VI - L’ATMOSPHÈRE DE MIRACULEUX
A cette époque, les manifestations des pouvoirs yoguiques devinrent monnaie courante. On aurait tort cependant de vouloir découper la vie de Mataji en périodes distinctes ; elle restait toujours identiques à elle-même, mais cette époque fut particulièrement riche en événements que d’ordinaire on nomme miraculeux. Mataji a dit : « J’avais eu le kheyâla d’être semblable à un sâdhakâ." Il était donc naturel que les phénomènes accompagnant toute sâdhakâ intense se manifestent spontanément. Le sâdhakâ sincère n’attache aucune importance aux pouvoirs qui se développent en lui. Il est libre de ne pas en faire usage volontairement. Malgré tout, les autres peuvent bénéficier largement de cette corne d’abondance.
De tout le pays, les gens venaient à Shabagh pour demander à Mataji la guérison de maux physiques. Les guérisons s’effectuaient par le regard, le toucher, le don d’une fleur ou de mille autres manières. Les cas en sont trop nombreux pour être mentionnés ici. Beaucoup de fidèles pourraient parler de leur propre expérience à ce sujet.
Comme en toutes choses, Mataji aidait les gens d’une façon efficace mais non spectaculaire. Un jour, on amena à Shabagh une enfant très malade. Elle avait perdu l’usage de ses membres et ne pouvait se déplacer seule. Mataji était occupée à casser des noix. Elle en lança un morceau vers l’enfant en disant : « Attrappe ! ». Au prix d’un gros effort, elle réussit à ramasser le morceau de noix. Quelques jours plus tard, la mère pleine de reconnaissance vint dire que sa petite fille était complètement guérie et retrouvait peu à peu l’usage de ses membres. Il va sans dire que Mataji n’a jamais proposé de guérir personne. Elle parlait rarement de ces choses. Elle était parfois obligée d’agir ou de parler à cause de Bholanath que la souffrance d’autrui touchait toujours profondément. Mais en général, elle se contentait de dire : « Priez Dieu. Il fera ce qui est le plus utile pour le malade. Vous ne savez pas si une guérison physique est souhaitable. Tout ce que vous avez à faire, c’est prendre bien soin de lui et consulter le meilleur médecin. Pour le reste il faut vous en remettre à Dieu ».
Parfois les gens tenaient absolument à l’amener auprès de leur malade, pensant qu’à la suite de cette visite, il guérirait. En pareil cas, Mataji avait une façon bien à elle de faire des prédictions. Elle se tournait vers ses compagnes et leur demandait : « Qu’en pensez-vous ? Il me demande de venir parce qu’il croit qu’ainsi le malade guérira. Est-ce votre avis ? ». L’entourage répondait généralement par un « oui » catégorique. Alors, elle poursuivait : « Qui sait, puisque vous êtes tous d’accord, peut-être se rétablira-t-il ». En ce cas, le malade guérissait infailliblement. « Nous finîmes tous par connaître la façon particulière dont Mataji prédisait l’avenir » raconte Didi, « et pourtant, il nous arrivait d’hésiter, de bredouiller inexplicablement sans parvenir à répondre clairement par l’affirmative. Alors Mataji observait : "Pourquoi ces hésitations ? Peut-être le malade ne guérira-t-il pas". Et c’est toujours ce qui se passait ».
Un jour, une dame (la femme d’Atul Datta) demanda à Mataji de venir au chevet de son fils gravement malade. Mataji sans répondre continua à vaquer à ses occupations. La dame se tourna alors vers Bholanath ; elle savait bien que Mataji ne le contrarierait pas. Quand il parla à Mataji de cette affaire, elle déclara aussitôt : « A quoi bon ? Ce garçon ne guérira pas ». A ces mots, un autre fidèle remarqua : « En ce cas, il est inutile que Mataji se rende là-bas. Il faut mettre la famille au courant des paroles de Mataji ». Mais personne ne voulut se charger de cette commission. Bholanath avait promis à la dame d’amener Mataji ; aussi allèrent-ils tous deux voir le malade. Quelques jours plus tard, la dame revint à Shabagh et supplia Mataji de sauver son enfant. Mataji répondit : « Même si je vous dis ce qu’il faut faire, vous ne le pourrez pas ». La mère promit de suivre les instructions de Mataji à la lettre. Il s’agissait simplement d’empêcher l’enfant de quitter son lit pendant une certaine période (18 jours environ). Aussitôt le garçon se mit à aller mieux. Puis brusquement son état s’aggrava de façon alarmante. Sa mère retourna auprès de Mataji qui lui dit : « Qu’y puis-je ? Il s’est levé lundi ». La mère n’en croyait rien et affirmait que l’enfant n’avait pas bougé de son lit. Quelques jours plus tard, le garçon mourut ; sa mère perdit toute confiance en Mataji. Par la suite, elle devait apprendre qu’au jour indiqué, l’enfant avait effectivement quitté son lit et était sorti sur la véranda pour regarder passer une procession. Pleine de remords, la mère en deuil revint vers Mataji qui dut alors la consoler d’un double chagrin.
