VII - DIFFÉRENTES FORMES D’EXPRESSION DE LA SADHANA
Depuis l’époque de la sâdhanâ de Bajitpur, Mataji n’avait pratiquement plus jamais pris un vrai repas. A son arrivée à Dacca en avril 1924, elle avalait trois bouchées, matin et soir. Quand Didi fit sa connaissance, elle se nourissait encore moins : trois bouchées le lundi et le jeudi et les cinq autres jours, uniquement neuf grains de riz. Il n’est pas de règle rigide pour Mataji : de temps en temps elle cédait aux instances de sa famille ou de ses fidèles. C’est ainsi que sur l’insistance de Pratul, fils de Pramatha Nath, elle consentit de manger normalement le jour de la nouvelle lune (amâvasyâ). D’autres fidèles en firent peu à peu une coutume de Shabagh. Ils organisaient un kîrtana où chacun recevait sa part de prasâda. On était sur qu’ainsi Mataji ferait un repas complet. Amulya, un neveu de Bholanath, travaillait depuis peu. Avec ses premières paies, il organisa régulièrement une pûjâ spéciale une nuit de pleine lune. Mataji mangeait normalement deux fois par mois.
On s’aperçut que Mataji ne pouvait plus porter la main à sa bouche. Sa main s’arrêtait en chemin et elle se penchait pour y prendre les aliments. Parfois au lieu de manger, elle répandait son riz sur le sol. Bholanath savait mieux que personne que toutes les actions de Mataji se faisaient naturellement, spontanément et que les remontrances étaient inutiles. Il se mit donc en devoir de la faire manger lui-même, comme un bébé. Didi fut heureuse de pouvoir aussi rendre ce service à Mataji lorsqu’elle venait à Shabagh. Mataji parla ainsi de cette période : « A une certaine époque, ce corps a vécu quatre ou cinq mois avec quelques grains de riz par jour. Personne ne peut vivre aussi longtemps avec un régime aussi pauvre. Cela parait miraculeux. Mais cela s’est produit pour ce corps ; par conséquence cela est possible, pour la bonne raison que ce que nous mangeons ne nous est pas du tout nécessaire. Le corps n’absorbe que la quintessence des aliments et rejette le reste. Par suite de la sâdhanâ, il change sa constitution ; il devient capable de se passer d’alimentation physique et de puiser dans son environnement ce qui lui est nécessaire pour vivre. Il dispose de trois moyens pour se maintenir en vie sans nourriture. Premièrement, puiser dans son environnement comme il vient d’être dit. Deuxièmement, en vivant uniquement d’air, car toute chose se trouve dans les autres choses ; si bien que dans une certaine mesure, les propriétés de ces autres choses se trouvent aussi dans l’air. En n’absorbant que l’air, on absorbe donc également l’essence de tout le reste. En troisième lieu, il peut arriver que le corps n’absorbe absolument rien tout en restant en bonne santé comme dans l’état de samâdhi. Ainsi vous voyez que par la sâdhanâ, il est tout à fait possible de vivre sans ce que nous appelons la nourriture » (2). « Un jour, j’eus le kheyâla que je ne faisais qu’un avec toute chose. Dans cet état de conscience, je distribuais la nourriture tout ce qui se présentait devant moi. Quelquefois même, je répandais sur le sol le riz et les légumes. Quand Bholanath vit cela, il enleva les aliments qui se trouvaient devant moi et me donna à manger comme à un enfant qui n’a pas encore appris à se servir de ses doigts pour se nourrir ».
(2) D’après l’article de Sri A K Dattagupta dans « Mother seen by Her devotees » 2ème édition p.117-118.
