Chapitre III
Brindavan
Brindavan. 10 janvier 1966
Lieu sacré entre tous pour les adorateurs de KRISHNA.
BRINDAVAN est une toute petite ville qui est loin d’avoir la prestigieuse allure de Bénarès. Pourtant, chacune des nombreuses visites que j'ai rendues à ce lieu saint m’a laissé, comme un parfum qu’on emporte dans ses vêtements, quelque chose de cette atmosphère de douceur et de tendresse si caractéristique de BRINDAVAN.
Pour l’hindou, ce nom est auréolé d’un prestigieux romantisme. Même la poussière de BRINDAVAN est sacrée, à l’égal de l’eau du Gange. Elle a été foulée par le Dieu qui est venu jouer avec les hommes un jeu dont l’amour Divin était l’objet.
KRISHNA est né il y a plus de cinq mille ans, à une dizaine de kilomètres de BRINDAVAN. À cette époque, le royaume de MATHURA était un puissant état gouverné par un cruel tyran usurpateur du nom de KAMSA.
Pour des raisons politiques, il avait donné sa sœur DEVAKI en mariage à VASUDEVA, un prince de la famille royale légitime. Après le mariage, un sage avait prophétisé que de cette union naîtrait un fils qui tuerait son oncle KAMSA. Tremblant pour sa vie, KAMSA fit mettre sa sœur en prison et donna l’ordre de tuer tous les fils qui naîtraient d’elle. Une main impitoyable exécuta tous les fils de DEVAKI. Quand un bébé mâle d’une exceptionnelle beauté, KRISHNA, naquit, son père VASUDEVA réussit une habile substitution et emporta ce fils nouveau né dans un panier en osier au village voisin de BRINDAVAN. La substitution fut faite avec une fille qui venait de naître chez un couple de bergers de BRINDAVA N, NANDA et YASHODA. Ceux-ci acceptèrent KRISHNA comme leur fils.
KRISHNA passa toute son enfance et une partie de sa jeunesse à BRINDAVAN. Ses miracles, ses aventures, son amour rayonnant sont racontés dans les PURANAS, principalement dans la BHAGAVAT PURANA et dans le MAHABHARATA, remplissant des milliers de pages.
Les Vishnouistes croient qu'il est toujours présent à BRINDAVAN en forme subtile, poursuivant son jeu mystérieux avec ses amis les bergers et les bergères.
La première fois que je vins à BRINDAVAN vers 1951, j'étais plein d’un enthousiasme qu’on ne trouve que chez les néophytes. Mon imagination colorait et interprétait tout ce que je voyais à la lumière des légendes dorées que j'avais lues et entendues.
Aujourd'hui, l’âge a refroidi mes envolées romantiques et l’expérience m'a appris qu’il y a plus de joie à évaluer les choses telles qu’elles sont dans leur réalité empirique que de les enrober d’un rêve puisé dans l'imagination qui tôt ou tard s’évanouira comme une bulle de savon.
Aujourd'hui, la sainte poussière de BRINDAVAN foulée par les pieds de KRISHNA me laisse indifférent à condition que le vent ne la transforme pas en nuage suffocant. Les Jardins de BRINDAVAN, les rives de la YAMUNA, les paons faisant la roue, les enfants au beau visage rêveur et qui font rêver à GOPAL ( KRISHNA enfant), les dévots au regard langoureux, tout cela a son charme, mais un charme exotique seulement. On ne peut pas adopter la mythologie d’une religion dans laquelle on n’est pas né, dans laquelle on n’a pas été élevé et imprégné jusqu’à la moelle. Une semblable tentative est une erreur et sera vouée à un échec, finira tôt ou tard dans une faillite religieuse.
La personnalité de KRISHNA, surtout telle qu’elle se révèle dans la BHAGAVAT GITA est fascinante, même pour un occidental. Les enseignements qu’il y donne dépassent les cadres de la race et de la religion. Néanmoins, il faut savoir les comprendre, les digérer et les transformer en notre propre substance, Cette année, je suis venu à BRINDAVAN, ni en pèlerin, ni même en visiteur mais simplement pour y passer les trois mois d’hiver entre deux séjours himalayens.
