Chapitre III

Ramdas


Automne 1952. Je suis à KALIMPONG chez les bouddhistes. KALIMPONG est à l’extrême est de l'Himalaya, près de Darjceling. Un des rares endroits en Inde où on peut rencontrer des lamas tibétains authentiques. Sur la hauteur de Tirpaï, se trouve un monastère tibétain abritant plusieurs centaines de moines gais et avenants. Leur supérieur — un homme âgé aux grands yeux d’illuminé- passe toutes ses nuits en médiation. Je vais le voir de temps en temps. Quand il me rencontre dans les rues de KALIMPONG, il m’embrasse en m'’appelant : « BHODISATVA ! BHODISATVA ». Hélas, notre conversation se réduit à peu de chose car mes connaissances en Tibétain sont à peu près nulles et à cette époque mes connaissances en hindi me permettent tout juste de me débrouiller au BAZAR (marché). D'ailleurs le supérieur lui-même n’a qu’une connaissance élémentaire de cette langue. Dans les hauteurs de TIRPAÏ vit aussi un RIMPOCHE tibétain, envoyé spécial du DALAÏ-LAMA. Il est entouré de quelques moines. Un homme charmant, d’une fine culture.
Je loge chez le BIKSHU en bas de la ville. Le BIKSHU est un européen ayant reçu l’ordination de moine bouddhiste selon le rite Birman. Un écrivain et un penseur très brillant.
Darjeeling est toute proche. Pourtant, je n’ai pas le courage d'aller jusque là. Même pour grimper jusqu’à TIRPAÏ. ma seule distraction, je dois me traîner péniblement. Je viens de traverser une de ces nuits noires que connaissent tous les SADHAKAS, Il me semble que le monde a perdu tout son éclat. Même la splendeur de l'Himalaya me paraît terne.
Depuis quelques temps, je désire rencontrer Swami RAMDAS. J'espère qu’un séjour dans son ashram aura une influence favorable à mon état dépressif.
J'ai écrit et RAMDAS m'a répondu que je peux venir début octobre. KALIMPONG est à l'extrême Nord-Est de l’Inde et KANHANGAD près de MANGALORE où se trouve l'ANANDASHRAN de RAMDAS. sur la côte Sud-Ouest. Je dois m'arrêter pour quelques jours à ALHABAD et à BENARES.
La route qui descend vers la Plaine est interrompue par un glissement de terrain dû aux pluies abondantes. Un véhicule parvient quand même à m'amener jusqu'à SILGURI après un transbordement en cours de route. De SILGURI, un « passenger train » me dépose à ALHABAD après m'avoir dûment cahoté et secoué. Bénarès est toute proche de d’ALHABAD. De Bénarés. le plus simple serait de prendre un train allant vers l’ouest pour Bombay. Mais de Bombay à Mangalore, il n’y a pas de chemins de fer et les routes sont dépourvues de lignes d'autobus suffisantes. Il faudrait idéalement voyager à bord d’un bateau faisant le cabotage le long de la côte et qui mettrait plusieurs Jours pour arriver à Mangalore. Le plus simple et le plus rapide est de tourner carrément le dos à l'objectif et d'aller droit vers la côte Est à Madras. De Madras, il y a un train direct pour Mangalore qui s'arrête à KANHANGAD.
Après ce périple compliqué. J'atteins enfin le village de KANHANGAD. sur la côte KOKANAISE. Ici. les cocotiers ont remplacé les pins et les cèdres de l'Himalaya. H y fait encore chaud en Octobre. mais moins qu'à Madras.
L'ANANDASHRAM se trouve à plusieurs kilomètres du village dans une localité appelée RAMNAGAR. Je décide de faire le chemin à pied, accompagné d’un porteur qui est en même temps mon guide. Il ne faut pas rendre visite à un sage les mains vides, Pourtant, il n’y a ni fleurs, ni guirlandes dans les boutiques du village. l'ai la chance de trouver deux noix de coco mûres chez un marchand. L'une est destinée à Ramdas. l’autre à KRISHNA-BAÏ La noix de coco est une offrande très acceptable en Inde. Nous approchons de l’ashram. Ha été bâti dans un cadre charmant. loin des habitations des hommes. l'out proche de l’ashram se trouve une colline d'où on peut apercevoir le bleu-eris de la mer.
