Extrait
chapitre
numéro
14

JayMâ-n°62

Cette brochure représente un lien d'amour avec l'Inde, avec Mâ, avec les Swamis, les lectures, les voyages...

Jay Mâ n°62

(AUTOMNE 2001)

Paroles de Mâ

  Le corps est au Seigneur,  l'esprit est au Seigneur, l'humanité entière est au Seigneur.

  Que vous fassiez un effort pour établir un traitement médical est aussi l'expression de Sa volonté.  Vraiment, Lui, l'Unique, est toute chose.  Tu es, en vérité, la maladie, Tu es le remède et le pouvoir de guérir - dans tous les aspects et sous toutes les formes, seul Tu es.

  C'est en cherchant à connaître don Soi que l'on peut trouver la Mère Divine.

  Oui, si vous pouvez rester silencieux et en harmonie avec tout votre entourage, ce sera excellent.  Essayez de rester immobile et sans rien manifester aussi longtemps que possible.

  Parler de Dieu est la seule chose qui vaille; tout le reste est vain et conduit à la souffrance.

  On ne peut renoncer à l'attachement par l'effort.  C'est seulement en renforçant l'ardent désir de Le trouver, que tous les autres désirs s'effaceront.  Le bonheur et la paix sont le but de chacun, car ils sont en fait présents profondément en chacun, et on ne peut y renoncer.  On ne doit renoncer qu'à ce qui doit disparaître de toute façon.

  Quand vous sentez naître des pouvoirs en vous, quand une nouvelle lumière luit de l'intérieur, plus vous la garderez cachée en un calme profond et dans la tranquilité, plus elle croîtra en intensité.  Si vous lui entr'ouvrez la moindre issue vers l'extérieur, craignez qu'elle ne s'échappe.  Soyez vigilant !  Il procurera Lui-même tout ce qui est nécessaire  -initiation, instruction- quoi que cela puisse être.  

 

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Réponses de Vijayananda

- Quelle est la voie la plus rapide ?  Est-ce le kundalini yoga ?

Vijayananda :  N'importe quelle voie peut être rapide si vous y mettez tout votre être.  Il faut être cent pour cent engagé dans la voie spirituelle.  Solo Dio, basta, comme l'écrivait Thérèse d'Avila.  Mais ce n'est possible que par la grâce d'un satguru.

-  Que pensez-vous du tantra (de la main droite) ?

V : Les Tantras (ou Agamas) sont un groupe d'écritures sacrées  qui traitent du tantrisme.  Le tantrisme est une des voies principales en Inde qui mènent vers la connaissance du Soi, c'est-à-dire la libération.  Mais alors que d'autres voies (par exemple le vedanta) donnent beaucoup d'importance à la renonciation aux plaisirs mondains, le tantrisme les accepte comme point de départ, avec comme objectif de les diviniser.  Ces jouissances deviennent (au départ) un objet de culte.  Ce sont les cinq makaras : l'union sexuelle, le vin, la viande, etc., mais dans le tantrisme de la main droite, ils sont évoqués seulement symboliquement.  Les mots tantrik ou tantrisme ont une connotation négative dans le langage courant de l'Inde, car ils évoquent la magie, surtout la magie noire.  On emploie plutôt les termes de sakti et saktisme.  Sakti est un des aspects de la Mère divine qui est (avec Shiva) l'objet de culte dans cette voie.

Arthur Avalon (Sir John Woodroof) a écrit plusieurs livres au sujet du tantrisme.  Son livre Sakti est un exposé magistral sur ce sujet et est devenu un classique, même parmi les pandits hindous.

- Pourquoi Mâ est-elle descendue sur la terre à un moment    précis ? Quelle était sa -ou ses- mission ?  Je sais qu'il y avait un fort appel pour la mère divine parmi des dévôts au Bengale et je me lamente en pensant qu'elle est venue pour eux et donc pas nécessairement pour moi qui n'étais pas d'entre eux.

V : Mâ nous a dit qu'elle n'avait pas eu de vie antérieure (qu'elle n'avait pas de prarabdha karma).  Etant parfaite, elle n'avait pas de volition.  Il semble donc que le Divin ait pris une forme humaine

pour répondre à un appel d'un groupe de dévôts (c'est à peu près ce qu'elle avait dit à Bhaïji).  Quand le Divin descend sur terre, c'est en général avec une mission spéciale.  Et dans le cas de Mâ, il me semble que cette mission était de ranimer l'ancienne orthodoxie des temps védiques.  Mais quand le Divin descend parmi les humains, Il projette un rayonnement très puissant et tous ceux qui viennent à son contact en bénéficient, quelque soit leur race,  leur milieu social ou leur religion.

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Nous poursuivons dans ce numéro la publication d'extraits des deux livres de J. Vigne qui paraissent cet automne chez Albin Michel, Le mariage intérieur et L'écoute du silence, ainsi les lecteurs de Jai Ma auront cette primeur.

Poésie et son du silence chez Kabir et les Sant (suite)

par Jacques Vigne

Tulsi Saheb dit : «Cherche à l'intérieur, et l'écoute (surat) s'unira au Son (shabd) quand le voile sera retiré»[1].  Il considère le son comme un appel de la demeure éternelle pour nous y faire revenir. On retrouve dans les poèmes (qu'on appelle shabd-s comme il se doit) de Tulsi Saheb beaucoup d'images illustrant la polarité du son (shabd) et de l'écoute. Le premier est le soleil, la seconde la fleur, ou bien l'océan et l'autre la rivière. Le Son est aussi le gourou qui guide l'écoute comme si elle était une disciple, ou il est un cerf-volant qui oscille en plein vent retenu seulement par le fil de l'écoute. Il peut être aussi le plafond auquel est suspendu le fil de l'araignée : celle-ci évoque le courant de l'attention auditive qui remonte vers le haut en suivant le mouvement de l'énergie dans le canal central du corps, qu'on décrit parfois fin comme un fil de toile d'araignée.   Soamiji dit : Quand ma conscience s'est saisie du Son (dhun), elle est aussitôt montée au ciel (au-dessus du troisième oeil dans l'anatomie subtile des Sants), elle est devenue capable d'y rester. Tous les chagrins et misères ont été annihilés».[2] Cette ascension se fait de préférence par l'axe central, appelé comme chez les soufis la «veine royale» : «Pourquoi gaspiller son temps à chercher le Seigneur ailleurs ? Le chemin du Bien-aimé passe par la veine royale[3]». La montée de l'énergie-conscience auditive entraîne une mort intérieure accompagnée de non-peur, puisque la peur de la mort est à la source des autres peurs.  Nanak dit : Pratique le Yoga dans lequel tu meurs en vivant encore. Sans qu'on souffle dedans, la conque résonne à l'intérieur de toi, en l'entendant tu atteindras l'état de non-peur.[4]

