Chapitre V

HARI-BABA


Je connais HARI-BABA depuis plus de quinze ans et l’ai rencontré maintes et maintes fois.
Pourtant, je ne lui ai jamais adressé la parole. I! ne l’a pas fait non plus.
HARI-BABA est un des MAHATMAS!' qui se trouve souvent en compagnie de mon gourou.
Bien que je sois resté assis de longues heures en face de lui, jamais un contact vivant ne s’est établi.
Pourtant HARI-BABA est SIDHA-PURUSHA. Un sage qui a eu la vision de la vérité. Il est aussi un saint, un BHAKTA dont la route a été et continue d’être celle de la dévotion. Il aurait été étudiant en médecine, mais avant de finir ses études, l’ardeur religieuse le saisit tout entier et il renonça au monde. Sa soif du divin était tellement intense qu’il se roulait parfois sur le sol en criant : HARI ! HARI ! (Un nom de Vishnou). C’est de là semble-t-il que vient son surnom de HARI-BABA.
Ses disciples croient qu’il est une incarnation de CHAITANAYA MAHAPRABHU, le célèbre saint du Bengale qui a réformé le vishnouisme et qui a vécu vers le 16° siècle. HARI-BABA est d’ailleurs né comme le grand réformateur le jour de la pleine lune de HOLI ( vers le milieu de mars).
HARI-BABA est un punjabi. Il est bâti solidement comme ceux de sa race. Il est vêtu très simplement d’une robe couleur de flamme, la couleur des SANVASSIS. Car il est SANNYASI. Son gourou était un célèbre sage de BRINDAVAN nommé URIA-BABA qui a quitté ce monde peu avant mon arrivée en Inde.
Une longue barbe blanche encadre un visage sérieux et pensif. Il sourit rarement. Quand il rit, c’est presque à regret. Y a-t-il de quoi se réjouir en ce monde ? Pourtant je ne lui ai jamais vu de visage triste. Une expression de sérénité et de douceur filtre à travers un masque superficiel, presque sévère, comme une lumière qu’on voudrait cacher derrière un rideau. Son regard semble constamment tourné vers l’intérieur, comme s’il vivait dans une sphère qui échappe au commun des mortels.
Quand il est assis dans des réunions religieuses, il regarde rarement le public. Sa tête est baissée et son esprit semble reposer sur des vérités profondes. A la fin, il se lève et retourne dans sa chambre à pas rapides avec le même regard baissé sans regarder à droite ni à gauche, donnant l’impression qu’il aurait hâte d'échapper à la foule. Pourtant il n'est pas un sage qui néglige le monde car quand cela est nécessaire, il fait travailler ses disciples pour le bien des mondains et met parfois, lui-même, la main à la patte. Il est célèbre au Punjabi pour avoir fait construire au village de BANDH un barrage destiné à protéger les habitants des inondations.
On raconte aussi qu’un jour, dans une période de sécheresse anormale, ses admirateurs laïques le supplièrent de prier pour la pluie. HARI-BABA se laissa attendrir. Il rassembla ses disciples et fit un KIRTAN (chant religieux) et la pluie vint.
Son enseignement, ses méthodes sont pleinement en accord avec la vieille tradition hindoue orthodoxe, spécialement sous un aspect de dévotion. Il n’a pas de disciples occidentaux, ni même d'admirateurs non hindous car c'est un domaine entièrement fermé aux gens d'occident. HARI-BABA s’intéresse avant tout à l’hindou des couches populaires et non à l’intellectuel. Ses disciples sont pour la plupart des gens rudes et frustres. Aussi. les méthodes enseignées sont en accord avec ceux qui les reçoivent. Ce qui ne les empêche pas d’être excellentes et efficaces.


MAHATMA : littéralement « grande âme ». Terme honorifique pour désigner un SADHU.