Parfois Mataji prenait l’initiative de guérir les gens. Elle se promenait un jour dans la campagne autour de Shabagh. Une voiture attelée arrivait. Mataji demanda à sa compagne de faire signe au conducteur. Quand la voiture fut à sa hauteur, elle y monta. Le conducteur demanda : « Où désirez-vous aller ? ». « Chez vous » répondit Mataji. L’homme était un musulman. Sans ajouter un mot, il gagna sa maison. En arrivant, ils trouvèrent un vieillard sur son lit de mort ; sa famille était en larmes. La compagne de Mataji voulut savoir la suite de cette histoire ; elle apprit que le vieillard s’était remis de ce qui avait paru devoir être sa dernière maladie.
D’autres fois, Mataji prenait sur elle la maladie des autres. La personne qui avait demandé à guérir se rétablissait ; mais Mataji souffrait pendant quelques heures ou quelques jours de la maladie en question. Un jour en arrivant à Shabagh, Didi trouva Mataji soudainement enrhumée. Elle finit par découvrir que le jeune fils de Pramatha Basu, Pratul, à la veille de ses examens, avait senti venir un gros rhume. Il avait adressé une prière à Mataji pour que cela ne soit pas. De tels incidents servirent de leçon à Bholanath et aux autres et ils ne demandèrent plus à Mataji de guérir les malades. Ils s’aperçurent que pour elle la vie et la mort étaient identiques. Elle disait : « Ne me demandez pas de guérir quelqu’un. Auriez-vous l’idée de prier pour que quelqu’un tombe malade ? Chacun doit accomplir le destin qui lui est propre. Si on place délibérément des obstacles sur sa route, les résultats ne peuvent qu’être néfastes. Pour ma part je ne vois aucun inconvénient à rendre visite à quelqu’un. Peut-être bien qu’un mourant a tout autant besoin de ceci (c’est-à-dire la présence de Mataji) que ceux qui restent ».
On peut ici relater un évènement qui révèle l’attitude de Mataji envers la douleur physique. Ceci se passa beaucoup plus, en 1954. Atmananda écrit (1) : « Une dame d’un lointain pays est venue l’été dernier voir Mataji à Almora. Une des questions posées fut la suivante : puisque les souffrances sont le résultat de nos actions en cette vie ou dans des vies antérieures, était-il souhaitable de consulter un médecin et de prendre des médicaments ? N’était-il pas plutôt préférable de supporter tout ce qui nous arrive sans intervenir dans le déroulement naturel des choses ? Mataji répondit qu’il était juste de faire tout notre possible pour garder notre corps en bonne santé car une personne souffrante ne peut guère espérer pouvoir pratiquer la sâdhanâ. Néanmoins, il était aussi nécessaire d’apprendre à endurer la douleur puisqu’on ne peut pas toujours l’éviter. En ce cas, on doit l’accepter comme l’un de Ses modes de manifestation.
Quelques mois après, cette dame se fractura les cheville. Cela se passait dans les montagnes à des kilomètres de tout médecin. Pour ne rien arranger, il se mit à pleuvoir à torrents et il fallut attendre trois jours avant de pouvoir la transporter en dândi (2) dans la vallée. Elle souffrait terriblement et ne pouvait fermer l’oeil de la nuit. Mais se souvenant des paroles de Mataji, elle se concentra sur l’Amour Divin, en la personne du Christ et de Mataji. A son étonnement elle oublia totalement ses douleurs et le lendemain matin, elle se sentait en bonne forme. Elle passa ces trois journées dans un état de béatitude. Plus tard, elle déclara que pour rien au monde elle n’aurait voulu être privée de cette expérience. N’était-ce pas le sens des paroles de Mataji lorsqu’elle avait dit que nous devions apprendre à supporter la souffrance ? Après cette expérience, la dame essaya de se concentrer de même toutes les fois qu’elle sentait une douleur mais jamais elle ne peut retrouver cet état élevé. Quand elle rencontra Mataji cette année, elle voulut savoir la cause de cet échec. « Votre souffrance n’était pas assez forte » dit Mataji en souriant.