1 S.D Maheshwari Param Sant Tulsi Saheb biography and poems Soami Bagh, Agra, p.31
2 Sant sangrah, op.cit... p.60
3 JR Puri and KS Khak Sultan Bahu Radha Soami Satsantg, Beas, Punjab, 1998, p.127
4 Id. p.134

   Un grand mystique musicien, Tyagiraj qui a vécu dans le sud de l'Inde au XIXe siècle, reliait directement l'expérience musicale à l'ascension de la kundalini : «réaliser la félicité du Son qui naît du mûlâdhâra (la base du corps) est en soi félicité et salut»[5]. Il suggérait aussi qu'un vrai mystique, même s'il n'est pas musicien, doit avoir au moins une certaine expérience du son intérieur : «Est-il possible à quelqu'un qui est dépourvu de dévotion et de connaissance de la musique divine d'atteindre la réalisation ?»[6]

5 The Spiritual Heritage of Tyagiraj, Ramakrishna Math, Mylapore, Chennai 600004, p.110
6 Id.. p.592

  L'union de la conscience et du son est semblable à celle de l'abeille intoxiquée et de la fleur. On ne peut plus les distinguer, l'abeille semble répandre du parfum et on entend la fleur bourdonner. La remontée de l'écoute vers le Son suprême est comme un retour à la maison, dans le langage des Sants niji ghar qui a le double sens soit de demeure de l'origine, soit plus familièrement de chez soi. C'est une notion qu'a bien senti l'hindouisme populaire moderne : on voit souvent en se promenant dans le pays des autocollants avec un jeu de mots anglo-sanskrit moins superficiel qu'il n'y paraît de prime abord : «Om, sweet home»...

  Nanak utilise l'expression «contempler le Nom grâce au Son»[7] et conseille les heures du petit matin pour se consacrer à cette pratique. Cela suggère probablement une perception claire du Son intérieur qui sert de toile de fond à la récitation du mantra, ou alors à la réalisation que le Nom suprême n'est pas différent du Son intérieur. Pour Nanak, l'absorption dans ce Son essentiel est l'action la plus pieuse qui puisse être, et la plus effective pour stopper le mental : Le mental pareil à une souris est paralysé quand il boit le mercure du Nom (ou du Son, satnam ou shabd)[8].  On peut faire remarquer que le mercure, le «vif-argent» a une symbolique qui évoque l'éveil de l'énergie de la kundalinî. Nous en parlons dans notre chapitre sur l'alchimie et l'union des contraires dans Le mariage intérieur. Une fois que le Son est clairement perçu, on ne se sent plus jamais seul, l'âme a trouvé son époux : «la musique incréée résonne dans ma véritable demeure, je suis assise sur le même lit que mon Seigneur; j'ai trouvé le Seigneur, il est  mon époux et je vis en paix»[9].

  Le Son ne fait qu'un avec cette conscience pure qui se révèle quand les canaux arrivent à converger : [L'adepte avancé] connaît ida, pingala et sushumna, il voit pour lui-même l'invisible, ô Nanak! Le vrai maître voit au-delà d'eux, il immerge l'adepte dans le Son».[10]

7 cité par Sawant Singh, The Philosophy of the Masters, complete edition, vol IV, Radha Soami satsang, Beas, 1967, 1997, p.164
8 Ibid p.165
9 Ibid; p.175
10 Ibid; p.143

  La conscience qui est absorbée dans le Son est comme un poisson dans l'eau, dit Kabir : c'est par deux de ses formules en forme de proverbe qu'il mettait en conclusion de ses poèmes que nous terminerons cette partie :

Kahé Kabir soï dhoun jâgué/ sabad bân antar lagué

Kabir dit : Que la vraie Mélodie s'éveille/ que se plante en toi la flèche du Son ![11]

Kahé Kabir yah akathâ kathâ hê/ kahat kahî na jâî

Kabir dit : c'est un conte non conté/ on le dit, [et pourtant] il n'est pas dit.[12]

11 G.N.Das op.cit... p.89
12 Ibid  p.73

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Le Om entre science et symbole

par Jacques Vigne

  Pour une science ouverte au symbolisme, il y a beaucoup à découvrir en étudiant le Om.  C'est dans ce travail que s'est plongé le Dr Francis Lefébure[13] : chef de clinique dans les hôpitaux parisiens, il était aussi disciple d'un enseignant spirituel zoroastrien, transmettant l'ancienne doctrine de la Perse. Les zoroastriens, chassés de leur pays par les invasions musulmanes, excercent toujours librement leur religion en Inde.  Il n'est donc pas étonnant que leur enseignement ait un certain nombre de similarités avec le yoga.

13 Dr Francis Lefébure Le Nom naturel de Dieu -Om et les mantras Editions Jacques Bersez

  Une des bases scientifiques des réflexions de Lefébure sur le Om est l'analyse de ce son à l'oscilloscope cathodique.  On sait que cet appareil est à la base du fonctionnement de la télévision. Si cependant on l'utilise non pas pour traduire des ondes hertziennes, mais des ondes sonores, on pourra obtenir des images «télévisées» de divers sons.  En disposant les récepteurs d'une certaine manière, on retrouvera la forme de cercle pour le o, qui correspond non seulement à la forme de la lettre latine et grecque, mais aussi au mouvement de la bouche lors de sa prononciation et le m sera un carré formé de multiples lignes.  Le m est considéré en acoustique comme un «son blanc», c'est-à-dire qu'il est constitué d'une multitude de sonorités différentes, comme le serait la résonnance d'un piano si l'on jouait toutes ses touches en même temps.  D'autres «sons blancs» de la nature sont le grondement des vagues qui se brisent sur la plage, le bruissement du vent dans les feuilles d'arbres, le son d'une cloche, etc... De même, la lumière blanche est le mélange de multiples vibrations qu'on peut séparer les unes des autres par le prisme.

  On retrouve entre le o et le m la relation qui existe entre le cercle solaire et les rayons, le coeur de la fleur et les pétales, ainsi que l'oeil et l'iris.  Il est intéressant qu'en yoga on appelle le troisième oeil au milieu du front «nâda rûpa», la «forme du son».  C'est là que le Om résonne le plus naturellement.  Lefébure suggère même une analogie entre la forme carrée du m à l'oscilloscope cathodique et la forme cubique de l'os sphénoïde, juste en arrière du troisième oeil. C'est comme si le m aimait particulièrement venir vibrer dans cette région, qui est aussi celle de l'hypophyse, le chef d'orchestre des productions hormonales dans l'organisme. Notre infatiguable chercheur fait aussi remarquer que quand on pose la main sur la fontanelle antérieure d'un nourrisson qui crie, en faisant une sorte de «ouin», donc un son nasal,  elle vibre particulièrement fort.  On peut supposer que chez les enfants plus grands et les adultes, la vibration est même plus intense, retenue dans le liquide céphalo-rachidien.

  Si l'on met sur une plaque qui vibre par le son de la poudre de lycopode, on obtient des formes géométriques qu'on appelle les figures de Chladni[14].

14 Id. p. 12 et 24

On peut supposer que le son aide aussi à structurer cette poussière de sensations qu'est notre vécu corporel. Pourquoi ne pas penser même que l'écoute du son du silence contribue à organiser notre corps ressenti qui deviendrait ainsi comme une sorte de mandala ?  Nous avons vu le lien entre le son essentiel et la voyelle a dans l'hindousime et nous le reverrons dans d'autres traditions.  Il est intéressant à ce propos de mentionner la manière à la fois physique et symbolique dont Lefébure interprète l'interjection de douleur la plus courante : «aïe!». Le a est prononcé avec la bouche plutôt verticale, il correspond à une montée directe de l'air-énergie de la gorge vers l'orifice buccal, par contre le i implique une bouche horizontale, il vient en quelque sorte barrer, tirer un trait sur le flot du gémissement naturel du a, les deux combinés forment donc une croix, symbole s'il en est de la souffrance.  Une expérience immédiate de douleur crée une réaction, l'exclamation ah, mais on cherche tout de suite à la contrôler un minimum, ce qui peut être relié au i horizontal. En d'autres termes, on pourrait dire que l'expérience de douleur masque, barre ou «tire une croix » sur le bien-être continu du a fondamental.

  Le son essentiel est toujours présent, mais il est masqué par des bruits extérieurs plus forts, il est comme la clarté laiteuse des étoiles éclipsée chaque jour par l'éclat du soleil.  Sa perception claire et la plus continue possible a quelque chose à voir avec cette musique de fond qui aide certains jeunes à se concentrer sur leur travail : elle induit un éveil de base qu'ils réussissent à projeter ensuite sur les cours qu'ils apprennent, une chose que, personnellement, je serais incapable de faire... Lefébure cite aussi le cas d'enfants qui se bouchent les oreilles pour mieux apprendre leurs leçons.  Il explique cela par une sorte de phénomène d'ancrage  si  on associe, fait prendre racine des phrases dans le «sol» d'un son toujours présent -on parle en physiologie d'acouphène normal- elles seront mieux mémorisées.  De même, si on associe une visualisation à une lumière ou aux phosphènes qui la suivent, elle sera mieux ancrée dans notre mémoire profonde.  Il y a un «mixage acouphénique» de même qu'il y a un «mixage phosphénique[15]».

15 Lefébure  Le mixage phosphénique en pédagogie Editions Jacques Bersez

  On sait que les stimulations répétitives peuvent déclencher des crises d'épilepsie chez des gens qui y sont sujet.  La stimulation sensorielle s'étend aux zones motrices du cerveau et si elle diffuse aux deux hémisphères elle engendre une épilepsie généralisée avec perte de connaissance.  Par ailleurs, le traitement par électro-narcose –ces électrochocs qui n'ont pas bonne réputation mais parfois des résultats spectaculaires dans la maladie maniaco-dépressive– semble soigner en déclenchant une crise d'épilepsie, qu'on limite de nos jours à un hémisphère et qui n'apparaît guère dans le corps, car on donne un médicament pour déconnecter la fibre nerveuse du muscle et ainsi éviter les douleurs post-thérapeutiques. C'est comme si une stimulation intense avait le pouvoir, par effet de rebond,  de créer une relaxation intense.  Dans les pratiques répétitives, mantras, etc., on sent bien qu'il y a des moments où la sensation d'intensité se diffuse rapidement dans tout le corps, mais ce dernier ne se contracte pas, car on s'est donné comme consigne de départ de rester toujours relaxé.  Ces phases d'intensification qui peuvent être assez soudaines entraînent à leur suite, comme en miroir, un état de repos d'une profondeur à laquelle on ne pouvait pas avoir accès auparavant.

  Nous avons vu souvent que la méditation sur le Om était ascendante, elle aidait à la montée de l'énergie recherchée en Yoga. Cela est déjà perceptible au niveau de la face, le o étant prononcé à la fois par la gorge et la bouche arrondie et le m vibrant dans le nez et les sinus.  Nous avons vu aussi qu'à l'oscilloscope cathodique, la forme du o était ronde et celle du m carrée, constituée d'un empilement de lignes droites. De façon plus symbolique, on peut considérer que le bassin est le o, le cercle de base d'où jaillit le m comme une flèche ou un jet d'eau. On retrouve l'archétype du yoni (le cercle du socle relié à la matrice) et du lingam (relié au phallus, mais dirigé vers le haut et non pas vers le yoni). La derniére vertèbre du coccyx a une forme quasiment sphérique, les vertèbres inférieures ont un gros corps arrondi et des petites apophyses épineuses, alors que les vertèbres supérieures ont des corps de dimension de plus en plus faible et de grandes apophyses, avec pour finir l'atlas et l'axis qui consiste en une tige soutenant le crâne[16].

16 Lefébure Le Nom naturel de Dieu op.cit. p.35

Ainsi, on retrouve inscrite dans l'anatomie elle-même la transformation ascendante du cercle en droite, l'affinement progressif du o en m. Toutes ces considérations anatomico-symboliques ne doivent pas nous faire oublier l'essentiel du mantra ou de la prière répétitive : le Nom et le Nommé (nam et nami en hindi), c'est-à-dire Dieu, l'Absolu, sont un. C'est dans cet esprit-là qu'il faut pratiquer pour en retirer le plus grand bénéfice.

  On peut aussi discerner dans le Om une symbolique de mariage intérieur : le o circulaire est féminin, le m associé aux lignes droites est masculin; ou bien, si l'on médite sur le a-o-m, on peut discerner dans le a le son de l'Origine, dans le o celui de l'émerveillement, et dans le m la résonance du mystère qui débouche dans le silence (nous avons vu que la même racine mu-  a donné naissance à mystère et muet, par ailleurs le m, dans le langage des oiseaux n'est pas différent de j'aime, tu aimes, il aime...). L'émerveillement que nous avons pour notre Origine, pour notre vraie nature induit une fusion du sujet et de l'objet qui est une sorte de mariage intérieur. Le m qui s'en dégage est alors comme un enfant infini, un enfant qui «aime» et qu'on «aime»,  qui prend son indépendance et va se lancer joyeusement dans l'aventure du silence jusqu'à s'y perdre.

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Le shivaïsme du Cachemire et l'union de Shiva et Shakti

par Jacques Vigne

  Nous allons maintenant parler plus spécifiquement du mariage de Shiva et Shakti grâce aux notions développées par le Shivaïsme du Cachemire. Il s'agit d'une école qui a culminé vers les IXe et Xe siècle et est illustrée par Utpaladeva et Abhinavagupta. Elle est non-dualiste mais fait, cependant, une place importante à la relation de Shiva et Shakti ainsi que le troisième terme, souvent décrit comme le troisième sommet d'un triangle et qui n'est autre que l'être humain. Dans une représentation intéressante de Shiva et Shakti androgyne, la moité correspondant à Shakti tient en main un miroir dirigé vers Shiva. H.V. Dehejia, qui est un indien enseignant les religions au Canada, prend ceci comme le symbole de toute la tradition Trika (c'est-à-dire du Shivaïsme du Cachemire, basé sur des triades comme Shiva Shakti et l'être humain, etc...) et a écrit un livre entier là-dessus, le Pârvatî darpanam, le miroir de Parvati (Shakti)[16]. L'idée de départ est que la conscience fondamentale (Shiva) a besoin d'un objet (Shaktî) pour prendre complètement conscience d'elle-même. Il y a une sorte de synthèse du dualisme et du non-dualisme dans cette relation, c'est pour cela que le Shivaïsme du Cachemire s'est désigné lui-même sous le nom de parâdvaïta, au-delà du dualisme et du non-dualisme. Parvati a été Satî, la première femme de Shiva, dans une vie antérieure, qui lui a été complètement dévouée (sati avec un i bref signifie «offrande» ou «destruction»). Le miroir rappelle aussi ce lien  à Shiva et il redécouvre une unité oubliée qui n'est autre que sa nature divine. Cette reconnaissance du divin, pratibhijñâ, en l'autre personne et dans le monde est une notion clef de cette école. Au début, le je, aham, est isolé puis se reconnaît dans l'objet aham idam, et enfin dans la forme du monde entier, aham idam vishva-rupam.

  Pârvatî représente aussi l'âme humaine qui cherche à s'unir à la conscience pure (Shiva). Elle est la fille du dieu de la montagne, Pârvat et la tradition dit qu'elle a fait pénitence dans l'Himalaya à Triyugi-narayan. Il s'agit d'un lieu de pèlerinage dont le nom signifie le Seigneur des trois ères (l'âge d'or, etc.). Il est situé en face du cirque de montagne de Kedarnath qui comporte des pics à plus de 6000 m et un temple à Shiva, près d'une des sources du Gange. La vue y est grandiose et l'on se sent récompensé après une montée de la vallée plutôt impressionnante, tellement la pente est forte. Pârvatî est venu répétitivement demander à Shiva de redescendre de son extase intemporelle pour l'épouser. Cela évoque symboliquement la nécessité pour l'aspirant spirituel de réussir le mariage du temps et du non-temps, de l'éternel et du quotidien. L'union de Shiva et de Pârvatî-Shaktî s'appelle sama-rasya, mot qui est pratiquement identique à sama-rasa (le même goût), signifiant équanimité dans des écoles de Yoga comme celle des Naths : pour eux, c'est une notion qui est pratiquement synonyme du Soi. La consommation du mariage intérieur comble tellement qu'elle fait atteindre une stabilité totale, indépendante des hauts et des bas de la vie extérieure. Il n'est pas exclus de voir un rapport entre cette stabilité totale qui est l'idéal des Naths et le sens même de leur nom, ce sont littéralement les «seigneurs».

  Puisque nous avons insisté dans les parties sur l'ascension intérieure et le yoga de l'union des canaux sur l'importance de l'axe central, nous pouvons relever l'importance du madhya-bhava, de l'état du milieu dans le shivaïsme cachemirien[16].  C'est cet état de vide, de suspension entre deux pensées, entre l'inspir et l'expir, entre veille et sommeil ou entre le jour et la nuit qui favorise particulièrement la révélation du Soi. Cette notion s'applique aussi à cette colonne de vide qui sépare les moitiés droite et gauche du dos, d'après le Yoga.

  Elisabeth Chalier-Vishuvalingam, qui a vécu longtemps à Bénarès et enseigne maintenant à l'Université de Chicago, a écrit une étude sur l'union et unité dans le tantrisme hindou[16].  Elle cite une réflexion intéressante d'Abhinavagupta à la fin d'un de ses textes : «Le corps lui-même est le lingam (pierre dressée, symbole) suprême, est Shiva. Il est le mandala principal composé du triple trident (les trois canaux d'énergie), les lotus, les roues (les chakras) et le vide éthérique, âkâsha, l'espace du coeur qui est aussi celui de la conscience pure). C'est là que les cercles des divinités doivent être adorées incessamment, à la fois intérieurement et extérieurement.»[16] J'ai relevé cette réflexion, car elle correspond en fait au travail qui est tenté dans le présent ouvrage à propos de la Bible. On cherche à intérioriser les scènes qui y sont racontées, les installer dans le corps sous forme de visualisation, afin de pouvoir les vivre avec intensité et «incessamment», c'est-à-dire afin de les porter en soi.

  L'axe central du corps, sushumna, a un nom qui ressemble à smashana, la crémation des corps sur le bûcher funéraire. C'est dans cette axe que le «corps» des pensées vient se consumer, se transformer en lumière et chaleur, c'est-à-dire en énergie. Tout ce processus se déroule sous l'égide de Bhairava, le protecteur des champs de crémation et la forme suprême du Divin pour le shivaïsme du Cachemire[16].  Dans le même ordre d'idée, il y a une proximité signifiante de deux mots, chit, la conscience et chitâ, le bûcher funéraire, l'idée commune entre les deux étant sans doute le rassemblement, qu'il soit de morceaux de bois ou d'idées.  En fait, il existe même un mot féminin, chiti, qui a les deux sens.  Je remercie Jean Dupuche d'avoir attiré mon attention sur le fait qu'Abhivanagupta médite de façon signifiante sur cette homonymie dans le Tantraloka[16].   D'un point de vue plus yoguique, sur le bûcher (chitâ ou chiti) de la conscience pure (chit ou chiti) brûle les «cadavres» des formes-pensées avec grande joie (ânanda), d'où un des noms de l'être absolu, chid-ânanda.

   Le frottement des canaux d'énergie qui se rencontrent est comparé à celui des morceaux de bois qu'on utilise encore aujourd'hui de temps à autre en Inde pour allumer le feu à l'occasion d'un rituel important, comme par exemple pour une prise de voeux monastiques. L'un d'eux a la forme d'un cylindre taillé en pointe et pénètre un creux taillé dans l'autre pièce de bois. On fait tourner le cylindre rapidement sur lui-même grâce à des cordes, puis on met du coton dans le creux pour recueilir le début de flamme. Les Upanishads établissent une correspondance entre cet échauffement et l'union sexuelle.

 Shiva et Shakti sont parfois décrits comme yâmala, jumeaux, c'est une façon d'exprimer l'unité dans la différence du couple parfait que nous retrouverons souvent dans la Bible. Dans son humilité, un sage peut aussi se décrire comme le frère ou la soeur de ses disciples. Lors d'une des fêtes les plus populaires de l'année hindoue, raksha bandhan, la fête des frères et des soeurs, Mâ Anandamayi mettait un bracelet, rakhi, au poignet de ses fidèles pour leur demander leur «protection», comme si elle était leur petite soeur. Bien sûr, ceux-ci interprétaient ce bracelet comme une signe de protection pour eux-mêmes.  Le gourou peut aussi méditer en miroir avec son disciple pour l'aider à «percer» ses chakras. Ceci évoque une sorte de mariage intérieur[16].

  Le Soi est au-delà des triades, que ce soient les trois états de conscience (sommeil profond, rêve et veille), les trois qualités, gunas, ou les trois corps, physique, subtil et causal. Ceux-ci sont parfois appelés les trois villes (tri-pura, et le Soi qui les habite et maîtrise est rapproché de la déesse Tripura-sundari, la «belle des trois villes» ou Tripura-antaka, «celui qui met fin aux trois villes», c'est-à-dire Shiva. Ceci fait référence à l'épisode où il a été attaqué par trois villes de fer volantes venues du ciel. Elles avaient été fabriquées par des démons pour le détruire. Shiva, contrairement aux autres dieux, n'a pas été troublé par cette agression massive, il s'est  contenté de rester en position de méditation et de sourire et les villes se désagrégèrent et disparurent comme par enchantement. En d'autre termes, l'art suprême consiste à savoir se mettre dans la position de Shiva, du Soi qui observe et sourit...

   Puisque nous parlons de Shiva dans ce livre sur le Yoga et la Bible,  nous pouvons maintenant trouver un rappochement intéressant entre celui-ci et Jean-Baptiste : malgré les différences de contexte, on sent des archétypes analogues : les deux sont vêtus de peaux de bêtes, ont un bâton à la main, habitent dans des lieux désolés et ont un rapport particulièrement fort avec le fleuve sacré de l'endroit. Jean baptise ses disciples dans le Jourdain en leur versant de l'eau sur la tête et Shiva reçoit l'eau du Gange sur sa propre tête afin de modérer la violence de sa descente sur terre et qu'elle puisse irriguer les plaines sans les inonder ou dévaster. Jean-Baptiste et Shiva ont, en fait, la fonction du maître spirituel, extérieur ou intérieur, qui permet au disciple de canaliser la circulation de l'énergie vitale (fleuve) dans la tête et la colonne afin de la rendre utile et non destructive. Cette maîtrise de l'énergie est aussi signifiée par le bâton bien tenu en main, ainsi que par le rapport de Shiva et de Jean-Baptiste avec les serpents.

  Shiva s'entoure de serpents le cou et les bras, c'est-à-dire qu'il assimile leur énergie en les domptant. Jean-Baptiste n'hésite pas à traiter ses visiteurs d'«engeance de vipères» (Mt 3 7), ce qui est une façon de montrer sa maîtrise des forces ophidiennes qui gisent au fond de la psychée humaine. Les deux figures sont en conflit avec les rois de l'époque (Hérode pour Jean-Baptiste et Daksha pour Shiva) à cause d'une femme (Hérodiade et Salomé qui est leur fille, et Satî qui est la fille de Daksha et l'épouse de Shiva), ce qui dans les deux cas mène à une décapitation, mais avec un sens différent : au temps du Christ, c'est Jean-Baptiste qui a été décapité, alors que c'est Shiva lui-même qui a décapité son beau-père Daksha, qu'il rendait responsable du suicide de protestation de  son épouse Satî.

    Jean-Baptiste était associé par ses contemporains à Elie, le maître du silence et de la méditation[16], il n'a pas attendu Jésus pour établir une relation directe avec Dieu. Il était une voix qui crie dans le désert, c'est-à-dire quelqu'un qui prend conscience directement de l'Etre vide de formes. On peut dire qu'il est le patron des ermites et de ceux qui suivent la voix apophatique, aussi appelée voix de la mystique essentielle; nous en reparlerons. De même aussi en Inde, Shiva protège les yogis qui vivent dans la solitude et ceux qui suivent la voix de la connaissance (Dakshinamurti, le maître adolescent qui enseigne en silence est une manifestation de Shiva; il est aussi associé à Shankarâchârya et donc au principal exposant du védanta). Il n'y a pas lieu de chercher des liens historiques entre Shiva et Jean-Baptiste, mais on peut supposer que la logique même des archétypes, mêlée aux circonstances particulières de l'époque dans le cas de Jean-Baptiste, permet de rendre compte des similarités étonnantes entre les deux figures.

  Le shivaïsme du Cachemire en tant que tradition philosophique et spirituelle a été interrompu par les invasions musulmanes à partir du XIe-XIIe siècle dans la région, bien qu'une dévotion shivaïte populaire ait pu s'y maintenir jusqu'à maintenant. La tradition philosophique est renée en ce siècle grâce aux efforts de Laxman Jhoo et de nombreux universitaires comme Jaidev Singh, à Bénarès et Lilian Silburn, en France. Il est bien possible qu'une des raisons de la disparition historique de cette école ait été également une décadence dûe à l'utilisation de pratiques sexuelles dans le cadre du tantrisme de la main gauche. Un autre nom de l'école est kula-marga, la voie de la famille. De façon plus atténuée, cela peut aussi faire allusion à des initiations plus que concrètes entre un gourou homme et une disciple femme ou vice-versa (Chalier, in Between Jerusalem..., p.212, et Silburn, Kundalini, deuxième partie). Il est bien possible que ces pratiques aient contribué à la disparition de l'école, bien que le Père Jean Dupuche, dont nous avons parlé à la fin de l'introduction et qui a fait sa thèse de doctorat sur les rituels conteste cette idée et affirme qu'elle provient d'une mauvaise compréhension des textes. On peut de toutes façons remarquer que nombre de notions du shivaïsme du Cachemire ont pu émigrer et perdurer jusqu'à nos jours dans l'école du shaïva siddhanta dans le sud de l'Inde.

   Abhinavagupta avait prévenu dans ses textes que seulement une personne sur un million pouvait pénétrer le sens réel, expérimental de ce qu'il décrivait. S'il en était ainsi il y a un millénaire dans un cadre traditionnel avec la présence de gourous compétents, combien y a-t-il de chances que ces pratiques de la main gauche réussissent dans le contexte occidental  moderne dépourvu de bases traditionnelles ? Je n'en vois guère, tout au plus peuvent-elles avoir l'avantage de créer un commencement d'intérêt pour les pratiques spirituelles chez des gens qui sont tout au début de la voie.

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Le pouvoir des mantras

par Bhaïji

  Mâ Ananda Moyî n'a pas reçu à notre connaissance d'initiation d'un guru et en cela elle n'a pas suivi la coutume habituelle. Sa connaissance élevée n'est pas non plus le produit de l'étude des Ecritures sacrées. Nombreux sont ceux qui considèrent qu'elle est une descente du Divin pour le bien des êtres de notre époque

( yuga).

  Encore petite fille, elle manifesta en son corps une variété de phénomènes étranges, mais son entourage ne les remarqua guère. Déjà, dans les jeux de l'enfance, elle semblait si détachée et non concernée que beaucoup de gens se mirent à considérer qu'elle était atteinte de déficience mentale. Même ses parents avaient des doutes sur son avenir; il arrivait parfois qu'elle ne sache pas où elle se trouvait, ou qu'elle ne puisse pas se souvenir de ce qu'elle avait dit ou fait quelques minutes auparavant.

  On raconte que, durant son enfance, en se promenant elle parlait aux arbres, aux plantes et aux êtres invisibles. Elle communiquait aussi avec eux par des gestes. Parfois, elle tombait dans un état d'absorption et elle se retirait de toute conversation.

Entre dix-sept et vingt-cinq ans, elle commença à manifester toutes sortes de phénomènes extraordinaires. A certains moments, elle devenait muette et immobile après le chant des noms divins. Pendant le kîrtan, son corps se raidissait et se figeait. Après avoir entendu un discours religieux ou visité un temple, son comportement ne semblait plus normal.

  A l'âge de vingt-deux ans, elle alla avec Bholanâth à Bajitpur et y demeura pendant cinq ou six ans. A la fin de cette période, elle se mit a émettre spontanément des mantras. Ses membres se mettaient automatiquement dans des postures de yoga. Pendant que le Divin se manifestait dans son corps de cette façon à Bajitptur, elle cessa de parler pendant environ un an et trois mois et quand elle vint à Dacca elle poursuivit son silence pendant un an et neuf mois, arrivant ainsi à un total de trois ans. A la fin de cette période, on pouvait percevoir en elle une paix immaculée (nirmala) et un sentiment d'immensité. Il était clair que les mouvements extérieurs comme intérieurs ne l'affectaient plus et qu'elle était stable dans le Soi.

  Pendant tous ces événements hors de l'ordinaire, Pitâjî exprimait souvent une grande anxiété quant à leur évolution. Pourtant, en dépit des critiques et des commentaires il n'empêcha jamais Mâ de suivre son chemin.  On recourut à l'aide de sâdhu et d'exorcistes, craignant qu'elle ne fût possédée par quelqu'esprit malfaisant. Cela ne servit à rien; qui plus est, quand ces personnes tentaient de la traiter, elles étaient obligées de battre en retraite, stupéfaites et apeurées. Ce n'est qu'en implorant sa miséricorde qu'elles pouvaient retrouver leur équilibre.  Divers dieux et déesses se manifestèrent par l'intermédiare de son corps pendant cinq mois et demi. Elle les voyait en vision et leur rendait un culte, après quoi ils ou elles s'évanouissaient complètement. Quand elle avait fini le culte d`une des divinités, une autre prenait la place. Pendant le rituel, elle ressentait souvent qu'elle était à la fois l'adoratrice, l'adoré et l'acte d'adoration, qu'elle était également les mantras, les offrandes et chaque objet nécessaire au culte.

  En fait, durant ces rituels, il n'y avait pas d'objets matériels en cause : il n'y avait pas non plus de désir de sa part d'accomplir une cérémonie.  Dès qu'elle s'asseyait dans un endroit solitaire, toutes les activités physiques et mentales nécessaires au culte se manifestaient mystérieusement d'elles-mêmes. On eut plus tard, venant de la part de spécialistes des rituels et des Ecritures, Ia confirmation que sa manière d'accomplir les differents cultes des divinités était en accord avec les règles données dans les textes. Quand on lui demandait comment il lui était possible d'accomplir si parfaitement ces rituels, elle répondait : "Ne me demandez rien aujourd'hui, vous le saurez quand le moment sera venu".

  Le 10 avril 1924, Mâ arriva à Dacca et une semaine plus tard elle s'installait à Shahbag. De nombreux fidèles commencèrent à se rassembler pour pouvoir la voir. En 1925, certains d'entre eux lui demandèrent de célébrer Kâli Pûjâ, car ils avaient entendu dire qu'elle le faisait de manière merveilleuse.  Elle leur répondit : "Je ne connais guère les rituels décrits dans les Shâstras, il serait préférable que vous fassiez intervenir un prêtre de métier".  Cependant, elle accepta par la suite de célébrer la Durgâ Pûjâ à la demande instante de Bholanâth.

  C'était une grande joie pour les fidèles de Mâ de faire une pûjâ pour I'honorer : mais quand celle-ci, pour les enseigner, accomplissait elle-même les rites pour rendre un culte à la divinité, leur joie ne connaissait plus de limites.

  On apporta une statue de Kâlî.  Shrî Mâ s'assit sur le sol, en posture de méditation, absolument silencieuse. Ensuite, elle commença la Pûjâ comme si elle était submergée de dévotion; elle chantait des mantras et plaçait des fleurs sur sa propre tête au lieu de Ie faire sur celle de la statue. Tous ses gestes semblaient être ceux d'une poupée, comme si une main invisible l'utilisait à la façon d'un instrument docile pour pouvoir manifester le Divin. De temps à autre, quelques fleurs étaient jetées sur la statue de Kâlî.  Ainsi se déroula la Pûjâ.

  On allait sacrifier un bouc. On le baigna. Quand on l'apporta, Ma elle-même le prit sur ses genoux et tapota son corps doucement avec les mains. Ensuite, elle récita quelques mantra en touchant certaines parties du corps de l'animal et lui chuchota quelque chose à l'oreille. Puis elle rendit un culte au grand couteau avec lequel on allait sacrifier l'animal. Elle se prosterna sur le sol et plaça le couteau sur sa propre nuque.  Trois sons, comme des bêlements, sortirent de ses lèvres. Ensuite, quand l'animal fut sacrifié, il ne bougea pas, resta silencieux et l'on ne trouva pas trace de sang sur la tête coupée ou du côté du corps. Ce n'est qu'avec grande difficulté qu'on réussit à en extraire une goutte du cadavre de l'animal. Pendant tout ce temps, une beauté intense et hors de l'ordinaire émanait du visage de Mâ et durant la cérémonie tous les gens présents étaient profondément absorbés comme envoûtés par la grandeur sacrée du moment.

  En 1926, les fidèles prièrent Mâ de célébrer à nouveau la Pûjâ. Elle ne dit rien. Plus tard, alors qu'on la menait chez un de ses fidèles, elle leva la main gauche, sourit et resta silencieuse. Quand Pitâjî lui demanda la signification de son geste, elle ne répondit pas. De nouveau, quand elle prit son repas dans cette maison, elle refit le même geste de la main gauche. Quelques jours plus tard. Mâ expliqua qu'en allant chez le fidèle elle avait vu la déesse Kâlî, tout à fait vivante à cent cinquante mètres de là; elle flottait à une dizaine de mètres au-dessus du sol, tendant les bras vers Mâ comme si elle désirait s'asseoir sur ses genoux. En prenant le repas ce jour-là, la même représentation s'était retrouvée en face d'elle comme une petite fille. C'était pourquoi elle avait levé la main gauche.

  La veille de Kâlî-Pûjâ, quand les fidèles renouvelèrent leurs prières à Mâ, elle demanda à Pitâjî : "Faites l'officiant vous-même, puisqu'ils ont tellement envie de célébrer la Pûjâ." Il leur dit : "Mâ me demande de célébrer la Pûjâ. Je le ferai donc. Pourriez-vous préparer tout ce qu'il faut ?"   Ils demandèrent quelle devait être la taille de la statue et Pitâjî suggéra qu'elle devait avoir la taille que Mâ avait indiquée en levant la main gauche à deux reprises.

