Jay Mâ n°98
(AUTOMNE 2010)
Paroles de Mâ
Extraites de ‘Les Enseignements de Mâ Anandamayî’
Chapitre 9 – Le Gourou
Le principe du Gourou est particulièrement profond. Le gourou doit être vu comme Dieu Lui-même. Le Gourou ne peut pas être repoussé. Si on abandonne un Gourou c’est qu’on ne l’a jamais choisi. Jamais un Gourou ne pourrait commettre un acte injuste ou indécent. Quand on considère que la relation avec le Gourou est parfaite, le pouvoir du Gourou et la dévotion pour lui ne se relâchent jamais. Dieu, qui est la vérité même, fait en sorte que la recherche de la vérité parvienne à son accomplissement.
Votre Gourou est aussi le Gourou du monde, le Gourou du monde est également votre Gourou. Il ne faut pas aller dans un lieu son Gourou n’est pas respecté.
Rappelez-vous que le Gourou est uniquement Celui-là Lui-même.
Le Gourou est à l’intérieur. Lorsque la vraie recherche commence, il y a révélation. Il est impossible de demeurer sans l’illumination. Il vient sous forme du Gourou et Se révèle, ou Sa manifestation vient à la lumière.
Le chemin vers Dieu est direct et facile. Quelle que soit la parole du Gourou, c’est le meilleur mantra qui soit. Il ne peut y avoir d’illumination que si le japa du mantra est pratiqué avec exactitude. Lorsque le pouvoir du Gourou est manifesté, ne devrait-il pas porter ses fruits ? Il est clair qu’on se fera brûler si on pénètre dans le feu . Il est dans tous les noms et toutes les formes, et Il est aussi sans nom et sans forme. Si on aime les noms, alors Il est là, dans tous les noms et toutes les formes. Mais aussi si on préfère le Sans forme, alors Il est sans nom et sans forme.
Dieu Lui-même se manifeste en tant que Gourou. Croyez cela et appelez-Le.
Dans le contexte du Gourou, tout comme la statue ne doit pas être prise pour la pierre, le Gourou ne doit pas être considéré comme un être humain. Le Gourou doit être considéré comme Dieu. Si vous le voyez comme un être humain, cela signifie que vous ne l’avez pas accepté comme Gourou. La raison en est la suivante : est-ce qu’un être humain pourra jamais devenir Gourou ? Gourou signifie Japat-Guru (Enseignant du monde). Japat-Guru c’est celui qui inverse, qui transforme la progression vers la mort, en une progression vers l’immortalité. [jag- correspond à la racine d’aller, de mouvement] Celui qui engendre une telle transformation ne peut être que le Gourou intérieur. Lorsqu’un Gourou prend un disciple sous sa protection, il ne se sépare de lui que lorsque le disciple a atteint son but. Le problème du départ du Gourou ne se pose même pas. Où irait-t-il ? Y a-t-il aucune interrogation au sujet de sa venue ou de son départ ? Vous ne comprenez donc pas ? Dans le cas du Gourou, le problème n’est jamais soulevé. Parce que, là, le corps n’existe pas.
Il y a maintenant un autre point à considérer, à savoir, que même lorsque le Gourou s’en va, et que vous ne Le voyez plus dans Son corps physique, Il continue, tout le temps, à chaque instant et aussi longtemps que vous n’avez pas atteint votre but, à vous guider, à vous aider à vous accrocher à cette voie qui est la vôtre. Quelle est la signification de Sa générosité ? Où ira-t-Il ? Concernant Son départ, il n’y a pas de question. Il se révèlera Lui-même.
Où est le Gourou, en présence de votre « Moi-ité » ? Là où cesse la dualité de « mien et tien ». Peut-être dans le Gourou ou dans l’Ishta – le Gourou est dans l’Ishta et l’Ishta est dans le Gourou. L’L’Ishta est aussi dans le mantra – Il est dans toutes choses, dans la même mesure.
Quand le Gourou est accepté comme il se doit, alors le Gourou ne peut plus être désavoué. Le Gourou est toujours présent avec le disciple. Dieu est en fait le Gourou de l’être humain. Il devrait toujours Lui faire confiance. Kriya (exercice spécifique de sâdhanâ), pratique du yoga etc... ne sont pas possibles sans la présence du Gourou. Alors que c’est possible le japa et la méditation en Son absence. Pour la tranquillité de votre esprit, essayez de méditer dans une bonne posture, âsana. Il faut vous efforcer de garder l’esprit fixé sur le but spirituel suprême. Il n’y a que de cette façon que l’on peut espérer l’ouverture de la voie vers la paix.
Tout comme il est impossible d’étudier à l’université sans l’enseignement d’un professeur, il est impossible de posséder la Brahmavidyâ (la connaissance de Brahman, l’ultime réalité) sans Gourou. C’est là en fait, le problème pour l’élévation spirituelle, le salut et tout le reste.
Le Gourou a des formes sans nombre, des manifestations sans nombre et des non-manifestations sans nombre. Il se révèle en effet sous la forme du Gourou, de L’Ishta et du mantra. Dans le contexte de l’esprit, de l’âme, il n’y a qu’un seul Atman omniprésent. Il [le Divin] est avec Lui-même en Lui-même si. Pour la révélation de Son swarup (existence véritable, essence) il existe différentes voies, différentes manières dans ce monde-ci. Là encore il se retient. Mais il ne s’agit pas de retenir ou de ne pas retenir. Ce que l’on recherche c’est Sa révélation.
Il est vrai que si un Gourou n’est pas suffisamment compétent, cela peut porter de sérieux préjudices.
Beaucoup se repentent d’ « une initiation faite avec un satgourou (précepteur) sans que hélas, rien ne se soit passé ». Il faut beaucoup de temps pour faire disparaître une tache noire d’un vêtement. Est-il possible d’éliminer la tache profonde de la chitta (la conscience la plus intime) en l’espace de quatre ou cinq jours ? Si l’on a une foi solide, une grande dévotion pour son Gourou ainsi que du respect pour ses conseils, et que l’on est dans l’upasana (pratique spirituelle) en pleine conscience, le résultat apparaîtra sans aucun doute.
Le Gourou Lui-même est dans le mantra d’initiation. Vous pouvez être témoin du départ de son corps physique, mais le Gourou, en fait, ne s’en va jamais. Il y a tellement de larmes sincères qui coulent pour Lui – le Gourou – alors pourquoi y aurait-il des obstacles qui entraveraient le cheminement sur la juste voie, avec l’aide de Ses conseils et de Son enseignement ? En vérité, le Gourou est un.
Le chemin qui mène à la réalisation du Soi passe par les directives du Gourou. Là où les actions liées à l’éveil de la Kundalini (une shakti précise qui se trouve enveloppée dans trois plis et demi au niveau du chakra inférieur – Muladhara) sont nécessaires pour la réalisation de Dieu. Il est impossible qu’Il ne réponde pas. Est-il possible que Dieu ne se manifeste pas Lui-même, alors qu’on Le cherche véritablement ?
Lorsqu’on recherche le Gourou intérieur, on peut prendre, en attendant de le trouver, un précepteur, un enseignant. Il convient de suivre le chemin et de centrer sa dévotion vers un point unique. Toute situation liée à Dieu doit être acceptée. Celui qui cherche Dieu sans autre but trouve son chemin. Il Se révèle Lui-même.
Le plus grand des services qu’on puisse rendre au Gourou, c’est de suivre sans aucune hésitation ses directives, en partant de là où vous êtes. Il arrive que le Gourou Lui-même prépare la voie afin que Ses instructions soient suivies. Ainsi, il peut arriver que grâce à vos efforts, la capacité, le pouvoir de réaliser Ses instructions, se manifestent. Une totale dévotion doit accompagner l’accomplissement des instructions.
Le lien Gourou-disciple devient perpétuel lorsque la relation est authentique. Dans le cas d’un Gourou puissant, quand une défaillance survient, il est très probable que Gurushakti (le pouvoir du Gourou) le ramènera par son attraction le disciple vers la foi.
Celui qui respecte véritablement le Gourou ne peut se nourrir de la haine à l’endroit de quiconque. S’il avait de la haine pour quelqu’un, cela équivaudrait à avoir de la haine pour son propre Gourou. Le Gourou pénètre en tout, Il est en chacun. Avoir foi en cela est nécessaire.
Quelles que soient les instructions que le Gourou donne à son disciple, elles doivent être suivies sans contestation. Continuez à lire des textes spirituels et prenez part à des satsangs (rencontre de personnes spirituelles et discussions sur ces thèmes). Pour la révélation de Dieu, la vérité, demeurez assis, immobiles, l’esprit vide. Celui qui s’absorbe dans le yoga le fait pour CETTE révélation uniquement.
Dans les cas où on se demande si l’initiation est nécessaire ou non, Mâ dit : « L’initiation a lieu lorsque c’est nécessaire, au moment voulu. Restez dans la contemplation de Dieu. Il fera ce qui doit être fait, au moment opportun, croyez-moi.
