Extrait
chapitre
numéro
12

L’adieu à Shabagh

Traduction de Jack Gonthier
Panharmonie 1972 à 1978

XII. - L'ADIEU A SHABAGH.

Mataji ne resta pas longtemps à Dacca. Elle se rendit à l'invitation de la Nawabzadi Pyari Banu qui mariait sa fille et son fis. La Nawabzadi conta à Mataji que depuis des années un malentendu l'avait éloignée de sa belle-mère. « Si vous êtes avec nous », dit-elle, « je suis sûre que nous trouverons une solution. » Et c'est en effet ce qui se passa. A la suite de cette réconciliation la Nawabzadi annonça son intention de venir à Dacca.

Peu après le retour de Mataji à Shabagh, Pyari Banu et ses enfants arrivèrent à Dacca. Ils exprimèrent le voeu de prendre un repas confectionné par Mataji, car ils avaient entendu parler de ses talents culinaires. A l’aide de Didi et de Matari Pisima, Mataji prépara des mets très élaborés auxquels les hôtes firent honneur. La Nawabzadi offrit un collier d'or à la statue de Kâlî. Ayant appris que Mataji avait un jour célébré le Namâz devant la tombe de deux fakirs arabes, ils lui demandèrent de recommencer en leur présence. Ils l'emmenèrent au mausolée et s'assirent pour méditer devant la tombe. Mataji fut bientôt dans un état exalté et se mit à parler dans une langue étrange. La fille de Pyari Banu s'exclama : « Elle est en train réciter un passage du Coran ! ». Toutefois Mataji ne refit pas le Namâz ce jour-là.

Mataji recevait sans cesse de nouvelles invitations. A Pirozepur et à Shari, toute la région était en fête pour sa venue. Elle fut couverte de fleurs et dansa au rythme des kîrtanas. On fit cuire de grandes quantités de bh et tous partagèrent le prasâda. Les fidèles avaient l'impression de faire partie d'une même famille. Les différences de caste, de croyance, de rang social avaient disparu. Le kîrtana créait une atmosphère divine. Au moment des adieux, tous la supplièrent de revenir.

A la veille d'un nouveau départ, la femme de Prafulla Ghosh dit à Mataji pour plaisanter : « Si vous n'êtes pas bientôt de retour, nous fermerons les portes de Shabagh et nous ne vous laisserons plus rentrer ! » Mataji répondit en souriant : «Vraiment ! ». Le jour du départ, Didi la vit faire le tour du vaste parc de Shabagh. De temps à autre, elle caressait les murs. Son air était impénétrable, lointain, et Didi n'osa pas la questionner sur cette étrange conduite.

En route pour Giridih, où se trouvait Bhâiji pour raisons de santé, Mataji fit plusieurs étapes. Bhâiji avait composé des chants et des kîrtanas : l'un d'eux contenait le mot «  Ma ». Avec le consentement de Bholanath, l'hymne fut envoyé à Shabagh. Les fidèles en furent très touchés ; en l'absence de Mataji, cela atténua la douleur de la séparation. Tandis que Mataji et Bholanath parcouraient le Rajasthan, la Nawabzadi fut dépossédée de ses propriétés. Rai Bahadur Chandra Ghosh, Bhudeb Basu et Bholanath se trouvaient ainsi au chômage ; il leur fallait quitter Shabagh. Les paroles de Hirandi, dites en plaisantant, s'avéraient prophétiques. Mataji habitait Shabagh depuis quatre ans. Elle dit à la famille de Jogesh Ghosh de ne pas se tourmenter au sujet de l'emploi perdu. Cela était pour leur bien futur. Ils comprirent beaucoup plus tard la justesse de ces paroles. L'anniversaire de Mataji approchait et les fidèles se groupèrent pour louer une maison en ville dans laquelle ils transportèrent la statue de Kâlî.

