Extrait
chapitre
numéro
10

Histoire de la statue de Kâlî

Traduction de Jack Gonthier
Panharmonie 1972 à 1978

X - HISTOIRE DE LA STATUE DE KALI

L’époque de la statue de Kâlî-pûjâ annuelle approchait (octobtre-novembre 1926). Kâlî était la divinité tutélaire de la famille de Bholanath. En 1925, après son arrivée à Dacca, sur la demande de Bholanath et de différentes personnes, Mataji avait elle-même pour la première fois, célébré la pûjâ en public avec quelques assistants, et conformément aux règles prescrites par les Ecritures. Bholanath, pour sa part, l’avait déjà célébrée à Bajitpur et en ces deux occasions des incidents miraculeux se produisirent. Les fidèles auraient bien aimé voir Mataji officier. Elle était maintenant très connue et chaque jour de nouveaux visiteurs arrivaient à Shabagh. N’osant s’adresser directement à Mataji, les fidèles demandèrent à Bholanath de plaider leur cause. Mataji lui répondit : « Ne me demande plus de faire ce genre de choses. Tu vois bien que je suis incapable du moindre travail à présent ». Ne voulant aller à l’encontre de son kheyâla, Bholanath abandonna cette idée. La veille de la pûjâ, Mataji lui demanda : « De quoi donc parlais-tu avec Bhudeb Babu ? ». Il répondit qu’il était toujours question de la pûjâ. « Pourquoi ne célèbres-tu pas toi-même cette pûjâ ? » dit Mataji. Bholanath en conclut qu’elle avait maintenant le kheyâla de faire célébrer la pûjâ. Il partit annoncer aux autres cette bonne nouvelle. Il n’y avait pas une minute à perdre : il fallait aller en ville à la recherche d’une statue. Mais elles étaient toutes déjà vendues, à l’exception d’une seule qui était d’une couleur inhabituelle, plus bleue que noire. Le lendemain quand Mataji la vit, elle dit : « Il est évident que Kâlî a décidé de venir ici cette année ; les choses se sont arrangées d’elles-mêmes. J’ai eu une vision de Kâlî qui était exactement de cette couleur ; elle portait une guirlande d’hibiscus rouges. Elle descendait du ciel et semblait prête à tomber dans mes bras. Cette vision était si intense que je levai les bras pour la recevoir. Elle est là maintenant ; alors efforcez-vous de bien préparer cette pûjâ ».

Sans doute serait-il bon de donner ici quelques précisions sur ces formes d’adoration . La divinité tutélaire du Bengale s’appelle Dûrgâ ou Vâsanti, une personnification de la Mère Divine. D’après les Ecritures, Dûrgâ, bien qu’étant fille de roi, choisit pour époux Shiva, l’esprit de renoncement incarné. Elle amena dans les étendues neigeuses et désolées du mont Kailâsa, demeure de Shiva, les fastes d’une cour princière. Chaque année (1), pendant trois jours elle vient en visite sur la terre où jadis elle résida.

(1) La Dûrgâ-pûjâ a lieu soit en septembre ou octobre et la Vâsanti-pûjâ en avril. C’est la première qui est la plus couramment fêtée.

Le Bengale prépare cette venue avec un enthousiasme débordant. Elle est adoré avec des fleurs, des fruits, des sucreries, des vêtements, de la musique. Pendant ces trois jours, les Bengalis oublient tout e reste. Puis, comme par un coup de baguette magique, la déesse met fin à la liesse populaire : elle part pour la demeure de son époux, plongeant toute la province dans les ténèbres.

On adore la Mère Divine sous la forme de Durgâ ou sous diverses formes dans l’Inde toute entière. Mais au Bengale, on l’adore plus spécialement sous l’aspect de Kâlî. Selon les Ecritures, Kâlî est terrifiante. Durgâ au visage d’or est vêtue d’habits chatoyants et l’éclat de ses bijoux illumine l’univers. Tandis que Kâlî est noire comme sa longue chevelure défaite , divinité des champs de bataille, on la représente maculée de sang humain. Elle a quatre bras: la main gauche supérieure brandit un kharga (2) et l’autre tient un crâne humain. La main droite supérieure fait un geste d’apaisement (3), l’autre un geste de bénédiction.