Même sur ce chemin épineux, le Gourou vous tire sans arrêt vers Lui, en vous tenant par la main – rappelez-vous cette vérité. Il est très possible que quelqu’un considère une simple lueur comme la lumière. Mais Il est dans toutes les formes. Essayez de rester fermement immobile, à chaque instant et selon vos capacités, le regard dans la direction du point où a lieu la révélation libre de tout obstacle.
C’est Lui qui est sous forme de recherche du Gourou, ainsi que sous forme de l’atteinte de la réalisation, mais il est indispensable d’éprouver un désir vrai et profond. Ayez-Le toujours en vous afin de mieux Le connaître.
Pour que le parcours du voyageur vers l’illumination connaisse un déroulement heureux, il faut impérativement respecter les instructions du Gourou. Mais en l’absence des instructions du Gourou, appelez-Le [le Divin] comme votre coeur vous incite à le faire. Et continuez à vous ’impliquer dans la prière et la méditation.
Essaie de poursuivre, sans discontinuer, le japa et la méditation du mantra de l’initiation. Une fois qu’Il a pris ta main Il ne t’abandonne plus. Rends un culte constant à Ses pieds. (Chacun de nous est) Son enfant, et s’il y a désir véritable et profond Il ne refusera jamais.
Efforce-toi de devenir un disciple. Ce n’est qu’ainsi que tu trouveras un Gourou. Le chemin de la grâce s’ouvrira et tu découvriras le courant de la compassion.
Il y a toujours une chance d’obtenir ce qu’on cherche quand on le désire vraiment. Au moins, deviens déjà chercheur par la prière.
(Traduit par Jean E. LOUIS)
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Vijayânanda
Le maître spirituel caché derrière le gentil grand père.
Témoignage de Nicolas Gailledrat
Il y a 60 ans, un jeune médecin français qui voyageait en Inde rencontra Mâ Anandamayî, la grande mystique bengalie. Rompant radicalement avec sa vie précédente, il la suivra désormais dans un engagement total passant trente et un ans et demi avec elle, et vivant pendant presque soixante ans dans ses ashrams. C’est l'une de ces relations rares fondées sur une rencontre entre le vrai gourou et le vrai disciple. Celui qui était devenu Vijayânanda a quitté son corps le 5 avril 2010, à l'âge de 95 ans, après des décennies d'une intense sâdhanâ. Depuis 1976, il réside dans l’ashram de Mâ à Kankhal, dans le nord de l'Inde près d'Hardwar, où se trouve le samâdhi (le tombeau) de la sainte, et depuis 1985 environ, ainsi que Mâ lui avait demandé, il accueille les occidentaux. Ne délivrant pas à proprement parler d'enseignement, conformément à la tradition, il répond aux questions de chacun. Il ne se considérait pas lui-même comme un sage, mais comme un chercheur qui avait reçu la grâce de Mâ.
Parler de Swami Vijayânanda me semble aussi difficile qu’exprimer ce que je ressens lorsque j'oriente mes yeux vers la profondeur du ciel d'une nuit d'août, illuminé de l'infini des étoiles. Alors, je scrute le plus loin possible. Expérience étrange ! Certes, il m'arrive de reconnaître quelques constellations familières, comme la Grande Ourse, qui me rassure, mais ce qui prédomine, c'est ce sentiment indestructible du grandiose, cette petite voix qui me dit au fond de moi : « N’oublie jamais ce que tu vois en ce moment, ces choses-là sont toujours présentes, même lorsque le soleil réapparaît à la naissance du jour et fait disparaître toute cette profondeur de l'infini. »
La toute première fois que j'ai rencontré Swamijî, il y a environ quatre ans, j'ai eu le sentiment d'être en face d'un « gentil grand-père, » vraiment tout à fait anodin... Mais comme cette rencontre s'était faite grâce à l'intervention d'un ami que je respecte et écoute tout particulièrement, je me suis forcé, en quelque sorte, à être à l'écoute attentive de ce que ce « gentil » grand-père, vêtu d'orange, avait de particulier à dire, et j’ai observé sa manière d'être tout simplement. Il posait des questions aussi banales que : « Vous n'avez pas froid ? », « Vous avez fait un bon voyage ? », « Vous habitez à quel endroit ? » Interrogations parsemées de silences qui semblaient très gênants ; puis il reprenait : « Ou êtes-vous hébergés en ce moment ? » Normal, pour un grand-père, non ? Il racontait parfois, à la demande de quelques-uns, les anecdotes de sa vie auprès de Mâ Anandamayî. D’autres fois, pour des questions similaires, il « envoyait très gentiment balader » ceux qui l'interrogeaient, en disant qu’il n'était pas là pour raconter. Petit à petit, ce personnage aiguisa mon intérêt car il ne me semblait pas aussi « lisse » que cela. Je m'aperçus de bien surprenants détails ! Comme le fait qu'il répondait aux questions, des plus idiotes aux plus complexes, avec la même tranquillité, la même douceur, mais surtout avec la même certitude, et même avec une telle réalité, une telle ampleur, une telle conviction, une présence telle que cela devenait une évidence ! J'ai expérimenté directement le fait que si nous avons la réponse à un problème, alors il n'y a plus de problème, quelle que soit la qualité et la complexité de la question et de la problématique
Il est important de connaître le contexte des satsangs (moments partagés). Généralement Swamijî venait dans la cour du samâdhi (tombeau) de Mâ Anandamayî, sur le banc adossé au yajnâshâlâ (petit édifice où est entretenu en permanence un feu sacré). Cet endroit est très bruyant, la rue est à une quinzaine de mètres, et toutes les activités extérieures y résonnent. Parfois le bruit s'intensifie car les prières et arati dans le samâdhi sont amplifiées par des haut-parleurs qui donnent directement dans la cour où nous sommes installés. Ainsi, si nous ne sommes pas extrêmement attentifs et près de Swamijî, nous ne pouvons pratiquement rien comprendre. Parfois quelqu'un répète ce que disait Swamijî et la question posée, et ainsi nous pouvons recevoir ses paroles. Je réalisais que Swamijî était bien sourd. Parfois, on devait lui parler très fort dans les oreilles, mais d'autres fois il comprenait la question d'un de nos voisins alors que nous étions éloignés, et que moi-même, avec le bruit, je ne pouvais entendre les mots prononcés. Il comprenait donc sans vraiment entendre… Au sujet du bruit, il disait en souriant : « Cela vous force à être concentrés ! » Il disait aussi : « Ce n'est pas important de comprendre ! »
Je compris que je pouvais lui poser des questions et lui parler de n'importe quel sujet. Une fois, je suis venu le voir au satsang pendant deux soirs et j'ai pu lui parler en privé. J'avais voyagé pendant 52 heures pour rester seulement deux fois deux heures avec lui, avec le désir intense de déposer cinq questions très importantes pour moi. Avant même de lui poser une seule question, j'avais déjà les réponses de trois d'entre elles dès que je me trouvais près de lui. Une autre question a eu sa réponse dans celle qu'il donna à quelqu'un d'autre ! Finalement, je l'interrogeais peut-être pour satisfaire mon mental qui voulait une relation particulière avec lui
Je pris conscience presque physiquement que les complications reviennent au galop lorsqu'on oublie le firmament et nous l’oublions souvent à cause de la lumière du monde, avec l'activité qu'elle déploie et dans laquelle je me replonge quotidiennement. Désormais, quelque chose me semble évident : c'est cette chère Mâyâ, l'oubli de cette infinie, cette délicieuse illusion de l'identification à ce jeu du monde rayonnant d'énergie dynamique, qui nous fait oublier ce firmament infini. Mais si je reste conscient de ce firmament au milieu du soleil et de la ligue du monde, voilà Mâyâ qui s'efface ! Merci, Swamijî, de m'avoir fait ressentir que si cet infini est en vous, il est permanent aussi en moi.
Petit à petit, une transformation intérieure se faisait malgré moi. Je me rendis compte que j'étais magnétisé par... Par quoi ?... Cette étonnante présence ? Cette simplicité qui rend chaque instant, chaque réponse, une évidence ? Maintenant, je peux dire de lui : pas d’agressivité, pas de peur, pas d'orgueil, aucune trace d'ego, et même de « non-ego ». Pas plus de volonté de faire du bien ou du mal, pas de voile d'aucune sorte, pas de publicité pour quoi que ce soit, ni pour lui-même ni pour autrui. Sauf pour tenter, me semble-t-il, d'honorer quelqu'un pour le faire « travailler » sur quelque chose : autrement dit, tenter de lui faire prendre conscience de ce quelque chose d'important pour lui. Aurait-il donc renoncé à renoncer ?
Un des derniers soirs en sa compagnie, je lui dis que je trouvais magnifiques les policiers qui étaient là pour garder l'ashram durant les fêtes de la Kumbha-mêla. Au moment où des moinillons sortaient du samâdhi de Mâ avec la flamme sacrée qu’ils portaient à chacun pour une sorte de communion traditionnelle, les policiers quittaient leur rôle pour un court instant afin de partager ce moment précieux. Je lui expliquai qu'à Paris, la pression policière était toute autre. Swamijî me regarda de son regard si doux et si pénétrant, avec cette fois-ci une sorte de sourire, et me dit : « Vous n'aimez pas les policiers, n'est-ce pas ? » J'étais mis à découvert, mais c'était tellement rempli d'amour de sa part.