Mon porteur et moi entrons par le grand porche de cet asite de paix.
Dans la cour de Fashram, un homme est assis sur un fauteuil entouré de quelques enfants et adultes. On aurait dit un grand père au milieu des membres de sa famille. T1 est vêtu d’un dhot blane. Son visage glabre est éclaire d'un perpétuel sourire qui parfois s'épanouit en un franc éclat de rire répandant une joie irrésistible et contagieuse. Pas la moindre trace d'ironie ou de condescendance dans ce visage. Pas de severité ou le moindre complexe de supériorité
Pas besoin de m'enquénir s’il s'agit bien de Swami Ramdas. C’est une évidence qui s’impose d'elle-même,
Une personne en train de lui masser les pieds. s'écarte en me voyant arriver, Je fais respectueusement les salutations d'hommage au maître et dépose une des noix de coco à ses pieds.
Le swami parle un anglais impeccable. Son timbre de voix est simple et naturel, Aussi bienveillant que le sourire de son visage. Il me pose les questions d'usage à un nouveau venu Le ton de sa voix. son attitude familière me font ressentir que je fais déjà partie du cercle de ses amis. Sa familiarité si j'ose me permettre d'employer ce terme- suggère celle d'un père envers ses enfants. Un père qui serait en même temps leur ami. Les intimes de RAMDAS et ses disciples l'ont surnommé « papa» C'est certes l'appellation qui lui convient le mieux el peut-être aussi celle qui lui va droit au cœur. RAMDAS est un SANNYASI (un moine) et porte la robe orange. « J'avais une barbe et de longs cheveux comme vous » me dira-tail un jour,
Pour l'instant. il est vêtu simplement du DHOTT blane « comme tout le monde » car il a transcendé l’état monastique et est devenu un ATIVARNASHRAMTI : celui qui est passé au-delà des castes sociales et des stages d'existence”.
Son crâne complètement chauve. son Visage toujours glabre. sa bouche completement dépourvue de dents (1! ne porte même pas de dentiers) viennent encore contribuer à l'impression d'extrême simplicité qui se dégage de sa personne. Le SAHAIA AVASTHA. l’état parfaitement naturel. n'est-il pas aussi le dernier mot de la perfection ?
Swami Ramdas quand 1l était dans le monde s'appelait VIITAL RAO. C'était un brahmine du clan des SARASWAI. remarquables par leur brillante intelligence ct leur esprit d'entreprise. Il était marié et une fille unique naquit de ce mariage. VITTAL TAO avait une solide culture occidentale et essava plusieurs métiers. Le dernier était et poste dans une fabrique de tissus.
Il répétait souvent le nom divin de RAM. Son père l'entendit 1 communiqua le MANTRA (formule sacrée) complet de RAM.
« Le gourou de RAMDAS" lui dit : mon fils. répeie ce mantra constamment : SRI RAM JAÏ RAM JAÏJAÏRAM et tu obtiendras un bor:eur immortel »
L'effet de cette imitiation semble avoir été extraordmeurs car VITTAT RAO qui prit alors le nom de RAMDAS (le serviteur de RAM) quitta sa femme. sa file unique et partit à l’axenture sur les routes de l'Inde comme tant d'autres moines errants. en repetant le MANTRA jour et nuit sans arrêt car son gourou lui avait dit de le repéter constamment



1 Les quatre stages d'existence de la société traditionnelle hindoue sont 1 BRATIMACHART GRIHASTA. chef de famille 3 VANAPRASITA, l’ermite qui se retire dans la forêt 4 SANNYASI le moine qui a renoncé au monde.
2 Ramdas utilisait la troisième personne quand il parlait de lui
3 Traduit de l'anelais d'après GOD-experience par RAMDAS PTON


« Qu'avait-il dit? (son père) Répète le nom constamment signifiait : pendant vingt quatre heur abandonné »!