(2) Petite épée à lame recourbée.
(3) abhasya : ne crains rien.

Elle est si absorbée par le massacre des méchants qu’elle marche par inadvertance sur le corps prostré de Shiva, puis se mord la langue en voyant ce qu’elle a fait. C’est ainsi que l’artiste se plaît à la représenter pour la pûjâ annuelle. Les chants inspirés de Ramprasad évoquent beauté et tendresse, bien plus que cette forme apparemment repoussante. Plus récemment, les poètes du Bengale tels Atulprasad Sen et Kazi Nazrul Islam ont chanté Kâlî, faisant d’elle la plus compassionnée des Mères. La Durgâ-pûjâ est une fête populaire alors que la Kâlî-pûjâ s’adresse au sâdhakâ et se déroule dans le silence de la nuit.

Bholanath était lui-même un shakta et un ritualiste convaincu. Les premiers fidèles de Mataji connaissaient cette Kâlî-pûjâ depuis leur enfance. Vers minuit, la salle était pleine à craquer. Mataji, en état de bhâva, se trouvait dans sa chambre. Bholanath réussit à la conduire à l’étang où Didi et d’autres l’aidèrent à prendre son bain et à changer de sârî. Puis Bholanath la reconduisit dans la salle de pûjâ et la fit asseoir en face de la statue. Dans la pièce voisine, les gens chantaient un kîrtana. L’air embaumait du parfum des fleurs et de l’encens. Toute l’assistance attendait le moment où Mataji allait invoquer la divinité. De sa main gauche, elle se mit à faire certains kriyâs. Au bout de quelques instants, elle se leva et dit sèchement à Bholanath : « Je vais à ma place, tu peux faire la pûjâ ». Elle fendit la foule comme un éclair et s’assit auprès de la statue. Bholanath avait cru que Mataji ne voulait pas faire la pûjâ et allait rejoindre les autres femmes. Il commença par protester quand soudain il vit à la place de Mataji la vivante déesse Kâlî : le teint clair de sa peau avait foncé, ses yeux étaient agrandis et fixes comme ceux de la statue d’argile. Bholanath se tut et occupa sans tarder le siège du prêtre. Il prit une poignée de fleurs et commença à les offrir à Mataji en récitant les mantras de la Devî-pûjâ. Mataji s’inclina jusqu’à toucher le sol avec toute la partie supérieure de son corps et dit : « Fermez les yeux ». Tout le monde obéit. Sans bouger, elle ajouta : « Mahadeiya n’a pas fermé les yeux ». En effet, Mahadeiya, la femme d’un des jardiniers, se tenait debout sous un arbre et regardait à l’intérieur. Tout ceci se passa en quelques secondes. L’atmosphère était trop survoltée pour ces gens assis en méditation. Bholanath leur dit de rouvrir les yeux. Mataji s’était redressée ; elle était couverte de fleurs multicolores. Son allure, d’une beauté et d’une majesté ineffables, remplissait les coeurs d’une crainte sacrée, d’un respect émerveillé.

Au petit matin, quelques proches compagnons, assis avec Mataji et Bholanath, discutaient de la pûjâ qui venait de s’achever. Quelqu’un remarqua que la statue avait l’air tellement vivant qu’il aurait peur de rester seul la nuit dans la salle de pûjâ. Mataji demanda tout-à-coup à Didi d’aller chercher du feu dans le réceptacle de bronze (yajna-kunda) qui se trouvait dans la salle de pûjâ. Didi mit quelques charbons ardents dans un récipient et l’apporta à Mataji. Elle le prit dans ses mains et le faisant danser déclara : « Avec ce feu, on allumera le feu d’un Mahâyajnâ (4) ».

(4) A la suite d’un concours de circonstances, un Mahâyajnâ se déroula à Bénarès du 14 janvier 1947 au 14 janvier 1950. Pour allumer ce feu, on suivit à la lettre les règles védiques. Le prêtre, chargé de cette mission n’était pas un fidèle de Mataji. Mais au dernier moment, des circonstances imprévues firent qu’il dût se servir de ce feu qui brûlait depuis 20 ans sans interruption. Ainsi se réalisèrent les paroles de Mataji bien qu’elle-même n’ait rien fait pour cela..