En deux occasions, Mataji s’abstint non seulement de manger mais aussi de boire, une fois pendant treize jours, une autre fois pendant vingt-trois jours au cours desquels elle ne s’humecta même pas la bouche. Au 24 ème jour, elle demanda une gorgée d’eau en disant : « Je voulais voir ce que cela ferait de ne pas boire mais voilà que le besoin de boire lui-même disparaît, ça ne va pas ! Il faut garder un semblant de comportement normal, cela est plus convenable ». Une autre fois Mataji prit pour règle de ne manger que les fruits tombés dans le jardin de Shabagh. Les arbres fruitiers de Shabagh étaient principalement des manguiers et des leechi. Comme ça n’était pas la saison pour ces fruits, Mataji ne mangeait pratiquement rien. Parfois, elle acceptait alors les fruits que quelqu’un avait apporté par hasard mais n’acceptait pas qu’on s’en procurât tout exprès. Si un jour, il y avait des fruits en abondance, elle défendait qu’on en fasse des provisions pour le lendemain (3). Il semblait bien que Mataji n’avait aucunement besoin de se nourrir mais voulait simplement ne pas perdre cette habitude. C’est sans doute la raison pour laquelle, pendant plusieurs jours, elle prit ce qu’une personne pouvait lui donné en une seule bouchée. Cette quantité étant probablement encore trop importante, elle modifia sa règle en disant qu’elle mangerait une seule bouchée de tout ce qui pourrait tenir entre trois doigts, le majeur, l’annulaire et le pouce.
Pendant six mois, elle ne mangea plus de céréales. Puis un jour, en voyant Bholanath prendre du riz et des légumes, elle demanda à Matori Pisima d’aller chercher tout le riz qu’on avait fait cuire. Mataji fit alors un repas qui aurait suffi à rassasier sept ou huit personnes. Cette scène se reproduisit plusieurs fois : pendant les vacances de Noël 1925, une des soeurs de Bholanath, Mokshada Devi, vint chez eux. Elle aimait beaucoup Mataji qu’elle considérait comme sa jeune soeur. Elle fut très ennuyée de voir qu’elle ne mangeait pratiquement rien. Comme il y avait toujours des invités à Shabagh, Mokshada Devi eut l’idée de préparer du kheer (4) à partir de vingt litres de lait.
(3) Cette règle était valable pour tout ce qui se mangeait. Toute nourriture offerte par les fidèles dans la journée devait toujours être redistribuée. Rien ne devait être conservé pour le lendemain même pas un fruit ou un morceau de gingembre.
(4) Lait épaissi et sucré mélangé à du riz cuit.
Elle comptait sur Bholanath pour convaincre Mataji d’y goûter. Généralement, Bholanath laissait Mataji agir à sa guise mais il ne pouvait pas dire non à sa soeur. Il demande donc à Mataji de prendre un peu de kheer, ce qu’elle fit. Quand elle eut fini, elle en demanda une autre portion. Très heureuse, sa belle-sœur s’empressa de la resservir plus copieusement encore. Mataji eut vite terminé ! Et elle ne s’arrêta pas avant d’avoir terminé la totalité de ce qui avait été préparé. Entre temps, on avait mis à nouveau du lait sur le feu. Il faut beaucoup de temps pour faire épaissir le lait et Mataji, comme un enfant affamé, semblait très malheureuse jusqu’au moment où, finalement, on lui apporta le kheer brûlant et à moitié cuit. Les femmes éventèrent le plat pour le refroidir. Quand Mataji eut tout fini, on fut vraiment très inquiet. Mokshada Devi, qui était une femme pieuse, préleva un peu de kheer en grattant le fond du plat et le mit sur la tête de Mataji en prononçant un mantra. Aussitôt Mataji s’arrêta de manger et tout le monde poussa un soupir de soulagement.
Didi raconte qu’un jour un fidèle, s’apercevant que Mataji se désintéressait totalement de la nourriture, la supplia de prendre un repas complet. Voulant lui donner satisfaction, elle se mit à table, Didi la faisant manger. Mataji semblait avaler deux fois plus vite que la normale. Elle dit avec impatiente : « Tu n’es pas assez vive, demande à quelqu’un de t’aider ». Mais ce jour-là, deux personnes ne suffirent même pas ! Le fidèle, passablement inquiet de voir le résultat inattendu de sa prière, joignit les mains et la supplia de s’arrêter. Mataji dit d’un ton plaintif : « Tout d’abord, tu me demandes de manger et j’ai à peine commencé que tu me dis d’arrêter. Il faudrait savoir ce que tu veux ! ».
