Extrait
chapitre
numéro
14

Mataji a le kheyâla de quitter Dacca

Traduction de Jack Gonthier
Panharmonie 1972 à 1978

XIV. - MATAJI A LE KHEYALA DE QUITTER DACCA.

Sur le chemin du retour, Mataji passa par Calcutta, Puri et Vidyakut. Maintenant que Bholanath n'était plus tenu par aucun travail, on se rendit compte qu'ils pouvaient fort bien ne plus revenir à Dacca. Shashanka Mohan et quelques autres allèrent à Vidyakut pour convaincre Bholanath de rentrer à Dacca quelques jours avant l'anniversaire de Mataji (en mai 1929). Entre temps, les efforts de Bhâiji, de Niranjan Rai et des autre avaient porté leurs fruits. Le terrain de Ramna avait pu être acheté et on y avait construit une petite hutte en terre pour Mataji. Elle avait eu le kheyâla de ne pas loger dans un bâtiment en briques. L'anniversaire fut à nouveau célébré dans l'enthousiasme à Siddeshwari. Dans le courant du mois de mai, Mataji fut invitée à inaugurer le nouvel Ashram de Ramna. Elle était l'image même d'une divinité, radieuse, d'une beauté indescriptible. L'un après l'autre, les fidèles venaient se prosterner devant elle. Elle regarda Bholanath avec une lueur malicieuse dans les yeux et dit : « Vas-tu faire le pranâma, toi aussi ? ». Mais. il secoua la tête en souriant. Alors Maroni (1), qui n'était pas loin, s'exclama : « J'ai vu grand-père se prosterner devant grand-mère ». Le secret ainsi trahi d'une façon inattendue fit rire tout le monde de bon coeur.

(1) La petite fille de la soeur de Bholanath que ses parents lui avaient confiée

Un jour où Bholanath était absent, Mataji fit le tour de l'ashram posant parfois les mains sur le mur d'enceinte. Didi l'observait et fut prise d'une crainte soudaine : elle se souvint qu'elle avait agi de même avant de quitter Shabagh définitivement. Les proches de Mataji savent qu'à certains moments, le plus hardi d'entre eux n'ose pas lui dire un mot, tant elle parait lointaine et inaccessible. En ces moments elle semble ne plus reconnaître personne ni se soucier aucunement des opinions d'autrui. On se doutait que Mataji allait faire une chose qu'il serait difficile d'accepter, mais personne ne dit rien. Elle alla s'asseoir près de son père et chanta avec lui. Ensuite, elle prononça un flot de mantras. Cette musique céleste était fascinante. Peu après, elle évolua un moment avec le groupe de chanteurs.

Elle s'arrêta brusquement et dit: « Maintenant, il faut que vous me donniez tous la permission de partir. Je dois quitter Dacca aujourd'hui » « Ma, comment accepter une chose pareille ! » s'écrièrent ses compagnons. Comme un petit enfant angoissé, Mataji les supplia: « Je vous en prie, ne mettez pas d'obstacles sur mon chemin, sinon je laisserai ce corps ici et partirai ». Le silence se fit. Tout le monde avait les larmes aux yeux en la regardant. Elle reprit : « Quand Bholanath arrivera, mettez-le au courant. Dites-lui de ne pas me dire non ». « Mais qui vous accompagnera ? » demanda quelqu'un. « Pour ma part », répondit-elle, « je n'ai besoin de personne. Mais si vous pensez que je dois être accompagnée je peux demander à mon père ». Dadamasai rentra prendre quelque bagages et se tint prêt. Mataji n'emportait rien. Elle alla s'asseoir à l’extérieur et un groupe silencieux l'entoura. « Quand part le prochain train ? » demanda-t-elle peu après. « A minuit » répondit-on. « S'il vous plaît, faites le nécessaire pour que je puisse le prendre ».

Shashanka Mohan avait fait prévenir Bhâiji. Il était avec Bholanath et ils arrivèrent ensemble. Mataji demanda à Bholanath l'autorisation de quitter Dacca avec son père. Avant qu'il ait eu le temps d'exprimer ses réticences, Mataji dit : « Si tu dis non, je quitte ce corps à l'instant même ». Cela coupa court à toute récrimination. Bholanath était bien le dernier à mettre en doute cette affirmation. Mataji n'avait encore jamais exprimé son kheyâla avec autant de force. Très abattu, Bholanath dit : « Très bien, je ne m'y oppose pas ». Il ajouta: « Si tu voyages sans moi, les gens vont dire du mal de toi ». « Je ne ferai rien qui puisse susciter les critiques », dit Mataji ; « mon père m'accompagnera. Les gens diront-ils du mal de moi ? » Elle interrogea ses compagnons du regard. Ils s'empressèrent de la rassurer: « Non, Ma, personne ne dira ni ne pensera du mal de vous. »

On fit chercher une voiture, mais Mataji ne l'utilisa pas. Elle marcha jusqu'à la gare en compagnie de tous les fidèles qui portaient des torches et des lanternes. Mataji dit qu'elle irait à Mimensingh et s'installerait chez Kalipada, un neveu de Bholanath. Elle avait d'abord pensé à Ashu, mais personne ne savait où il était. Le train arrivait. Au dernier moment, Bhâiji monta dans le compartiment de Mataji, expliquant : « Baba (Bholanath) m'a demandé de vous accompagner ». Elle ne répondit pas et le train s'éloigna dans la nuit.