Après un moment de silence, elle reprit : « Qui voudrait se charger de l’entretenir ? ». Tout d’abord, il n’y eut pas de réponse car c’était là une lourde responsabilité. L’adoration quotidienne de Kâlî est réservée aux ascètes car elle passe pour détruire tous les liens. Certaines personnes craignent même d’avoir son image chez eux. Entretenir le feu impliquait qu’on l’adorât quotidiennement avec les oblations et qu’on veillât sur lui avec soin. Bref, ce n’était pas un travail pour qui menait la vie de chef de famille. Aussi, exprimant l’opinion générale, Birendra Chandra, le frère de Didi, répondit : « Non, Ma, ce n’est pas possible. Je dois m’occuper de ma femme et de mes enfants ». Les autres se taisaient. Mais Mataji répéta : « Qui d’entre vous est prêt à le faire ? ». Shashanka Mohan s’était un peu assoupi. Quand il entendit cette question, il crut qu’elle se rapportait à ce qui avait été dit précédemment au sujet des craintes qu’inspirait la statue de Kâlî. Il dit avec force : « Moi ? Pourquoi avoir peur ? ». Mataji répliqua vivement : « Très bien. Demande la permission de tes fils ». Birendra, l’aîné dit : « Si papa accepte, le mérite nous en reviendra également ». Nandu, le cadet, avait de sérieuses objections mais il ne dit rien. Mataji confia donc à Shashanka Mohan le soin d’entretenir ce feu dont l’importance devait devenir capitale.

La coutume veut qu’à la fin de la pûjâ, la statue soit immergée dans les eaux d’une rivière, après certains rituels accomplis par les femmes. Vinodini Devi, la femme de Niranjan Rai, dit à Mataji : « Ma, cette statue est vraiment extraordinaire. C’est bien dommage d’aller la jeter à l’eau ». Mataji répondit : « Qu’elle reste puisque vous y tenez. Nous n’avons pas demandé à la déesse de venir, elle l’a fait de son propre chef. Qu’elle demeure aussi longtemps qu’elle le désire ». Un jeune garçon nommé Kamalakanta était à Shabagh. Il avait été malade et attribuait sa guérison à la grâce de Mataji. Depuis, il ne voulait plus retourner chez lui. Mataji lui confia la tâche de veiller sur la statue de Kâlî. Il devait chaque jour la décorer avec une guirlande d’hibiscus rouges. Un jour, Mataji demanda que l’on transportât la statue dans une autre pièce, ce qui fut fait avec beaucoup de précautions. Cette nuit là, la tempête éclata et la porte de l’ancienne salle de pûjâ s’abattit à l’endroit même où se trouvait précédemment la statue. Sans l’intervention de Mataji, elle aurait été réduite en morceaux.

Deux personnes qui fréquentaient Shabagh voulurent un jour rendre hommage à Kâlî en célébrant une pûjâ. A cette époque, les sacrifices d’animaux à la déesse étaient chose courante. Bholanath avait compris que le kheyâla de Mataji n’était pas en faveur de cette pratique et il l’avait abandonnée dans toutes les cérémonies qu’il dirigeait lui-même. Mais la pûjâ en question devait être célébrée par des gens de l’extérieur, et le sacrifice d’une chèvre avait été prévu. Pendant la célébration, Mataji resta allongée en état de bhâva. Elle fit soudain son apparition au moment du sacrifice et mit la main sur le cou de l’animal. Bholanath le fit immédiatement détacher. Mataji demanda à un jeune garçon de prendre la chèvre dans ses bras et ils sortirent de Shabagh pour lui rendre la liberté. Un groupe les accompagna avec des lanternes. Quand ils rebroussèrent chemin, la chevrette suivit Mataji et quand cette dernière se rassit près du lieu du culte, l’animal s’allongea à ses côtés. C’est ainsi que Mataji introduisit un changement important dans le rituel d’adoration des divinités. Par la suite, cette pratique du sacrifice animal fut effectivement abandonnée. La chevrette resta à Shabagh ; elle avait élu domicile sous le lit de Mataji et au cours des kîrtanas, elle s’asseyait et posait sa tête sur les genoux de Mataji. Elle grandit et devint un animal robuste. Un jour, en l’absence de Mataji, elle sauta par-dessus le mur et disparut.