Didi raconte que Mataji ne semblait pas prêter attention à ce qu’elle mangeait. « Au début, quand je ne connaissais pas encore bien Mataji, je croyais pouvoir profiter de son inattention pour la nourrir copieusement. Dans mon empressement, je lui donnais bien plus que ce qui était normalement nécessaire et pourtant elle ne disait rien. Finalement je dus m’arrêter. Mataji sembla sortir d’un rêve et dit : « Eh bien, as-tu fini ? ». Si on n’y faisait pas attention ou si on ne la prévenait pas, elle avalait les pelures de fruits. Si on lui faisait des remontrances, elle disait d’un air surpris : « Vous m’avez demandé de manger, c’est ce que je fais. Vous ne m’avez pas dit ce que je devais garder et ce que je devais rejeter ».
On peut mentionner ici un autre incident rapporté par Mataji. C’était l’époque où elle se déplaçait dans les collines de l’Himalaya avec pour seuls compagnons Bholanath et Sri Jyotish Chandra Roy, plus connu sous le nom de Bhaiji (frère). Bhaiji allait une fois par jour mendier la nourriture dans les villages alentours, à la manière d’un sannyâsi. La plupart du temps, il rapportait du froment (âtâ) qu’il faisait cuire pour Mataji. Il ne disposait d’aucun ustensile. Bhaiji choisissait donc un rocher à proximité d’un cours d’eau ; il le lavait et y pétrissait la pâte. Puis avec des branchages secs, il allumait un feu sur lequel il cuisait, comme il pouvait, les chapâtis (5). Mataji raconte : « Un jour, comme Jyotish allumait le feu, je vis que des particules d’excréments adhéraient encore aux pores de la roche (6).
(5) Pain non levé qui constitue avec le riz l’alimentation de base des Indiens.
(6) Les montagnards de l’Inde n’ont pas de W.C. Ils se contentent des rochers et des cours d’eau.
Tant qu’elle était humide après le lavage, elle paraissait assez propre, mais à la chaleur, la saleté avait reparu. Jyotish ne s’était aperçu de rien et je vis que les saletés se trouvaient pétries avec la pâte. « Mais pourquoi donc n’avez-vous rien dit », s’exclamèrent aussitôt ceux qui écoutaient cette histoire. Mataji répondit tranquillement : « Et pourquoi aurais-je dit quelque chose ? Cela n’avait pour moi aucune importance et puis Jyotish faisait de son mieux ».
Il y a quelques années, à Raipur, Mataji demanda à celle qui l’avait fait manger de goûter au kheer qu’elle venait de lui donner. La jeune fille en prit une bouchée mais il était tellement brûlant qu’elle ne put ni l’avaler ni le garder dans sa bouche. Elle dut le recracher malgré la présence de Mataji. En souriant, Mataji ouvrit la bouche et lui montra que toute sa gorge était brûlée. Ces brûlures la firent souffrir pendant des mois.