La répétition de ce mantra lui donnait une Joie ineffable. Il craignait de perdre cette joie s’il venait à interrompre celle répétition.
RAMDAS a décrit ses aventures durant cette période de sa vie en un style savoureux et plein d'humour dans son livre « In quest of god ». Au cours de ses pérégrinations, il rendit visite au grand sage d'ARUNACHALA RAMANA MAHARSHI. Il raconte qu'il pria le sage de le bénir, ce que le MAHARSHI accorda d’un regard. Puis il s’en alla méditer dans la colline de d'ARUNACHA et c'est là qu’il eut pour la première fois l'expérience du SAMADHE Après cette illumination, 1] poursuivit sa vie errante. C'était un autre homme qui voyageait maintenant à travers les routes de l'Inde. Il a décrit cette deuxième partie de sa vice dans un volumineux ouvrage en anglais : « in the vision of God »
Le nombre de ses disciples en Inde est considérable mais la majorité de ses admirateurs se trouve parmi les hindous du Sud et de l'Ouest. On ne pourrait manquer d'être frappé par le Curieux contraste qui existe entre la personnalité de SWAMI RAMDAS et son enseignement.
Le sage a une solide culture occidentale et un anglais excellent. I sympathise également avec les courants d'idée de l'Inde moderne : abolition des privilèges de classe, réhabilitation des parias, éducation des femmes ect… Pourtant sa méthode peut être résumée en un seul mot : le JAPAM. Ce mot qui pour l’hindou moderne évoque le vieux traditionalisme des grands-mères dévotes. la foi naïve des gens simples, la crédulité des masses ignorantes. Le JAPAM. c’est tout simplement la répétition d’un nom divin ou d’un MANTRA donnée par un gourou aussi souvent que possible dans toutes les conditions de la vie courante, voire même sans interruption comme l'a fait RAMDAS lui-même. RAMDAS affirme d'une manière péremptoire que la répétition du NAM (nom) avec ferveur est à elle seule suffisante pour mener vers les sommets de la réalisation spirituelle. D'ailleurs sa vie et la discipline qu'il a suivie en sont les preuves vivantes. Voici ce que dit RAMDAS à ce sujet :
« Quand RAMDAS dit à certaines personnes qu'il a atteint le but en suivant ce chemin (le japam) ainsi qu'il lui fut ordonné par Dieu, on ne le croit pas. Ils disent : nous aussi nous répétions le « NOM » mais nous n’obtenons pas le résultat que vous avez obtenu. La répétition du nom divin est sans doute différente selon les personnes » L'esprit ne consentira pas à accepter le « Nom » comme le seul moyen de réaliser Dieu si cette pratique n'est pas appuyée par un VAÏRAGYA (renoncement aux plaisirs du monde) suffisant. Un esprit dispersé ne peut pas goûter le bonheur du « Nom ». VAÏRAGYA est le résultat d’une aspiration intense et concentrée dans une seule direction pour la réalisation de Dieu. Alors le « Nom » azira merveilleusement »"
Néanmoins le JAPAM est considéré par beaucoup comme le « parent pauvre » parmi les méthode de SADAHANA. On a tendance à croire que cette voie si enfantine en apparence manque d'efficacité. Mais le JAPAM tel qu'il est conseillé aux débutants n'est qu'un premier pas. Un premier pas si facile. si simple qu’il est à la portée de n'importe quel individu pourvu qu’il ait en lui un grain de bonne volonté. C'est là l'énorme avantage de cette méthode. Elle offre une porte d'entrée à la route du Divin accessible à tout le monde.
La répétition du MANTRA. même si elle se fait mécaniquement au début finira tôt où tard par éveiller l'attitude mentale correspondant à sa signification. Ainsi. il se formera bientôt dans l'esprit un noyau central qui ralentira le cours des pensées et rendra leur observation plus facile. Peu à peu, si le SADHAKA répète son mantra sans arrêt. il arrivera à un état de concentration mentale presque constant. favorable à l'éveil du Pouvoir Intérieur. Ce pouvoir une fois éveillé. il guidera infailliblement le disciple vers le but.