Les fidèles rapportent qu’en maintes occasions, ils constatèrent que de petites quantités de nourriture, de vêtements, de fleurs furent pourtant suffisantes pour toute la congrégation à laquelle on les distribuait. De même, nombreux sont les exemples de catastrophes évitées, de désirs exaucés alors même que cela semblait tout-à-fait impossible. On pourrait consacrer plusieurs volumes au récit de tels événements. Les fidèles en font un de leurs sujets de conversation favoris non pour s’appesantir sur les pouvoirs yoguiques de Mataji, mais pour affermir mutuellement leur foi et partager la joie que donne l’expérience de sa grâce (kripâ). « L’atmosphère de miraculeux dans laquelle évolue la Mère » écrit Sri Vijayananda (Dr A. Weintrob) « me frappa dès notre première rencontre. Nous en faisons chaque jour l’expérience dans nos contacts avec Elle... Ma peut faire tomber la pluie ou l’arrêter à volonté. Au cours de son voyage dans l’Inde du sud en 1952, la province de Madras souffrait d’une longue période de sécheresse. Je vis une délégation venir prier Mataji de faire tomber la pluie. Peu après on enregistra d’abondantes chutes de pluie que les journaux attribuèrent à la grâce (kripâ) de Mataji.
Beaucoup ont été impressionné par le fait que Mataji soit capable de satisfaire une pensée, un souhait non formulé. En voici un exemple caractéristique (3) : « Cela se passait à Solon, près de Simla, où nous avions été invités à participer à un Nama yajna (4) auquel assistait Anandamayi Ma.
(3) Le narrateur est feu S Sarkar, I.C.S. (Indian Civil Service) qui à cette époque ne connaissait pas encore bien Mataji.
(4) Cérémonie où l’on chante le kirtana selon les règles qui figurent dans le Chaitanya- Charitamrita, une Ecriture vishnouite.
Nous primes part activement au kirtâna quand, vers neuf heures du soir, nous sentant fatigués, nous nous rendîmes dans une salle proche du temple de Shiva où se déroulait la cérémonie. Il faisait nuit noire, le ciel était couvert de lourds nuages. Bientôt des trombes d’eau se mirent à tomber. Nous étions occupés à fumer et à discuter. Notre conversation portait bien entendu sur Anandamayi Ma. Quelqu’un tentait de nous persuader qu’elle possédait des pouvoirs surnaturels. Ne croyant pas aux miracles, je me moquais de lui : « Vous feriez mieux de garder ces sornettes pour vous. Si votre Anandamayi Ma ressemble un peu à ce que vous dites et bien qu’elle apparaisse donc devant nous sur le champ, et alors je vous croirai ». J’avais à peine fini ma phrase que l’on entendit du bruit à l’extérieur. La porte, que nous avions fermée à cause de la pluie, s’entrouvrit et devant nous apparaît une silhouette vêtue de blanc, trempée de la tête aux pieds. Un rire sonore que nous connaissions bien, celui de Ma Anandamayi, nous fit sursauter. Le temps de reprendre nos esprits et la silhouette s’était évanouie dans l’obscurité ! Malgré la pluie torrentielle, nous bondîmes dehors et courûmes jusqu’au temple. On nous dit qu’Anandamyi Ma était sortie sans se faire remarquer et qu’elle venait de rentrer complètement trempée ».
Cet aspect de la vie de Mataji a été très bien expliquée par Sri Vijayananda : « En Europe -et c’est certainement la même chose ici- le mot « miracle » suggère une chose spectaculaire rompant avec les lois naturelles. Mais ce n’est pas là que son aspect objectif et grossier. Son aspect subjectif, subtil est tout à fait différent. Que m’importe que tel ou tel yogui marche sur les eaux ou vole dans les airs. Le véritable miracle, c’est quand se réalise au moment crucial ce dont on a besoin, ce qu’on souhaite, ardemment ou non. Mieux encore, que cela se réalise de la façon dont on rêvait dans le secret de son coeur... Coïncidence ! pensais-je au début. Mais une coïncidence qui se répète quotidiennement cesse d’en être une. Et tout cela sans violation apparente des lois naturelles. Car le Seigneur n’a pas besoin de violer une loi : la Loi, c’est Lui. Donnerai-je des exemples ? Non, car ceux qui ne connaissent pas Mataji ne me croiront pas et ceux qui vivent à ses côtés ont déjà compris ». (1)
(1) « Mother as seen by Her Devotees » 2ème édition, p. 46.