas les nerfs solides. Sa femme alla voir Nirmala quelques jours plus tard et lui conseilla de mieux se dominer. Nirmala sourit et ne dit rien.

Nous avons vu qu’elle avait eu le kheyâla de pratiquer la sâdhanâ. Elle avait toujours eu bien du mal à déchiffrer un livre et ce n’est donc pas dans les livres qu’elle pouvait apprendre ces pratiques. Elle commença par les préparatifs qu’elle avait vu faire par sa mère, sa grand-mère et d’autres femmes pieuses. Après la journée de travail, elle nettoyait très soigneusement sa chambre, jusqu’à disparition du dernier grain de poussière; puis elle faisait brûler de l’encens et, dans la paix du soir, la chambre s’imprégnait de l’odeur du santal. Elle s’installait alors dans un coin et répétait à haute voix les noms du Seigneur. Au bout de quelques instants, ses membres prenaient d’eux-mêmes les postures de padmâsana, de siddhâsana ou d’autres âsanas (1). Inutile de dire qu’à cette époque, Nirmala ne connaissait même pas le nom de ces postures de méditation. Elle constatait simplement que son corps prenait spontanément ces postures. D’autres mudrâs (2) et kriyâs se manifestaient au moment de l’adoration du soir.

(1) padmâsana (posture du lotus) ; siddhâsana (posture parfaite) : postures de méditation de yoga. Asana : posture yoguique. Chacune correspond à un état mental particulier.
(2) Posture particulière du corps ou d’une partie du corps, représentant l’expression d’une deva shakti (force naturelle supérieure) particulière. La shakti ne peut fonctionner que lorsqu’on prend cette posture. La pratique des mudrâs produit les changements nécessaires dans le mental ou la caractère. Chez Mataji, ces mudrâs apparurent spontanément

Après le dîner, Bholanath s’allongeait sur son lit, mais parfois il ne dormait pas : fasciné, il la contemplait jusqu’à une heure avancée de la nuit. D’autres fois, il s’endormait, épuisé par sa journée de travail, tandis que Nirmala se plongeait dans un monde à elle. Il reconnaissait certains des kriyâs, mais dans le nombre, la plupart lui étaient inconnus ; il voyait que de toute évidence ces mouvements s’effectuaient chez elle naturellement.

Nirmala répétait le nom de Hari simplement parce que c’était celui que son père lui avait appris. Bholanath, un fidèle Shakta (3), en fut un peu troublé. Un jour, il lui demanda : « Pourquoi répètes-tu le nom de Hari ? Nous ne sommes pas des Vishnouïtes, nous sommes des Shaktas ». Nirmala dit : « Que dois-je faire alors ? Répéter le nom de Shiva ? ». Bholanath, tout heureux, lui dit qu’elle pouvait le faire. Quant à elle, cela lui était égal. De plus, les kriyâs qui se manifestaient dans son corps ne parurent pas affectés par ce changement.

Généralement, ces kriyâs se manifestaient quand il faisait nuit ; mais en fait, ils n’avaient pas d’heure fixe et survenaient aussi dans la journée. Le stimulus du Nama-japa (4) n’était pas toujours nécessaire pour les faire apparaître.

(3) Adorateur de Shakti, l’Energie divine, Shakti représente un pouvoir suprême, éternel, du domaine de la conscience. C’est ce pouvoir qui meut la nature et la Surnature. Dans l’Hindouisme, la Shakti est généralement symbolisée par une divinité féminine.
(4) Répétition du nom du Seigneur.

Par les fentes de la clôture, des voisins en virent certains. Ces villageois, gens simples, étaient bien embarrassés pour expliquer cette conduite étrange. Nirmala n’avait pas l’air malade ni anormale, mais semblait complètement perdue dans son univers particulier. Ce phénomène leur était inconnu et ils pensèrent qu’elle était possédée par des esprits maléfiques. Même en dehors des heures de pratique, elle n’était plus la même ; elle semblait lointaine, distante ; les voisins se mirent à l’éviter, elle qu’on avait jusqu’ici tant appréciée. Perplexes, ses amies firent de même. Nirmala accueillit d’ailleurs très bien cette solitude. A présent qu’on la laissait pratiquer seule, elle pouvait consacrer plus de temps à sa sâdhanâ.

Nombreux furent ceux qui suggérèrent à Bholanath d’avoir recours aux ojhâs (5) pour chasser les mauvais esprits qui l’habitaient.

(5) Personnes qui affirment pouvoir chasser les esprits du mal.