*GOD experience. Page 165
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« L'esprit devient concentré. Alors vous libérez le pouvoir divin caché qui maîtrise les pensées et dirige les actions »'
Beaucoup de sages hindous attachent une importance énorme au NAM, le Nom du Divin. Les PURANAS et les légendes populaires parlent souvent de l’efficacité miraculeuse du HARI NAM : le nom de Vishnou. Certains vont même jusqu’à dire que le répéter, ne serait-ce qu'une seule fois est suffisant pour sortir du cycle des naissances. Les louanges hyperboliques du Nom ont comme objectif évident d’affermir la foi du SADHAKA dans son MANTRA. Car l’efficacité du JAPAM sera en proportion directe de la foi que le disciple y placera. Certains pensent que la foi totale du pratiquant peut rendre puissante n’importe quelle formule vulgaire si celui-ci est persuadé que c’est un MANTRA.
Le MANTRA que Swami Ramdas transmet est celui qui lui a été donné par son père. Rompant avec l’antique tradition de l’Inde, il donne les initiations en public à tous ceux qui le demandent. Le MANTRA n'est plus gardé jalousement comme un secret qu’il ne faut communiquer que dans la stricte intimité à ceux qui ont prouvé qu’ils sont capables de poursuivre une discipline spirituelle.
En réalité, comme tous les véritables gourous, RAMDAS emploit des méthodes plus complexes, adaptées à chaque cas particulier. C’est dans les détails de la vie courante que se trouvent les véritables problèmes et les nœuds psychologiques qui nous lient. Les techniques spirituelles ne sont que des points d’appui pour nous aider à les défaire.
J'ai donc apporté du village deux noix de coco. J'ai offert la première. La deuxième est destinée à KRISHNABAÏ. KRISHNABAÏ est une disciple de RAMDAS. En réalité, elle est bien plus que cela : elle est la mère de l’ashram. RAMDAS dit souvent qu’elle a atteint le même niveau de réalisation spirituelle que lui-même. Il me racontera un jour l’histoire de cetle femme extraordinaire et comment il a été « forcé » de lui donner le SAMADHI ;
Cette grande sainte qui s’occupe minutieusement de tous les détails du fonctionnement de l'ashram est effacée et discrète. Tout, dans son regard, ses gestes, exprime la douceur, la tendresse, le dévouement à tout ce qui vit.
Quand je pense à elle, je l’identifie presque automatiquement à la SITA du RAMAYANA, la femme idéale. Elle ne parle pas anglais et son HINDI n’est pas très courant. Quand à moi, je commence juste à baragouiner la langue officielle de l’Inde.
On m'indique une chambre très confortable et me voici provisoirement membre de l’ashram. ANANDASHRAM signifie : «l’ashram du bonheur ». Il mérite son nom car j'ai visité de nombreux ashrams dans l'Inde et j'ai vécu quelques temps dans certains d’entre eux. Mais aucun d'eux ne se rapproche d'aussi près de la définition de ce que l’on voudrait être : « un refuge de paix et de bonheur »
Même s’il n’a pas la splendeur des paysages himalayens. l’ashram est bâti dans un cadre riant et reposant pour l'œil. C’est surtout le maître des céans et KRISHNABAÏ qui se sont mgéniés à rendre aux visiteurs le séjour aussi agréable que possible en ces lieux. Les visiteurs sont rarement nombreux et il n’y a jamais de foule bruyante. ni l'atmosphère bourdonnante des lieux sacrés de l'Inde. En principe, les visiteurs ne peuvent rester plus d’un mois à l’ashram. Il s’agit surtout de leur permettre de se recharger en énergie spirituelle ou de remettre sur pied les échoppes. « Nous rechargeons votre batterie » répète RAMDAS. Ensuite. ils doivent poursuivre leurs efforts dans une retraite solitaire.