Il se mettait toujours au niveau de celui avec qui il conversait ou partageait et ne cessait, en fait, de faire cadeau sur cadeau, même si parfois ils semblaient quelque peu acides, voire empoisonnés. Un des moments les plus forts avec Swamijî nacquit d'une situation rocambolesque. Un petit groupe discutait après le satsang, juste après le départ de Swamijî chez lui. Nous nous séparâmes pour rejoindre nos lieux de vie, et me voici accompagnant une jeune femme sur le chemin de la Guest House. Nous marchions dans la rue, lorsque son regard se tourna et qu'elle aperçut Swamijî, aidé de deux brahmanes pour monter à l'étage où il habitait. À cette époque, il marchait encore mais très difficilement et faisait un effort immense pour monter les deux étages en se faisant aider. Il était à mi-parcours, c'est alors qu’à ma grande surprise cette jeune fille s'écria très fort : « C'est Swamijî ! Bonsoir Swamijî ! » J'ai vécu ce moment dans l'effroi, avec le sentiment de vouloir disparaître... Cette inconsciente ne voit-elle pas les difficultés de Swamijî ? Il stoppa net son ascension, et fit un long et lent demi-tour sur la marche pour faire un dernier coucou de là-haut à cette personne. Je transpirais d'émotion, partagé entre le désir de lui scotcher la bouche ou de disparaître... Revoici Swamijî qui, avec un grand sourire, lui fait coucou. Mais ce n'était encore rien ! Voilà qu'il se met à redescendre avec l'aide des deux brahmanes, au prix de grands efforts. Au bout de cette longue descente périlleuse, il s'approche de la grille pour encore saluer et venir à notre rencontre ! J'étais tellement stupéfait, touché au plus profond, j’avais envie de hurler : « Comment est-ce possible ? » Finalement, je réussis dans mon coeur, suite un grand effort, à remercier cette jeune femme de sa non-conscience ou de son inattention, car quel cadeau Swamijî lui fit, et me fit ! Je pris conscience de son amour infini : il ne comptait jamais ses efforts immenses, ni son temps, ni son énergie, pour simplement dire une ultime fois : « Bonne nuit, dormez bien... Etes-vous bien installés ? » Donner encore et encore et encore, infiniment, comme le firmament d’une nuit étoilée.
Il vivait chaque instant avec une intensité et une tranquillité emplie d'énergie subtile et sublime. Comme si chaque instant de sa vie était le dernier, l'unique le seul à vivre ! Ce soir-là, je compris une chose qui ne me quittera plus jamais. Ce que j'avais vu la première fois : que quelque chose d'anodin s’était transformé en une vision de l’infinie compassion.
Je ne remercierai jamais assez Dieu ou Swamijî de m'avoir donné la chance de vivre cela : respirer la rose, s’enivrer de son parfum divin ; alors qu'au début, je n'avais vu qu’une anodine fleur fanée dont je ne me serais jamais rapproché, si ce grand ami ne m'avait indiqué l’endroit sacré.
Je crois savoir qu'il y a quelques jours, un notable [en fait l'ambassadeur de France en Inde, M. Bonnafond] a parlé de la tombe prévue au Père Lachaise, à Paris, comme d'une tombe miraculeuse : je partage cet avis. Quel cadeau !
Mâ Anandamayî, merci. Swami Vijayânanda, merci.
Nicolas Gailledrat
Nicolas est venu pendant plusieurs années régulièrement voir Vijayânanda, pour de courtes périodes, car ce n'était pas facile pour lui de laisser la direction de la péniche-restaurant, Le Calife, dont il s'occupe depuis des années à Paris, sur le quai de la Rive Gauche près du Pont des Arts...
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Le pèlerinage au Mont Kailash
Souvenirs de Gurpriya Didi,
Extraits due volume V de ses carnets.
Traduit de l'anglais par Vigyânânand
Ce pèlerinage a eu lieu en été 1937, quand Bhaiji et Bholonath étaient encore en vie. C'est au retour de ce pèlerinage que Bhaiji a quitté son corps à Almora, et son samâdhi a été le point de départ d’un ashram là-bas, près du vieux temple de Patal Dévi. C'est là que Vijayânanda a passé 10 ans en retraite intensive. Le pèlerinage a été aussi important, car en passant le col de Dhaulchina dès le premier jour après Almora et en y couchant, Bhaiji a vu la splendeur de la chaîne himalayenne qu'on découvre à partir de ce col sur 400 km de large, et on voit en un coup d'oeil le chemin qui mène au col de Lipu Lekh, par où passe le sentier pédestre qui va jusqu'au lac Mansarovar et au Mont Kailash. Inspiré par ce paysage, Bhaiji a demandé à Mâ qu'on établisse un petit ermitage à cet endroit. Hariram Joshi, qui était haut-fonctionnaire du gouvernement indien, a entendu parler de ce voeu de Bhaiji qui était un des derniers qu’il ait émis avant sa mort, il l’a donc estimé comme sacré, et il a réussi à louer et à long terme au gouvernement indien une crête de colline dans la forêt à 2 km à l'est de Dhaulchina, où se trouve donc maintenant cinq petites maisonnettes. Toute la zone est maintenant considérée comme parc naturel. C'est là que Swami Vijayânanda a passé huit ans de solitude dans des conditions très austères, sans eau, ni électricité, ni fruits, ni pratiquement de légumes dans la seule boutique de Dhaulchina qui était ouverte à l'époque. Maintenant, il y a eu de grands développements. Il y a quatre hôtels pour les voyageurs qui aiment faire la pause dans ce joli lieu de Dhaulchina, avant de continuer vers la région de Dharchula, le point de départ actuel du pèlerinage à pied du mont Kailash, qui se trouve dans l’angle de l'Inde entre le Népal et le Tibet. C'est à Dhaulchina que Swami Nirgunânanda, le dernier secrétaire privé de Mâ, d'origine bengalie, habite depuis 24 ans, et c'est là aussi que j'écris ces lignes.
Ce volume ‘cinq’ des souvenirs de Didi était le préféré de Swami Vijayânanda, car elle y donne tous les détails, et ainsi on se rend bien compte de l’atmosphère à la fois difficile matériellement, mais belle spirituellement, et du cadre splendide du paysage alentour. À cause des difficultés mêmes du voyage, il était rare qu’un groupe aussi important que celui de Mâ se rende au Kailash, le plus grand pèlerinage hindou et bouddhiste du sous-continent indien.
Nous commençons ces extraits par le début du livre.
Dimanche 16 juin 1937
A huit heures du matin, nous nous sommes mis en route pour le Kailash avec Mâ. Les autres qui étaient avec nous devaient repartir d'Almora. Ils ont tous pleuré en quittant Mâ. Nagendada, qui était venu de Calcutta, Naren Choudhary et sa famille de Delhi, Hari Ram et Manik de Dehradun, tous sont repartis. Mâ, Bholonath, Jyotish Dada, [Bhaïjî], Swami Akhandânanda [le père de Didi], Dasudada, un serviteur (Keshav Singh) et moi-même nous sommes mis en route. Une jeune fille originaire d'une ethnie des montagnes, Parvati, était aussi avec nous. Elle avait attendu à Almora pour accompagner Mâ.
À 11 heures du matin, nous avons atteint un bungalow de la forêt en un lieu appelé Baréchina. [Les « bungalow de la forêt » sont aussi appelés « dak bungalows », et servaient a priori pour loger les fonctionnaires du gouvernement en visite dans des régions reculées, mais pouvaient être aussi réservés par des personnes privées dans ces endroits où il n'y avait pas d'hôtel en tant que tel]. Le paysage était magnifique. Nous nous sommes restaurés et nous sommes reposés jusqu'à trois heures de l'après-midi. Baréchina [‘la grande, baré, clairière, china’] était situé à une distance d'environ 11 km d’Almora. Avant la tombée de la nuit, nous avons atteint un endroit appelé Dhaulchina [‘la clairière blanche, ou brillante, dhaula’] qui était à 8 km par le sentier. Nous avons fait la cuisine, pris le dîner et passé la nuit sur la véranda du dak bungalow.
Le lundi 17 juin, nous sommes partis à cinq heures du matin et avons atteint Sheraghat 15 km plus loin [nom qui signifie les rives, ghat, du tigre, shera]. Des arbres énormes y poussaient sur les bords de la rivière. Nous avons fait la cuisine sous l'un de ces arbres et nous nous sommes ainsi débarrassé du rituel de la nourriture. Ensuite nous nous sommes reposés sous les arbres car il était difficile de marcher sous le soleil qui tapait. Nous avions 10 ou 12 porteurs pour s’occuper des bagages et marcher avec nous. Il y avait cinq dandis [chaises à porteurs] qu'on avait pris en location avec quinze porteurs pour les gérer. Parvati était accompagnée par une autre dame, sa petite-fille et son frère. Ils avaient deux porteurs avec eux. Toute cette équipe a atteint un endroit où chacun des participants s’est préparé des rotis (chapatis), puis ils se sont allongés pour se reposer. Chaque porteur a coutume de prendre sur lui une charge maximum de 15 seers. On n’avait pas pu trouver un cheval pour Tanu à Almora − mais on allait en prendre un sur la route. Comme une chaise à porteurs était endommagée, on l'a remplacée par une autre Sheraghat .