Mataji était de retour à Dacca avec Bhâiji. Il n'allait pas bien du tout. Les médecins de Calcutta lui avaient conseillé de ne plus travailler et d'observer une vie de repos complet. Il dit à Mataji que les médecins ne lui donnaient que quelques mois à vivre et qu'il devait se ménager pour ne pas encore abréger ses derniers jours. Mataji répondit : « Il ne t'arrivera rien au cours de ces prochaines années. Retourne à Dacca et reprends ton travail. Ensuite nous verrons ». Le premier jour, Mataji et Bholanath l'accompagnèrent à son bureau. Tout le monde, et lui-même, étaient persuadés que par la grâce de Mataji il avait reçu un nouveau bail de vie. Monsieur Finlow, ministre de l'agriculture dans le gouvernement du Bengale avait pour son subordonné un grand respect et une grande affection. Il lui demanda un jour: « Une si terrible maladie! Comment avez-vous pu vous remettre? » Sans hésiter Bhâiji répondit,: « Par la grâce de Mataji. J'ai été sous traitement médical, mais les médecins ont déclaré celle maladie incurable, et je sais bien qu'ils disaient vrai. Seulement il y a eu la grâce de Mataji. » Monsieur Finlow dit tranquillement : « Je suis prêt à vous croire. Nous avons aussi entendu parler de cas de guérisons divines dans notre pays. »

Un soir, un vieux monsieur demanda à Bhâiji : « Peut-on vraiment prolonger la vie de quelqu'un ? » Au milieu de la conversation, il se tut brusquement, et peu après s'en alla. Il revint le lendemain matin et dit à Bhâiji: « Savez-vous pourquoi je vous ai quitté si brusquement hier soir ? Pendant que nous parlions j'ai vu soudain une grande lumière qui vous enveloppait, Je n'ai pu découvrir d'où elle venait. Il n'y avait aucune lumière dehors. J'ai pensé que je devais réfléchir avant de vous en parler. La nuit dernière, j'en suis venu à la conclusion qu'avec la Grâce Divine, tout est possible. Vous vivez sous la gracieuse protection de Mataji, et méritez qu'on vous en rende hommage. »

En mai 1928, on célébra solennellement l’anniversaire de Mataji à Siddheshwari. En ces occasions Mataji donnait volontiers toute aide et conseil spirituel pourvu qu'on le lui demandât. Son anniversaire avait deux dates l'une d'après le calendrier ordinaire, l'autre d'après le calendrier lunaire. Dans l'intervalle. les fidèles pratiquaient l'akhanda japa ( japa ininterrompu) chantaient des kîrtanas et célébraient diverses pûjâs. Le point culminant de ces cérémonies était l'adoration de Mataji au cours d'une pûja spéciale qui avait lieu à trois heures du matin (cela correspondait à l'heure exacte de naissance).

Donc, en ce dernier jour, les gens s'assemblèrent autour de Mataji qui était en samâdhi et Bholanath fit la pûja en leur nom. Le corps immobile Mataji fut couverte de fleurs, de guirlandes, de vêtements neufs. La pûja termina à l'aube. Cette façon de célébrer l’anniversaire de Mataji s'est perpétuée jusqu'à maintenant. Des fidèles de toutes les régions de l'Inde était venus en cette occasion extraordinaire ; ils sentaient qu'ils faisaient partie d'une même famille. Quelques jours plus tard, Mataji s'absenta de Dacca à plusieurs reprises pour répondre aux invitations des fidèles. Elle eut l'occasion de se rendre à Atpara, le village de Bholanath. Promoda Devi, sa belle-soeur voulait qu'elle vienne loger chez elle, mais Mataji envoya cette humble réponse : « Elle sait que j'ai toujours respecté ses moindres désirs. Mais à présent, il m'est impossible de la satisfaire. Demandez-lui de me pardonner."

Quand Mataji partait en voyage. elle emmenait avec elle un ou deux membres de sa famille. A Tangal, elle fut l'invitée de Dinesh Rai. Au moment du départ, l'atmosphère fut troublée par un incident regrettable : Bholanath s'était mis en colère. Dinesh et sa famille étaient consternés. Dans l'embarcation, Mataji s'allongea et demeura inerte pendant quelques minutes. Quand elle se redressa, son visage avait une expression terrible. Bholanath se calma immédiatement et se mit à plaider sa cause à sa manière, tour à tour cajolant et récriminant. Lui qui en aucun cas ne pouvait passer pour une nature humble, tentait alors d'apaiser Mataji par tous les moyens. Finalement, en réponse à ses supplications, Mataji dit d'une voix sourde : « Retournons-y ! ».L’embarcation, qui était sur le point de rejoindre le bateau. fit demi-tour. Quelle ne fut pas la joie de la famille de voir Mataji de retour et la colère de Bholanath apaisée. De nouveau la joie régna et Mataji regagna Dacca le lendemain.