Les repas sont pris en commun dans un petit réfectoire très propre. Les brahmines. les sudras. les européens. les hindous sont assis ensemble. Pas de distinction de caste. Ce complexe de caste si difficile à transcender par l'hindou moyen semble être absent 1c1.

RAMDAS dit un jour : « | am militant against caste rules » (je suis militant contre les règles de caste), En fait. il emploie des HARIJANS (parias) dans les cuisines et pour faire le service.


! God Experience p 239


Si l’on imagine le degré d’horreur que cela représente pour un hindou orthodoxe, on peut se rendre compte de l’amour et de la vénération qu'ont les disciples pour « papa » car ils acceptent sans murmurer cet état de choses.
La cuisine est supervisée par KRISHNABAÏ et sa rayonnante pureté est plus que suffisante pour effacer toute trace d’impureté — si impureté il y avait- dans la nourriture. Les visiteurs reçoivent quatre repas par jour. Dans la plupart des ashrams, un repas à midi et une légère collation le soir. La nourriture répond en tous les points à la définition d’une nourriture « SATTVIKA »! : propre, appétissante, variée, agréable à l'œil, de haute valeur nutritive, abondante etc… Les repas sont strictement végétariens : riz, légumes, laitages, cet… L’huile de noix de coco est utilisée en abondance.
Les serveurs s’ingénient à ce que l’on ne manque de rien et remplissent les plats vides à la moindre requête. Le matin, ils vous demandent si vous désirez du café, du thé ou du lait et en plus IGLI et DOSA” à volonté.
La grande salle de l’ashram est réservée aux KIRTAN, les chants religieux. Le public est assis sur des nattes à même le sol, comme c’est la coutume en Inde et RAMDAS sur un siège élevé. Le visage de « papa » en cette occasion rayonne et propage une atmosphère d’amour calme, paisible, rassurant et réconfortant. Les chants, la musique instrumentale, l’attitude des personnes présentes, reflètent cette même ambiance. L'ambiance qui environne un sage est souvent plus caractéristique de la voie qu’il indique que son enseignement verbal. Celle qui auréole RAMDAS est celle de la BHAKTI ( la voie de l’amour). La gamme des émotions est très différente de celle que l'on rencontre au Bengale. Le Kirtan des Bengalis atteint souvent les notes aigus de l'émotion et produit quelque fois une tension nerveuse qui se traduit par des crises de larmes ; voire même chez les sujets peu équilibrés, par une attitude exubérante : danse, cris, sanglots, etc…
Je n’ai jamais observé de choses semblables autour de RAMDAS. Ici, les BHAVA (émotions religieuses) sont lénifiantes, calmant l'esprit, l’incitant à se fondre dans ce refuge sous-jacent de paix et de bonheur.
RAMDAS, comme la plupart des grands sages ne donne pas d'enseignement régulier comme un maître d'école ou un professeur. Un hindou ou n'importe quel pratiquant spirituel va chercher avant tout auprès d’un grand sage la SAT-SANGA. Cette expression signifie littéralement : « la compagnie de la vérité ». Pour l’hindou moyen, c'est une idée familière et il sait parfaitement le bénéfice que l’on peut retirer de la SAT-SANGA. Pour la plupart des occidentaux habitués à la transmission d’un enseignement par des mots ou par des livres, cette expression demande une explication. Vivre simplement en compagnie d’un grand sage sans même recevoir d'enseignement oral peut être l’occasion d’un progrès spirituel considérable.
Une sorte d’osmose surgit spontanément du pouvoir spirituel même si le sage n'intervient pas d'une manière active. Même quand les gens ordinaires vivent ensemble pendant quelque temps ou ont une conversation prolongée. se produit un échange d'idées. de concepts. de qualités et de défauts à un degré variable selon les cas. Ceci n’est pas une théorie, mais un fait d'observation courante. Ainsi. des gens mariés vivant ensemble en harmonie pendant de longues années finiront par avoir des goûts et des idées similaires. Cela se traduira même parfois par une ressemblance physique comme si une sorte de mimétisme s'était produit.