Nous avons encore été capables de localiser une boutique ou deux ici ou là, où nous avons acheté du riz, des lentilles, du beurre clarifié, du sel et d'autres articles de première nécessité. On nous avait dit qu'il n'y aurait pas de telles boutiques disponibles lorsque nous progresserions le long du pèlerinage. Nous avions aussi apporté des vivres avec nous. On nous avait dit qu'il n'y aurait rien de disponible au-delà de Garbyan, c'est pourquoi nous avons pris des fruits secs, du sucre en morceaux, du poivre, des pickles de tamarin et d'autres choses. On a besoin de transporter tout cela en réserve pour traverser ces chemins couverts de glace, et il faut y ajouter des vêtements chauds, des lunettes et tout un équipement contre la pluie. On nous avait dit que certains voyageurs avaient le vertige et s’évanouissaient sur la route de Garbya, et donc une dame à Almora avait préparé une concoction de poivre, de poudre de mangues séchées et d'autres épices avec la croyance que cela aiderait à nous garder la tête claire.
Un rêve de Parvati
En chemin, notre compagne de Garbyan, Parvati, nous a raconté un incident. Il y environ cinq ans, quand elle était dans son village, elle avait rêvé qu'elle allait quelque part avec un groupe de gens. Elle ne pouvait pas voir le visage de ces personnes clairement − cependant elle a vu Mâ comme une dame portant un sarî blanc et qui apparaissait comme une « Matajî ». Elle a aussi vu clairement le visage de Bholonath. Elle s'était rendue à Almora pour faire ses études quelque temps après ce rêve. Maintenant, après cinq ans, à la fin des dites études, elle retournait à son village avec nous tous. La dernière fois, quand Parvati nous a vus à Almora, elle a jeté un coup d'oeil à Bholonath, s'est souvenu de son rêve et a décidé sur le champ de nous accompagner au Kailash. Mâ avait aussi demandé spécialement à Parvati de venir avec nous. Elle avait attendu un mois pour faire le voyage en notre compagnie. Quelle coïncidence surprenante dans l’enchaînement des choses ! Auparavant, elle n'avait pas parlé de la survenue de ce rêve, mais cette fois-ci, elle nous l’a raconté en entier. Lorsque Mâ a entendu cela, elle a souri et a dit : « Elle est venue étudier à Almora afin que son rêve se réalise ! ». Comme cette contrée est délicieuse !
Rencontres en cheminant
En route, nous avons rencontré un brahmane marié qui a demandé : « Où est Matajî ? » Quand on lui a montré la chaise à porteurs de Mâ, il est allé lui offrir à ses pieds des fleurs et des fruits et lui a fait son pranâm. Le soir même, il est revenu avec du lait et des légumes au bungalow. On lui a demandé : « Comment saviez-vous que Mâtâjî venait ? » Il a répliqué : « J'ai lu dans le journal que Mâ Anandamayî allait en pèlerinage au Kailash. Depuis ce jour, j'ai attendu son arrivée. Aujourd'hui, j'ai la bénédiction d'avoir le darshan des pieds de Mâ ! » Qui sait combien de fidèles en plus ont pu avoir cette expérience de cette manière ? Cela a pu être la raison pour laquelle Celle qui est pleine de compassion a quitté le Bengale et a été attirée par cette partie du pays. Maintenant, je peux observer que ces gens sentent que Mâ est comme des leurs, alors qu'ils la connaissent si peu, ils l'appellent « Dévi Bhagavatî », et croient en elle avec leur foi simple et solide. (p.3-5)
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Lettre de Mâ à Brahmar Ghosh
Avec les commentaires de Swami Nirgunânanda
Nous parlons dans les nouvelles de la publication imminente sur internet anandamayi.net d’un petit livre recueillant 32 lettres de Mâ à une jeune fervente, Brahmpar Ghosh. Ceci est l’un des premiers documents que nous ayons des conseils précis que Mâ pouvait donner aux chercheurs spirituels dans les années 1933-1934, avec les commentaires de Swami Nirgunânanda
Lettre de Mâ retranscrite par Bhaiji
Dehra Dun, 9/11/1934
J’ai reçu ta lettre. Rien n’arrive avant que le temps ne soit venu. Ta lettre étant arrivée il y a quelques jours, la réponse part aujourd’hui.
Tu sais que je ne fais rien par ma propre volonté. J’agis comme Bhâga (Dieu) me fait agir. Même si je veux te voir je ne le peux. Pourquoi, ne le puis-je ? Tu comprendras ces mots lorsque tu seras plus mûre. Je sais combien tu m’aimes, combien tu es désireuse de me voir et de recevoir mes lettres. S’il te plait, dis-moi : peux-tu faire advenir et comprendre à chaque instant tout ce que tu veux ? S’il te plait, garde à l’esprit qu’il y a une force plus grande (Maha shakti) au dessus du pouvoir de la volonté (iccha shakti). Chacun est sous son contrôle (de Maha shakti). Pour ma part, je suis toujours assise, la face tournée vers toi. Quant à toi, tu vois tellement de choses lorsque tu me fais face. Ce que tu vois avec une imperturbable dévotion (Nishta) et une vision unie, focalisée, cela seulement tu l’obtiendras. Ce n’est pas que tu l’ignores, mais tu es assise là, fâchée contre moi. C’est pourquoi tu nies tout ceci.
Tu me taquines toujours et je me sens bien avec cela. Je vois que tu ne sens pas d’attraction envers moi lorsque tu n’es pas en colère. Ainsi, si mes yeux se ferment automatiquement, c’est pour percevoir ton état d’esprit (bhava). Quand nous nous rencontrerons tout sera stabilisé. En se querellant à distance, tous les autres attachements seront déliés. Alors, lorsque nous nous rencontrerons en un seul attachement (centrées l’une sur l’autre) cela sera très doux (madhu). Qu’en dis-tu ? Peut être que tu te sentiras très fâchée mais je me sens très heureuse (anand). Je ne reçois pas autant d’amour de ton bonheur mais j’en reçois de ta colère Je vois qu’au moment où survient ta colère tous tes mots intérieurs ne visent personne d’autre que moi. Écris-moi de très longues lettres et ton esprit s’allègera comme s’il se diluait, alors tu verras qu’en toi il n’y a personne d’autre que toi et moi, conformément à ce que tu souhaites.
Que tu pratiques la méditation, la contemplation, le japa et la puja, continue ! En plus de compter le nombre (de mantra), chaque jour tu devrais répéter 3000 nama en utilisant un chapelet rudraksha. Cela signifie qu’en moyenne, en un mois, tu devrais répéter 100 000 nama. Rapporte un mala de Kalighat et fais le nouer par un brahmine qui pratique le rituel adéquat. Tu devrais essayer de garder le nama constamment dans ton esprit.
L’effort, la patience et la tolérance sont les forces vives de la sâdhana. Avec tout ceci, essaye de marcher sur le sentier vers ton but. C’est cela que je veux.
Sache que la Grâce de Dieu porte chacun, de la même manière qu’une mère porte son enfant sur ses genoux.
Mâ
Commentaires de Swami Nirgunânanda
Cette lettre est la plus longue que nous ayons dans la correspondance entre Mâ et BG. Ceci a son importance à d’autres points de vue également. Elle ouvre de nouvelles perspectives sur la psychologie intime d'un chercheur ainsi que sur la particularité de la relation guide-élève dans le domaine spirituel. Nous sommes déjà frappés de remarquer les mots avec lesquels Mâ s'adresse à BG. Cela s’écarte de l’usage dans toutes les autres lettres. Elle s'adresse à elle en tant que mère, Mâ. Naturellement, dans ce cas, on peut s'attendre à ce que l'expression finale soit quelque chose comme « ta petite fille ». Mais Mâ a signé simplement comme « mère ». C'était donc la lettre d'une mère a une autre mère. Le changement de relation est tout à fait soudain et abrupt. Est-ce que cela était destiné à contrôler le comportement de BG comme enfant gâtée en lui donnant un statut égal à celui de Mâ, afin que son ego indiscipliné ne se sente infériorisé d'aucune manière ?
À la fois Bhaiji et Sharadâ dans leur correspondance ont accusé réception de la lettre de BG à Mâ. Celle-ci a pris beaucoup de temps pour y répondre. De peur que BG ne prenne cela comme un signe de négligence ou d’indifférence, Mâ a commencé sa réponse en présentant ses excuses pour le retard. Si nous regardons globalement la manière dont Mâ agissait avec les gens qui avaient la chance d'être en contact avec elle, ce n'est que rarement qu'elle donnait une quelconque explication ou excuse, à qui que ce soit, pour ce qu'on pourrait appeler ses comportements dans le monde. Ses actions n'étaient pas déclenchées par une volonté ordinaire, ce qui n'est pas notre cas.