Les gens qui avaient un certain niveau d’instruction lui conseillaient de consulter un médecin, convaincus que Nirmala était victime d’une forme inconnue d’hystérie. Bien qu’aucune de ces deux solutions ne fut à son goût, Bholanath, violemment critiqué par certains ou recevant d’autre part les conseils bien intentionnés de ses amis, demeurait perplexe et il finit par faire appel à un ou deux ojhâs. Mais ils ne purent rien faire. L’un d’eux tout spécialement avait la réputation de posséder de grands pouvoirs contre les esprits du mal ; Lorsqu’il se présenta, Nirmala était assise dans un coin, ayant apparemment oublié ce qui l’entourait. L’homme prononça ses exorcismes et attendit les résultats. Tout à coup, il se mit à pousser des grands gémissements et à se rouler par terre, comme sous l’effet d’une violente douleur. Bholanath tenta vainement de lui porter secours. Très inquiet, l’idée lui vint de faire appel à Nirmala, il l’implora : « Qu’est-il arrivé à cet homme , je t’en prie, remets-le sur pieds ».

Immédiatement, l’homme cessa de s’agiter. Lorsqu’il fut complètement remis, il se prosterna devant Nirmala qui, tout au long de la scène était restée impassible et dit : « Elle est le Devi (6) en personne. C’était de la folie d’essayer sur elle mes pouvoirs »

(6) Déesse, divinité.

On n’a jamais vu Sri Ma Anandamayi faire usage délibérément des pouvoirs supranormaux. Ils ne sont pas systématiquement cachés, ils ne sont pas mis en jeu volontairement. Cet incident était peut-être nécessaire pour rassurer Bholanath et raffermir la foi qu’il avait en elle. Par bonheur Ramani Mohan avait un ami médecin , le Dr Mahendra Nandi, qui était non seulement un excellent praticien mais aussi un homme sage et intelligent. Il observa Nirmala pendant quelques jours et dit alors à Bholanath qu’elle se trouvait dans un état d’exaltation spirituelle et ne devait sous aucun prétexte être vue par les gens de l’extérieur ; Bholanath s’empressa de suivre ce conseil.

Nirmala avait une amie, Usha, qui venait la voir régulièrement, en cachette de sa belle-mère ; cette dernière n’aimait pas que l’on fréquentât une jeune fille au comportement si étrange. Un jour, le fils d’Usha tomba malade ; elle l’amena en cachette auprès de Nirmala. L’enfant guérit et sa mère fut convaincue que c’était grâce à Nirmala qui l’avait touché. Elle disait à son amie : « Tu es pourtant bien plus jeune que moi, mais tu sais, j’ai envie de t’appeler « Mère » ! ».

A partir du mois de mai 1922, elle parut s’absorber encore davantage dans sa sâdhanâ. Et c’est trois mois plus tard, le 3 août 1922, que toute seule, elle procéda à l’initiation spirituelle (dîkshâ). Sri Anandamayi explique parfois la signification de l’initiation spirituelle en ces termes : « Vous voulez appeler quelqu’un que vous apercevez mais dont vous ignorez le nom. Vous essayer alors d’attirer son attention d’une manière ou d’une autre ; vous lui faites un signe ou vous l’appelez en utilisant les mots qui vous viennent à l’esprit. Il finit par s’approcher et demande : « Est-ce moi que vous appeliez ? Je m’appelle untel » ; De la même façon, jouant le role de précepteur spirituel (gourou), Dieu révèle Son Nom au pèlerin qui chemine en quête d’un guide. Après l’initiation, la période des efforts désordonnés est terminée pour l’élève (shishya). Il s’est saisi d’une perche qui le conduira au but. En dernière analyse, le disciple réalise qu’il ne fait qu’un avec le Nom et le Gourou. Et comment pourrait-il en être autrement ? Lui seul peut faire le cadeau de communiquer Son Nom et personne d’autre que Lui n’est capable d’en prendre connaissance ».

Sri Anandamayi n’eut pas de gourou au sens où on l’entend généralement. Dans la soirée du Râkhi Pûrnima (7), elle fit la cuisine comme d’habitude et servit le dîner vers neuf heures.

(7) Jour de la pleine lune au mois de Srâvana (août - septembre).

Elle mettait de côté sa propre nourriture et ne mangeait que tard dans la nuit, après sa sâdhanâ. Pendant des mois, elle ne prit que ce seul repas à minuit, ou plus tard, et bien souvent, elle n’en prenait aucun. Au début de la soirée, des voisins étaient venus lui demander si elle voulait les accompagner pour aller voir les temples décorés, mais elle avait décliné l’invitation. Quand les membres de la famille eurent gagné leurs chambres, elle s’installa pour son adoration quotidienne. Au bout d’un instant, elle vit que son doigt traçait un dessin mystique (yantra) sur le sol. Elle devint elle-même le Gourou ; elle perçut intérieurement un bija-mantra (8); elle écrivit le mantra avec son doigt à l’intérieur de la figure qu’elle venait de dessiner. Elle était aussi le shishya (disciple) et, acceptant le mantra, elle se mit à le répéter. Elle réalisa que le mantra n’était pas différent d’elle-même et que Gourou, mantra, ishta (9) étaient UN.

(8) Nom monosyllabique du Seigneur.
(9) Lit. « Bien-aimé »? La Divinité qu’on a choisit d’adorer. L’ishta est l’aspect du Divin avec lequel le disciple devra parfaitement communier avant que la Suprême Gnose Divine devienne possible.

Au cours des cinq mois qui suivirent, sa sâdhanâ prit une forme plus concrète. Après le jeu (lîlâ) de l’initiation spirituelle, des mantras et des hymnes en sanskrit sortaient parfois spontanément de sa bouche, précédés généralement de la monosyllabe OM. Inutile de préciser qu’elle n’avait aucune connaissance du sanskrit ni de ces compositions. Pendant des heures et même des jours entiers, les fonctions naturelles de son corps semblaient suspendues ; elle n’avait ni faim, ni sommeil. Pour elle, il n’y avait pas de différence entre le matin et l’après-midi, entre le jour et la nuit : ce n’était que béatitude ininterrompue ; elle sentait dans sa bouche une substance au goût de miel parfois si abondante parfois qu’elle était obligée de l’avaler. Par moments, elle sentait son corps aussi léger qu’une plume et s’élever au dessus du sol ou au contraire il semblait aussi inamovible qu’un roc. De nombreuses personnes ont pu observer par la suite ces deux états. Pendant la sâdhanâ, elle ne ressentait plus la douleur physique. Il lui était devenu impossible de s’occuper de la maison ; Bholanath devait se débrouiller comme il pouvait. Une jeune domestique vint l’aider chaque jour ; elle se prit d’affection pour sa jeune maîtresse et fit, sans qu’on le lui ait demandé, pratiquement tout le travail ménager.

En parlant de cette phase de sa vie, Sri Anandamayi dit que pour elle la question de la sâdhanâ ne se posait pas, puisqu’il n’y avait rien à atteindre. Et pourtant, on ne pouvait pas dire qu’elle « faisait semblant » ; elle était devenue pour un temps une vraie sâdhikâ, traversant toutes les expériences de la vie spirituelle. Sri Anandamayi a dit qu’il existait une variété infinie de sâdhanâs par lesquelles l’homme s’efforce d’atteindre la Réalisation et que chacune avait d’innombrables aspects. Elle en fit l’expérience lorsqu’elle jouait le rôle de la sâdhikâ. Elle pratiqua d’innombrables formes d’adoration, de rites, de cérémonies hindoues ou non. Sri Anandamayi parle rarement des expériences de la vie spirituelle, surtout en public. Mais nombreux sont les hommes et les femmes en Inde et à l’étranger qui peuvent affirmer avoir trouvé auprès d’elle espoir, consolation et encouragement, car elle savait parfaitement ce qui constituait leur problème particulier. En de rares occasions, elle parle un peu de sa vie de sâdhikâ. A ceux qui s’étonnent de la richesse et de la diversité de ses expériences, elle dit qu’elle n’a même pas révélé le millième de ce qui se passa.

L’initiation de Bholanath

Au cours de cette période d’intensive sâdhanâ, un cousin, Nishikanta Bhattacharya, vint en visite. Il fut stupéfait de voir ce qui se passait et reprocha à Bholanath d’admettre cet état de chose. Un jour où Nirmala était assise dans une posture de yoga, il entra dans sa chambre et avec la ferme intention de lui demander des explications. La coutume aurait voulu que Nirmala restât voilée en sa présence. Mais ce jour-là, sa conduite fut tout à fait inhabituelle et elle ne remit pas son voile sur son visage. De plus, quand Nishikanta lui parla, elle le regarda droit dans les yeux et s’adressa à lui d’une voix si étrange qu’il n’osa plus rien dire. Alors, Nirmala ajouta d’un ton plus doux : « N’aie pas peur, que veux-tu ? ». Nishikanta demande : « Que signifient ces kriyas et ces âsanas, tu as été initiée à la vie spirituelle ? ».