Un sage qui a atteint la perfection voit en tous les êtres leur essence parfaite. Il jette sur ceux qui l'approchent un regard d'amour qui divinise. Or nous sommes constamment influencés par les suggestions mentales de notre entourage. qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Devant quelqu'un qui nous méprise. nous nous sentons recroquevillés même s'il prononce des paroles mielleuses, En revanche. nous éprouvons une sensation d'aise et d'expansion devant ceux qui Nous respectent et nous aiment. Or la suggestion « divinisante » d’un Sage partant d'un esprit puissant et concentré, il ne peut pas manquer d’avoir quelque effet.



SATTVIKA : voir BHAGHAVAT GITA XVII-7
IGLI et DOSA préparation à base de farine de riz, spécialité du Sud de l’Inde.


En plus de ce rôle bénéfique passif, les « Grands Etres » interviennent souvent d’une manière active et volontaire. C’est ce qu'on appelle la SHAKTI-DAN. le don d’un pouvoir spirituel qui peut se faire à des degrés très variables. Le plus souvent, ce n’est qu’une recharge momentanée d'énergie physique et mentale qui produit une intensification de toutes les facultés. Ainsi, la ferveur religieuse, l'aspiration vers le bien, les bonnes résolutions sont considérablement amplifiées car c’est dans un état d’esprit religieux qu’on vient voir un sage. Cette intensification ne dure pas en général très longtemps, mais si le SADHAKA sait l’utiliser. elle peut lui servir de tremplin à un progrès spirituel considérable. Dans d’autres cas plus rares, la SHAKTI-DAN prend l'aspect d’une véritable initiation en déclenchant l'éveil du pouvoir intérieur. C'est alors une deuxième naissance car le comportement de l’individu sera totalement changé et une vie nouvelle commence.
Enfin, le sage peut placer une personne devant un enchaînement de circonstances qui lui permettra de guérir définitivement d’un vice ou d’un défaut grave. J'ai connu Lt: fumeur invétéré qui fut guéri du jour au lendemain après avoir rendu visite à un sage.
La plupart des grands sages (sauf ceux qui observent un silence absolu) ont aussi un enseignement verbal à donner. Et leurs paroles sont précieuses car elles sont l’expression (amenée à notre niveau de pensée) d’une expérience directe de la vérité.
Pendant les trois semaines passées en compagnie de Ramdas, je suis spécialement favorisé en cette matière, Presque tous les après midi. je passe une demie heure avec le grand sage pour une conversation particulière. Je peux alors poser à Ramdas toutes les questions qui me passent par la tête. Mes propres difficultés, des problèmes généraux, la description des expériences de Ramdas. le récit de ses aventures qu'il raconte dans un langage savoureux, plein d'humour. Quel dommage que j'ai omis de noter au Jour le jour ces conversations car la plupart des enseignements verbaux si précieux du sage ont filé de ma mémoire comme à travers les trous d’une passoire. Il parle d’une manière si simple, si naturelle et la réponse à n'importe quelle question est franche et ouverte comme celle d’un enfant. Pas la moindre trace d'hermétisme où de mystère sur quelque sujet que ce soit. Et le ton de la conversation, celui d’une discussion amicale si loin d’un enseignement « ex-cathedra ».

Un jour. je lui dis à brûle-pourpoint :
- Puisque vous êtes RAM (par RAM, RAMDAS entendait le pouvoir divin omniprésentet non le RAM historique). pouvez-vous me donner l'expérience du Samadhi ?
- Vous êtes RAM vous-même. Comment RAM peut-il donner quelque chose à lui-même ?
- Oui! Du point de vue de l’absolu c’est peut-être vrai, mais je ne le suis pas. Je souffre !
- Non ! Non ! RAM ne souffre pas, il fait semblant. C’est son jeu (LILA)
- Très bien, admettons que je sois RAM et que je joue le Jeu de la souffrance et de l’ignorance. Mais à l’intérieur même de ce jeu, pouvez-vous me donner l’expérience du SAMADHI ?
- Oui. je peux vous la donner. mais vous perdrez la joie de la victoire.