Didi a toujours affirmé qu’il était plus facile de révérer Mataji que de lui rendre des services personnels. Elle n’a aucune exigence, aucune préférence et accepte avec la même tranquillité qu’on lui donne quelque chose ou qu’on ne lui donne rien. Elle garde son impassibilité devant les provocations les plus éprouvantes. Qui plus est, elle doit très souvent consoler ou apaiser le fidèle qui en est la cause. Elle reste gracieuse envers tous et en toutes circonstances. Le nouveau venu pourrait croire que les personnages de son entourage sont plus intimes avec elle. Mais cela est faux. Elle est aussi proche ou aussi lointaine avec un nouveau venu qu’avec un ancien compagnon. Mataji l’a elle-même souligné à plusieurs reprises. Et elle raconte parfois cette histoire : « Sur un étang poussait un grand lotus. Un voyageur vint à passer. De sa vie, il n’avait vu pareille fleur. Touché par sa beauté, il s’arrêta pour l’admirer. Sous le lotus il vit une grenouille et un poisson. « Quelle est cette fleur merveilleuse sous laquelle tu te tiens? » demanda-t-il à la grenouille. Elle répondit : « En voilà une question ! Ce n’est qu’une fleur ordinaire! » et elle s’en alla faire la chasse aux insectes. Déçu le voyageur s’adressa au poisson qui répondit : « N’as-tu pas entendu ce que mon amie la grenouille a dit ? Ce n’est qu’une plante comme il y en a dans tous les étangs ! ». Au même moment, l’homme aperçut une abeille qui se dirigeait vers le lotus. Il l’interpella mais elle était si pressée qu’elle ne fit pas attention à lui. Elle se posa sur la fleur et but longuement son nectar. Puis elle retourna près de l’homme et dit : « Que voulais-tu tout à l’heure ? ». L’homme répéta sa question. « Ne sais-tu pas » dit l’abeille joyeusement « que ce lotus renferme un nectar délicieux. Je m’en suis repue et me sens transformée ». Ainsi, on peut fort bien vivre auprès de sâdhus et de mahâtmas, de sages et de saints, sans être capable de reconnaître ce qu’ils sont. Mais celui qui a l’adhikâra (1), même s’il vient de très loin, s’aura immédiatement reconnaître la Grandeur et la Sagesse. Cela dépend de la faculté de pénétration de chacun dans l’essence des choses ».
(1) Capacité et autorité conférées par des réalisations spirituelles.
Au cours d’un satsang (2) tenu à Solon pendant l’été 1946, Mataji répondit à des questions relatives à la période de sa vie traitée dans les chapitres précédents :
(2) Assemblée religieuse.
« Après le jeu (lîlâ) de l’initiation, pendant cinq mois je n’eus pratiquement pas le temps de me nourrir. Comme une automate, je remplissais mes taches ménagères. J’allumais le feu sans savoir pourquoi ; et puis quand il s’agissait de cuisiner et de servir à table, j’étais le propre spectateur de mes actions ». Ailleurs, elle expliqua ainsi ce phénomène : « Le manque de nourriture n’affectait aucunement mon corps. En faits le besoin d’absorber de la nourriture disparut ». Mataji ajouta en riant : « On vous dit qu’il faut s’abstenir des plaisirs de la vie, mais dans ce cas, ce fut l’inverse. Je dus veiller à prendre quelque chose - parfois moins d’une bouchée - pour ne pas avoir le kheyâla de me passer complètement de nourriture. Ce corps était parfois affecté par la lecture de textes religieux ou par les accents de la musique dévotionnelle. A d’autres moments, les mots des livres n’avaient plus aucune importance car tout ce qui devait être su était là. Ensuite vint le temps où fut réalisé que tout est Cela, de même que chaque étincelle d’un feu a les caractéristiques de l’ensemble. Il est difficile d’énumérer toutes les expériences de la sâdhanâ, tellement nombreuses et diverses. Il arrive un moment où tout devient visible, comme lorsque vous allumez un lampe : la maison, les arbres, les gens qui vous entourent, tout devient visible d’un seul coup. On peut concevoir cela autrement : qu’y a-t-il à voir , Il n’y a rien de plus à connaître ; tout ce qui est, est là depuis toujours ».
On peut se faire une idée de cette vision totale qui est celle de Mataji en examinant de plus près la manière dont elle s’occupe des autres.
Il y a quelques années, au cours d’un satsang public, elle répondait aux questions qui lui étaient posées. Ceux qui connaissent sa manière de formuler les réponses à certaines questions types remarquèrent avec surprise qu’elle s’exprimait différemment, empruntant des termes inhabituels, tant et si bien qu’on avait beaucoup de mal à la suivre. On finit même par y renoncer, supposant qu’elle était dans un de ses mystérieux états. Pendant ce temps, Mataji poursuivait son exposé, fournissant maints détails. A la fin de la réunion, deux hommes s’avancèrent et vinrent s’incliner devant elle. Il s’agissait de bhikshus (moines) bouddhistes qui avaient fait un long voyage pour avoir le darshana (3) de Mataji. Il étaient très heureux de l’avoir entendu traiter d’un problème qui les préoccupait depuis longtemps. Ils s’en allèrent tout à fait persuadés que Mataji connaissait sur le bout des doigts toutes les Ecritures bouddhistes.
