En 1976, lors d'un voyage en Inde, j'approchais Mâ Ananda Moyî alors âgée de 80 ans. Quelques mois plus tôt, en France, j'avais rencontré Marthe Robin âgée de 74 ans. A l'époque je ne savais pas ce que ces courts moments passés en leur présence allaient laisser en moi une trace indélébile.
Ces deux femmes si différentes par leur culture, leur vocation propre, contemporaines de notre siècle de l'image, ont exercé d'une façon étonnante et sans aucun recours aux médias un incontestable rayonnement. Elles ont offert à notre monde une des expériences les plus radicales du divin, l'une au sein de l'hindouisme et l'autre au sein de la tradition chrétienne.
Mâ Ananda moyî, peu connue en Occident, était déjà très appréciée de son vivant dans l'Inde entière. Cette Indienne, née en 1896 au Bengale et décédée en 1982, est reconnue comme un des plus grands sages de tous les temps. Aussi vénérée que Ramdas, Ramana Maharshi ou le Mahatma Gandhi qu'elle a rencontré de son vivant, elle est l'objet encore aujourd'hui d'une dévotion particulière. Plus d'une vingtaine d'ashrams portent son nom. Dès 1925, cette jeune Bengalie choisit de mener une vie de moine errant sans armes ni bagages. Des foules de plus en plus nombreuses se pressent sur son passage. Il n'est pourtant pas facile de suivre cette éternelle voyageuse qui ne reste jamais plus de quelques jours au même endroit ! Au fil des années sa notoriété ne cesse de grandir. Parmi ceux qui se déplacent pour la rencontrer on compte des Indiens de toutes castes, de toutes religions, de toutes origines de toutes conditions sociales. A tous "cette femme sans instruction", nous dit Arnaud Desjardins (1), "répond sans le moindre instant de réflexion aux questions les plus ardues et les plus périlleuses.", défiant la science des plus grands théologiens.
1 : Interview d'Arnaud Desjardins par Frédéric Lenoir et Véronique Francou, mai 1989.
Son rayonnement dépasse rapidement les frontières de l'Inde et plusieurs Occidentaux l'ont connue et fait connaître à travers leurs ouvrages. Certains Européens sont même restés plusieurs décennies à ses côtés.
Cette femme, issue d'un milieu modeste, qui n'a jamais rien écrit et qui s'est toujours refusée à enseigner quoi que ce soit, a pourtant marqué l'Inde contemporaine de façon indélébile. Son visage, son regard, sa beauté fascinent car ils sont le reflet de l'invisible et de la transcendance. Ses traits témoignent surtout d'une joie permanente, naturelle et invariable quels que soient le lieu et les circonstances. D'où le nom de Mâ Ananda Moyî, Mère de la joie, qu'un de ses disciples lui donna un jour, vocable sous lequel l'Inde entière la connaît désormais.
extrait de Visages de l'amour Véronique Francou Edition Nouvelle Cité 2016