J'aurai pu pousser l’argumentation plus loin et lui dire : « tant pis pour la joie de la victoire.
Donnez moi l'expérience de la Vérité ». Notre conversation fut interrompue par un visiteur.
J'ai un profond attachement à mon gourou et il m'est pénible de demeurer loin de sa présence physique. ne fut-ce qu'une courte période. Je crois que c'est une bonne chose. J'en parle à RAMDAS, pensant qu'il m'approuvera. Sa réponse me déconcerte. Ce n’est que plus tard que Je comprendra: combien il avait raison. « Dans l’entourage des sages, me dit-il. il va deux catégories de personnes : la première catégorie est formée par ceux qui leur tiennent constamment compagnie. Ceux là sont comme des punaises. Ils font souffrir le sage et souffrent eux-mêmes. La deuxième partie suit l'exemple du veau. Le veau vient boire le lait de sa mère puis s’en va gambader à sa guise dans les prés. Ainsi. le véritable SADHAKA reste une courte période avec son gourou pour se recharger en pouvoir, puis s’en va dans une retraite solitaire où il se livre à une SADHANA intensive. Soyez comme le veau et non comme la punaise » Parmi les histoires de ses aventures pendant sa vie errante, il me raconte la visite qu'il a faite à MARDWAR lors de le KHUMBA-MELA. Cette histoire est nairée « in extenso » dans son livre «In the Vision ol God ». Mais il y a ajouté un détail intéressant qui n'est pas mentionné dans le livre.
la KIIUMBA-MET A est une véritable « foire » religieuse qui se tient tous les douze ans à HARDWAR et à ALHABAD, NASIK et UJAIN à des dates différentes.
Un nombre imposant de SADHUS et plusieurs millions de personnes sont rassemblés dans cecile ville relativement petite. À l'heure propice du bain rituel, tout le monde est concentré en un point du Gange. le BRAHIMA-KUNDA., l'esprit et les nerfs tendus afin de tenter de prendre ce bain fabuleux dont le fruit serait rien de moins que la libération du cycle des naissances.
Une immense masse humaine en mouvement où l'individu n’a presque pas d'initiative. Les forces de la police placées près du BRAHMA-KUNDA et un peu partout ailleurs font leur possible pour endiguer et diriger ce raz de marée humain. S°ils cessent d'avoir la situation en main — et cela arrive quelquefois- ne serait-ce que quelques minutes. le résultat est catastrophique. Il n’est alors pas rare qu'un nombre plus ou moins grand de personnes soit Étouffé où piétiné à mort.
RAMDAS se trouvait avec un de ses amis au milieu de celle marée humaine. Il avait naturellement perdu comme tout le monde toute liberté. Il était forcé de suivre les fluctuations des vagues humaines. I! n'avait d'ailleurs pas l'intention de prendre le bain rituel. Il était venu simplement « to see the fun » en spectateur. Après avoir failli être écrasé et étouffé maintes fois, 11 finit néanmoins par se trouver juste devant le BRAHMA-KUNDA et cela à l’heure propice indiquée pa #4 20i5es, Pouvoir prendre ce bain rituel dans le BRAIIMA-KUNDA à HARDWAR durant la KTTUMBA-MELA et ceci à l'heure précise est une chose fabuleuse pour un hindou moyen car sa destinée après la mort serait des plus hautes. Mais cette chose fabuleuse. RAMDAS l‘a laissa rapidement tomber et ne s'immergea pas dans le fMeuve : « je ne veux pas d'une libération acquise à si bon marché. dit-il. je veux lutter pour la conquérir »

Un jour. des disciples laïques de RAMDAS venant de BOMBAY où d'une autre grande ville sont venus rendre visite au maître a l'ANANDASHRAM. Nous sommes tous assis dans la salle commune avec RAMDAS. L'un des disciples donne au sage. en guise d'offrande. deux KURTA (chemisettes) en pure soie. RAMDAS les met puis les enlève immédiatement. Il nous annonce ne pas porter de vêtements de soie depuis qu'il a visité un jour une fabrique de soie au Cachemire. La manière un peu rude avec laquelle ces malheureux vers à soie sont tatiés la fortement impressionné. M pense sans doute que se servir de soie naturelle est devenir complice d'un acte de HIMSHA (violence à un être Vivant}. Je porte aussi des KURTAS. Je sus vétu à la manière des PUNIABIS - un pyjama ( pantalon en toile fine). une KURTA et un CILADAR € châle) par-dessus la EURTA. En voyant ces splendides KURTAS négligées par RAMDAS. qe me dis que ces deux chenusettes ! “atLui [ven mor affaire, Notre esprit est un étrange anmmai et le mien en cette occasion manifeste une convoitise peu digne d'un SADHU. L'idée ne fait que traverser mon esprit. néanmoins elle est suffisamment en surface de la conscience claire.