L’ashram où je suis logé est un endroit magnifique. C’est un vaste jardin couvert d’une verdure touffue d’où émergent quelques arbres géants de la plaine : des margousiers, des TAMARINS. Des fleurs sont plantées un peu partout car pour l’hindou orthodoxe, les offrandes de fleurs et de guirlandes sont une partie importante et indispensable des PUJAS (services religieux) journaliers. Le jardin est parsemé de nombreuses constructions : des petites maisonnettes perdues dans la verdure et destinées aux SADHUS (je loge dans l’une d’elles), des constructions plus importantes : un bâtiment pour les visiteurs, le SATSANGHA MANDAP (salle destinée aux réunions religieuses), plusieurs temples dédiés respectivement à CHAÏTANYA, RADHA-KRISHNA, RAMA et même à SHIVA, les cuisines etc…
Ma maisonnette est la dernière, à l’extrême Sud du jardin et proche du mur de clôture. Sans doute l’endroit le plus tranquille de cet ashram déjà paisible.
Bien qu’étant situé à moins de cinq cent mètres d’une ville bourdonnante, assis sur ma véranda, j'ai l’impression d’être en pleine nature sauvage. En face de moi, une végétation touffue où vit en liberté une faune relativement inoffensive à part les rarissimes cobras et quelques scorpions, De temps en temps, vers le coucher du soleil, un lièvre trottine et bondit devant moi. Des paons en liberté vivent dans ce jardin avec la familiarité des animaux de basse-cour. De temps en temps, la femelle passe calmement sur le sentier du jardin, suivie par sa progéniture. Son plumage est plutôt terme, mais le mâle est splendide. De grands yeux en amande, un houppe coquette surmontant son petit crâne. Les coloris de son plumage sont d’un goût exquis. Quand il fait la roue (mais tout le monde sait cela) son ramage ne ressemble pas à son plumage et son cri sans harmonie offenserait le tympan d’une oreille même peu musicale.
Il semble respecter les règles de l’étiquette car le soir, quand je suis assis sur la véranda pour le SANDHYA ( méditation du soir), s’il lui arrive de passer sur le petit chemin en face de ma maison, il grimpe avec élégance les quatre ou cinq escaliers qui mènent à la véranda, s’arrête un moment devant moi et fait un charmant mouvement de tête. Puis il s’en va, calmement, majestueusement.
Le paon est un animal sacré à BRINDAVAN. KRISHNA est souvent représenté avec une plume de paon dans les cheveux.
Il y a aussi des troubles fête. De nombreux singes font toutes sortes de coups pendables. Un jour où je préparais du thé, j'avais laissé ma porte entrouverte : l’un d'eux entra et passa en flèche devant moi avec la bravoure d'un lancier de la brigade légère, se saisit d’un paquet de bananes que j'avais posé sur une étagère et ressortit au même pas de charge avant que je n’ai eu le temps de réagir.
Ce sont des chimpanzés. Il y a aussi des MAKI, mais ces deriers ne viennent que rarement près des agglomérations humaines. Les chimpanzés vivent en société avec un chef un vigoureux mâle, le plus courageux de tous. Parfois ils attaquent l’homme et leurs morsures sont assez sérieuses. La vue d’un bâton ou simplement une attitude résolue fait fuir les plus braves d’entre eux.
Les fenêtres de toutes les maisons sont garnies de barreaux serrés afin d'empêcher les singes d'entrer. mais ils peuvent passer leurs mains entre les barreaux et raflent tout ce qui est laissé à leur portée. Si ces barreaux sont trop étroits pour laisser passer les singes, ils ne le sont pas pour les écureuils et les moineaux. Ils sont devenus mes compagnons journaliers.
Compagnons charmants mais un peu malpropres car il faut balayer leurs crottes tous les jours. Les écureuils ressemblent à ceux de France mais sont plus petits et possèdent un signe particulier : trois raies blanches longitudinales le long de leur dos, ce qui les distingue de leurs cousins de France. L'origine de cette particularité est racontée dans une légende du RAMAYANA :
Afin de pouvoir attaquer son ennemi RAVANA et débarquer à LANKA (Ceylan) RAMA fit construire un immense pont qui devait relier la côte de l'Inde de RAMESHWARAM à celle de l’île. Non seulement l’innombrable armée de RAMA, singes, ours et autres animaux se mit vaillamment à l’ouvrage, mais aussi d’autres animaux, petits et grands apportèrent leur collaboration enthousiaste à cet ouvrage car RAMA est le bien aimé des hommes, de Dieu et des animaux.