Très souvent, Mâ disait : « Pas même une feuille d'arbre ne bouge sans la volonté de Dieu. » Sa volonté, Son dessein et Ses créations ne sont pas successifs dans le temps, mais simultanés ; cela aussi est une différence d’avec notre fonctionnement. Notre concept de simultanéité dans le temps est relatif. Notre existence empirique est dans le temps seulement. Notre idée de transcendance du temps, étant dans le cadre du temps, n'est pas logique. Notre volonté et son accomplissement sont liés au temps. Mâ disait : « Rien n'arrive avant que le temps n’en soit venu. » On peut trouver qu’apparemment, dans cette lettre, Mâ donnait une excuse pour ce retard à répondre à BG. Elle en attribue la cause à la volonté de Dieu, et non pas à sa volonté en tant qu'individu. Ici, Mâ appelle Dieu 'Bhaga'. C'est une déformation du mot Bhagavân et peut sembler du patois, mais en fait, ce n'est pas le cas. On peut aussi être critique en disant que c'est là un usage peu éthique d’un surnom pour DIEU, alors que son Nom doit toujours être exprimé de façon convenable, avec amour et respect. Cependant, appeler ou mentionner une personne par son surnom, ou par la version brève de son nom, n'est pas inhabituel. Il n'y a pas lieu de prendre ce type d'usage comme un signe de manque de respect ou de pureté. Dans sa première période, en plusieurs occasions, Mâ utilisait ce terme à la place de Bhagavân. Cependant, un tel usage n’est jamais sorti de ses lèvres dans les années qui ont suivi.
Mâ disait souvent : « Tous les noms sont Son nom ».
Le paragraphe suivant de la lettre commence ainsi : « Je ne dis rien de ma propre volonté » Ainsi, nous pouvons dire que, contrairement aux gens ordinaires, de telles déclarations n'étaient pas le résultat d'une action délibérée de la part de Mâ
Il est possible que BG ait souhaité que Mâ vienne à Calcutta. Ici aussi, Mâ attribuait son incapacité à le faire à la volonté de Dieu.
Dans la phrase suivante aussi, nous devons nous poser une autre question. Mâ dit : « Même si je désirais te voir, je ne peux y aller. » Cela signifie-t-il que Mâ avait quand même une volonté qui lui était propre ?
Elle déclare : « Tu comprendras ces paroles quand tu seras plus mûre ».
Un saint utilise le même langage et la même grammaire que nous quand il parle. Mais la signification intime de ce qu'il dit ne peux être saisie, la plupart du temps, par une personne même doublée de l'intelligence la plus fine, tant qu'elle n'a pas acquis la maturité spirituelle minima. En tant que telle, BG était une jeune femme hautement intelligente et mûre. Elle avait été la première à l'examen de maîtrise pour l'université de Calcutta et elle travaillait comme directrice des études d'un collège de filles réputé. Une telle maturité ne peut venir qu'à travers une pratique spirituelle sérieuse et ardente. Ici, Mâ suggérait indirectement l’intérêt pour BG d’une pratique spirituelle intense.
Mâ reconnaît l'amour de BG à son égard. Mais cet amour allait de pair avec une attente de réciprocité, alors que celui de Mâ pour elle était sans condition. Elle souhaitait que BG ait une attitude plus rationnelle à son sujet. Ce côté raisonnable ne deviendra vraiment convaincant que quand il sera soutenu par une expérience de vie. Les attentes et l'imagination ne se réalisent pas toujours. L'individu peut forcer et la sincérité des actions ne mène pas toujours aux résultats attendus. Il y a une Energie qui gouverne et qui pénètre tout, Mahâ-Shaktî, c'est elle qui contrôle tout.
Un aspirant doit accepter tout ce qui vient, mais ne pas s'attendre à ce que les choses soient comme il pense qu'elles doivent être. La Réalité ultime bénéficie d'une liberté absolue pour faire, défaire ou faire d’une façon différente. L'individu tel que nous le connaissons, en fait, est la représentation de Lui seulement, bien que limité par certaines conditions. Tant qu'on n'est pas complètement en accord avec Lui, on doit essayer de fondre sa volonté dans Sa Volonté. Après cette fusion, on devient convaincu de l’impermanence du monde et de ses réussites concrètes. En effet, celles-ci amènent la vie à osciller au hasard entre les joies et les chagrins. Pour que cette fusion prenne place, ce qui est nécessaire, c'est une dévotion imperturbable, une focalisation, ou une attention juste.
Mâ cite un exemple pratique de la vie d'un homme ordinaire en général et de BG en particulier : elle explique que lorsqu’elle et BG ont des interactions face à face, elle, Mâ, ne voit que BG, tandis que le mental de BG saute sur un grand nombre d'objets les uns après les autres, qu'ils soient matériels ou subtils, malgré le fait qu’elle soit physiquement face à Mâ.
Dans un autre contexte, Mâ a dit une fois : « Même une feuille qui tombe d'un arbre laissera aussi une impression sur vous » C'est-à-dire que cet évènement minime va trouver sa place dans la mémoire. On peut ne pas l’avoir enregistré dans sa conscience immédiate des objets. Cependant, la remontée au hasard de souvenirs qu'on croyait ne pas avoir mémorisés sur l'écran de la conscience, peut tout à fait remplacer l'objet immédiat avec lequel le mental est engagé à ce moment particulier. Cela signifie que même en étant en présence de Mâ en personne, BG état incapable de profiter de la compagnie de Mâ consciemment et continûment. Étant une dame intelligente, on ne peut pas dire que BG n’ait pas pu comprendre cela.
Il semble que dans sa lettre, tout en exprimant de l'amour et de l'anxiété pour Mâ, BG lui fait part de sa colère également.
On n'est plus du tout raisonnable quand on est pris par la colère. Comme elle était remontée contre Mâ, elle refusait de reconnaître ce que celle-ci avait dit. De la réponse de Mâ, on voit bien que BG était d'humeur obstinée et querelleuse, et qu'elle avait dû sans doute essayer de La provoquer. La réaction de Mâ ici est tout à fait remarquable. Mépriser son guide sur des points banals sans aucune raison valable, voilà qui n'est pas convenable pour un aspirant. Celui-ci doit essayer de maîtriser de telles attitudes. Ici, nous voyons que Mâ n'est pas froissée par ces tentatives de BG de La provoquer, et Elle ne lui demande pas non plus de rectifier son comportement. Elle n'était pas du tout ennuyée. Cela ne signifiait pas quand même que Mâ ait négligé cette attitude ou l'avait pardonnée en considérant simplement que c'était une aberration minime dans le comportement de BG. Au contraire, Mâ semblait l’encourager à continuer avec cette attitude et a dit qu'elle se sentait bien avec cela. Un tel encouragement est tout nouveau dans ce qu'on connaît dans l'histoire spirituelle en général. Le désir, la colère, l'avidité, l'illusion de l'ego, sont considérés comme les grands ennemis intérieurs, ils sont la cause des souffrances et des chagrins. Sans même parler de chercheurs spirituels, même une personne dite du monde doit essayer de vaincre ces défauts pour avoir une vie qui s'écoule de façon harmonieuse. Un des shlokas de la Shrîmâd Bhagâvad Gîtâ dit ceci :
« L'association donne naissance au désir, du désir naît la colère, de la colère vient l'illusion, de l’illusion vient la perte de la mémoire, de la perte de la mémoire, la perte de l'intelligence et de la perte de cette intelligence de grands dangers surviennent. » (II, 62, 63)
Un chercheur ardent doit toujours être vigilant pour ne pas tomber dans un stade ou un autre de la séquence ci-dessus. Toutes les Ecritures, les grands maîtres et les prophètes, quelle que soit leur appartenance religieuse, demandent à leurs fidèles d'être vigilants contre ces ennemis intérieurs.
Ici, dans ce cas, nous trouvons une contradiction apparemment irréconciliable dans ce que dit Mâ : dans le second paragraphe de la lettre, Mâ a reconnu l'amour de BG pour elle. Ici, elle implique que l'amour de BG était accompagné d'attente de réciprocité. Mâ les acceptait, et pourtant BG n'était toujours pas satisfaite. Peut-être s'attendait-elle à profiter de l'amour de Mâ de façon exclusive, ou encore avait-elle pu penser qu'à cause de la distance physique, Mâ l’ignorait et elle n'avait pas la part qui lui revenait. Cette part était prise par ceux qui accompagnaient Mâ. Sa frustration a donné naissance à la colère. Elle souffrait d'un complexe d'amour-haine qu'elle s’était fabriquée elle-même. Mâ pouvait bien discerner cette oscillation mentale de BG. C’est commun chez l’être humain que les préoccupations mentales deviennent plus intenses contre l’objet de la colère, plutôt que contre un ami ou quelqu’un qui vous veut du bien. On n’est plus raisonnable quand on est pris par la colère et on perd la capacité de jugement équilibré. Cet état mental négatif est la cause de tous les chagrins et douleurs dans la vie. Au lieu de décourager ceci, Mâ a indiqué un côté positif de la colère qui peut être utilisé comme instrument dans la pratique spirituelle. Dans la colère, l'écran mental est entièrement possédé par l'objet de cette émotion. Dans un état d'humeur normale, tous les organes des sens importent leurs objets au hasard sur l'écran du mental, en le rendant agité. La fixation complète sur l'objet survient : soit dans un état d’amour intense, soit de colère extrême.