Une autre fois, Mataji eut la visite d’un hathayogui (4).
(3) Vision. Voir la darshana d’un saint, sage ou d’une divinité signifie avoir la grâce de les contempler, d’être en leur présence.
(4) Qui pratique le hathayoga, un yoga basé sur des disciplines physiques.
Elle lui posa de nombreuses questions sur son mode de vie. Ainsi encouragé, il lui raconta son histoire. Avec quelques amis, il avait dès son plus jeune âge commencé la pratique du yoga. Comme leur enthousiasme grandissait, ils avaient fini par renoncer au monde afin de se consacrer totalement à cette sâdhanâ. Ils voulaient à tout prix atteindre la Réalisation. Toutefois les choses ne se passèrent pas ainsi. Ils pratiquèrent en toute bonne fois des exercices qu’ils pensaient corrects mais les résultats furent désastreux : l’un des garçons mourut en pleine jeunesse et deux autres furent victimes de maladies incurables. Il souffrait lui-même de graves troubles digestifs. Aboutir à cela après 22 ans de sâdhanâ leur avait ôté toute illusion. S’il était resté dans la voie du renoncement, c’était par la simple force de l’habitude. Il ne sollicita aucune entrevue particulière mais Mataji le prit à part pendant plus d’une heure. A la fin de cet entretien, il avait perdu son air triste et désespéré. Il dit avoir reçu de nouvelles forces pour aller de l’avant sur son chemin de prédilection. Questionnée, Mataji dit qu’elle lui avait demandé des précisions sur ce qu’il pratiquait, relevant ses erreurs et les corrigeant.
Tout récemment, une jeune fille étrangère demanda l’initiation à Mataji. On lui expliqua qu’elle n’initiait personne directement. « Quel japa puis-je pratiquer ? » demanda-t-elle. Mataji dit : « Êtes-vous chrétienne , Croyez-vous en Christ ? »
- Oui.
- Méditez sur la forme du Christ entouré de lumière céleste et attendez qu’il vous guide.
- Que puis-je faire pour ne plus avoir peur ?
- Peur de quoi ?
- Je ne sais pas ; une peur terrible.
- Méditez sur Dieu. Emplissez-vous de la présence de Dieu pour ne pas laisser entrer la peur. Dites-vous que Dieu est en vous et qu’il n’y a pas la moindre place pour la peur ».
D’après ces exemples recueillis ici et là, on peut voir que le but de Mataji est d’allumer chez chacun le désir du Divin qui est en l’homme. Elle accepte toutes les méthodes qui conduisent à ce but. Elle n’encourage aucune conversation qui ne porte pas sur l’effort religieux et la ramène insensiblement sur la vie de sâdhanâ.
Ce n’est que peu à peu et après bien des erreurs que les compagnons de Mataji purent comprendre dans une certaine mesure sa personnalité. A l’époque de Shabagh, cette expérience extraordinaire les dépassait et il était trop tôt pour qu’ils puissent placer la personnalité de Mataji dans une juste perspective. Les gens n’osaient pas croire qu’une telle chance leur était donnée. Ils craignaient toujours de voir Mataji s’éloigner d’eux. Au sortir d’un bhâva ou d’un samâdhi, ils faisaient tout leur possible pour ramener son attention vers les problèmes quotidiens ; ils tentaient d’empêcher ses états d’exaltation. Mais autant essayer de freiner une locomotive avec une toile d’araignée ! Mataji avait le kheyâla de rester là où elle était et c’est pourquoi, vues de l’extérieur, ces tentatives paraissaient réussir. A cette époque, Mataji n’éprouvait pas la nécessité de manger, de boire, de dormir, ni de se préoccuper des autres besoins habituels du corps. Mais elle conservait une ombre de comportement normal parce que son kheyâla était de demeurer avec les gens.