Les écureuils se trouvaient parmi ces travailleurs enthousiastes. Leur travail était très simple : ils se roulaient dans la poussière puis venaient se secouer afin que la poussière remplisse les interstices entre les pierres du pont. Mais HANUMAN, le grand héros et adorateur de RAMA n'appréciait guère ce travail qu’il jugeait négligeable. Il traita un peu durement un de ces écureuils. Ce dernier vint se plaindre à RAMA et demanda que HANUMAN soit puni. Le Dieu incarné ne pouvant que faire justice à la cause de son humble dévot l’écureuil, ordonna que HANUMAN soit puni. Pour consoler l’écureuil, il caressa son dos de ses trois doigts. Le contact sacré de l'AVATARA de Vishnou laissa les lignes blanches sur le dos du rongeur. Il les transmit comme un titre de noblesse à tous ses descendants.
L'Inde, dans les villages et dans les petites villes a conservé ce contact intime avec la nature qui était une des caractéristiques des sociétés primitives traditionnelles. Les dieux, les hommes et les animaux ne sont pas séparés par des cloisons étanches. Un des aspects de cette attitude est le culte des animaux sacrés qui a été si souvent mal interprété en Occident. Tout le monde sait que la vache est sacrée en Inde. mais elle l’est tout à fait spécialement à BRINDAVAN. De vastes constructions appelées GOSHALA ont été spécialement aménagées pour recevoir de nombreuses vaches et les traiter avec tous les égards dus à leur rang. Il existe plusieurs organisations, non seulement à BRINDAVAN, mais aussi dans d'autres villes d'Inde dont l'activité est entièrement consacrées à la protection de la vache ( GORAKSHA).
Des SADHUS et des laïques font une propagande active dans cette intention. En Inde, on peut encore soulever des passions au nom de la vache et un programme électoral dont le but principal est d'éviter la mort aux vaches ne choque pas. Tuer une vache est un crime horrible égale à celui du matricide. La sauver est un acte hautement méritoire. Un hindou, même s’il est incroyant et carnivore ne mangera pas de la viande de vache ni même de bœuf à moins que ce ne soit dans des circonstances tout à fait exceptionnelles.
[] s’agit surtout de protéger ces ruminants sacrés de la main des musulmans. Car pour ceux-ci la vache entre dans la catégorie des animaux « purs », c'est-à-dire comestibles,
À ce sujet j'ai entendu raconter une histoire que J'ai toutes les raisons de croire authentique : Le héros est un « bon » SADHU qui consacre son activité à la propagande pour la protection des vaches. un homme connu et respectable. Un jour, 11 rencontre sur sa route un musulman conduisant quelques vieilles vaches à l’abattoir. Comme on peut l’imaginer. le cœur de notre SADHU se met à saigner abondamment pour ces « mères » en détresse : « laisser assassiner des vaches sans réagir ! Quel crime ! Que faire ! Que faire ! Mon Dieu. une idée ! ». Notre SADHU se précipite vers le poste de police le plus proche et accuse froidement le musulman de lui avoir volé ses vaches et de s'enfuir avec le produit de son larcin.
Comment ne pas croire la parole d’un SADHU censé éviter le mensonge même le plus léger et témoigner de l'amour à tous les êtres. fussent-ils musulmans ?
Notre musulman se retrouve en prison et les vaches en liberté.
De semblables histoires nous laissent rêveurs. Quand on demande aux hindous la raison de cette vénération pour les vaches, ils répondent le plus souvent : « parce que c’est écrit dans les livres sacrés, parce que les sages l’ont affirmé etc…
Cette croyance qui paraît si étrange à un esprit occidental semble évidente et naturelle pour n'importe quel hindou moyen. Pourtant elle n’est guère mentionnée dans les VEDAS ni dans les UPANISHADS. Il semble que ce soit plutôt une croyance populaire très ancienne car on en trouve des traces dans les écrits aussi antiques que le RAMAYANA de VALMIKI. Ce poème mentionne une des ruses de guerre employée par un général de RAVANA lancé contre les armées redoutables de RAMA. Il avança entouré de troupeaux de vaches. L'armée de RAMA était paralysée car personne n’osait tirer une flèche de crainte de tuer un de ces animaux sacrés. Heureusement, RAMA possédait une arme magique qui lui permit de faire balayer par le vent les troupeaux de vaches.