La suite de l’histoire de la déesse Kâlî est tout aussi intéressante. On dut déplacer la statue à cinq reprises avant de lui trouver sa place définitive. Les statues des fêtes annuelles sont faites d’argile ordinaire et ne sont pas prévues pour durer longtemps. A chaque fois que les fidèles devaient la déplacer, ce n’était pas sans une certaine appréhension. Mais il ne se passa rien de fâcheux. Elle demeura intacte en dépit de toutes ces manipulations. Peu après la Kâlî-pûjâ décrite ci-dessus, Mataji partit en voyage dans l’Uttar Pradesh, aux environs de Mirzapur. Avec Bholanath, elle poursuivit le voyage jusqu’au Rajasthan. Bhaiji demeurât à Mirzapur. Il les accompagna à la gare. Mataji lui dit : « En retournant, va chercher une guirlande d’hibiscus dans la colline de Chunar (un village voisin) et emporte-la avec toi ». Chunar est située dans une région aride où ne poussent que des buissons d’épineux. Il n’y avait pas la moindre hibiscus à des kilomètres à la ronde. En revenant de la gare, Bhaiji, sans grande conviction, regardait s’il apercevait une guirlande de fleurs. Il finit tout de même par découvrir assez facilement une tâche rouge qui se voyait de loin dans ce décor uniforme : c’était une guirlande de fleurs fraîches et resplendissantes. Bhaiji écrivit aux fidèles de Dacca pour savoir s’il y avait eu ce jour là quelquechose d’inhabituel. Par retour du courrier, il apprit que Kamalakanta avait précisément oublié de décorer la statue de Kâlî de sa guirlande et que tout le monde se sentait fautif. Bhaiji comprit alors le sens de cet incident. Le kheyâla de Mataji avait été respecté malgré l’omission de Kamalakanta.

En 1929, les fidèles de Dacca construisirent un Ashram pour Mataji près des terrains de polo de Ramma. Nous en parlerons plus loin dans le détail. Mataji suggéra d’y installer la statue de Kâlî dans un petit temple. Quelques mois après la cérémonie d’installation, Mataji se trouvait à Cox’s Bazar, une ville du littoral dans les district de Chittagong. Le jour de la nouvelle lune, alors qu’elle revenait de la maison d’un fidèle en suivant la plage, elle se mit tout à coup à tordre l’un de ses bras avec l’autre. Sa bouche souriait, mais ses yeux étaient pleins de larmes. Elle ne dormit pas de la nuit et de temps en temps, elle tordait son bras. Didi, au désespoir, ne savait que faire. Le lendemain, Mataji avait encore des larmes dans les yeux mais semblait par ailleurs parfaitement normale. Quelques jours plus tard, arriva une lettre de Bhaiji qui annonçait une nouvelle surprenante : la nuit de la nouvelle lune, des voleurs s’étaient introduits dans la chapelle de Kâlî et avaient dérobé les ornements en or de la déesse. Au cours de l’opération, ils avaient abîmé un bras. Cela posait un problème car une statue endommagée ne peut être adorée et doit être immergée. Mataji demanda à Bhaiji de consulter des pandits de Bénarès pour savoir ce que disaient les Ecritures à ce sujet. L’un d’eux envoya cette réponse : « Cette statue a été conservée pour l’adoration quotidienne alors qu’à l’origine, elle ne devait servir qu’à la pûjâ annuelle (namittika pûjâ). Cette disposition ayant été prise par une grande personnalité spirituelle (mahâpurusha), on peut laisser de côté la coutume et faire ce que décidera le Mahâpurusha ». On prit donc l’avis de Mataji. Elle dit : « Qu’on répare le bras cassé. Un tel accident chez un être humain ne serait pas mortel. Quand un être de chair a un accident, on ne s’en débarrasse pas pour autant ! Alors pourquoi jetterions-nous la statue ? Cela serait différent si elle avait été gravement endommagée ».