A ce moment-là, Mâ était allongée sur le sol, sans mouvement, dans un état inerte. Il était onze heures du soir. On prit des mesures approximatives. Il y eut une grande discussion pour savoir comment il serait possible d'obtenir en si peu de temps une statue de la taille indiquée. Sans trop y croire, Shrî Surendra Lal Banerjee alla de Shahbag en ville et il trouva dans une boutique en ville une statue aux bonnes dimensions. Il y avait douze statues en tout; onze avaient déjà été commandées par des clients; celle qui restait avait été faite par l'artiste de sa propre initiative.

  On apporta la statue suffisamment à temps. Shrî Mâ s'assit pour accomplir la pûjâ. Il y avait une atmosphère divine autour d'elle. Au bout de quelque temps, elle se leva soudain et dit à Pitajî : "Je vais à ma place maintenant, continue la Pûjâ". En disant cela, elle alla à côté de la statue et s'assit sur le sol avec un rire étrange. On ne peut décrire avec des mots à quel point la vibration du Divin était palpable dans la salle où se déroulait la Pûjâ. Mâ dit : "Fermez tous les yeux et récitez le nom de Dieu".

  La salle était pleine à craquer; un homme qui était debout dehors jeta un coup d'oeil à l'intérieur sans se faire voir. Pourtant Shrî Mâ l'appela par son nom et lui ordonna de fermer les yeux. Personne ne savait à ce moment-là ce qui était arrivé, mais quand tout le monde ouvrit les yeux, on s'aperçut qu'un avocat, Brindaban Chandra Basak, gisait sur le sol, inconscient. Il déclara ensuite :"Quand je regardai à l'intérieur un bref instant, je vis une lumière éclatante émanant du visage de Mâ. C'était si puissant que j'ai perdu connaissance. Je ne sais ce qui est arrivé ensuite."

La pûjâ se termina à l'aube. Il n'était pas prévu de sacrifice. Quand vint le moment de la dernière offrande, Shrî Mâ dit : "Que rien ne soit offert et que le feu sacrificiel soit préservé." Ce feu continue de brûler jusqu'à ce jour (et brûle encore en 1998 dans les ashrams de Bénarès, Kankhal et Naimisharanya).

  Le lendemain était le jour où la statue devait être plongée dans les eaux. La femme de Niranjan arriva avec tout ce qu'il fallait pour la cérémonie. Quand elle regarda la statue, elle dit à Mâ avec émotion : "Mâ, je ne peux me résoudre à mettre à l'eau cette statue". Mâtajî répondit : "Ces mots qui sortent de tes lèvres indiquent probablement que la Déesse ne veut pas être immergée. Très bien,  qu'on s'organise pour la conserver et lui rendre un culte".

  Malgré tous les changements de circonstances, on a réussi à garder cette statue d'argile debout, dans la même position, depuis douze ans. A ce propos, on peut mentioner deux incidents. Le premier se déroula en septembre 1927. Mâtâjî partait de Chunar pour Jaipur. J'étais là-bas à ce moment-là, en convalescence et j'allai à la gare lui dire au revoir. Shrî Mâ m'indiqua un certain endroit, près de la colline sur laquelle le fort était construit et me dit de m'y rendre sur le chemin du retour. J'y trouverais une guirlande de fleurs d'hibiscus que je devrais prendre et conserver précieusement. J'ai fait comme elle m'avait dit. Lorsqu'elle revint à Chunar, elle vit cette guirlande. Par la suite, lorsqu'elle retourna à Dacca, on s'aperçut que ce jour, exactement où j'avais trouvé la guirlande à Chunar, on avait omis de disposer la guirlande autour du cou de la déesse Kâli à Ramna, bien que le prêtre eût l'habitude d'en offrir une.

  Le second incident se passa lorsque Shrî Mâ était au bord de la mer à Cox's Bazar. Elle se promenait sur la plage, quand elle dit tout avec un sourire : "Regardez mon poignet, n'est-il pas cassé ? Examinez-le de près, peut-être y a-t-il une fracture."  La nuit même, un voleur s'était introduit dans le temple de Kâli à Ramna et avait dérobé ses ornements, en brisant aussi le poignet de la statue.

  Une fois, pour la célébration de Vasanti-Pûjâ à l'ashram de Siddeshwari, Shri Mâ était présente lors du rituel où l'on donne vie à la statue. Pendant qu'elle la regardait, les yeux de celle-ci se mirent à briller comme ceux d'un être vivant. Shri Ma dit : "Les formes des dieux et des déesses sont aussi réelles que votre corps et le mien. On peut les percevoir en s'ouvrant à la vision intérieure par la pureté, Ia vénération et l'amour."

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Poème d'Antonio Eduardo Dagnino
Pour Mâ

Samadhi

Con un diluvio de ondas luminosas

y vibraciones,

Me penetraste

despertando los Vortices Heliocéntricos.

Maravilloso y terrible

es sentir un torbellino espiral

que asciende, asciende apartando los velos sutiles.

Lo finito se funde al infinito

... Yuno se diluye

               sin poder asir nu su cuerpo

Avec un déluge d'ondes lumineuses

et de vibrations,

tu m'as pénétré

éveillant les tourbillons héliocentriques.

C'est merveilleux et terrible

de sentir un mouvement spiralé

qui monte, monte en écartant les voiles subtils !

Le fini se fond dans l'infini

...et on se dissout

        sans pouvoir même rester attaché à son corps !

                                                                         Kashi.

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Nouvelles

Table des matières

Paroles de Mâ                                                  

Réponses de Vijayananda                                

Premier darshan   A..E. Dagnino                    

Poésie et son du silence chez Kabir                  

et les Sants (2e partie)  J. Vigne                    

Le OM entre science et symbole  J. Vigne      

Le shivaïsme du Cachemire  J. Vigne              

Le pouvoir des mantras  Bhaïji            

Poème   A.. Dagnino                                    

Nouvelles                                                        

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