Il est étonnant de voir que le changement d'état mental de BG, à des centaines de kilomètres de là, pouvait facilement être enregistré par Mâ. Un guide reste toujours attentif à son élève. Mâ disait : « La plupart du temps, mes yeux se ferment automatiquement pour voir votre état mental. » C'est ce que faisait Mâ. Elle était vigilante pour guider BG en dépit de son comportement imprévisible. Dans la phrase suivante, Mâ dit que tous ces points de disputes seront arrangés quand elles se rencontreront en personne.
Ensuite, Mâ indique et donne l'explication la plus scientifique d’une psychologie comportementale de l'être humain habituel. Chaque rencontre conflictuelle entre deux personnes commence, quand on va à la racine des choses, avec un petit point de querelle particulier. Progressivement, les autres points, qu’ils soient en lien ou non, se gonflent en une succession rapide. Pendant le cours d'une dispute, les arguments et contre-arguments sur un sujet insignifiant, deviennent enflés de façon maladroite et donnent finalement à toute l'affaire une dimension énorme.
Mâ disait : « En se disputant à distance, tous les autres attachements seront défaits. »
L'amour de BG était accompagné d'autres attentes, tandis que celui de Mâ n'avait aucune condition. S'il y a des conditions, l'amour est amoindri. Quand ces conditions ne sont pas remplies, la colère prend le dessus sur l'amour. Ces conditions sont toujours fondées sur l'attachement envers des objets autres que l'objet d'amour. Le temps, la distance et l'absence physique ont un effet de décompression sur l'état mental du sujet. Là colère s'échappe, se vide, et peu à peu les autres attachements perdent leur prise sur le mental.
De plus, quand l’une des deux personnes en dispute sait battre en retraite et ne répond pas au coup pour coup, la confrontation se délite automatiquement.
Mâ parle de l'attachement unique. L'amour pour un objet se manifeste d'abord sous forme d'attachement. Plus nous interagissons avec les objets du monde, plus l'amour exclusif pour un objet unique se dilue. Le mental erre au hasard sur plusieurs objets d'attachement. Il se peut qu'ils n'aient aucun lien avec l'objet principal d'amour. Les autres objets changent avec le temps et les circonstances. Quand il y a réciprocité, le sujet devient objet et vice versa. Le sujet aussi change avec le temps. La constance entre deux variables qui changent au hasard est improbable. Pour avoir la constance, une des deux variables doit être permanente.
Dans la relation entre Mâ et BG, les changements en BG à la fois comme sujet et objet sont tout à fait naturels et ses manifestations d'amour évoluent avec les changements dans l'espace et le temps de son l'existence dans le monde. Mâ, quant à elle, bénéficie de la liberté absolue de l'Existence qui n'est pas affectée par les variations dans l'espace temps. Elle disait souvent : « Ce corps est le même qu'il a été et qu'il sera ». Pour une intelligence ordinaire, cette déclaration peut apparemment être contradictoire.
Dans ce contexte, la parole « ce corps » ne doit pas être pris comme synonyme soit du corps matériel, ni du corps subtil. Nous nous identifions avec ces deux types de corps. Contrairement à nous, quand Mâ parle de « ce corps » cela représente simplement son existence au-delà des qualités.
Comme il a déjà été dit, dans les cas ordinaires, nous avons une relation d'amour limitée par des conditions. Elle change avec le temps et les circonstances. Nous pouvons dire que du point de vue de Mâ, son amour pour BG était constant tandis que du point de vue de BG, il y avait de nombreuses variables. Si au moins l'une des deux variables reste constante, goûter à l'essence de l'amour devient possible.
Mâ dit que quand elles se rencontreront, « leur union sera très douce ».
La phrase suivante de Mâ était une question, elle voulait savoir comment BG réagissait à tout cela. Elle savait très bien que BG était dans un tel état d'esprit qu'elle ne pouvait être très réceptive à quoi que ce soit que Mâ dirait. Cela pouvait inciter à déclencher encore plus de colère en elle.
La colère est comme un virus contaminant ou le feu lui-même. D'abord, il se répand dans le sujet, et ensuite passe à l'objet en le rendant malade ou brûlé. À la fois sujet et objet en sont tout marris.
Ici, nous observons le contraire. Mâ disait : « Je ne retire pas autant d'amour de ton bonheur que je le fais de ta colère. » Ainsi la question se pose : « Est-ce que la colère est une manifestation de l'amour ? » La réponse est que ce n'est pas le cas pour l'amour dirigé vers un objet, mais certainement cela l’est pour l'amour dirigé vers soi ou le sujet. On peut dire qu'on est en colère parce que, à ce moment-là, on aime être en colère.
En tant que tel, il peut sembler énigmatique que Mâ laisse BG être en colère contre Elle. Elle répond à cette énigme dans la phrase suivante en disant : « Je vois qu'au moment de ta colère, toutes tes paroles intérieures ne sont dirigées vers personne d'autre que moi. »
La colère a toujours envie de trouver un canal d'expression. Si on la refoule délibérément, on peut transformer une personne en un volcan dormant mais imprévisible. Cela peut mener à des éruptions catastrophiques à la fois pour le sujet et l'objet de la colère. On doit donc baisser la pression de la colère pour s’en sortir d'une façon convenable.
Mâ prescrivait un des antidotes effectifs contre la colère. Elle demandait à BG de lui écrire de longues lettres. Pendant qu'on écrit des lettres, on exprime la colère sur le papier et cela lui fournit un exutoire. L'objet de la colère occupe tout l'esprit. Ainsi, BG allait avoir une attention juste, en ce sens qu’elle allait être centrée sur Mâ seulement. De cette façon, sans le savoir, elle allait être en compagnie constante de Mâ par l'esprit.
Dans certains de nos textes traditionnels, nous rencontrons de grands fidèles qui ont atteint le salut en se laissant aller à une animosité constante envers Dieu.
Dans cette lettre, nous voyons Mâ dans son rôle non seulement comme une guide, mais aussi comme une psychanalyste professionnelle et une psychothérapeute efficace. Ensuite, comme un maître idéal, Mâ donne des instructions à BG de façon minutieuse pour ses pratiques spirituelles. Elle lui demande de continuer avec ses rituels et son japa comme d'habitude. De plus, BG devait faire 3000 ou plus japa du Nom tous les jours sur le rosaire constitué de rudrâkshas en les comptabilisant (un rosaire contient 108 grains), afin qu'en moyenne elle puisse en faire un lakh, c'est-à-dire cent mille répétitions par mois. Le rosaire doit avoir des noeuds faits selon les règles rituelles, entre chaque grain. Les deux extrémités de fil doivent être nouées en les passant à travers le 109e grain qu'on appelle Marou. Il doit être consacré par un brahmine spécialiste du rituel avant d'être utilisé. Mâ donnait des instructions spirituelles très méticuleusement. De peur que BG ne s'excuse en disant qu'elle ne pouvait trouver le rosaire à Calcutta, Mâ lui mentionne l'endroit ou elle peut l'acquérir. Elle lui demande aussi de se souvenir du Nom même quand elle est impliquée dans d'autres travaux. À la fin, elle dit : « C'est ce que je désire ». Ici, nous avons de nouveau une certaine contradiction puisse qu’à d'autres moments, Mâ avait déclaré : « Ce corps n'a ni ‘souhaits ou non souhaits’ » [ ichhâ-anichhâ] Nous allons discuter de cette question dans nos commentaires de synthèse à la fin.
Dans la dernière phrase, Mâ fait une remarque très importante en disant : « La grâce de Dieu soutient toujours chacun, exactement comme une mère tient son enfant sur les genoux »
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Un Être unique
Dr. Nalini Kanta Brahma, M.A., Ph. D.
Cet article est une contribution à un gros livre de souvenirs sur Mâ, appelé Smaranika, terme sanskrit qui signifie justement ‘souvenirs’. La traduction est de Jean E. LOUIS à Nice, nous l’en remercions.