Plus tard, vers le 11“ siècle, les envahisseurs musulmans de MAHMUD GASNAVI utilisèrent le même stratagème. Mais les hindous de l’époque n’avaient pas de RAMA, ni d'arme magique et au nom de la vache, ils perdirent une bataille puis leur liberté.
Peut-être cette croyance est-elle une déformation de la légende de KAMADHENU :
Au début de la création, sortit entre autres de « la mer de lait », la vache KAMADHENU.
Celui qui la possédait et pouvait la traire obtenait la réalisation de tout ce qu’il désirait. Tuer la vache sacrée signifiait interrompre la ligne de transmission de la tradition ésotérique. Ce qui de tout temps a été considéré comme une faute très grave.
Comme 1l arrive souvent, le non initié confond le symbole avec sa représentation grossière. Et c'est la vache en chair et en os qui a pris la place de KAMADEHNU, la Connaissance Sacrée. Les vaches sont très nombreuses à BRINDAVAN. En plus de leur caractère sacré, elles tiennent une place importante dans la LILA (jeu divin) de KRISHNA qui a passé toute sa jeunesse parmi les bergers et les bergères.
Chose curieuse, il est très difficile de se procurer du lait de vache à BRINDAVAN. Ici comme partout ailleurs en Inde, le lait qui est consommé est le lait de bufflonne. La bufflonne fournit une quantité de lait bien plus abondante que la vache. En outre, le lait de bufflonne est plus riche en protéines et en matière grasse. De plus, les buffles ne semblent pas être sensibles à la tuberculose comme les bovidés, Le lait de bufflonne a l'inconvénient d’être assez lourd à digérer et pauvre en vitamine A. De plus, du point de vue religieux, il entre dans la catégorie des aliments « TAMASIC » c'est-à-dire ceux dont l’ingestion influence l’esprit dans le sens de la lourdeur et de la paresse. Aussi, il est banni en principe des préparations faites pour les services religieux offerts aux déités. Ceux qui pratiquent une discipline spirituelle ont tout intérêt à l’exclure de leur alimentation . Comme c’est mon cas, j'entreprends dés mon arrivée à BRINDAVAN, le travail d’Hercule qui consiste à obtenir journellement un demi-litre de lait de vache non falsifié. C’est en effet un travail d’Hercule car la grande majorité des hindous n'ont sans doute jamais goûté de lait de vache pur.
Pour la corporation des laitiers, la falsification fait partie du métier. La plupart des habitants des villes sont satisfaits quand ils peuvent obtenir du lait de bufflonne qui n'est mouillé qu’à moitié car il existe de nombreuse autres falsifications des produits laitiers dont certaines ne sont pas inoffensives.
Me voici donc à la recherche de la perle rare qu’est un laitier honnête,
Le premier s'appelle BAGHAVAT PRASAD. Un gamin d’une dizaine d'années au visage angélique. On lui donnerait le bon Dieu sans confession. Mais il connaît déjà son métier sur le bout des doigts. Le deux:ème jour, en versant mon lait, il ajoute une demie mesure de plus et d’une voix pleine de tendresse : « donner un peu plus à un SADHU est un acte méritoire, je n'en donne pas autant à la RANI (une reine d’un petit état himalayen, hôte temporaire de l’ashram) »
Chose curieuse, une fois dans mon pot, le lait atteint à peine le niveau du demi-litre. Naturellement, il m'a garantit que c'était du lait de vache pur. Malheureusement pour lui, je suis devenu expert en matière de lait. Quand je lui dis gentiment le lendemain : « Mon ami, ton lait c’est l’habituel lait de bufflonne mouillé à moitié. Et c’est du « vrai » lait de vache que je veux ! ». Il ne se démonte pas pour si peu et répond calmement :
« Très bien, en ce cas, ce sera Quatorze annas par litre » ; le prix fort. Mais son « vrai » lait de vache n’est guère meilleur.
Après avoir changé trois ou Quatre fois de laitiers, je finis par tomber sur « la perle rare ». Un laitier me fournit du « vrai de vrai » lait de vache non mouillé. Et c’est en effet une chose rarissime, non seulement à BRINDAVAN mais partout ailleurs en Inde.
BRINDAVAN est pourtant le centre du vishnouisme, la religion de la pureté et de l’amour. On y trouve encore des gens droits, honnêtes et purs. Les brindavanais ont la réputation d'aimer la fraude, non pas seulement pour le profit mais aussi pour l’amour de l’art de frauder. Je dois dire qu’en dehors de mes contacts avec les laitiers, je ne m’en suis pas aperçu.
Quand je vais au marché, je trouve des commerçants aimables, prêts à rendre service et raisonnables dans leurs prix.
Brindavan. 30 janvier 1966
Pour la première fois depuis mes nombreuses visites à Brindavan, j'ai eu le DARSHAN de YAMUNAIL Ce qui en termes clairs veut dire que je suis allé me promener sur la rive de la YAMUNA, le deuxième fleuve sacré de l'Inde après le Gange.
Les rives du fleuve se trouvent à environ un kilomètre du centre de la ville. Or l’eau est rare à BRINDAVAN. Les citadins utilisent l’eau des puits dont la majorité contiennent de l’eau salée qui ne peut servir que pour le lavage. Quelques rares puits seulement contiennent de l’eau douce potable. L'eau de la YAMUNA est excellente et l’on peut se demander pourquoi la ville et les temples n’ont pas été construits sur les rives du fleuve qui a été le théâtre principal des exploits racontés dans les légendes de KRISHNA. L'explication de cette anomalie est donnée par une tradition locale qui affirme que le cours de la YAMUNA aurait dévié considérablement au cours des temps. Une autre tradition ou légende veut que l’endroit au bord du fleuve où KRISHNA et ses amis paissaient leurs troupeaux se trouve au lieu précis où notre ashram a été construit (sur la route de MAYHURA). Cetle tradition a été corroborée par une vision d’un grand sage. Une fête annuelle aurait été célébrée à cet endroit avant la construction de l’ashram.
Le lit du fleuve est très large, mais l’eau ne coule que par quelques sillons relativement étroits, La YAMUNA n'a pas la majesté de GANGAII à Bénarès, Néanmoins, ses gracieux méandres, la vaste plaine sur l'autre rive dont on ne voit pas la fin et le ciel presque toujours bleu dégagent une atmosphère de paix et de douceur. Des GHATS ont été construits le long de la rive du côté de BRINDAVAN. Il y a quelques petits temples et des chambres ou plutôt des niches qui n’ont ni portes ni fenêtres où habitent quelques SADHUS.
Les temples de BRINDAVAN sont nombreux. Le temple de GOVINDAJII (un nom de KRISHNA) se trouve sur la route qui va vers le fleuve. Il fut pendant longtemps le plus important. De nos jours, c’est celui de BANKI-BIHARI ( un autre nom de KRISHNA) qui a gagné la faveur des dévots et des pèlerins.
Le temple de GOVINDAJT est une reconstruction car le premier fut détruit comme beaucoup d'autres vers le 15°" siècle par AURANGZEB, l'empereur maghol bigot et iconoclasie. AURANGZEB avait alors sa capitale à AGRA ( à une cinquantaine de kilomètres de BRINDAVAN). Les tours de l'ancien temple étaient très hautes et dominaient la plaine. Tous les soirs, AURANGZEB pouvait voir ses lumières. Enragé par ce symbole de l’hindouisme qui semblait le narguer, il ordonna une expédition spéciale pour le faire raser.
Ce sont les deux principaux temples mais il y en a beaucoup d’autres qui portent presque tous un des surmoms de KRISHNA.
J'évite systématiquement d’entrer dans les temples hindous ou même de les visiter. Ce n’est pas par aversion ou hostilité pour les dieux de l’Inde et leur rituel. J'ai beaucoup d’admiration pour la manière quasi-scientifique avec laquelle les hindous ont élaboré leur culte des idoles. Ce n’est pas non plus par crainte de me trouver dans une situation semblable à celle du diable tombé dans un bénitier. L’enceinte sacrée de la plupart des temples est interdite aux non hindous. Mais il y a toujours des accommodements avec le ciel et avec ma robe de SADHU je pourrais facilement entrer si je le voulais. D'ailleurs, les lois de l’Inde moderne ont imposé la libre entrée dans la plupart des temples.
La raison de mon abstention est toute autre. L’hindou orthodoxe, même s’il n’en est pas clairement conscient a l'impression que son sanctuaire a été pollué si un occidental y a pénétré. Faire violence à un sentiment religieux de qui que ce soit est un acte que je désapprouve fortement.
Les brahmines n’ont pas tout à fait tort quand ils croient que quelque chose a été perturbé dans l’atmosphère de leurs temples si un étranger y a pénétré. Il est difficile pour un occidental de comprendre exactement l'attitude mentale de l’hindou sur ce point comme pour beaucoup d'autres d’ailleurs. Cela demande en effet la connaissance d’une texture psychologique fondamentalement différente de la nôtre.
L'hindou est beaucoup plus près que nous des sources de la nature. Le « cordon ombilical » qui relie sa pensée à l’Inconscient collectif n’est pas oblitéré comme celui de la plupart des occidentaux.
La mentalité de l’homme d’occident est centrée sur un intellect puissant, clairement conscient, logique. Il veut façonner le monde qui l’entoure à son image. L’homme primitif des civilisations traditionnelles ne cherche pas à dominer la nature, ni même à lui arracher ses Secrets. Son art suprême consiste à vibrer en harmonie avec l’ensemble de la vie cosmique comme une vague qui trouve naturellement sa place dans le mouvement ondulatoire de l'océan. A l’échelon inférieur, cette attitude produit l’homme du troupeau, le « dumb driven cattle ». Mais chez l’homme évolué, la vague devient un centre de conscience ouvert aux forces cosmiques et à des inspirations qui dépassent la pensée logique. Quand l’hindou moyen entre dans son temple, il « sent » quelque chose qui est une perception directe mais qu'il n’est pas capable d'exprimer en mots car l’aspect discursif de son esprit est peu développé. Ce « quelque chose » est un mélange de paix intérieur, de joie, d’harmonie (à des degrés variables selon les individus) que l’on ressent quand il y a eu un contact, ne serait-ce qu’en l'espace d’un clin d’œil avec la vie cosmique. Le mécanisme qui provoque le contact est complexe. L’hindou croyant vient visiter son temple dans une attitude mentale réceptive.
Cette attitude est spontanée et ne lui demande aucun effort conscient car son esprit est imprégné depuis l’enfance d'idées et de croyances ayant trait à l’idole devant laquelle il vient Se prosterner. Le temple lui-même est en général ancien ou reconstruit sur un site antique et souvent sa création est entourée d’un halo de légendaire et de miraculeux. Cette atmosphère de sainteté qu’il avait dés sa construction est entretenue par le PUJA journalier fait sans interruption depuis des années pour beaucoup de temples. Ce PUJA est un véritable acte de magie cérémonielle qui doit être fait par un brahmine qualifié. La ferveur religieuse des nombreux visiteurs vient encore exalter la sainteté du lieu. Aussi, il n’est pas étonnant qu’il existe dans certains temples une atmosphère religieuse puissante, presque palpable. L’hindou qui viendra le visiter ajoutera sa goutte d’eau de ferveur religieuse car le temple fait partie d’un cadre naturel dans lequel il s’intègre harmonieusement.
Même s’il a de fortes sympathies pour l'hindouisme, l’occidental amènera automatiquement une note discordante dans cet ensemble. Tout ce qu’il verra et entendra produira des associations d'idées très différentes de celles de l’hindou. Le son assourdissant des gangs et des cymbales de l’ARATI (fin du service religieux) qui pour l’hindou marque le point culminant de la ferveur religieuse sera pour l’occidental un vacarme qui le crispera. La vue de l’idole évoquera en lui des idées qui n’auront Souvent rien en commun avec ce que l’image est censée représenter. Tant de choses encore qui se produisent quand deux cultures fondamentalement différentes se font face.
Tout cela est compris intuitivement par l’hindou moyen. L'homme tant soit peu cultivé en Inde accepte comme une vérité évidente que notre esprit de surface ne compte pas. Nous valons ce que valent nos SAMSKARAS. Les SAMSKARAS sont les impressions actes, de croyances qui existent à 1 état latent dans notre inconscient comme d'innombrables graines prêtes à germer et à porter fruit dés que les circonstances favorables leur seront offertes. Ces impressions sont non seulement le résultat de notre vie actuelle depuis notre naissance mais aussi des nombreuses vies antérieures que nous avons traversées.
« Vous n’avez pas les SAMSKARAS qui vous permettraient d’harmoniser avec le rituel hindou ». C’est l’explication simple que donnerait l’hindou cultivé.
Dés début mars, il commence à faire chaud à BRINDAVAN. La fête de HOLI qui ressemble Un peu à notre carnaval est célébrée avec un éclat particulier à BRINDAVAN. Tant pis si je manque l’occasion. La fraîcheur des cimes himalayennes a plus d’attrait pour moi désormais.