Mataji n'avait rien pris avec elle, pas même des vêtements de rechange. Le lendemain, Shashanka Mohan partit pour Mimensingh avec des couvertures et des vêtements. Mais elle ne l'encouragea pas à rester et il regagna Dacca le jour même. Mataji se rendit à Cox's Bazar, puis au mont Adinath, une île du golfe du Bengale. Au bout d'une semaine, Bhâiji rentra à Dacca et reprit son travail. En apprenant que Mataji avait parlé de lui, Ashu était venu à Dacca. Quand Bhâiji eut rapporté où se trouvait Mataji, Bholanath et Ashu partirent immédiatement la rejoindre. Ils allèrent ensuite à Calcutta chez la soeur de Bholanath. Mataji demanda à Bholanath de rester à Salkia chez sa soeur, et elle partit pour Hardwar avec son père et Ashu. De Hardwar ils se rendirent à Dehra-Dun et aux sources de Shasradhara. Quelques jours plus lard, elle eut soudain le kheyâla de se rendre à Ayodhya, un autre lieu sacré des Provinces Unies. Elle se promenait avec Ashu sur les bords du Gange, lorsqu'elle lui demanda d'aller chercher leur maigre bagage. Ils allèrent à la gare sans prévenir personne. La raison probable de ce départ discret, c'est que Kunja Mohan s'était joint à eux en dépit du kheyâla répété de Mataji. Mataji et Ashu ne connaissaient absolument pas Ayodhya, mais ils ne rencontrèrent aucune difficulté. Le contrôleur de la gare les invita chez lui. Pendant deux jours, ils visitèrent les endroits sacrés de la région puis retournèrent à Hardwar. Mataji se rendit à l'ashram de Bholagiri Maharaj où se trouvait Sri Gopinath Kaviraj. Dadamashai et Kunja Mohan furent heureux de retrouver Mataji, et son sourire radieux. Kunja Mohan tomba malade et dut rester à Hardwar, tandis que Mataji partait pour Bénarès. A Bénarès, Dadamashai eut la fièvre et resta chez la soeur et le beau-frère de Didi. Mataji continua son périple sans idée précise, en compagnie d'Ashu, Nani (quatrième enfant de Kunja Mohan) et Manik, un jeune étudiant. Manik dit : « Si nous allions à Vindhyachal ». Mataji approuva. Puis elle eut le kheyâla d'aller dans un endroit où personne ne la connaissait - Le fils aîné de Kunja Mohan l'accompagna à Calcutta chez un de ses amis, le docteur Girin Mitra.

Mataji était allée autrefois à Navadwip, célèbre lieu de pèlerinage au Bengale, On l'avait emmenée voir un sâdhu qui observait un silence total. Un jour, chez le docteur Mitra, quelqu'un mentionna ce sâdhu et cela fit naître en Mataji le kheyâla d'aller le revoir. Elle partit s'installer à son ashram avec la belle-soeur du docteur. Une vieille femme s'occupait du sâdhu. Elle n'apprécia guère la présence des deux nouvelles venues. Mataji l'assura qu'elles ne la dérangeraient pas. Le sâdhu était assis, figé comme une statue, ne clignant même pas des yeux. Sa servante racontait à tous le monde que c'était un grand prêtre spirituel et qu'il ne quittait jamais son siège. Peu à peu, Mataji, de sa manière inimitable, perça le secret du sâdhu : il se levait et mangeait en cachette pendant la nuit. Il lui avoua qu'il n'aimait pas se moquer du public mais que la vieille femme avait de l'emprise sur lui et ne voulait pas le laisser partir. Avant de s'en aller Mataji conversa avec lui. Plus tard, on lui raconta qu'un beau matin les gens de Navadwip eurent la surprise de trouver le siège du sâdhu vide et l'ashram déserté. Personne ne sut quand ni où il était parti.

Mataji avait eu le kheyâla de se tenir à l'écart des villes où elle était connue. Le docteur Mitra la conduisit dans son village du Bihar, sans rien dire aux habitants. On apprit que Bholanath n'était pas en bonne santé. Il retrouva Mataji à Calcutta où se trouvait aussi Bhâiji en mission officielle. Bholanath était mécontent de n'avoir pas été tenu au courant des allées et venues de Mataji. Elle ne dit rien et ne tenta pas de s'expliquer Les fidèles de Dacca attendaient impatiemment son retour et ils furent déçus d'apprendre qu'elle était partie avec Bholanath, pour Chandpur. Bhâiji, Shashinka Mohan et Nishikanta allèrent à Chandpur pour leur demander de revenir à Dacca. Mataji resta silencieuse et Bholanath, un peu indécis, promit cependant de retourner à Dacca prochainement.