Une froide soirée de décembre de l’année 1924. Le Député Postmaster General de Dhaka, Rai Bahadur Pran Gopal Mukherji, m’avait accompagné jusqu’à Shahbagh pour assister à un darshan de Mère. Il avait bien sûr demandé l’approbation de l’époux de Mâ pour cette visite que nous lui rendions. Nous nous dirigeâmes donc directement vers la salle où Elle se trouvait. Elle était assise, seule et totalement absorbée dans sa méditation. Devant Elle, une lampe à la faible clarté était allumée. Je crois bien que c’était le seul objet qui se trouvait dans cette pièce. Le visage de Mère était entièrement masqué à notre vue, car Elle avait coutume de le voiler tout comme les jeunes filles de village nouvellement mariées. Nous étions là depuis une demi-heure environ, lorsque tout à coup le voile s’écarta et le visage de Mâ nous apparut dans tout son éclat et sa beauté. Puis Elle entonna des cantiques parsemés de nombreux mantras auxquels son étrange façon de prononcer les mots donnait une résonance merveilleuse qui emplissait la pièce tout entière. Le calme et la paix de cette froide nuit de décembre, le silence tranquille des jardins et par-dessus tout l’atmosphère sublime que la présence de Mâ générait, tout cela conférait à ces instants précieux une senteur de divine pureté tellement forte qu’elle en était presque tangible. Dès que Mâ cessa la récitation des cantiques et des mantras, son père, présent ce jour-là à Shahbag, entonna d’une voix particulièrement mélodieuse, des chants de Ramprasad. Rai Bahadur Mukherji fit alors remarquer que les doux chants du vieil homme devaient être une des raisons qui avaient contribué à la descendance de la Divine Mère. Aussi longtemps que nous restâmes dans la pièce où se trouvait Mâ, nous éprouvâmes l’indescriptible sentiment de nous élever spirituellement, de vivre des instants d’une intensité sans pareille et de connaître une sérénité au-delà de toute description. Nous quittâmes Shahbag tard dans la nuit, intimement convaincus que nous nous étions trouvés en présence d’un être supérieur et que rien n’aurait pu nous en faire douter un seul instant.
J’eus par la suite le grand bonheur de rencontrer Mâ durant l’été 1926, à Deoghar, où Elle s’était rendue sur l’invitation de Rai Bahadur Pran Gopal Mukherji. Elle passa une semaine en cet endroit. Sri Sri Balananda, qui à l’époque était encore parmi nous, avait coutume de converser matin et soir avec Elle, durant de longues heures. Ils s’entretenaient toujours de sujets traitant de spiritualité. Un namakirtana avait lieu dans l’ashram et Mâ entra dans un état de profond samadhi durant le kirtana. Un soir, après le samadhi, Mâ ébaucha joyeusement quelques pas de danse tout en entonnant ‘Hari Om’. Sa voix était tellement douce et mélodieuse que les personnes présentes la virent plus comme une Déesse ayant assumé la forme humaine que comme un être humain normal. Sri Sri Brahmachari Maharaj lui-même affirma qu’il avait remarqué que Ses pieds ne touchaient pas le sol et cela constituait à ses yeux la preuve définitive que Mâ était l’incarnation de la Mère Divine. Elle chanta Hari Om, Hari Om pendant une demi-heure, après quoi Elle demanda à Brahmachari Maharaji de la suivre jusqu’à la pièce qu’Elle occupait à l’étage supérieur du ‘Dhyana-Kutir’, puis Elle lui parla de choses profondes et importantes. Personne d’autre n’ayant été admis dans la pièce, nous ne pûmes qu’émettre des conjectures quant au thème de leur entretien. Sri Sri Brahmachari Maharaji était fortement impressionné par Mère. C’est sur la demande instante de celui-ci qu’Elle accepta de rester pendant une semaine au lieu des trois jours que son programme initial prévoyait. Bien que vingt-cinq années se soient écoulées, les Hari Om qu’Elle entonna ce jour-là semblent vibrer encore dans nos oreilles et l’effet qu’ils produisent est tellement merveilleux que même des jeunes gens agnostiques et des non croyants ressentent son influence au point que certains d’entre eux se sont mis à les chanter durant leur sommeil. A cette époque-là, Mère avait coutume, pendant une bonne partie de la journée, de s’élever par l’esprit dans un monde supérieur et lorsqu’il lui fallait répondre à certaines questions qu’on lui posait, on avait véritablement le sentiment qu’Elle descendait de ce monde d’en haut. Pendant plusieurs minutes Elle avait de grandes difficultés à prononcer ses mots et à bien articuler ses réponses. La lumière de son regard changeait chaque fois qu’Elle essayait de parler et l’on voyait sans le moindre doute qu’Elle s’efforçait de redescendre de cette dimension supérieure dans laquelle Elle se trouvait. Ce passage d’un niveau à un autre n’est plus perceptible aujourd’hui. Je dirais même qu’on a maintenant le sentiment qu’Elle vit en permanence sur ce plan supérieur et que cet état de fait est devenu tellement naturel et spontané qu’Elle n’est plus obligée de couper le contact avec ce monde-là lorsqu’une tâche l’appelle au plan inférieur : Elle poursuit sa tâche simultanément sur les deux niveaux.
Le jour de mon départ, l’après-midi même où je devais quitter Deoghar, Mère m’accorda le privilège d’une entrevue privée. Je Lui demandai, lors de cette rencontre, ce que je pouvais faire pour progresser spirituellement. Elle répondit que ce que je faisais à l’accoutumée allait très bien et que je n’avais rien de plus à faire, même si Elle m’avait déjà conseillé d’agir. Mon regard dut trahir le doute que je ressentis car Mâ ajouta : « Très bien, je vais vous dire une chose toute simple. Ne vénérez pas l’image d’un être humain qui est encore en vie ». « Je n’ai jamais fait cela. Pourquoi l’aurais-je fait ? » répondis-je. « Parfait » dit-Elle.
Je La rencontrai quelque deux ans et demi après cette entrevue, chez le frère de son époux, à Calcutta. Je me souviens que deux ou trois missionnaires étaient venus lui rendre visite ce soir-là. Elle était donc occupée à s’entretenir avec ces personnes. Dès que je m’approchai, Elle me dit : « Ainsi vous ne vénérez le portrait d’aucun homme encore en vie, n’est-ce pas ? ». J’étais sidéré ! Durant cet intervalle de deux ans et demi je m’étais procuré l’agrandissement de la photographie d’un saint. Un saint qui était encore en vie ! Et j’avais placé cette photographie dans la pièce où je pratiquais la puja. Et tous les jours je lui avais rendu hommage ! Elle n’attendit pas que je lui réponde. Elle me dit : « Eh bien, vous voyez, lorsque quelque chose doit arriver, ce quelque chose arrive et pas autre chose. »
On ne peut que s’incliner devant la personnalité extraordinaire de Mâ. On ne peut faire autrement qu’obéir à ses commandements. Elle n’est pas une personne qui se laisse convaincre par un ton ou des mots suppliants. Et Elle entend fermement que soit accompli ce qu’Elle considère comme devant être accompli. Lorsqu’Elle décide de faire une promenade en solitaire et qu’Elle demande à ses accompagnateurs les plus proches de demeurer en arrière, quelle que sévère et cruelle que puisse sembler cette injonction, elle doit être respectée sans aucune protestation. D’ailleurs personne n’a le courage de s’opposer aux décisions d’une aussi forte personnalité. Mère est si généreuse, si délicate, douce et gentille qu’il semble impossible qu’Elle puisse blesser la sensibilité de qui que ce soit. Mais Elle est en même temps si forte et résolue qu’Elle peut paraître plus dure que l’acier voire même cruelle et sans coeur. On peut dire de Mâ qu’Elle est « plus puissante que le tonnerre et plus douce que la fleur », plus gentille que les plus gentils, plus belle que les plus belles. Elle est plus impétueuse et plus terrible que la Mort, aussi chaleureuse, aussi douce que les rayons argentés de la lune, mais aussi rude que l’Implacabilité elle-même. Elle est affable et cependant cruelle. Ces caractéristiques apparemment contradictoires montrent à quel point Mâ transcende le commun des mortels. Sa beauté surpasse celle des êtres les plus beaux de cette terre et l’on dit d’Elle qu’Elle est la plus belle entre les plus belles. Elle se montre implacable lorsqu’Elle est contrainte d’affronter les forces diaboliques et ne descend à aucun compromis. Elle est d’une affabilité sans limite à l’endroit de tous ceux qui s’efforcent de toujours suivre le droit chemin et son amour infini englobe tous les êtres. Lorsqu’Elle parcourt des centaines de kilomètres pour rendre visite à une personne gravement malade ou pour consoler une mère qui vient de perdre son seul enfant, son visage est tout empreint d’amour et de compassion. Mais qui sait si son amour et sa compassion ne sont pas encore plus grands quand Elle ne cède pas aux supplications et qu’Elle semble cruelle ? Combattre les forces diaboliques est aussi un signe de compassion, car c’est l’unique voie menant au Royaume des Cieux, que nous avons perdue.
