Chapitre IX
DAKSHINESHWAR
Calcutta a beaucoup de trésors à livrer au touriste qui lui rend visite. Mais je ne suis pas venu en touriste. Après une rapide visite au musée ASHUTOSH et au temple KALIGHAT- un des rares temples où l’on fait encore des sacrifices d’animaux- le célèbre temple de DAKSHINESHWAR a attiré mon attention.
DAKSHINESHWAR est un petit village situé sur le bord du Gange dans la grande banlieue de Calcutta. Vers le milieu du siècle dernier, une grande dame bengalie RANI RASMANI y fit construire un temple dédié à KALI pour laquelle elle avait une profonde dévotion. Même si elle avait le prestige et le train de vie d’une reine (RANI signifie reine), RANI RASMANI était née dans la caste des SUDRA, la plus basse des quatre classes sociales hindoues. Les préjugés de caste étaient profondément enracinés à cette époque au Bengale et il lui fut difficile de rencontrer un prêtre — qui devait obligatoirement appartenir à la caste des Brahmines- acceptant de faire le service religieux, le PUJA journalier de l’idole.
Le premier prêtre qui consentit à s'occuper du temple fut le brahmine RAMKUPAR BHATTACHARYA qui plus tard confia le service de l’idole à son jeune frère GADADHAR qui devint bientôt le célèbre RAMAKRISHNA PARAMAHAMSA, un des plus grands sages de l’Inde moderne.
RAMAKRISHNA appartenait à une famille vishnouite. Néanmoins, l’idole de KALI (adorée par les SHAKTAS) le fascinait. Cette image de pierre devint bientôt pour lui une chose vivante. À la fois une réalité tangible et le symbole de la Divine mère omniprésente, animant tout ce qui existe.
Son intense dévotion a donné à l’idole une PRANA-PRATISHA, une véritable insufflation de vie dont l'influence peut être encore ressentie de nos jours. Ceux qui ont lu «la vie de RAMAKRISHNA » savent combien le temple de KALI est inhérent à la vie de ce grand sage à stature exceptionnelle. RAMAKRISHNA, ses disciples et son enseignement représentaient beaucoup pour moi. J'avais lu de nombreux livres à leur sujet et j'avais maintenu des contacts avec la mission RAMAKRISHNA de Paris. Le temple de DAKKSHINESHWAR, la rayonnante image de KALI, le PANCHAVATT, la chambre du maître, le Gange sacré qui coule là tout proche comme un éternel témoin ; tout cela est devenu dans mon esprit une série de représentations familières autour desquelles mon imagination a brodé et fabriqué tout un monde de sainteté, de mystère et de miraculeux.
Voici que ce monde m'’apparaît dans sa réalité tangible. Ramakrishna n’est plus, ni même ses disciples directs. De plus, le temple n'appartient pas à la mission Ramakrishna qui a établi son quartier général en face. sur l’autre rive du Gange, à BELUR. Néanmoins, le temple est toujours là avec son autel. L'image de KALI est sans doute parée de la même façon qu’elle l’était à l’époque où le jeune prêtre Ramakrishna faisait ses PUJA avec une dévotion passionnée. Depuis cette époque, le PUJA a été fait journellement, probablement sans interruption.
Les visiteurs affluent de tous les coins de l’Inde et souvent aussi d'Europe et d'Amérique. La chambre du maître qu’on montre aux visiteurs semble être ce qu’elle était le jour où le maître l’a quittée. Son lit en bois, son traversin, sa petite table…
Seul peut-être le PANCHAVATI a changé. II fut construit selon les instructions des écritures : une plate forme cimentée centrale entourée de cinq arbres sacrés : l’'ASHWATA (ou PIPAL) semblable à son illustre frère qui a vu la grande illumination du Bouddha à Buddha-Gaya, le BEL qui est un arbre sacré à SHIVA, l’'AMALAKI dont le fruit est le célèbre myrobolan aux propriétés médicinales miraculeuses, le BAT (ou BANYAN) qui se multiplie par des racines aériennes et qui atteint vite une taille gigantesque en hauteur et en surface : enfin l’ASHOKA. Ces cinq arbres sont toujours là mais leur accroissement gigantesque, l’enchevêtrement de leurs branches, font du PANCHAVATI une portion de forêt vierge.
C’était là que le maître venait souvent méditer. Il y envoyait ses disciples après leur avoir donné des instructions spirituelles précises.
La porte du temple de KALI n’est ouverte aux visiteurs que deux fois par jour, le matin et le soir, à l’heure des PUJAS pendant une courte période. Il semble bien que la Divine Mère me souhaite la bienvenue car j'arrive sans l’avoir prémédité au moment où le service est commencé et les portes sont largement ouvertes.
Pourquoi une intense émotion me serre-t-elle à la gorge ? J'ai du mal à réprimer mes larmes. Devant mon esprit, passent comme un panorama foutes les aspirations spirituelles et religieuses qui m’ont amenées dans ce pays. De mon cœur jaillit une prière : « Mon voyage en Inde semble avoir été vain, puisse-t-il ne pas l’être complètement ». KALI écoute-t-elle les prières comme au temps de RAMAKRISHNA ? L'image a-t-elle conservé la vie que lui avait insufflé son illustre adorateur ? Ou bien tout simplement, une prière sincère est-elle exaucée partout ? « À n’importe quel endroit où tu évoqueras Mon Nom, je viendrai vers toi et je te bénirai ». Toujours est-il que trois jours plus tard, mon vœu se réalisera mille fois plus que je n’aurai osé l’espérer. Ce sera à Bénarès sur les bords du Gange. Mais ceci ne sera pas raconté dans ce livre: