Chapitre II

Naïmkaroli Baba


Le 13 avril 1957, jour où le soleil entre dans le signe du bélier est une fête importante en Inde. Je vis dans notre ashram à Bénarès. Je viens de traverser une période de pratiques spirituelles Intensives et comme cela arrive souvent dans ce cas. la réaction est venue sous la forme d’une dépression. Pensant qu’un peu de détente me ferait du bien, j'ai demandé à la direction de l’ashram de me confier un petit travail utile mais peu absorbant. On m’a chargé d'arroser une partie des fleurs et des arbustes qui croissent dans le Jardin de l’ashram.
Il fait très chaud en avrii à Bénarès. Une chaleur qui dessèche aussi bien les humains que les plantes, Il faut boire abondamment et les fleurs ont besoin de beaucoup d'eau.
Au début de l'après-midi. l'heure où je suis libre, une GAMCHA (serviette hindoue) nouée autour de la taille en guise de tablier, je fais consciemment mon travail.
Les visiteurs ne sont pas rares à l'ashram et en général. je ne leur prête aucune attention. L’un d'eux passe tout près de moi. Un grand gaillard portant une longue moustache. Ii est vêtu d’un DHOTI blane tout à fait ordinaire. Son crâne est rasé. ne laissant qu'une mèche de cheveux au sommet selon la coutume des hindous orthodoxes des classes supérieures. Il ressemble à un brahmine comme on en rencontre couramment dans les rues de Bénarès. Un jeune homme vêtu d'une façon similaire l'accompagne. Le « grand gaillard » me jeic un regard en biais non dénué de sympathie et je l'entends murmurer à son compagnon : « INGREZI » (c'est un anglais). C’est une appellation générique employée par les hindous pour désigner tout ce qui vient d'Occident, Puis 11 disparait dans un des bâtiments de l'ashram.
Quelques minutes après. un des SADHUS de l’ashram s'approche de moi et me dit : « Savez-vous que NAÏMKAROLI BABA est ici ? »
Je n'ai jamais rencontré NAÏMKAROLI BABA auparavant, ce yogi dont le nom est entouré d’un halo de mystère et de miraculeux. Depuis longtemps. je désirais avoir son DARSHAN.
-  Où est-il ?
- ll est assis sur la terrasse de L'ANNAPURNA MANDIR {temple dédié à un aspect de la Divine Mère. celle qui donne la nourriture physique)
Avant que mon interlocuteur n'ait terminé sa phrase, j'ai déjà dénoué ma GAMCHA et grimpe à toute allure l'escalier qui mène vers la terrasse du temple.
[1 est assis sur une ASANN (petit tapis) entouré de quelques membres éminents de l’ashram.
C’est mon « grand vaillard » de tout à l'heure.
Je lui fais respectueusement le PRANAM. la salutation d'usage qu'on fait à un sage. Il me demanda de m'asseoir à ses côtés. Il mé pose quelques questions en Hindi. mon nom ect… Je ne saurais dire pourquoi. il semble s'être pris de sympailne pour moi. On lui apporte une boisson rafraichissante. un verre de MATTA {petit lait). Il insiste pour qu'on en apporte un pour moi et ne boit son verre que lorsque j'ai le mien.
Quelques membres de l'ashram viennent un à un présenter leur respect au sage. À chacun. il donne en quelques mots une appréciation et ajoute parfois une remarque prophétique sur l’avenir, « SANT HEÏ » (c'est un saint) dit-il pour quelques uns et pour moi, Il me regarde d’un air qui semblait sonder l’avenir et me dit - « Bénarès te convient bien pour le moment, mais PAHAR JAIGA PAHAR JAÏGA » (tu vivras en montagne).
À cette époque, je suis profondément attaché à Bénarès et il me semble que je vais passer toute ma vie dans cette ville. Je n’ai ni le désir ni la moindre intention d'aller vivre en montagne. Deux ans plus tard, mon esprit changera et je passerai l’été 1959 à ALMORA dans l'Himalaya. Néanmoins, Je reviendrais à Bénarès pour l’hiver. Dés le début 1960, je rétournerai à l’ashram d’Almora et depuis je vis dans l'Himalaya, ne descendant vers la plaine que pour une courte période en plein hiver. La prophétie de NAÏMKAROLI BABA s'était ainsi réalisée.
Le sage se lève, Il a été invité dans une maison privée dans le voisinage. Je l’accompagne Jusqu'au portail de l’ashram. Tout en marchant, il murmure mon nom sans arrêt comme une litanie : VUAYANANDA, VIAYANANDA… NAÏMKAROLI BABA est un grand yogi selon la vieille tradition des MAYTSENDRANATH, GORAKSHANATH ect… Son quartier général est à LAUCKNOW dans le Nord de l'Inde. En réalité, personne ne sait jamais où il est exactement et où il va Il apparaît dans la maison d’un disciple puis disparaît mystérieusement. I ne possède rien et ne porte aucun bagage, même pas le pot à eau traditionnel. Le DHOTI qu’il porte, il l’échange contre un autre DHOTI lavé quand il lui arrive de séjourner dans la maison d’un disciple. Toutes sortes d'histoires miraculeuses sont rapportées à son sujet. En voici quelques unes que J'ai entendues et que j'ai toutes les raisons de croire authentiques :

- Un SANNYASI de notre ashram que Je connais intimement depuis de nombreuses années assislait un jour à la KUMBHA MELA d'ALHABAD. Il discutait avec d'autres SADHUS quand la conversation porta sur NAÏMKAROLI BABA. Le SANNYASI déclara que si NAÏMKAROLI BABA était un authentique YOGI, il devait apparaître devant eux si on invoquait, Sur ce. peut-être simplement pour plaisanter, 1 se mit à répéter à haute voix le nom de NAÏMKAROLI. Presque immédiatement le sage apparut effectivement devant eux.

- Vers la mi-novembre 1962. la situation était critique en Inde. Les chinois avaient attaqué en Octobre, avançaient victorieusement sur tous les fronts et menaçaient directement l’ASSAM. L'Inde semblait à la veille de la débâcle. Un homme politique imperlant dont je ne peux ciler le nom et disciple de NAÏMAKAROLI BABA était alors à Delhi, il téléphona à son maître pour lui demander conseil car il avait l'intention de quitter la capitale. NAÏMKAROLI BABA lui conseilla de ne pas bouger et lui alfirma que le lendemain même, tout rentrerait dans l’ordre. T! paraissait impossible que la situation s'arrange aussi rapidement et l’homme politique essayva de demander des explications, Son maître persisia sans ses affirmations, Le lendemain même. ies chinois prirent la décision spectaculaire de cesser le feu et de retourner sur leurs positions du départ. Décision tout à fait étonnante et imprévisible.

- Voici l’histoire la plus extraordinaire :
Au début de sa carrière. NAÏMKAROLI BABA était un moine itinérant et vovageait de long en large à travers l'Inde. T prenait souvent le chemin de fer et comme beaucoup de SADHUS te font encore de nos jours. il voyageait sans billets. Un jour, un contrôleur passa dans son compartiment . Souvent les contrôleurs ferment les veux quand il s'agit d'un SADHU mais tant impitoyable. Dés que le train s'arrêta. il fit descendre NAÏMK AROLI BABA sur la plateforme et lui interdit de remonter dans le train sous peine de sanctions sévères.
C'était une petite station et le train devait repartir dans quelques minutes, Le chef de train plaça le signal vert. le chef de gare siffla. le mécanicien mit en marche les machines mais le tram refusa de bouger. Le mécanicien inspecta la locomotive : tout était en ordre. Wagons par wagons le train fut examiné pour découvrir l'obstacle qui l'empêchait de démarrer mais impossible de détecter le problème. Tout semblait bon et pourtant le train ne voulait pas bouger.
NAÏMKAROLI BABA était toujours sur la plateforme, peut-être un sourire goguenard aux lèvres. Pendant que les employés essayaient de résoudre le mystère, quelqu’un suggéra que peut-être le MAHATMA (littéralement : grande âme. Appellation respectueuse pour un SADHU) était un grand YOGI dont le pouvoir magique paralysait le train.
Les hindous, surtout les villageois sont encore très croyants. Ils admettent qu’il existe des YOGIS qui par le pouvoir de leurs austérités peuvent réaliser n’importe quel miracle.
Un employé s’approcha de NAÏMKAROLI BABA et le pria de bien vouloir monter dans le train. Le sage grimpa dans son compartiment, reprit sa place et le train démarra immédiatement.
La plupart des occidentaux sont sceptiques quand on leur parle de miracles. Même ceux qui Sont mentionnés dans la Bible sont traités de « légendes », de « fables» ou mieux « d’histoires symboliques » servant à transmettre un enseignement secret. Beaucoup parmi les croyants cherchent une explication scientifique aux miracles mentionnés dans la Bible pour être en paix avec eux-mêmes. Les guérisons miraculeuses de Lourdes, les cas de lévitation chez les mystiques chrétiens sont acceptés par les religieux mais à contre-cœur.
Un intellectuel moyen aurait honte d’avouer publiquement qu’il admet qu’un miracle est quelque chose de plus qu’un « conte à dormir debout » ou « une histoire de père noël »
Un évènement qui frappe l'esprit comme une rupture avec les lois naturelles ? Une chose qu’on croyait impossible et qui pourtant se matérialise ? Oui, certes, il en est ainsi parfois.
Mais le véritable miracle, c’est quand ce que nous avons désiré transcende le domaine de l'imagination et se concrétise dans la réalité tangible exactement comme nous l’avions désiré.
L'évènement peut être surnaturel ou simplement un fait en apparence banal.
En réalité, le miracle doit s’étudier dans son caractère subjectif. Les manettes des magiciens fonctionnent dans le domaine psychologique. L’explication du miracle ne peut être scientifique mais seulement psychologique.
Il faut d’abord accepter l'hypothèse que c’est l’esprit qui crée la matière. Une pensée suffisamment puissante et concentrée peut se cristalliser sur une forme visible ou en une série d’évènements.
En principe, un YOGI qui a obtenu une parfaite maîtrise de son esprit, non seulement son aspect conscient mais aussi des formations de l’inconscient, jusqu’à leur base fondamentale, c'est-à-dire l’instinet de conservation peut réaliser n’importe quel miracle.
Ceci est de la théorie car en pratique, la chose est beaucoup plus complexe, Un YOGI parfait est uni à la «source des choses». tous ses désirs et aspirations ont trouvé leur accomplissement. La production d’un miracle demande une volition et un désir tous deux absents chez un être parfait. D'autre part, il n’a pas de mentalité individuelle autonome.
L’individu n’est qu’une vague de remous dans l’océan mental universel. Dans le domaine mental comme dans le domaine physique, il se produit une constante interaction entre les éléments individuels, un échange de pensée continuel. Ainsi, le magicien n’est pas un élément isolé. Il n’existe qu’en fonction de son spectateur. Un miracle ne peut se produire que lorsque tous deux agissent en synchronie comme un couple de danseurs. Le « miraculé » doit offrir une réceptivité suffisante, son esprit doit avoir été perméabilisé au préalable. TI doit croire en la possibilité du surnaturel, ne serait-ce que dans les tréfonds de son inconscient. Dans la plupart des cas, il doit en fait « appeler » le miracle par un désir ou une attente formulés dans le présent ou dans le passé. Devant l’occidental moyen qui oppose un mur sans failles d'incrédulité, le magicien sera sans pouvoir. Le scepticisme est une foi à rebours souvent bien plus puissante que la foi véritable.
À la fin du siècle dernier, quand les anglais attaquèrent le Tibet, les lamas magiciens du pays assurèrent à leurs troupes qu’elles n’avaient rien à craindre car par le pouvoir des rites magiques, les balles des anglais retourneraient sur leur propre poitrine. Les balles anglaises percèrent bel et bien les poitrines des soldats du Dalaï-Lama. Il semble que les magiciens tibétains se faisaient de douces illusions sur leur pouvoir. Il n'est pourtant pas impossible qu’ils aient réellement possédé et essayé d’exercer ce pouvoir et qu’il ait été inefficace par l’incrédulité totale des soldats anglais.
C’est bien connu que la foi à elle seule peut produire un miracle. Il s’agit de la foi qui déplace les montagnes dont parle l’évangile. Cette foi est à la base même du fonctionnement de notre esprit. D'abord vient le faisceau de renseignements donnés par nos sens. Notre esprit les rassemble, les trie, les couvre d’une interprétation puisée dans la mémoire et les compare à des expériences similaires. Puis, le centre de notre machine à penser donne le « tampon » définitif qui valorise le groupe des perceptions : « c’est un homme et non une femme », « ceci existe, ceci n’existe pas », « ceci est bon, cela est mauvais ». Quand nous voyons un arbre, nous n'avons aucun doute au sujet de la réalité de cette perception. Notre foi en l'existence de l’objet est totale. Pourtant, si nous analysons le mécanisme physiologique de nos perceptions et leur interprétation psychologique, nous sommes obligés de conclure que l’existence de l’objet est loin d’être démontrée scientifiquement. Ce n’est qu’une hypothèse. En rêve, nous avons la même foi absolue en la réalité de nos fantasmagories. Seulement en nous réveillant nous pouvons dire : « ce n’était qu’un rêve ».
Notre croyance, notre foi en leur existence donne aux objets leur réalité empirique.

Voici les conditions par lesquelles un miracle pourra se produire :

1, Un sage parfait qui possède potentiellement les pouvoirs n’en fera usage que dans des circonstances exceptionnelles car 11 est dépourvu de désir et de volition. Le fait surnaturel pourra se produire quelque fois par son intermédiaire sans qu'il en soit conscient. Il sert simplement de canal pour la volonté cosmique. La plupart des miracles qu’on attribue aux saints entrent dans cette catégorie. Dans d’autres circonstances, le sage pourra momentanément s’identifier au désir ou à l’aspiration d'un disciple ou d’un suppliant et les rendre réels.

2. Les grands YOGIS magiciens sont en général un peu en dessous du niveau de perfection. Leurs miracles visent le bien du monde ou le progrès spirituel d’un ou plusieurs disciples.

3. Ceux qui font des miracles à des fins personnelles ( en admettant que ce ne soit pas de simples prestidigitateurs) ont des pouvoirs très limités. Le pouvoir du YOGI est en fonction inverse de celui de l’ego. L'effacement de l’ego mène vers la perfection, son affirmation limite de plus en plus. Un magicien utilisant un pouvoir à des fins personnelles finira tôt ou tard par le perdre et s’exposera à de graves conséquences,

La plupart des magiciens de métier (si j'ose employer ce terme) n’utilisent pas directement leur volonté ou leur pouvoir de concentration pour réaliser un fait sumaturel. Un effort personnel donnera un coup de fouet à l’ego, ce qui se traduira automatiquement par un affaiblissement, voire même une perte totale du pouvoir yoguique. Le YOGI prendra comme levier le « pouvoir de l'Autre ». Cet « Autre » le plus souvent est Dieu. Le moyen le plus simple de le rendre favorable est une prière ardente et sincère.
Parfois aussi, le magicien pourra faire appel à un pouvoir cosmique, un DEVA, un « Dragon » ou un «esprit ». Que ces pouvoirs soient réels ou imaginaires, qu’ils soient doués d’une vie temporaire et éphémère insufflée par le YOGI, qu'importe !
Cette méthode relativement facile et efficace a été utilisée par les magiciens de tous les temps et de tous les pays.
L'intellectuel occidental dira tout de suite : « si les miracles existent. on doit pouvoir les vérifier et les étudier selon les méthodes modernes ».
Et nous voici sur la piste de YOGIS avec des caméras ultra sensibles, des machines électroniques, des electro-cardiographes, des électro-encéphalographes…
Le véritable miracle n’est pas présenté à un publie comme un spectacle sur scène. Quand 1l l’est, on peut affirmer presque à coup sûr que le magicien n’est en réalité qu’un habile prestidigitateur,
Un véritable miracle est une chose vivante qui surgit quand un contact a été établi avec le formidable pouvoir cosmique sous jacent à nos perceptions. Pour les spectateurs, il a une signification profonde et précise, plus importante que le l'ait sumaturel en lui-même. Souvent, il marque un tournant dans leur vie psychologique, une orientation nouvelle de leur pensée et de leur conduite.
J'ai été le témoin et l’instrument d’un certain nombre de miracles : une fleur qui s’épanouit spontanément dans la main, la pluie qui tombe à l'heure précise où on l’avait appelée (ceci à plusieurs reprises), l’évolution rapide de maladies vers la guérison sans médicaments alors que c'était médicalement impossible. Chaque fois, il y a avait une signification profonde, bien plus vaste. plus touchante, plus convaincante que le miracle lui-même. Ainsi, une enquête scientifique menée avec les techniques modernes serait malvenue et inefficace. Les miracles que font les grands YOGIS n’ont Jamais pour objectif d’épater le public. Îls contiennent toujours un enseignement et agissent comme un thérapeutique de choc dont le but est un éveil spirituel, Selon toute probabilité, il en est ainsi en ce qui concerne les miracles de NAÏMKAROLI BABA.