Quelques Jours plus tard. je donne une de mes KURTAS à laver aux serviteurs de l’ashram. En plus de toutes les gentillesses dont on bénéfice. KRISTINABAT donne ausst notre linge à laver. Ma KURTA a été égarée par les blanchisseurs. C’est assez ennuyeux car je n’ai emporté que deux chemisettes. J'attache peu d'importance à l’incident. Mais RAMDAS apprend la chose : me fait appeler et m’offre les deux fameuses chemisettes en soie que je reçois comme le PRASAD' du maître. Le lendemain, la KURTA que j'ai donné aux blanchisseurs est retrouvée. Je me retrouve donc en possession des deux chemisettes que j’ai mentalement convoitées. Coïncidence ? Peut-être. Mais de semblables coïncidences se produisent souvent dans l’entourage des grands sages.
Un triste évènement s’est produit à l’ashram. RAMDAS à reçu un télégramme lui apprenant que sa fille unique vient de mourir. Un des membres de l’ashram est venu me l’annoncer.
J’observe l'expression du sage les jours suivants la nouvelle. Je ne remarque pas la moindre trace de tristesse ou d’inquiétude. Voiler son visage. Toujours ce même sourire, cette expression de béatitude qui ne dépend de rien.
Nous avons tous lu :
« Le sage ne s’afflige ni pour les vivants, ni pour les morts »
« Eternel, Immuable et antique, cela n’est pas tué quand meurt le COTPS »
« De même qu’un homme rejette de vieux vêtements pour en mettre de neufs, ainsi, Cela abandonne les corps usés pour en prendre de nouveaux »*
Mais qui donc en dehors d’un sage parfait comme RAMDAS est capable de vivre réellement cet enseignement ?
Le jour de mon départ finit par arriver. Toutes les choses ont une fin en ce monde.
J'ai l'intention d’aller à Madras où J'espère rencontrer mon Gourou.
Avant que je ne parte, KRISHNABAÏ me fait cadeau d’une quantité de friandises et de nourriture pour la route: Juste avant de quitter l’ashram, je fais mes adieux à RAMDAS en me prostemant devant lui selon la coutume et en touchant ses pieds avec mon front. Il semble faire un effort sur lui-même pour rester indifférent. Peut-être est-ce simplement la réflexion de mon propre esprit. Le grand sage me dit alors sur un ton énergique : « | wish to see you again ».
Pourtant son souhait ne s’est pas réalisé. Il a quitté sa forme physique il y a quelques années et malgré mon désir d’avoir à nouveau son DARSHAN, l’occasion favorable, le SAMYOGA comme on dit en Inde ne s’est pas produit.
Pourtant les hindous affirment qu’un souhait formulé par un sage parfait doit infailliblement se réaliser.
Mais qui sait ? Un sage parfait peut prendre n'importe quelle forme subtile ou grossière, visible ou invisible. Il vit au niveau de la conscience cosmique et toutes les formes sont les siennes.


! PRASAD : littéralement signifie « paix » mais dans le langage courant de l’Inde ce mot désigne le reste de la nourriture consacrée aux Dieux ct aux sages ct offerts ensuite aux fidèles. Par extension, un vêtement porté par le sage ct offert peut aussi être désigné comme PRASAD.
“ BHAGAVAT GITA,IT 11, 20 et 22