Car l’homme frustre est souvent plus capable d’appréhenderl’expérience spirituelle que l’intellectuel ou le savant dont l’esprit est encombré par un bagage trop lourd pour passer la porte étroite de la vraie connaissance. Le grand YOGI de Nazareth n’a-t-il pas dit : « Heureux les simples d'esprit etc… »
Même s’il semble planer des sphères éthérées, Hari Baba est un sage réaliste. Il veut avant tout attirer le cœur de ses auditeurs vers Dieu. En plus des méthodes classiques des écoles de BHAKTI, il emploie des méthodes simples et directes qui frappent l’esprit. Dans les réunions religieuses où HARI BABA est présent, il y aura toujours au moins deux éléments spectaculaires : la RAS-LILA et le KIRTAN.
La RAS-LILA est une représentation théâtrale religieuse mettant en scène les aventures de KRISHNA décrites dans la BAGHAVAT GHITA. Une troupe de jeunes garçons spécialement entraînés à BRINDAVAN donnent la représentation. Les garçons sont vêtus de costumes luxuriants, fardés et souriants. Il n’y a pas de femmes dans la troupe, ce sont donc les garçons qui tiennent les rôles féminins.
Ces représentations attirent toujours des foules comprenant surtout les gens du peuple. Les hindous (comme les occidentaux) sont très friands de spectacle et de cinéma. En dirigeant cette passion vers les choses divines, HARI-BABA opère un « transfert affectif ».
Le KIRTAN est un chant religieux en groupe accompagné d'instruments. Celui de HARI
BABA est tout à fait remarquable et mérite une mention spéciale.
Ceux qui ont l’habitude des KIRTAN s’attendent à y trouver une atmosphère de douceur, de tendresse et toute la gamme des émotions de ceux qui ont choisi de chercher le Divin par la route de l’Amour. Rien de tout cela dans les KIRTAN d’HARI-BABA. Les chants religieux qu’il entonne lui-même en compagnie d’un groupe de disciples dégagent une formidable puissance. Ce ne sont pas une série de chants choisis au hasard selon l’inclination du ou des chanteurs comme cela se fait d'habitude, mais une suite de mantras récités ou chantés avec une gradation progressive et l’intonation voulue.
Ces KIRTAN rappellent les rites magiques des temps védiques où l’on invoquait les pouvoirs divins, Ils devaient venir de gré ou de force ! HARI-BABA et ses disciples récitent ces chants à des heures fixes : le matin à l’aube et le soir vers le coucher du soleil. Cela fait partie du programme journalier obligatoire des disciples et constitue un élément important de leur SADHANA.
Quand le KIRTAN va commencer, HARI-BABA est debout au centre du cercle dont ses disciples forment la circonférence. Ils récitent ensemble quelques mantras, si fort qu’ils font vibrer les murs de la salle. Les bras levés vers le ciel, ils semblent appeler avec toute leur énergie le Pouvoir Divin vers la terre. Puis les chants commencent. D'abord « mezzo vocco » puis le son devient de plus en plus fort et semble vouloir dépasser les limites de la puissance humaine. HARI-BABA est toujours debout au centre. Un disciple lui a passé un gong en laiton et un marteau. HARI-BABA commence à frapper en cadence sur son gong de plus en plus fort. Il utilise d’abord ses mains. ses bras. puis tous les muscles du corps participent à l’effort. Tout en martelant le gong, il danse. Il tourne en cercle. la tête baissée sur le côté comme si le centre de gravité de son corps était déplacé et l’entraînait dans le mouvement. Ses yeux sont fermés. Il semble avoir perdu conscience du monde extérieur.
Les disciples autour de lui dansent en cercle et chantent en chœur avec leur maître sur le même ton de voix en utilisant l'extrême limite du pouvoir des cordes vocales. Leur danse évoque plutôt une danse martiale que celle d’un exercice chorégraphique. Comme leur maître. ils utilisent leurs muscles au maximum de leur capacité. Ils s'accompagnent d’instruments. Presque uniquement des tambours, des gongs et des cymbales.
L'ensemble produit un bruit formidable qui conserve néanmoins une harmonie. Quand le KIRTAN est chanté dans une salle, tout vibre : les murs, les lampes, les meubles. La première fois qu’on l’entend, on a envie de s’enfuir. Les vibrations se transmettent du tympan à la tête, à la cage thoracique jusque dans les pieds. Il semble que la coquille du Corps va se briser. Si l’on résiste à ce premier choc, on s’aperçoit que dans cette puissance, il y a un grand calme. Comme celui d’une majestueuse montagne ou du formidable roulement du tonnerre. ; Les autres méthodes préconisées par HARI-BABA font partie de l’enseignement classique des écoles de BHAKTI : le HARI KATHA (conférences religieuses), le JAPAM ( répétition d’un nom divin), le BHAGAVAT SMARAN (penser constamment à Dieu), la lecture de textes religieux, surtout les PURANAS (BHAGAVAT GITA, BHAGAVAT PURANA ect…)
Toutes ces méthodes sont excellentes et partent du même principe : tenter une dérivation de l’affectivité vers les choses divines. ; Ces méthodes sont spécifiquement hindoues car elles s’appuient sur des traditions millénaires et s'adressent à des individus qui sont nés et ont été élevés dans cette atmosphère spéciale de l’hindouisme orthodoxe.
L’occidental moyen croit qu’on peut changer de religion, se convertir. Mais en Inde où la religion est encore une chose vitale, on sourit quand on entend parler de conversion à l’hindouisme. On est en effet convaincu que la religion fait partie intégrante de l’individu, comme sa race et la caste dans laquelle il est né.
Néanmoins, le « sentiment religieux », la « ferveur religieuse », l’ « amour du divin » sont des archétypes communs à toutes les races humaines. Ce ne sont en fait que les détails du rituel, c'est-à-dire les noms et les formes qui créent les barrières, le rideau de fer. Néanmoins ceux-ci sont utiles pour la majorité des humains car pour appréhender l’Infini, il faut passer par un chemin où les noms et les formes servent de jalons.
Souvent, en me promenant dans les rues de Bénarès, de HARDWAR ou de BRINDAVAN ,en assistant à un KIRTAN, un DURGA PUJA ( fête de DURGA) ou à une SHIVA-RATRI (nuit de SHIVA, fête importante), j'ai senti, de façon presque palpable, cette intense ferveur religieuse. Je comprends aussi à quel point il serait absurde de vouloir m’intégrer ou de participer, ne serait-ce que mentalement aux détails d’un rituel. Pourtant, combien de fois j'aurai aimé tendre la main à mes frères derrière le rideau de fer…