Les réponses de Mère aux questions qu’on lui pose sont si simples, si fortes, si vigoureuses, qu’elles ne peuvent pas ne pas toucher le coeur de ceux qui les entendent. Les réponses extraordinaires que cette femme presque illettrée propose à des problèmes d’ordre philosophique particulièrement ardus, sont le signe incontestable de la présence en Elle de la merveilleuse Lumière qui illumine chaque chose. Les activités incessantes auxquelles Elle se consacre sans trêve aucune, chaque jour de l’année, sont le signe indubitable qu’en Elle vibre la Vie universelle. L’affection maternelle qu’Elle prodigue à tous ceux qui viennent la voir, et qui pénètre chacun jusqu’au fond du coeur, n’est autre que la manifestation de l’Amour Absolu. Son attachement farouche à la Vérité, la spontanéité totale et la liberté dans chacune de ses actions, son adhésion infaillible à l’idéal qui est le sien, la vénération qu’Elle éprouve pour tout ce qui est élevé et sacré, son respect des coutumes et de la tradition, le mépris total des louanges ou des reproches sur le plan matériel, toutes ces particularités sont la preuve incontestable que Mère est un être unique, digne de notre amour et de notre adoration, de notre dévotion et de notre vénération.
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Comment étais-tu Mâ ?
La 1ère ride vient d’un cri
La 2ème d’un pleur
La 3ème quand tu ris
La dernière quand tu meurs.
Comment étais-tu Mâ ?
Comment étais-tu Mâ quand tu avais 20 ans ?
Un être de blancheur, pureté et candeur
Qui savait soigner l’âme aussi bien que le cœur
Et dont l’Enseignement doublé de l’exigence
Distribuait tout l’AMOUR dont elle était l’essence !
Savoir fleurir
Savoir sourire
Comment étais-tu Mâ à la fin de ton temps ?
Les rides avaient creusé un sillon de bonheur
Faisant se refléter la ‘Lumière Intérieure’
Et point ne se voyait le fait d’avoir vieilli
Puisqu’en Elle le ‘SOI’ à TOUT s’était UNI.
Savoir souffrir
Savoir vieillir
La 1ère ride : un cri
La 2ème ride : un pleur
La 3ème quand on rit
La dernière quand on meurt !
De Mahâjyoti
(Geneviève Koevoets)
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Conscience en solitude
SEUL avec sa Conscience
Dans un moment d’Absence
Conscient de la Présence
Qui vous donne confiance…
SEUL avec son Ego
Qu’on cache, incognito,
On quitte la matière
Plongeant dans la lumière
Des livres des grands Maîtres
D’où on se sent renaître.
On emprunte un passage
Vers un grand lessivage…
Noumènes (subjectif)
Phénomènes (objectif)
Vers la Libération,
La Réalisation !
Moi, Je, Vous, Lui…Qui suis-je ?
L’apparence à vos yeux
D’un concept, d’un non-lieu,
D’un reflet, d’un prodige ?
Dans le Manifesté
Du Non-Manifesté
Il faut tout effacer
L’Absolu doit rester.
Il faut l’obéissance
En totale ‘vacance’
Il faut l’humilité
Il faut la vacuité
Et la Non-Dualité
Vivre dans l’Unité
Sortir de l’illusion
Et du jeu des passions.
L’individualité
La personnalité,
Vil asservissement,
Puéril fonctionnement.
Entité ridicule
Annihile ton ‘moi’ !
Petite particule
Reste unie dans le ‘Soi’…
Identification
Dans cette unicité.
Puis séparation
Dans cette dualité.
L’inertie, la matière,
Le bon et le méchant,
L’ombre et la lumière,
Ne seraient que néant ?
Seul reflet d’une image
Nous dit bien Maharaj…
Je ne suis que ‘cela’ !
L’Atma est au-delà…
Dans son Enseignement
Mâ Anandamayî,
Dans son Renoncement
Ramana Maharshi
Maîtres qui ont quitté
L’humble souffle de vie
Qui les a habités
Nous ont légué l’envie
D’aller au fond du coeur
De trouver l’ouverture
Bien que SEUL on demeure
Face à sa vraie nature…
SEUL avec sa Conscience
Dans les moments d’Absence
Proches de la Présence
De la ‘Non-Existence’…
Il faut garder confiance,
Et près du Samâdhi
Rejoindre en sa Conscience
Mâ Anandamayî…
De Mahâjyoti
(Geneviève Koevoets)
(En un 15 Août désert, mais riche de lectures…)
Nouvelles
- Les échos de la cérémonie d'inhumation du corps de Swami Vijayânanda au Père-Lachaise en fin avril sont arrivés par différents canaux jusqu'à Kankhal. Par exemple, Pushparaj qui était là-bas avec son épouse Padma pour effectuer la poujâ, selon le rituel hindou, a trouvé qu'il y avait une dévotion forte et sincère parmi les 150 personnes réunies. Il a dit qu'il ne trouvait pas autant de dévotion en Inde. D'autres fervents qui venaient de la lointaine province ont été frappés par le fait qu’il semblait que personne ne voulait quitter l'endroit une fois la cérémonie terminée. Certains sont restés pour méditer, alors que d'habitude, dans ce genre d'occasion, les gens se dispersent rapidement.
- Une Annonce :
L’inauguration du samâdhi de Swami Vijayânanda au Père Lachaise aura lieu le dimanche 3 octobre, à 15h. La pierre définitive a été posée, mais des aménagements sont encore en cours. Renseignez-vous auprès de Mahâjyoti, koevoetsg@wanadoo.fr - et dites-lui à combien vous viendrez. On distribuera de l'eau du lac Mansarovar qu’Izou de Cassan et Pushparaj ont prise là-bas début juillet, en allant immerger quelques articles qui avaient appartenu à Vijayânanda. Pensez à apporter vos petits flacons.
La sépulture est située :
- division 41,
- ligne 14/40
- numéro 12/42
C’est-à-dire près de l’angle de l’avenue Transversale n°2 et de l’avenue Greffulhe sur le plan (site : mairie de paris.fr)
Accès au cimetière :
Métro : stations Philippe Auguste (côté entrée principale) ou Gambetta (côté entrée nord)
Bus : 61, 69 (côté entrée principale) ou 26, 60, 61, 69, 102 (côté entrée nord)
- Swami Nirgunânanda va retourner en France invité par ‘Terre du Ciel’. Il interviendra au grand congrès d'Aix-les-Bains, qui rassemble d'habitude plus d'un millier de personnes les 6, 7 et 8 novembre, et le thème sera « la vraie liberté ». Dans le même mouvement, il animera une session dans le centre de Terre du Ciel à Chardenoux les 10, 11, et 12 novembre. infos@terre-du-ciel.fr et site www.terre-du-ciel.fr 03 85 60 40 30
- Swami Nirgunânanda a terminé récemment un petit livre de traductions et commentaires des lettres de Mâ à Brahmar Ghosh. Il s’agit d’une jeune femme brillante qui était partagée entre la vie dans le monde et l’engagement auprès de Mâ. On y découvre de bons éclairages sur la psychologie spirituelle de celle-ci. Ces lettres ont été retrouvées par hasard dans les vieux papiers de l’ashram de Patal Devi à Almora, par Swami Nirgunânanda. Jacques Vigne et Paul Neeffs ont traduit la version anglaise en français, on trouvera très bientôt les deux versions, plus de belles photos de Mâ et le fac-simile des lettres originales en bengali sur le site de Paul, sur Mâ : www.anandamayi.net. Nous avons mis quelques extraits dans ce présent numéro du ‘Jay Mâ’.
- Vigyânânand (Jacques Vigne) organise un pèlerinage au Kailash du 13 mai au 8 juin 2011, avec un avion Kathmandou-Lhassa et visite de la ville. L'aller sera par le côté nord de la vallée du Brahmapoutr ; le retour par le côté sud et le col routier de Kandari qui passe la frontière à cinq heures de route de Kathmandou. On prendra le temps avant le départ de visiter la vallée de Kathmandou qui est très riche en monuments hindous et bouddhistes fort intéressants. Le groupe est déjà pratiquement plein avec une trentaine de personnes, mais il est possible que ce pèlerinage soit repris en mai 2012. Renseignements www.teerth.org et Anne Hérault 01 48 06 17 29.
- Nous vous rappelons qu’un nouveau livre d'enseignement de Mâ est paru aux éditions du Relié, Retrouver la joie. Il n'y avait que le livre d'Albin-Michel et aussi Vie en jeu publié par Accarias, dans le secteur d'anthologie de textes de Mâ. Celui-ci donc, à sa place, il a été préparé par Patrick Mandala qui vit entre la France et l'Inde et a fréquenté Mâ avec son épouse entre 1970 et 1982.
Renouvellement des abonnements
Le renouvellement vous sera demandé dans le prochain numéro de Décembre, pour la nouvelle période d’abonnement de deux ans, qui ira de Mars 2011 à Mars 2013. Donc, pour l'instant, il n'y a rien à faire…Mahâjyoti qui s’occupe bénévolement de l’édition et des envois du ‘Jay Mâ’ vous donnera les instructions.
Table des matières
Paroles de Mâ : le Gourou
Vijayânanda : le maître spirituel caché derrière le gentil grand-père,
par Nicolas Gailledrat
Pèlerinage au Mont Kailash de Gurpriya Didi
Lettres à Brahmar Ghosh., Commentaires de Swami Nirgunânanda
Mâ, Un être unique, par Nalini Kanta Brahma
2 Poèmes de Geneviève Koevoets (Mahâjyoti) :
- Comment étais-tu, Mâ ?
- Conscience en solitude
Nouvelles
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