Quand Mataji fut de retour, on répara la statue qui réintégra sa place habituelle. On entreprit la construction d’un temple plus important autour de celui de Kâlî pour accueillir les statues d’Annapurna, de Shiva et de Vishnou. Elles furent placées sur le toit du sanctuaire originel car le nouveau temple était en surélévation et le sanctuaire de Kâlî apparaissait maintenant comme une crypte souterraine dont le toit formait une plate-forme dans le nouveau temple. Mataji établit de nouvelles règles pour l’adoration de Kâlî. La porte donnant accès au sanctuaire devrait rester fermée. On ne l’ouvrirait qu’une fois dans l’année pour y célébrer une pûjâ. Le jour suivant, l’accès serait libre pour les fidèles de toute caste, croyance et religion. Le soir, après l’abisheka (1) et l’adoration, on refermerait la porte pour un an. On prit une photo de la statue et on l’accrocha au-dessus de la porte d’entrée ; c’est elle qu’on décora chaque jour d’une guirlande d’hibiscus rouges, tâche confiée désormais à Jogeshdada.

Il faut dire ici quelques mots au sujet de Jogeshdada. Célibataire, Sri Jogesh Rai travaillait à Dacca avant de venir à l’ashram. La musique, plus que les activités religieuses, l’attira à Shabagh. Un jour, au cours d’un kirtana, Mataji le touche alors qu’elle était en état de bhâva. Sri Jogesh Rai était un homme calme qui ne cherchait pas à sortir du rang des fidèles. A cette époque, Mataji ne parlait pas aux visiteurs ; mais cela ne l’empêcha pas d’indiquer son kheyâla à Jogeshdada par l’intermédiaire de Bholanath. Il lui fut demandé de se mettre en disposition pour un an et de quitter Dacca pour un lointain pèlerinage, là où personne ne le connaissait. Pendant un an, il devait rester incognito. Seule sa mère pouvait être mise au courant. Sa famille et ses amis furent très étonnés d’apprendre son départ soudain et inexplicable.

Sans argent, il dut mendier sa nourriture. Il ne savait pas comment s’y prendre. Il se postait près d’une maison et répétait les noms du Seigneur. Mais personne pratiquement ne lui prêtait attention. Il ne ressemblait ni à un mendiant, ni à un sâdhu, ce qui était un handicap. Il raconta que cela devint plus facile quand sa barbe fût poussée, ses cheveux feutré et ses vêtements en guenilles. Au cours de cette année de pèlerinage, il rencontra fortuitement Mataji dans une rue de Hardwar. Aucune personne du groupe ne le reconnut : il ressemblait à n’importe quel sâdhu, si nombreux dans la région. Il n’était pas sûr que Mataji l’ait reconnu. Le groupe passa devant lui mais avant de disparaître au tournant de la rue, Mataji s’arrêta et le regarda. Il sut à son expression qu’elle l’avait reconnu. Au bout d’un an, il revint à Dacca. Mataji lui demanda de reprendre son travail en disant : « Cela suffit pour le moment ». De temps à autre, elle lui confiait diverses tâches. A partir de 1931, il devint résident de Ramma Ashram.

Le darshan annuel de Kâlî, tel que Mataji l’avait fixé, se termina en 1938. Cette année là, Bholanath mourut, laissant des coeurs pleins de chagrin. Didi et son père vinrent à Dacca pour assister à la pûjâ qui marquait l’anniversaire de Mataji. Mataji était alors à Dehra Dun. Au jour indiqué, on ouvrit la porte du sanctuaire de Kâlî. Les fidèles s’aperçurent avec tristesse que l’un des bras de la statue s’était détaché. On se souvient que cela s’était déjà produit et que, sous les directives de Mataji, le bras avait été réparé. On lui télégraphia et elle répondit : « Cette forme de Kâlî peut maintenant disparaître. Inutile de célébrer la pûjâ avec cette statue endommagée ». Mataji avait déjà informé Didi qu’en pareil cas, il faudrait murer le sanctuaire. Didi étant présente (par une étrange coïncidence), elle put donner les directives nécessaires et le petit sanctuaire fut complètement muré.

La déesse Kâlî était demeurée parmi les fidèles de Dacca pendant près de douze ans. Certains se demandèrent si le fait que cette disparition suivait celle de Bholanath n’était qu’une pure coïncidence (1).

(1) Au cours de la récente guerre entre l’Inde et le Pakistan, l’ashram fut entièrement détruit. La bhairavi (femme ascète) qui en avait la garde fut miraculeusement sauvée.