Chapitre XI

Arrivée à Bénarès


Quand le professeur et moi arrivons à Bénarès, la nuit est déjà tombée. Il fait assez froid et je Suis surpris par ce premier froid ressenti en Inde, La plaine de l’Inde est plus fraîche en hiver que le Bengale mais la température ne tombe jamais à zéro. Nous descendons à la gare de « Bénarès-Cantonnement » qui est à plusieurs kilomètres du centre de la ville. Les grands hôtels sont tout proches de cette gare. En descendant du train, spectacle habituel : porteurs bourdonnants, offreurs de services. taxis, rikshaws.
Les hindous, emmitouflés dans d’interminables couvertures me font penser à des spectres. Le premier contact avec Bénarès me paraît un peu sinistre.
Nos porteurs nous conduisent au Clark Hotel — le meilleur de la ville- aux chambres confortables et agréables, en contrastes avec l’inconfort relatif des quelques jours passés dans les trains.
Ce matin, première visite de la ville. Mon impression désagréable de la veille s’efface complètement. Le quartier du « cantonnement » n’est pas véritablement Bénarès. La ville même se trouve loin de là. Un taxi m'emmène en plein centre. Me voici enfin dans cette ville sacrée entre toutes. Bénarès n'est-elle pas le centre spirituel du monde ? Il me semble qu'après un long voyage. je suis enfin revenu chez moi. « At home » comme disent les anglais. Nulle part ailleurs en Inde je n’ai ressenti cette impression. Bien que je projette de rester que quelques jours à Bénarès, j'ai l'impression d’être arrivé à destination. J'aimerai ne jamais quitter cette ville. C’est là que je voudrais vivre et mourir. Pourtant, nous sommes le 2 février 1951 et j'ai réservé une couchette sur « la Marseillaise » qui part de Colombo le 21 février,
Prémonitions ? Souvenirs de vie antérieure ? Est-ce mon destin de vivre dans cette ville ou bien un pouvoir Divin veut me retenir ici ?
Le froid, psychologue, dissèquera les méandres de mon esprit et trouvera une explication bien plus simple. TI dira, sans doute que le froid de Bénarès après la chaleur tropicale de Ceylan et du Sud de l'Inde, le confort de l'hôtel Clark, les ruelles de Bénarès rappelant celles où j’ai passé mon enfance : toutes ces perceptions greffées sur une phase euphorique de mon esprit me donneraient l'impression du « at home » du pays natal. Peut-être aurait-il raison. Que sais-je
Ces quelques jours prévus à Bénarès se transformeront en huit années. « La Marseillaise partira sans moi, Je suis toujours en Inde. Dans la soirée du deux février, un évènement bouleversera ma vie. Qu'est-ce don ? La rencontre d’un gourou ? Non. la rencontre du Gourou.
Peu de gens mème en Inde savent ce qu'est un véritable Gourou. Le Gourou n'est pas seulement un maître et un guide, ni simplement un ami ou un être cher. Sa tendresse est plus profonde que celle d’une mère. L'amour paternel n’est qu’un faible reflet de son affection. Le lien entre le gourou et le disciple ne peut être égal à rien d'autre car il contient toutes les gammes de l'affection qu’un être humain peut ressentir, toutes les nuances de ce que l’on peut aimer, adorer, respecter, Les liens du monde tendent à en créer de nouveaux et les attaches de la chair finissent toujours par des déceptions et des tristesses. L'amour du Gourou est comme un miroir parfait qui reflète notre propre « moi » supérieur. Son contact purifie l'esprit, le rend clair et heureux et nous mène finalement à découvrir la source éternelle d’amour et de bonheur qui est en nous-mêmes,
Ce que j'ai écrit dans ce livre n’est qu’un pâle avant propos car la vie que je mènerai après la rencontre du Gourou est riche en splendeur et en miraculeux. Mais pour des raisons que je ne peux pas dévoiler, je ne mentionnerai même pas le nom de ce « Grand Etre » auquel] je dois plus que la vie.
Peut-être un jour, si Dieu m'en donne la force et s’il me prête vie, écrirai-je un témoignage de vénération et de reconnaissance à l’Etre qui m'a éveillé à une vie nouvelle.