- Oui.

- Est-ce que Ramani aussi a été initié ?

- Non mais ce sera chose faite dans cinq mois ».

Elle indiqua également une date précise. Lorsque Nishikanta eut quelque peu retrouvé ses esprits, il dit : « Donne-nous une preuve de tes pouvoirs spirituels ». Nirmala fit signe à Bholanath de s’approcher et de s’asseoir à ses côtés. Puis elle le toucha. Immédiatement il se figea et paru absorbé dans une profonde méditation. Ashu, le petit neveu de Bholanath, prit peur et se mit à pleurer. Quand Nirmala vit cela, elle toucha de nouveau Bholanath. Il sembla émerger d’un profond sommeil. Il ne put trouver les mots pour décrire son expérience et demeura un certain temps dans un état extatique.

Le lendemain matin, Nirmala retourna comme de coutume à ses occupations. Le jour fixé par elle pour l’initiation de Bholanath approchait. Elle n’en avait plus reparlé, mais lui se souvenait de cette date là. Le matin en question, il s’empressa de filer à son bureau sans déjeuner, s’étant mis en tête d’éviter toute histoire. On demanda au futur initié d’observer le jeûne jusqu’à ce que tout soit terminé ; sans l’avoir voulu, Bholanath remplissait cette condition. A l’heure dite, Nirmala l’envoya chercher. Il fit répondre qu’il était occupé et ne pouvait quitter son bureau. Nirmala alors lui fit dire que s’il ne venait pas immédiatement, c’est elle qui se rendrait à son bureau. N’osant courir ce risque, Bholanath revint à contre-coeur à la maison. Nirmala lui dit de prendre son bain et lui apporta des vêtements propres. Puis elle le fit asseoir sur l’âsana (petit tapis carré) qu’elle avait préparé à son intention. Bholanath y prit place et attendit calmement la suite des événements. Pendant ce temps, Nirmala était entrée en bhâva. De ses lèvres, s’échappa un flot de mantras. Peu après, Bholanath entendit qu’elle ne répétait plus qu’un seul mantra, doucement. Il se pencha, approcha son oreille de sa bouche et réussit à comprendre le mantra. Il en conclut avec raison qu’il lui était destiné. Quand Nirmala sortit de son état exalté, elle lui expliqua en détail la façon d’utiliser ce mantra. Une seule autre personne, Sri Jyotish Chandra Roy (Bhaiji), eut le rare privilège de recevoir un mantra de Sri Anandamayi de la même façon. Elle n’a aucun disciple au sens strict du terme.

A partir du mois de décembre 1922, Nirmala devint mauna, c’est-à-dire totalement muette. Ce mauna avait en outre la particularité d’exclure aussi tout geste. Même son visage restait impassible. A cette époque, le frère cadet de Bholanath, Jamini Kumar, vint en visite à Bajitpur. Le silence de sa belle-soeur le contrariait beaucoup ; il la suivait pas à pas en la suppliant de lui parler. Un jour, assise comme de coutume dans une posture de yoga, Nirmala traça avec l’index de sa main droite un cercle (kundali) imaginaire autour d’elle. De l’intérieur du kundali, elle s’adressa à son jeune beau-frère d’une voix presque inaudible au début. Au bout d’un moment, elle effaça le cercle en procédant de la même façon, se leva et redevint silencieuse. Au cours des trois années que dura son mauna, elle interrompit parfois le silence en utilisant cette méthode quand cela était nécessaire.

Bholanath fut bientôt convaincu que l’univers de Sri Anandamayi transcendait l’espace et le temps. Une fois, elle lui demanda : « Qu’est-ce que l’Arabie ? ». Il lui dit que c’était le nom d’un pays. Alors elle dit : « Je vois deux fakirs (1) d’Arabie, un gourou et son disciple. Je les vois si nettement que si j’étais artiste, je pourrais peindre leur portrait ». Environ un an plus tard, elle eut l’occasion de se rendre sur la tombe de deux fakirs à Dacca. La description qu’elle en fit se trouva confirmée par ceux qui avaient connu les deux saints.

(1) Saint ou religieux mendiant musulman.

Les affaires du Nawab de Dacca ne prospérant guère, Bhudeb Basu, son représentant à Bajitpur, retourna à Dacca. Le poste de Bholanath fut supprimé en avril 1924. A nouveau, il fut obligé de chercher du travail et dans ce but décida de se rendre à Dacca.